Le “Debt Relief (Developing Countries) Act” adopté en 2010 par le Royaume-Uni lie les demandes des créanciers privés au processus international “PPTE” (pays pauvres très endettés) de réduction partielle de dette géré par le FMI. Lorsqu’un créancier privé poursuit un pays « PPTE », il ne peut obtenir remboursement qu’à hauteur du pourcentage de réduction de dette offert par le processus « PPTE ».
Que dit la loi belge attaquée par NML Capital ?
La nouvelle loi de 20153 va plus loin. Elle permet au juge belge saisi de limiter le droit au rembour- sement du créancier fonds vautours à la valeur que celui-ci à lui-même déboursé pour racheter les titres en cause.
Pour ce faire, le juge doit constater que le fonds vautour poursuit la recherche d’un avantage illégitime. Cet avantage illégitime se déduit premièrement de l’existence d’une disproportion manifeste entre l’investissement du fonds vautours et la valeur du « remboursement » demandé.
Ensuite, le juge doit constater qu’une condition au moins parmi les conditions suivantes est remplie :
- 1. L’Etat débiteur était dans une situation de défaut avéré ou imminent lors du rachat de la créance par le fonds vautour.
- 2. Le fonds vautour a son siège dans un paradis scal (en références aux listes noires belges, OCDE et GAFI).
- 3. Le fonds vautours a déjà par le passé prouvé sa volonté de multiplier les contentieux judicaires.
- 4. Le fonds vautours a refusé de participer aux mesures de restructurations de la dette publique en cause.
- 5. Le fonds vautour a abusé de l’état de faiblesse de l’Etat débiteur pour négocier un accord de remboursement manifestement déséquilibré.
- 6. Le remboursement intégral demandé aurait un impact important sur les finances publiques, susceptible de compromettre le développement socio-économique de la population.
Les fonds vautours sont un problème international – la solution ne devrait-elle pas aussi passer par une réforme internationale plutôt que par une loi belge ?
La solution définitive et générale au problème des fonds vautours consisterait à mettre de l’ordre dans l’encadrement juridique international des crises des dettes souveraines.
Rien de tel n’existe dans le monde à ce stade, et les législations nationales sur les faillites ne s’appliquent pas aux Etats.
L’Assemblée Générale des Nations Unies a certes lancé un processus de négociation pour établir un cadre multilatéral pour la restructuration des dettes souveraines mais face à l’opposition notamment des USA et de l’UE, il a abouti seulement à de vagues principes non-contraignants.
La situation est bloquée au niveau international, ce qui rend la loi belge d’autant plus nécessaire. Il n’y a plus de problème des fonds vautours grâce aux clauses d’action collective (CACs) ?
Les CACs sont des clauses inscrites dans les contrats de dette publiques sous forme de « bonds » négociables sur les marchés. Ils prévoient qu’en cas de problème de remboursement, des négo- ciations doivent s’ouvrir entre les créanciers et l’Etat débiteur. Un éventuel accord de restructu- ration de la dette, s’il est approuvé par une majorité spéciale des créanciers (65%, par exemple) devient alors obligatoire pour l’ensemble des créanciers, y compris ceux qui sont opposés à la restructuration. Les fonds vautours et autres créanciers non coopératifs ne peuvent plus exiger le paiement de la totalité de la valeur faciale de la créance originale.
C’est un progrès par rapport au statu quo, mais cela ne résout pas l’ensemble du problème.
Premièrement, ces CACs ne peuvent être insérées valablement que dans les nouveaux contrats. Le stock de dette publique existant n’est pas protégé et reste exposé aux attaques des fonds vautours.
Généralement, les États lourdement endettés ne sont pas uniquement accablés par des dettes privées librement négociables de type « bond », mais aussi par des dettes envers le FMI, la Banque Mondiale, d’autres institutions multilatérales, les États souverains ou encore les grandes banques (via des prêts non négociables). Pour être pleinement justes et e caces, les restructurations de dettes publique devraient donc concerner l’ensemble des créanciers, ce que les CACs sont incapables de faire.
EUROCLEAR – Pourquoi la place belge est particulièrement importante pour les fonds vautours
EUROCLEAR est l’une des deux grandes sociétés internationales de dépôt et de règlement/ livraison pour les obligations, actions et fonds d’investissement, basée en Belgique (l’autre est CLEARSTREAM, basée au Luxembourg). D’innombrables ux nanciers internationaux entre opérateurs nanciers y sont centralisés. En ce sens, la Belgique est une cible de choix pour les fonds vautours car ceux-ci peuvent essayer de saisir certains de ces mouvements considérant qu’ils émanent de ou qu’ils sont destinés directement ou indirectement à un Etat débiteur.
Pourquoi le CNCD-11.11.11, CADTM et 11.11.11 koepel van de Vlaamse Noord-Zuidbeweging ont décidé d’intervenir ?
Ces trois ONG et coalitions d’ONG belges sont actives depuis toujours sur les enjeux de justice et de développement international. Aujourd’hui l’action des fonds vautours compromet gravement la capacité de plusieurs États à satisfaire les droits et les besoins essentiels de leurs populations, ceci au nom des taux de pro ts scandaleux de quelques spéculateurs.
C’est pourquoi nous avons travaillé avec les parlementaires pour rédiger le projet de loi. Et cela, dès le début du processus, comme ensuite pour le faire voter. Nous voulons aujourd’hui le défendre, y compris devant les juges de la Cour constitutionnelle.
[[1. Kalala, F., Mbantshi, H. & Nyembwe, A., “ Actions des fonds vautours contre la République démocratique du Congo : tentative de circonscription de l’impact », Dounia, 2012, p. 79, http://www.dounia-risri.net/IMG/pdf/Dounia_5_p71-81.pdf
2. Loi du 6 avril 2008 visant à empêcher la saisie ou la cession des fonds publics destinés à la coopération internationale, notamment par la tech- nique des fonds vautours, M.B. 16 mai 2008
3. Loi du 12 juillet 2015 relative à la lutte contre les activités des fonds vautours, M.B., 11 septembre 2015 ; voir aussi Van de Poel, J., « New anti-vulture fund legislation in Belgium : an example for Europe and rest of the world », mai 2015, http://www.eurodad.org/Entries/ view/1546406/2015/05/12/New-anti-vulture-fund-legislation-in-Belgium-an-example-for-Europe-and-rest-of-the-world et Gambini, A., « Retour sur la nouvelle loi belge sur les fonds vautours », janvier 2016, http://www.cncd.be/Retour-sur-la-nouvelle-loi-belge-sur-les-fonds-vautours
4. « Principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine », résolution A/69/L.84, adoptée par la 69ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 10 septembre 2015 ; voir aussi Michala, B., « UN adopts landmark debt resolution on principles for sovereign debt restructuring”, Third World Network, September 2015, http://www.twn.my/title2/ nance/2015/ 150901.htm ]]