A Bruxelles, dans le quartier proche de la gare du midi, nous nous sommes arrêtés dans un tunnel ou les gens ne font que passer et où les SDF dorment. Nous avons découvert que ce lieu regorge de vestiges qui racontent notre société.
Le tunnel — un film collectif — 11 minutes — 2016
Nous venons de Belgique, d’Algérie, du Congo, de Guinée, du Maroc. A Bruxelles, dans le quartier proche de la gare du midi, nous nous sommes arrêtés dans un tunnel par où les gens passent et où les SDF dorment. Nous avons découvert que ce lieu regorge des vestiges qui racontent notre société. Ils témoignent de notre rapport à l’autre, des inégalités et de nos révoltes. Nous en avons fait un film.
Une réalisation collective de
Lirwane, Melina Chaymea, Bouchra, Mohamed, Marwoua, Chiraz et Abdelghani.
Dans le cadre d’un atelier vidéo organisé par ZIN TV, Pigment vzw et l’AMO Rythme en partenariat avec le Pianofabriek.
Un atelier au bout du tunnel
Si les ateliers vidéo de ZIN TV sont destinés à apprendre à « écouter » et à « regarder », il faut également pouvoir écouter les participants de l’atelier et apprendre d’eux, de leur vision du monde et de leur contribution à ce monde. Notre rôle d’animateurs est celui du « maître ignorant ».
Durant les vacances de Toussaint l’atelier d’initiation au cinéma annonçait ceci : Les robinets télévisuels, internet, publicitaires coulent à flot. Nous sommes inondés d’images, tout est filmé, tout nous parait intéressant… Mais, qui a le pouvoir ? C’est les images ou c’est moi ?
De l’idée au montage en passant par le tournage, l’équipe de ZINTV vous accompagne pour vous aider à construire votre regard et filmer la réalité que vous avez envie de montrer.
Pour l’occasion, les associations PIGMENT VZW (Association bruxelloise active en milieu précaire et sans-papier) et AMO RYTHME (Aide en Milieu Ouvert), se sont mobilisées pour accueillir au moins 8 jeunes entre 8 à 17 ans. En effet, ils ont répondu à une demande de parents sans papiers qui cherchaient un espace où leurs enfants pouvaient participer à un atelier d’expression.
Vient donc le jour où nous les recevons au centre culturel Pianofabriek, lieu où se déroulera l’atelier vidéo. Le petit-déjeuner assuré par PIGMENT permet de briser la glace et surtout d’être ponctuel. Ensuite, dans la salle de l’atelier, tous autour de la table, nous sondons les envies, les attentes et surtout titiller le désir de cinéma de chacun. Certains souhaitent qu’on réalise un film d’amour, mais la majorité montre un certain engouement pour le film d’horreur, d’épouvante et de peur… l’envie d’exprimer et de partager ses angoisses pose des questions, sans que nous puissions y répondre dans un premier temps. N’ayons pas peur, l’angoisse amorce toujours le début d’une histoire lorsqu’on l’affronte.
Nous proposons de travailler sur le portrait d’un lieu qui permettra de travailler les différentes facettes qui correspondent au souhaits de chacun. Mais où ? Sur un plan du quartier, trois volontaires doivent les yeux bandés, chacun, pointer au hasard, trois lieux. Les deux premiers ne sont tout simplement pas possibles pour mille raisons mais arrivés au troisième choix… Nous partons sur place.
Un pont invraisemblable passe au-dessus de la rue des vétérinaires et dessus, passent les trains de et vers la gare du midi. Le décor est hideux, monstrueusement gris, sordide et il empeste. Deux orifices font office de tunnel, l’un pour les voitures, l’autre pour les piétons. Nous-nous faisons dévorer par la bouche du tunnel et parcourons tel une capsule vidéo-endoscopique dans un insolite tube digestif. Nous avons ouvert grand les yeux et les oreilles, on a croisé des passants pressés, observé la variété des graffitis, des déchets… Nous rentrons au bercail et discutons sur les “notes de repérages” effectués. La plupart des jeunes participants connaissent bien ce lieu, ils passent souvent par là, mais n’avaient jamais remarqué tous ces éléments, ils prennent conscience de la différence entre un usager et un cinéaste, ils ne regardent pas de la même manière un même lieu.
Le lendemain-matin, nous expliquons le matériel de prise de vues et du son, ainsi que les rudiments de la technique . Dans l’après-midi, deux équipes de tournage sont opérationnelles. L’un accoste les usagers de ce tunnel, demandant aux piétons leur opinion sur les graffitis ou d’autres choses dont ils aimeraient parler. L’autre équipe filme de manière encyclopédique les inscriptions sur le mur, une par une, les déchets par terre, une canette de bière, un matelas, tel des natures-mortes. Lors de la vision collective des images brutes au lendemain, les images projetés sur l’écran sont analysées méthodologiquement. On discute, on identifie les erreurs, on propose des corrections, on retourne sur les lieux. Ainsi de suite, ces allers-retours entre le réel et un espace d’analyse sont le chemin de l’apprentissage des méthodes d’approche du cinéma documentaire.
Le micro tendu, les jeunes participants prennent de plus en plus plaisir à dialoguer avec les passants car ils se sentent protégés par la caméra. Ils sont contents de faire parler des inconnus mais sans encore comprendre pourquoi ? La caméra n’est qu’un prétexte pour aller vers l’«Autre ». Les gens s’expriment. Certains parlent d’injustice, de révolte contre la société. Des sans-abris dorment dans ce tunnel, la nuit. Le jour, ils sont invisibles.
Les images tournées sont projetées sur le mur de la salle d’atelier, ils montrent déjà clairement un mouvement narratif. Cela va de pair avec un mouvement d’approche du réel : au début ils filment des choses sans trop de risques, puis ils sont allés vers les gens et les gens leur montrent d’autres gens, des sans-abris. On découvre et sommes touchés par une inscription attentionnée écrite sur le mur adressé aux sans-abris, une trace de solidarité anonyme. Ils interprètent cette inscription comme un geste à répéter et décident à leur tour de laisser un message sur les murs du tunnel dédicacé aux usagers nocturnes du tunnel.
Notre atelier vidéo se transforme en atelier de peinture et sur du papier peint les participants dessinent des trajets, des mots, des drapeaux de toutes les couleurs. A l’aide d’un pinceau imbibé de colle, ils plaquent le papier dessiné contre le mur intérieur du tunnel, au-dessus des matelas posé par terre et immortalisent le moment avec la caméra. Geste spontané de solidarité d’enfants sans-papiers destiné à des adultes sans-abris (et sans doute également sans-papiers). Un triste tunnel transformé pour un moment en foyer réunissant une communauté éphémère, orné désormais d’un nouveau papier-peint.
La fin du processus d’initiation à la vidéo culmine avec une vision collective d’une première mouture de montage que nous proposons. Tout est encore modifiable, tout est encore si fragile, la première évaluation par les participants est la base de notre discussion, chacun donne un retour critique et des retouches sont faites. C’est le moment où ils s’approprient l’écriture définitive du film.
Les jeunes réalisateurs découvrent qu’on peut superposer le son avec des images et mettre une image après l’autre, pour faire sens. A chaque coupe, le film prends forme et réalisent que toutes nos idées échangés sont désormais matérialisés. Délicat moment où les participants perçoivent qu’ils ne viennent pas dans cet atelier pour devenir cinéaste, ni pour passer le temps, … En fait, ils ont vite oublié l’idée de départ : le film d’horreur. Leur désir de fiction, cachait une volonté de construction collective, d’un document pour le futur, d’un prétexte pour connaître l’« Autre » et de le faire exister. Quand ils ont vu la dernière étape de montage, la dimension sociale et ludique a pris le dessus. La mise en relation de tous les moments filmés au cours de la semaine dégage à présent une pensée construite, un point de vue sur le monde, dont les participants semblent tout à la fois fiers et étonnés. Ils réalisent, par cet assemblage, que leurs questionnements ont une place et une valeur dans l’espace public. On sent dans le groupe que si certains doutaient de leur regard, cette dernière vision a participé à augmenter l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes.
Un film sans projection publique n’est pas un film. ZIN TV organise l’événement avec un autre groupe d’enfants qui faisaient un stage vidéo en parallèle au Centre Culturel Pianofabriek. La salle de projection est comble. Lirwane et Chiraz, deux des participantes de l’atelier ont présenté le film intitulé sobrement « Le tunnel », elles en ont expliqué le sens et étaient fier de le montrer. Projection qui sera, nous l’espérons la première d’une longue série de bouteilles lancés à la mer…
Ronnie Ramirez & Valentin Fayet
Novembre 2016
image de © Kris Hendrickx
Entre-temps, le vendredi 8 juin 2018, le tunnel piétonnier sous les voies de la Gare du Midi a été évacué et fermé à la demande de la direction d’infrabel (à la demande de la commune de Saint-Gilles). Des grillages de la honte ont été placé, ces fameux systèmes anti-SDF inventé par l’État pour déplacer le problème.
80 associations bruxelloises du secteur et de nombreux citoyens sont réunis dans le projet : Droit à un toit ou dans le mur ? Recht op een dak of het dak op kunnen ? disposés à entrer en action et de s’attaquer au problème de la grande pauvreté à Bruxelles.
Voir les infos dans la presse :
BX1 : Fermeture du passage piétonnier près de la gare du Midi : la commune de Saint-Gilles réagit