L’aventure collective d’une télévision de gauche dans un pays en révolution : le Venezuela.
Le film zappe à travers les programmes de cette jeune télévision publique et montre la participation des coopératives paysannes, communautés indigènes, comités de terre, conseils communaux… , appuyés par un collectif de cadreurs, de preneurs de son et de fonctionnaires d´État, dans la réalisation d´un rêve que la gauche ne croyait plus possible : créer un média de masse révolutionnaire.
Dans le cadre de notre réflexion entre média et politique, nous avons voulu mettre la lumière sur un exemple d’une télévision qui fonctionne sur un autre système économique. Nous avons contacté Thierry Deronne, vice-président de Vive, une télévision publique au Venezuela, pour qu’il nous parle de cette expérience de télévision dite “participative”.
Il y a une vingtaine d´années, je discutais avec Guido Welkenhuysen, camarade du GSARA, au cours du montage d´un film sur la révolution sandiniste. “Révolutionner la télévision, mais comment ?” me disait-il, “que faire quand un monteur doit monter en un temps record ? Comment changes-tu cela ?”
En Europe, le désengagement de l´État et l´imposition de la publicité comme source de financement font qu´il reste autant de différences entre la RTBF et RTL qu´entre une banque publique et une banque privée. Le renoncement à la spécificité du service public, erreur monumentale de la gauche, nous a privés d´un formidable outil. Au Venezuela, où je travaille depuis treize ans, un nouveau type d´État naît à travers la démocratie participative, les conseils communaux. Le service public est fécondé par la participation citoyenne, par la multiplication de médias associatifs libres (250 radios et télévisions, depuis la première élection de Chavez en 1998) et par la démocratisation d´un spectre radio-électrique jusqu´ici monopolisé par le privé. Vive est une jeune chaîne publique qui réunit près de 700 travailleurs, en majorité des femmes et des jeunes issus du milieu populaire. Elle émet 24 heures sur 24 pour 80 % de la population. Nous l´avons créée sur base de l´expérience acquise en créant d´abord des télévisions associatives mais aussi en tirant les leçons de l´Histoire.
Le temps, par exemple.
A Vive, faire un reportage suppose de récupérer le temps de la rencontre. Deux jours de dialogue, deux jours de tournage, deux jours de montage. L´équipe du lundi diffuse le lundi suivant, et ainsi de suite. L´enquête participative a repris ses droits sur la “news” volée à l´Autre, le temps de la participation sur le temps de tournage, le montage sur le formatage, la réflexion du spectateur sur le chaos des images.
Le travail. Comment parler d´un “autre monde possible” sans se débarrasser d´abord de la division du travail entre intellos et manuels ? A Vive, une école permet en permanence à chaque travailleur(euse) de se former à toutes les étapes de la réalisation. Donc de participer intellectuellement à l´ensemble. Y compris pour les unités de transport, de nettoyage, de sécurité. Dans chacun des ateliers de formation surgit la parole de travailleurs(euses) qui supportaient mal la passivité du travail et qui demandent aujourd’hui de pouvoir créer. Tous disent, ou presque, qu´il y a besoin de temps pour nouer le contact avec le peuple. D´autres, en petit nombre, s´en foutent. “Pourquoi parler de télévision commerciale versus télévision publique, puisqu´il n´existe qu´une télévision ?” Certains veulent louer une voiture plutôt que prendre l´autobus pour partir en reportage. Mais la plupart ont compris que c´est en prenant l´autobus qu´on commence à connaître ceux qu´on va filmer.
Construire Vive, c´est aussi lutter contre les individualismes, les volontés de pouvoir… Au sein de notre équipe, certains pensent encore que leur autorité est un privilège, que le véhicule peut être utilisé à des fins personnelles tandis que d´autres, à la base, ne l´acceptent plus. Il faut dialoguer beaucoup, tirer les leçons, prendre les mesures qui s´imposent.
Et puis il y a la régionalisation, la participation qui sont aussi au coeur de cette révolution depuis neuf ans. Un de nos programmes, VIVE mobile, nous mène partout dans les profondeurs du Venezuela. Nous avons inventé cette télévision hors de la télévision sous la pression de l´organisation populaire. Manière de nouer des alliances pour le jour proche où la chaîne transmettra les multiples regards non de “journalistes pros” mais de citoyen(ne)s armé(e)s de caméras à travers ces régions.
En direct sur Vive, un cercle de pêcheurs prend la parole. La transmission par fly-away, un saut technologique conquis au bout de deux ans d´existence, permet de lancer leurs mots en direct vers tout le pays. Ici, pas de journalistes pour donner et reprendre la parole sans même savoir de quoi est faite la vie des pêcheurs. Non. Une femme du village, responsable de la coopérative, lance la discussion. La coopérative et son rapport à l´État. Les maisons encore à construire pour les pêcheurs, renforcés par la loi de la pêche. Ce cercle qui discute est une des formes typiques de Vive. “Ce n’est que d’une technique que l’on peut déduire une idéologie” disait Althusser*. Ce n´est pas seulement l´absence de modérateur trônant au milieu de l´image. C´est la parole libérée qui tourne et retourne, et s´élève lentement, jusqu´aux décisions. Distances respectueuses, citoyennes de la caméra. La télévision du futur n´aura plus besoin de gros plan émotifs. On voit aussi la mer derrière ces pêcheurs. Sous leurs mots, la mer devient réelle : une mer de travail. Demain des enfants exploités par une entreprise de pêche industrielle tendront vers nos mains des blocs de sel.