Qui fournit l’information ?

Toutes les guerres produisent toujours de fausses histoires d’atrocités - ainsi que de véritables atrocités. Mais dans le cas syrien, les nouvelles fabriquées et les reportages unilatéraux ont dominé les informations à un degré probablement jamais vu depuis la Première Guerre mondiale.

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Qui four­nit l’information ? (Lon­don Review of Books)

Le point culmi­nant de la cou­ver­ture média­tique occi­den­tale des guerres en Irak et en Syrie a été le siège d’Alep-est, qui a com­men­cé sérieu­se­ment en juillet et s’est ter­mi­né en décembre, lorsque les forces gou­ver­ne­men­tales syriennes ont pris le contrôle des der­nières zones tenues par les rebelles et plus de 100 000 civils ont été éva­cués. Pen­dant les bom­bar­de­ments, les chaînes de télé­vi­sion et de nom­breux jour­naux sem­blaient dés­in­té­res­sés de savoir si tel ou tel repor­tage était vrai ou faux, et ont même riva­li­sé pour publier l’histoire d’atrocité la plus spec­ta­cu­laire, même lorsqu’il n’y avait que peu de preuves qu’elle avait réel­le­ment eu lieu. La chaîne NBC a rap­por­té que plus de qua­rante civils avaient été brû­lés vivants par les troupes gou­ver­ne­men­tales, en citant comme source de vagues « médias arabes ». Une autre his­toire lar­ge­ment média­ti­sée — qui a fait les man­chettes par­tout, du Dai­ly Express au New York Times — fut celle de vingt femmes qui s’étaient sui­ci­dées le matin même pour évi­ter d’être vio­lées par les sol­dats qui arri­vaient, la source étant un insur­gé bien connu, Abdul­lah Oth­man, dans une cita­tion d’une seule phrase accor­dée à the Dai­ly Beast.

L’histoire la plus cré­dible sur des atro­ci­tés fut dif­fu­sée dans le monde entier par Rupert Col­ville, porte-parole du Haut Com­mis­sa­riat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, qui a décla­ré que son agence avait reçu des infor­ma­tions fiables selon les­quelles 82 civils, dont 11 femmes et 13 enfants, avaient été tués par des forces pro-gou­ver­ne­men­tales dans plu­sieurs endroits nom­més dans Alep-est. Il fut pré­ci­sé que les noms des morts étaient connus. D’autres enquêtes du HCR en jan­vier ont por­té le nombre de morts à 85 sur une période de plu­sieurs jours. Col­ville a dit que les auteurs ne sont pas l’armée syrienne, mais deux groupes de milices pro-gou­ver­ne­men­tales — al-Nuja­bah d’Irak et un groupe pales­ti­nien syrien appe­lé Liwa al-Quds — dont les motifs étaient « l’inimitié per­son­nelle et des dis­putes entre familles ». Inter­ro­gé s’il y avait d’autres rap­ports de civils exé­cu­tés au cours des der­nières semaines du siège, Col­ville a dit qu’il y avait des rap­ports sur des membres de l’opposition armée tirant sur des per­sonnes qui ten­taient de fuir l’enclave rebelle. L’assassinat de 85 civils confir­més par de mul­tiples sources et le meurtre d’un nombre incon­nu de per­sonnes avec des bombes et des obus étaient cer­tai­ne­ment des atro­ci­tés. Mais il est exa­gé­ré de com­pa­rer les évé­ne­ments d’Alep-est — comme les jour­na­listes et les poli­ti­ciens des deux côtés de l’Atlantique l’ont fait en décembre — avec l’assassinat mas­sif de 800 000 per­sonnes au Rwan­da en 1994 ou plus de 7000 à Sre­bre­ni­ca en 1995.

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Toutes les guerres pro­duisent tou­jours de fausses his­toires d’atrocités — ain­si que de véri­tables atro­ci­tés. Mais dans le cas syrien, les nou­velles fabri­quées et les repor­tages uni­la­té­raux ont domi­né les infor­ma­tions à un degré pro­ba­ble­ment jamais vu depuis la Pre­mière Guerre mon­diale. La faci­li­té avec laquelle la pro­pa­gande peut désor­mais être dif­fu­sée est sou­vent attri­buée à la tech­no­lo­gie de l’information moderne : You­Tube, smart­phones, Face­book, Twit­ter. Mais il ne faut pas s’étonner que dans une guerre civile, chaque par­tie uti­lise tous les moyens pos­sibles pour faire connaître et exa­gé­rer les crimes de l’ennemi, tout en niant ou dis­si­mu­lant des actions simi­laires dans son propre camp. La véri­table rai­son pour laquelle les repor­tages sur le conflit syrien ont été si mau­vais est que les médias occi­den­taux se sont presque entiè­re­ment fiés aux rebelles.

Depuis au moins 2013, il est trop dan­ge­reux pour les jour­na­listes de visi­ter les zones tenues par les rebelles en rai­son de craintes bien fon­dées d’êtres enle­vés et déte­nus pour un ran­çon, ou assas­si­nés, habi­tuel­le­ment par déca­pi­ta­tion. Les jour­na­listes qui ont pris le risque ont payé un lourd tri­but : James Foley a été enle­vé en novembre 2012 et exé­cu­té par l’Etat isla­mique en août 2014. Ste­ven Sot­loff a été enle­vé à Alep en août 2013 et déca­pi­té peu de temps après Foley. Mais il y a une forte demande du public pour savoir ce qui se passe là-bas, et les médias, presque sans excep­tion, ont répon­du en délé­guant leurs repor­tages aux médias locaux et aux mili­tants poli­tiques, qui appa­raissent régu­liè­re­ment sur les écrans de télé­vi­sion à tra­vers le monde. Dans les régions contrô­lées par des gens si dan­ge­reux qu’aucun jour­na­liste étran­ger n’ose y mettre les pieds, l’idée que des citoyens locaux non affi­liés puissent s’exprimer libre­ment n’a jamais été crédible.

A Alep-est, tout repor­tage devait être effec­tué avec l’approbation d’un des groupes sala­fi-jiha­distes qui domi­naient l’opposition armée et contrô­laient la région — y com­pris Jabhat al-Nus­ra, ancien­ne­ment la branche syrienne d’Al-Qaida. Le sort de tous ceux qui cri­tiquent, s’opposent ou même agissent indé­pen­dam­ment de ces groupes extré­mistes a été mis en évi­dence dans un rap­port d’Amnesty Inter­na­tio­nal publié l’année der­nière et inti­tu­lé « La tor­ture était ma puni­tion : enlè­ve­ments, tor­tures et assas­si­nats som­maires sous le règne des groupes armés à Alep et Idlib » : Ibra­him, que les com­bat­tants d’al-Nusra ont sus­pen­du au pla­fond par les poi­gnets et bat­tu, pour avoir tenu une réunion pour com­mé­mo­rer le sou­lè­ve­ment de 2011 sans leur auto­ri­sa­tion, est cité : « J’avais enten­du et lu des choses sur les tech­niques de tor­ture des forces de sécu­ri­té gou­ver­ne­men­tales. Je pen­sais que je serais en sécu­ri­té dans une zone tenue par l’opposition. J’avais tort. J’ai été sou­mis aux mêmes tech­niques de tor­ture, mais aux mains de Jabhat al-Nus­ra. »

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Le fait que les groupes liés à Al-Qai­da avaient le mono­pole sur les infor­ma­tions sor­tant d’Alep-est ne signi­fie pas néces­sai­re­ment que les repor­tages dans la presse sur les effets dévas­ta­teurs des bom­bar­de­ments étaient faux. Les images de bâti­ments démo­lis et de civils recou­verts de pous­sière de ciment n’ont pas été fabri­quées. Mais elles étaient sélec­tives. Il convient de rap­pe­ler que — selon les chiffres de l’ONU — il y avait entre 8000 et 10.000 com­bat­tants rebelles à Alep-est, mais pra­ti­que­ment aucune image de télé­vi­sion n’a mon­tré des hommes en armes. Les médias occi­den­taux se sont géné­ra­le­ment réfé­rés aux groupes défen­dant Alep-est comme « l’opposition » sans men­tion d’al-Qaida ou de ses groupes asso­ciés. Il y avait une sup­po­si­tion impli­cite que tous les habi­tants d’Alep-est étaient fer­me­ment oppo­sés à Assad et sou­te­naient les insur­gés. Il est pour­tant frap­pant de consta­ter que lorsqu’on leur a offert le choix à la mi-décembre, seul un tiers des éva­cués — 36.000 — ont deman­dé à être rejoindre Idlib, une ville tenue par les rebelles. La majo­ri­té — 80.000 — ont choi­si Alep-ouest, contrô­lée par le gou­ver­ne­ment. Ce n’est pas néces­sai­re­ment parce qu’ils s’attendaient à être bien trai­tés par les auto­ri­tés — c’est juste qu’ils pen­saient que la vie sous les rebelles était encore plus dan­ge­reuse. Dans la guerre civile syrienne, le choix est sou­vent entre le mau­vais et le pire.

Les repor­tages par­ti­sans sur le siège d’Alep-est l’ont pré­sen­té comme une bataille entre le bien et le mal : Le Sei­gneur des Anneaux, avec Assad et Pou­tine dans les rôles de Saru­man et Sau­ron. En pre­nant leurs sources prin­ci­pa­le­ment auprès des mili­tants locaux, les agences de presse les inci­taient invo­lon­tai­re­ment à éli­mi­ner — par l’intimidation, l’enlèvement et le meurtre — tout jour­na­liste indé­pen­dant, syrien ou non, qui pou­vait contre­dire leur ver­sion. Les diri­geants étran­gers et les médias inter­na­tio­naux pré­di­saient un mas­sacre à l’échelle des pires mas­sacres de l’après-guerre. Mais, de manière hon­teuse, au moment où le siège a pris fin, ils ont com­plè­te­ment per­du tout inté­rêt pour l’histoire et savoir si les hor­reurs qu’ils avaient racon­tées avaient réel­le­ment eu lieu ou non. Plus grave encore, en pré­sen­tant le siège d’Alep-est comme la grande tra­gé­die huma­ni­taire de 2016, ils ont détour­né l’attention d’une tra­gé­die encore plus grande qui se dérou­lait à 450km à l’est, dans le nord de l’Irak.

L’offensive contre Mos­soul, la plus grande ville encore déte­nue par l’Etat isla­mique, a com­men­cé le 17 octobre, lorsque les troupes de l’armée ira­kienne, avec le sou­tien de la puis­sance aérienne US, sont entrées dans les quar­tiers de l’est de la ville. Les espoirs d’une vic­toire rapide ont été rapi­de­ment déçus lorsque les sol­dats ira­kiens ont com­men­cé à souf­frir de lourdes pertes parce que des uni­tés de petite taille, mais très mobiles, d’une demi-dou­zaine de com­bat­tants, se dépla­çaient de mai­son en mai­son à tra­vers des tun­nels cachés ou des trous per­cés dans les murs pour occu­per des posi­tions de sni­per, pla­cer des pièges et des mines anti-per­son­nelles. Les popu­la­tions locales dont les mai­sons avaient été réqui­si­tion­nées disent que les tireurs d’élite étaient des Tchét­chènes ou des Afghans qui par­laient un arabe approxi­ma­tif. Ces com­bat­tants étaient sou­te­nus par l’Etat Isla­mique local qui a éga­le­ment aidé à cacher les kami­kazes qui devaient conduire des véhi­cules bour­rés d’explosifs. Au cours des six pre­mières semaines de l’offensive, il y a eu 632 atten­tats-sui­cides avec de telles véhi­cules. Un groupe de l’EI occupe une mai­son jusqu’à ce qu’elle soit repé­rée par les forces gou­ver­ne­men­tales ira­kiennes et qu’elle soit sur le point d’être détruite par des armes lourdes ou des frappes aériennes menées par les Etats-Unis. Avant cette contre-attaque, le groupe se déplace vers une autre mai­son. L’EI a tra­di­tion­nel­le­ment favo­ri­sé la tac­tique fluide, chaque escouade ou déta­che­ment agis­sant indé­pen­dam­ment et avec un contrôle hié­rar­chique limi­té. Adap­tée à un envi­ron­ne­ment urbain, cette approche per­met à de petits groupes de com­bat­tants de har­ce­ler des forces beau­coup plus impor­tantes, en se repliant rapi­de­ment puis en s’infiltrant dans les quar­tiers cap­tu­rés qui doivent à leur tour être repris, encore et encore.

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Les gou­ver­ne­ments ira­kien et US avaient toutes les rai­sons de mini­mi­ser le fait qu’ils n’avaient pas réus­si à prendre Mos­soul et avaient plu­tôt été aspi­rés dans la plus grande bataille menée en Irak et en Syrie depuis l’invasion US en 2003. Ce fut seule­ment au cours de la deuxième semaine de jan­vier que les forces spé­ciales ira­kiennes ont atteint le Tigre après des com­bats féroces : avec l’appui d’avions, d’hélicoptères, d’artillerie et de ren­sei­gne­ments US, ils ont fina­le­ment pris le contrôle de l’Université de Mos­soul, qui avait ser­vi de quar­tier géné­ral de l’EI pour l’Est de la ville et les 450 000 habi­tants de la région. Mais atteindre le Tigre était loin d’être la fin de la par­tie. Le 13 jan­vier, l’EI a fait sau­ter les cinq ponts qui enjam­baient la rivière. La par­tie ouest de la ville est un défi beau­coup plus impor­tant : elle compte 750 000 habi­tants, dont on pense que beau­coup sont sym­pa­thi­sants de l’EI. C’est un quar­tier plus vaste, plus pauvre et plus ancien, avec des ruelles étroites reliées entre elles et faciles à défendre. Seules les orga­ni­sa­tions huma­ni­taires, confron­tées aux nom­breuses vic­times civiles et aux pers­pec­tives d’une lutte à mort par l’EI, ont pu juger de l’ampleur de ce qui se pas­sait : le 11 jan­vier, Lise Grande, coor­don­na­trice huma­ni­taire de l’ONU en Irak, a décla­ré que la ville était « témoin d’une des plus grandes opé­ra­tions mili­taires urbaines depuis la Seconde Guerre mon­diale ». Elle a aver­ti que l’intensité des com­bats était telle que 47% des per­sonnes trai­tées pour des bles­sures par balle étaient des civils, bien plus que dans d’autres sièges dont l’ONU avait l’expérience. Le plus proche paral­lèle à ce qui se passe à Mos­soul serait le siège de Sara­je­vo entre 1992 et 1995, où 10 000 per­sonnes ont été tuées, ou le siège de Groz­ny en 1994 – 1995, où envi­ron 5500 civils sont morts. Mais le bilan à Mos­soul pour­rait être beau­coup plus lourd que dans l’une ou l’autre de ces villes parce qu’elle est défen­due par un mou­ve­ment qui ne négo­cie­ra pas, ni ne se ren­dra, et exé­cute tous ceux qui montrent le moindre signe d’hésitation. L’EI croit que la mort au com­bat est l’expression suprême de la foi isla­mique, ce qui cadre bien avec une résis­tance achar­née jusqu’à la mort.

Sur la même période, le nombre de civils bles­sés à Mos­soul au cours des trois der­niers mois pour­rait bien dépas­ser celui d’Alep-est, en par­tie parce que dix fois plus de gens ont été pris dans les com­bats à Mos­soul, dont la popu­la­tion selon l’ONU est de 1,2 mil­lion ; 116 000 civils ont été éva­cués d’Alep-est. Par­mi eux, 2126 malades et bles­sés de guerre ont été éva­cués vers les hôpi­taux, selon l’OMS. Les pertes dans la cam­pagne de Mos­soul sont dif­fi­ciles à chif­frer, en par­tie parce que le gou­ver­ne­ment ira­kien et les États-Unis ont pris soin d’éviter de don­ner des chiffres. Les res­pon­sables de Bag­dad ont dénon­cé avec colère la Mis­sion d’assistance des Nations Unies pour l’Irak en annon­çant que 1959 sol­dats, poli­ciers, Pesh­mer­gas kurdes et leurs alliés para­mi­li­taires avaient été tués au cours du seul mois de novembre. L’ONU a été for­cée de s’engager à ne pas divul­guer à l’avenir des infor­ma­tions sur les pertes mili­taires ira­kiennes, mais des offi­ciers amé­ri­cains ont confir­mé que cer­taines uni­tés de la Gol­den Divi­sion com­po­sée de 10 000 hommes — une force d’élite for­mée aux États-Unis au sein de l’armée ira­kienne – avaient subies 50 pour cent de pertes à la fin de l’année. Le gou­ver­ne­ment ira­kien est éga­le­ment silen­cieux sur le nombre de vic­times civiles et a insis­té sur sa grande rete­nue exer­cée dans l’usage de l’artillerie et de frappes aériennes. Mais les méde­cins du Kur­dis­tan ira­kien qui soignent les bles­sés fuyant Mos­soul sont moins réti­cents à par­ler : ils se plai­gnaient d’être sub­mer­gés. Le 30 décembre, le ministre kurde de la San­té, Rekawt Hama Rasheed, a décla­ré que ses hôpi­taux avaient reçu 13 500 sol­dats ira­kiens et civils bles­sés et qu’ils man­quaient de médi­ca­ments. L’ampleur des pertes civiles n’a pas dimi­nué depuis : le Bureau des Nations Unies pour la coor­di­na­tion des affaires huma­ni­taires en Irak a décla­ré qu’au cours des deux pre­mières semaines de l’année, quelques 1500 Ira­kiens de Mos­soul souf­frant de trau­ma­tismes étaient arri­vés dans les hôpi­taux kurdes, prin­ci­pa­le­ment des zones de front et que « la plu­part de ces bles­sures ont été infli­gées juste après l’intensification des com­bats à la fin du mois de décembre ». Ces chiffres ne donnent qu’une idée approxi­ma­tive des pertes réelles : ils n’incluent pas les morts ou les bles­sés dans l’ouest de Mos­soul qui ne vou­laient pas par­tir — ou qui ne pou­vaient pas, parce qu’ils étaient uti­li­sés comme bou­cliers humains par l’EI. L’ONU dit que beau­coup de gens ont été abat­tus par les com­bat­tants de l’IE alors qu’ils essayaient de s’enfuir.

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Un grand nombre de ces pertes ont été infli­gées avant même que Mos­soul ne soit tota­le­ment encer­clée : la der­nière route prin­ci­pale encore fran­chis­sable vers la Syrie, par où arri­vaient la nour­ri­ture, les médi­ca­ments, le car­bu­rant et le gaz de cuis­son depuis la prise de la ville il y a deux ans et demi, a été fer­mée en novembre par les para­mi­li­taires chiites. Les pistes sont tou­jours ouvertes, mais elles sont dan­ge­reuses et ne peuvent sou­vent pas être uti­li­sées pen­dant les pluies d’hiver. En consé­quence, les prix sur les mar­chés de Mos­soul ont grim­pé en flèche : le prix d’un simple œuf a été mul­ti­plié par cinq, à 1000 dinars ira­kiens. Dans le prin­ci­pal mar­ché des fruits et légumes, il n’y a que des pommes de terre et des oignons à vendre, et à des prix éle­vés. Au fur et à mesure que les bou­teilles de gaz se vident, le bois pré­le­vé sur des chan­tiers aban­don­nés se vend au prix fort. Le siège sera pro­ba­ble­ment long : s’il y a un endroit où l’EI peut livrer une bataille, c’est bien à Mos­soul, là où le gou­ver­ne­ment ira­kien et l’armée US peuvent faire preuve de plus de rete­nue dans l’utilisation de leur puis­sance de feu qu’ailleurs en Irak. Les pré­cé­dents sont inquié­tants : en 2015 – 16, des frappes aériennes et des tirs d’artillerie ont détruit 70% de Rama­di, la capi­tale de la pro­vince d’Anbar, qui comp­tait 350 000 habi­tants. L’EI a toutes les rai­sons de se battre jusqu’au bout à Mos­soul : en plus d’être la deuxième ville d’Irak, elle a une signi­fi­ca­tion ico­nique pour l’EI.

C’est ici, en juin 2014, que quelques mil­liers de ses com­bat­tants ont défait une gar­ni­son du gou­ver­ne­ment ira­kien d’au moins 20 000 sol­dats ; et c’est grâce à cette vic­toire mira­cu­leuse que le chef de l’EI, Abu Bakr al-Bagh­da­di, a décla­ré son cali­fat. Ceux qui sont pris au piège à Mos­soul ne sont pas opti­mistes : « Ce que nous crai­gnions est en train de se pro­duire », a décla­ré une femme de soixante ans qui s’est pré­sen­tée comme Fati­ma au jour­nal en ligne Niqash, qui a publié un compte ren­du des condi­tions qui régnaient dans la ville. « Le siège com­mence réel­le­ment. A par­tir de main­te­nant, chaque graine et chaque goutte de car­bu­rant compte parce que seul Dieu sait quand cela fini­ra. »

Mal­gré la féro­ci­té des com­bats à Mos­soul et les aver­tis­se­ments de l’ONU sur les pertes dans la ville qui pour­raient dépas­ser celles de Sara­je­vo et de Groz­ny, l’attention inter­na­tio­nale s’est presque exclu­si­ve­ment por­tée sur Alep-est. Ce ne serait pas la pre­mière fois dans la région que la presse occi­den­tale se trompe de bataille : j’étais à Bag­dad en novembre 2004, alors que la plu­part des jour­na­listes occi­den­taux cou­vraient la fin du siège de Fal­lou­jah. Les Marines l’ont fina­le­ment cap­tu­rée, mais les géné­raux amé­ri­cains ont com­pris — et les médias ont à peine remar­qué — que pen­dant que les troupes amé­ri­caines com­bat­taient à Fal­lou­jah, dans le centre de l’Irak, les insur­gés s’étaient empa­rés de la plus grande ville de Mos­soul, dans le nord. Cette vic­toire s’est révé­lée signi­fi­ca­tive, car l’armée US et le gou­ver­ne­ment ira­kien n’ont jamais réel­le­ment repris le contrôle incon­tes­té de la ville, de sorte que les pré­dé­ces­seurs de l’EI ont sur­vé­cu à une pres­sion mili­taire intense et on pu se refaire une san­té en atten­dant la révolte en Syrie en 2011 qui leur a don­né de nou­velles opportunités.

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Il y a beau­coup de simi­li­tudes entre les sièges de Mos­soul et d’Alep-est, mais les repor­tages étaient dif­fé­rents. Lorsque des civils sont tués ou leurs mai­sons détruites lors du bom­bar­de­ment mené par les États-Unis à Mos­soul, c’est l’État isla­mique qui est cen­sé être res­pon­sable de leur mort : les vic­times étaient des bou­cliers humains. Lorsque la Rus­sie ou la Syrie visent des bâti­ments à Alep-Est, ce sont eux les cou­pables et les rebelles n’y sont pour rien. Des images déchi­rantes d’Alep-Est mon­trant des enfants morts, bles­sés ou souf­frant de trau­ma­tismes ont été dif­fu­sées dans le monde entier. Mais lorsque, le 12 jan­vier, une vidéo a été publiée mon­trant des per­sonnes cher­chant des cadavres dans les ruines d’un bâti­ment à Mos­soul qui sem­blait avoir été détruit par une attaque aérienne de la coa­li­tion diri­gée par les États-Unis, aucune sta­tion de télé­vi­sion occi­den­tale n’a dif­fu­sé les images. « Nous avons sor­ti 14 corps jusqu’à pré­sent », a dit un homme hagard en regar­dant la camé­ra, « et il y en a encore neuf sous les décombres ».

Patrick Cock­burn

Auteur du livre “Le retour des Djihadistes”

Source de l’ar­ticle : LGS

Des­sins de : Mix & Remix