Et on arrive à Caracas et la vie se fait intense. Taxi pour la FILVEN (Foire Internationale du Livre du Venezuela), s’il vous plaît, et je me retrouve en pleine autoroute de Prados del Este à converser avec mon ami chauffeur de taxi de La Caverne de Platon et puis un peu de Gramsci, gracieusement offert par l’Université Bolivarienne. Ainsi commence la plénitude des mes jours caraquègnes.
La FILVEN n’a pas ouvert et des dizaines d’enfants de différentes écoles se préparent à parcourir la foire avec leurs maîtresses. Passe une jeune fille déguisée en ours suivie d’une abeille et d’un clown étrange, les enfants rient, joyeux, et moi, gagnée par l’émotion, je ris avec eux. Dix minutes avant dix heures et il y a des gens qui attendent de se retrouver avec leurs livres, leurs auteurs, leurs amis, car dans la foire tous nous sommes amis, et on parle, on boit un café avec un de ces vieux amis qu’on ne connaissait pas il y a cinq minutes.
Dans la foire un chargé d”entretien et de nettoyage m’offre un café et parle des livres qu’il a lus et de ceux qu’il espère lire. Il me guide parmi les pavillons, me recommande des lectures et “Kiki”, qui marche toujours à mes côtés, ne peut pas croire que le monsieur qui nettoie sache tant, chose dangereuse penserait la Kiki si la Kiki pensait comme Médéme Marifer Popof mais la Kiki ne pense pas, elle imite.
C’est un danger que le peuple lise. Un monsieur du nettoyage lecteur ne sera plus un balayeur qui remplit les poches du propriétaire de l’entreprise de nettoyage. Un monsieur du nettoyage lecteur monte une coopérative et obtient le contrat pour garder propre sa Fête du Livre et il le fait avec plaisir. Le monsieur du nettoyage lecteur comprend et ne se fait plus exploiter… Tremblez, oligarques ! [[phrase de l’hymne du général Zamora (1859 – 1863) et de son armée de paysans rebelles, une des racines de la révolution bolivarienne.]]
Mais FILVEN ne dure pas toute l’année et Caracas n’est pas que la FILVEN, sans oublier que la responsabilité m’oblige à laisser le paradis littéraire pour courir à la Plaza Bolívar, à mon cher journal, écrire la chronique que vous êtes en train de lire. Encore heureux qu’il existe des obligations comme celle-ci, qui en plus d’être délicieuses, vous amènent à remonter le centre de Caracas, vous rendent un brin irresponsable et vous font retarder l’arrivée en buvant un chocolat épais, de ceux qui se boivent les yeux fermés, comme pour arrêter l’instant, comme pour attraper le bonheur sous les paupières serrées.
Un rire d’enfant me fait ouvrir les yeux chocolateux et je comprends que le bonheur ne s’en va pas, il est là sur la place, dans les rues, dans les gens qui parcourent ces rues aujourd’hui jolies, des rues où on peut marcher, dans ce Caracas qu’on peut aimer.
Caracas change et retrouve la beauté que lui ont volée l’abandon, la bassesse de ceux qui ont voulu la vendre comme une ferraille pour ensuite la mépriser et rêver de vivre à Miami. Mais Caracas, comme toujours, a résisté et nous, les caraquègnes, avons résisté et nous nous sommes soulevés. Et moi, caraquègne, qui n’ai jamais voulu vivre trop longtemps dans ma ville adorée, je fête ce peu de jours intenses en tapant mon bonheur avec la chair de poule, et les yeux humides cachés derrière un sourire.
Je suis heureuse à Caracas.
Carola Chávez [[Précisons que l’auteure Carola Chavez est homonyme mais non parente du président vénézuélien.]]
Son blog : www.carolachavez.wordpress.com
Source : http://www.ciudadccs.info/?p=272417
Photos : http://www.avn.info.ve/
Traduction : Thierry Deronne