Le tunnel

FR - 11 mn 30 sec - 2018

A Bruxelles, dans le quar­tier proche de la gare du midi, nous nous sommes arrê­tés dans un tun­nel ou les gens ne font que pas­ser et où les SDF dorment. Nous avons décou­vert que ce lieu regorge de ves­tiges qui racontent notre société.

Le tunnel — un film collectif — 11 minutes — 2016

Nous venons de Bel­gique, d’Al­gé­rie, du Congo, de Gui­née, du Maroc. A Bruxelles, dans le quar­tier proche de la gare du midi, nous nous sommes arrê­tés dans un tun­nel par où les gens passent et où les SDF dorment. Nous avons décou­vert que ce lieu regorge des ves­tiges qui racontent notre socié­té. Ils témoignent de notre rap­port à l’autre, des inéga­li­tés et de nos révoltes. Nous en avons fait un film.

Une réa­li­sa­tion col­lec­tive de
Lir­wane, Meli­na Chay­mea, Bou­chra, Moha­med, Mar­woua, Chi­raz et Abdelghani.

Dans le cadre d’un ate­lier vidéo orga­ni­sé par ZIN TV, Pig­ment vzw et l’A­MO Rythme en par­te­na­riat avec le Pianofabriek.


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Un ate­lier au bout du tunnel

Si les ate­liers vidéo de ZIN TV sont des­ti­nés à apprendre à « écou­ter » et à « regar­der », il faut éga­le­ment pou­voir écou­ter les par­ti­ci­pants de l’atelier et apprendre d’eux, de leur vision du monde et de leur contri­bu­tion à ce monde. Notre rôle d’a­ni­ma­teurs est celui du « maître ignorant ».

Durant les vacances de Tous­saint l’a­te­lier d’initiation au ciné­ma annon­çait ceci : Les robi­nets télé­vi­suels, inter­net, publi­ci­taires coulent à flot. Nous sommes inon­dés d’i­mages, tout est fil­mé, tout nous parait inté­res­sant… Mais, qui a le pou­voir ? C’est les images ou c’est moi ?
De l’idée au mon­tage en pas­sant par le tour­nage, l’équipe de ZINTV vous accom­pagne pour vous aider à construire votre regard et fil­mer la réa­li­té que vous avez envie de montrer.

Pour l’occasion, les asso­cia­tions PIGMENT VZW (Asso­cia­tion bruxel­loise active en milieu pré­caire et sans-papier) et AMO RYTHME (Aide en Milieu Ouvert), se sont mobi­li­sées pour accueillir au moins 8 jeunes entre 8 à 17 ans. En effet, ils ont répon­du à une demande de parents sans papiers qui cher­chaient un espace où leurs enfants pou­vaient par­ti­ci­per à un ate­lier d’expression.

Vient donc le jour où nous les rece­vons au centre cultu­rel Pia­no­fa­briek, lieu où se dérou­le­ra l’atelier vidéo. Le petit-déjeu­ner assu­ré par PIGMENT per­met de bri­ser la glace et sur­tout d’être ponc­tuel. Ensuite, dans la salle de l’atelier, tous autour de la table, nous son­dons les envies, les attentes et sur­tout titiller le désir de ciné­ma de cha­cun. Cer­tains sou­haitent qu’on réa­lise un film d’amour, mais la majo­ri­té montre un cer­tain engoue­ment pour le film d’horreur, d’épouvante et de peur… l’envie d’exprimer et de par­ta­ger ses angoisses pose des ques­tions, sans que nous puis­sions y répondre dans un pre­mier temps. N’ayons pas peur, l’angoisse amorce tou­jours le début d’une his­toire lors­qu’on l’affronte.

Nous pro­po­sons de tra­vailler sur le por­trait d’un lieu qui per­met­tra de tra­vailler les dif­fé­rentes facettes qui cor­res­pondent au sou­haits de cha­cun. Mais où ? Sur un plan du quar­tier, trois volon­taires doivent les yeux ban­dés, cha­cun, poin­ter au hasard, trois lieux. Les deux pre­miers ne sont tout sim­ple­ment pas pos­sibles pour mille rai­sons mais arri­vés au troi­sième choix… Nous par­tons sur place.

Un pont invrai­sem­blable passe au-des­sus de la rue des vété­ri­naires et des­sus, passent les trains de et vers la gare du midi. Le décor est hideux, mons­trueu­se­ment gris, sor­dide et il empeste. Deux ori­fices font office de tun­nel, l’un pour les voi­tures, l’autre pour les pié­tons. Nous-nous fai­sons dévo­rer par la bouche du tun­nel et par­cou­rons tel une cap­sule vidéo-endo­sco­pique dans un inso­lite tube diges­tif. Nous avons ouvert grand les yeux et les oreilles, on a croi­sé des pas­sants pres­sés, obser­vé la varié­té des graf­fi­tis, des déchets… Nous ren­trons au ber­cail et dis­cu­tons sur les “notes de repé­rages” effec­tués. La plu­part des jeunes par­ti­ci­pants connaissent bien ce lieu, ils passent sou­vent par là, mais n’avaient jamais remar­qué tous ces élé­ments, ils prennent conscience de la dif­fé­rence entre un usa­ger et un cinéaste, ils ne regardent pas de la même manière un même lieu.

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Le len­de­main-matin, nous expli­quons le maté­riel de prise de vues et du son, ain­si que les rudi­ments de la tech­nique . Dans l’après-midi, deux équipes de tour­nage sont opé­ra­tion­nelles. L’un accoste les usa­gers de ce tun­nel, deman­dant aux pié­tons leur opi­nion sur les graf­fi­tis ou d’autres choses dont ils aime­raient par­ler. L’autre équipe filme de manière ency­clo­pé­dique les ins­crip­tions sur le mur, une par une, les déchets par terre, une canette de bière, un mate­las, tel des natures-mortes. Lors de la vision col­lec­tive des images brutes au len­de­main, les images pro­je­tés sur l’é­cran sont ana­ly­sées métho­do­lo­gi­que­ment. On dis­cute, on iden­ti­fie les erreurs, on pro­pose des cor­rec­tions, on retourne sur les lieux. Ain­si de suite, ces allers-retours entre le réel et un espace d’a­na­lyse sont le che­min de l’ap­pren­tis­sage des méthodes d’ap­proche du ciné­ma documentaire.

Le micro ten­du, les jeunes par­ti­ci­pants prennent de plus en plus plai­sir à dia­lo­guer avec les pas­sants car ils se sentent pro­té­gés par la camé­ra. Ils sont contents de faire par­ler des incon­nus mais sans encore com­prendre pour­quoi ? La camé­ra n’est qu’un pré­texte pour aller vers l’«Autre ». Les gens s’expriment. Cer­tains parlent d’injustice, de révolte contre la socié­té. Des sans-abris dorment dans ce tun­nel, la nuit. Le jour, ils sont invisibles.

Les images tour­nées sont pro­je­tées sur le mur de la salle d’atelier, ils montrent déjà clai­re­ment un mou­ve­ment nar­ra­tif. Cela va de pair avec un mou­ve­ment d’ap­proche du réel : au début ils filment des choses sans trop de risques, puis ils sont allés vers les gens et les gens leur montrent d’autres gens, des sans-abris. On découvre et sommes tou­chés par une ins­crip­tion atten­tion­née écrite sur le mur adres­sé aux sans-abris, une trace de soli­da­ri­té ano­nyme. Ils inter­prètent cette ins­crip­tion comme un geste à répé­ter et décident à leur tour de lais­ser un mes­sage sur les murs du tun­nel dédi­ca­cé aux usa­gers noc­turnes du tunnel.

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Notre ate­lier vidéo se trans­forme en ate­lier de pein­ture et sur du papier peint les par­ti­ci­pants des­sinent des tra­jets, des mots, des dra­peaux de toutes les cou­leurs. A l’aide d’un pin­ceau imbi­bé de colle, ils plaquent le papier des­si­né contre le mur inté­rieur du tun­nel, au-des­sus des mate­las posé par terre et immor­ta­lisent le moment avec la camé­ra. Geste spon­ta­né de soli­da­ri­té d’enfants sans-papiers des­ti­né à des adultes sans-abris (et sans doute éga­le­ment sans-papiers). Un triste tun­nel trans­for­mé pour un moment en foyer réunis­sant une com­mu­nau­té éphé­mère, orné désor­mais d’un nou­veau papier-peint.

La fin du pro­ces­sus d’initiation à la vidéo culmine avec une vision col­lec­tive d’une pre­mière mou­ture de mon­tage que nous pro­po­sons. Tout est encore modi­fiable, tout est encore si fra­gile, la pre­mière éva­lua­tion par les par­ti­ci­pants est la base de notre dis­cus­sion, cha­cun donne un retour cri­tique et des retouches sont faites. C’est le moment où ils s’approprient l’é­cri­ture défi­ni­tive du film.

Les jeunes réa­li­sa­teurs découvrent qu’on peut super­po­ser le son avec des images et mettre une image après l’autre, pour faire sens. A chaque coupe, le film prends forme et réa­lisent que toutes nos idées échan­gés sont désor­mais maté­ria­li­sés. Déli­cat moment où les par­ti­ci­pants per­çoivent qu’ils ne viennent pas dans cet ate­lier pour deve­nir cinéaste, ni pour pas­ser le temps, … En fait, ils ont vite oublié l’idée de départ : le film d’horreur. Leur désir de fic­tion, cachait une volon­té de construc­tion col­lec­tive, d’un docu­ment pour le futur, d’un pré­texte pour connaître l’« Autre » et de le faire exis­ter. Quand ils ont vu la der­nière étape de mon­tage, la dimen­sion sociale et ludique a pris le des­sus. La mise en rela­tion de tous les moments fil­més au cours de la semaine dégage à pré­sent une pen­sée construite, un point de vue sur le monde, dont les par­ti­ci­pants semblent tout à la fois fiers et éton­nés. Ils réa­lisent, par cet assem­blage, que leurs ques­tion­ne­ments ont une place et une valeur dans l’espace public. On sent dans le groupe que si cer­tains dou­taient de leur regard, cette der­nière vision a par­ti­ci­pé à aug­men­ter l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes.

Un film sans pro­jec­tion publique n’est pas un film. ZIN TV orga­nise l’événement avec un autre groupe d’enfants qui fai­saient un stage vidéo en paral­lèle au Centre Cultu­rel Pia­no­fa­briek. La salle de pro­jec­tion est comble. Lir­wane et Chi­raz, deux des par­ti­ci­pantes de l’atelier ont pré­sen­té le film inti­tu­lé sobre­ment « Le tun­nel », elles en ont expli­qué le sens et étaient fier de le mon­trer. Pro­jec­tion qui sera, nous l’espérons la pre­mière d’une longue série de bou­teilles lan­cés à la mer…

Ron­nie Rami­rez & Valen­tin Fayet
Novembre 2016

image de © Kris Hendrickx


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Entre-temps, le ven­dre­di 8 juin 2018, le tun­nel pié­ton­nier sous les voies de la Gare du Midi a été éva­cué et fer­mé à la demande de la direc­tion d’in­fra­bel (à la demande de la com­mune de Saint-Gilles). Des grillages de la honte ont été pla­cé, ces fameux sys­tèmes anti-SDF inven­té par l’É­tat pour dépla­cer le problème.

80 asso­cia­tions bruxel­loises du sec­teur et de nom­breux citoyens sont réunis dans le pro­jet : Droit à un toit ou dans le mur ? Recht op een dak of het dak op kun­nen ? dis­po­sés à entrer en action et de s’at­ta­quer au pro­blème de la grande pau­vre­té à Bruxelles.

Voir les infos dans la presse :

BX1 : Fer­me­ture du pas­sage pié­ton­nier près de la gare du Midi : la com­mune de Saint-Gilles réagit

Dak­lo­zen­kamp in voet­gan­gers­tun­nel ontruimd

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