2010 — Belgique — 94 minutes — Mini DV
Fin de l’année 2004, je construisais un pavillon en paille et terre avec les enfants du Rasquinet (1) quand on m’a proposé de suivre une soirée de présentation d’un projet de construction de classes d’école au Mali. La construction devait se faire en banko (2).
Ce n’est pas le premier projet de coopération que je vois passer, je n’adhère pas à la coopération qui joue le rôle de mission du capital, à la suite des missionnaires coloniaux. Mais peu de temps après, j’ai fais la connaissance d’un agronome et sociologue malien, Sékou Diarra (3), avec qui j’ai sympathisé et qui m’a convaincu d’aller voir, rencontrer les gens et rendre compte.
Au bout d’années de réflexions et ressentis, dans une culture de quête humaniste enracinée et variablement heurté par les agressions prédatrices des gens au pouvoir et des stratégies menteuses qui nous entourent, j’ai trouvé là une place à remplir.
Il y avait suffisamment de contradictions dans les préparations à ce “chantier-forum” pour être interpellé et me décider à en faire un témoignage et donc, partir avec une petite caméra. Puis de fil en aiguille, comprendre ce que ça représente, comment m’y prendre, me préparer, chercher un budget, quelqu’un qui puisse tenir une caméra. Un peu de volonté, un peu de chance, et des gens sympa, dans mon entourage et voilà. En dernière minute, un don qui m’est tombé dessus a permis que l’on parte à trois avec une caméra et un micro.
Déjà à l’embarquement des agents s’occupaient à écraser un réfugié refoulé sur la dernière banquette, que les passagers, petit à petit ont remarqué, se sont offusqués, jusqu’à le faire redescendre de l’avion.
C’est un “forum-chantier” financé par le CNCD (4), coordonné par l’opération 11.11.11. C’était, disait on, suite au forum social de Bamako (5) que se faisait un “chantier-forum” pour les jeunes. Pourquoi cette distinction sinon pour souffler aux dits jeunes comment penser cette société ? On partait dans un pays des plus pauvres sur la planète, dans une région aurifère, dans un pays sahélien, dans une région à la pluviométrie abondante. On allait construire des classes d’école en banko dans le panthéon de la construction en terre et il m’aurais fallu expliquer comment on fait !
Pour seule trace de contexte historique du Mali, on a recu un extrait des écrits de l’explorateur Mungo Park. De quoi laisser un sentiment civilisateur aux petits jeunes qui allaient bâtir une école pour ces pauvres du tiers-monde : Le pain béni de la charité chrétienne.
Puis, arrivés dans le village de Sanso, une fête est donnée pour recevoir les participants au “chantier-forum” : en plein cliché colonial. L’orateur principal à l’inauguration, mr. Koropchuk, un blanc anglophone d’Afrique du Sud ; c’est le directeur de la mine d’or voisine !
Deux jours plus tard, une manifestation traverse le village et j’apprends que les travailleurs de la mine sont en grève depuis une dizaine de jours. Il me restait à rencontrer les gens, comprendre, les entendre et prendre les images. Là, je dois préciser ; la chance m’a fait rencontrer de nombreuses personnes de grande richesse humaine.
Chronologiquement : ce fut d’abord à Sanso, le doyen M. Mariko, un vieil historien qui connaît Cuba d’y être allé à l’époque socialiste de Modibo Keita. Il rappelait Lumumba dans les débats, il nous a montré et fait comprendre le sort des villageois. Puis l’instituteur M. Tiéfolo Togola, qui s’est battu pour trouver les financements des écoles auprès de la direction de la mine et montre leur refus inique, c’est lui aussi qui relate l’histoire du vendredi noir.
Ça a été l’analyse politique claire et incisive d’Oumar Mariko, leader politique de l’opposition (6), la seule réelle, non opportuniste ni compromise, seul à organiser la dénonciation des injustices avec un réseau de radios locales (7) et à porter le combat notamment des exilés et des paysans expulsés. Puis c’est le chimiste Moussa, vieux socialiste nostalgique sorti tout à la fois des salons philosophiques historiques de Ségou, du combat pour l’indépendance et des universités soviétiques, conscient des risques qu’il prend. Puis cette femme anonyme qui lance vers la caméra la synthèse du combat que mènent les miniers, les villageois et leurs épouses et leur raz le bol de l’injustice assassine.
C’est aussi la femme gréviste qui a mobilisé les femmes des miniers et du village. Ce sont les syndicalistes, tour à tour, Nianly qui voit bien les stratégies patronales, Karim Guindo qui rappelle la droiture ouvrière, Christophe qui martèle la nécessité vitale de la solidarité, Oumar Touré, sa pugnacité, sa méfiance et sa conscience de classe épidermique, Adama qui rappelle la dignité qui nous tient debout. Et maître Amadou Diarra qui depuis son retour d’exil défend toutes les causes d’injustice sociales. Et j’en laisse et en oublie.
Mais je veux quand même revenir sur Samba Tembele qui s’est déjà mobilisé contre les exactions de la direction de la mine de Sadiola et le dit bien, avec Amadou Koita. Je veux aussi rappeler Sékou Diarra, sage et savant qui analyse avec clarté et donne la dimension politique et historique dans laquelle tout ça se joue.
Ils sont nombreux et je n’arriverai pas à citer tous ceux que j’ai rencontré qui se battent dans d’autres secteurs comme l’accès aux terres des paysans ou la renationalisation du chemin de fer et des quelques ateliers de transformation existants ; politique impériale ou l’on tue par liquidation des revenus populaires.
Voilà un peuple qui a lutté pour son indépendance dans les années 50- 60 qui a lutté pour construire son pays dans les années socialistes de 60 – 70, qui a lutté pour se débarrasser du dictateur “soldé-français” en 90 – 91. Qui reprend le combat contre les valets de l’empire. C’est d’eux que je veux parler.
Ensuite il y a toutes les informations, recoupements et réflexions qui viennent étayer, débrouiller, cadrer, guider la compréhension et le montage. C’est le moment ou un géologue vient déposer une information qui ouvre de nouvelles pistes, un médecin, la mémoire d’autres drames, un sociologue ou une info que donne la mine sur son site internet et pas sur place.
Le drame de l’exploitation n’en finit pas. Les médias truquent et mentent, souvent pernicieusement. Je vois dans les circuits sociaux des efforts de dénonciation qui se castrent, s’autocensurent, s’édulcorent à force de prétendue objectivité et de descente aux enfers du détail, du cas. Qui ont fait leurs les interdits de bienséance des directives de la pensée officielle des “grands médias”. Alors qu’une logique simple et continue d’exploitants et d’exploités relie tous les drames que l’on vit mais qui ne cesse de jouer à tromper, à diviser, à tirer le regard ailleurs. Le dernier film que j’ai vu concernant les mines en Afrique commence dans l’hélicoptère du propriétaire et fini dans la voiture du gouverneur. On choisit son camp là ou l’on place son oreille, sa tête, son coeur et sa caméra.
Eric Pauporté
Notes (les notes sont de Zin TV)
(1) http://www.rasquinet.org/
(2) Mélange homogène d’argile, de sable fin et d’éléments organiques.
(3) Pour une communication Sud-Sud, un article de Sékou Diarra http://www.zintv.org/spip.php?article136
(4) http://www.cncd.be/spip.php?rubrique61
(5) Le premier Forum social mondial en Afrique s’est déroulé fin janvier 2006, sous le thème de l’agriculture, de la dette, de l’immigration et de l’accès à l’eau.
(6) http://www.sadi.wahost.org/
(7) Réseau des radios libre “Radio Kayira”, la radio des sans voix http://www.kayira.org/