jeudi 29 mars 2012, par Hernando Calvo Ospina
Ce texte est la base de l’article publié dans Le Monde Diplomatique, mars 2012.
Après douze ans de guerre révolutionnaire contre l’état salvadorien, le Farabundo Marti de Libération nationale, FMLN , commence à démanteler sa structure militaire, après les accords de paix de 1992. Reconnu comme parti politique, il se prépare à affronter son premier objectif : les élections législatives de 1994. Les obstacles sont nombreux. Cadres et militants manquent de temps pour s’organiser, mais aussi d’expérience et d’argent. Malgré tout, le FMLN obtient 21 députés et devient la deuxième force politique du pays. Trois ans après, sa première grande victoire électorale le place dans les plus importantes mairies du pays, dont la capitale, San Salvador.
Son principal défi se présente en 2004 avec les élections présidentielles. Le candidat du FMLN est Schafik Hándal, dirigeant historique et ancien commandant de la guérilla. La campagne médiatique déployée contre lui le conduit à la défaite. Avec insistance, on raconte qu’il projette d’éliminer ou de taxer les transferts de fonds (remesas). La presse relaye à satiété les menaces des Etats-Unis : si Hándal est élu président, les 600.000 Salvadoriens au statut de résidents provisoires risqueront l’expulsion du territoire étasunien. Panique dans l’électorat ! Comment survivront 70% des familles salvadoriennes sans ces envois de fonds mensuels, qui représentent 16% du PIB ? Et où travailleront ces personnes déportées alors que le taux de chômage atteint déjà 8% et celui de l’emploi précaire 40%, principalement parmi les jeunes ?
En janvier 2009, le FMLN devient la première force politique du pays, avec 35 députés sur les 84 qui siègent à l’Assemblée législative. Il ne lui reste plus qu’à gagner les élections présidentielles de mars. Avec la mort de Hándal en janvier 2006, le FMLN a perdu son candidat charismatique. Il fait alors appel à un journaliste vedette, Mauricio Funes, qui n’est pas un militant, mais critique la gestion néolibérale de la droite. Son vice-président serait le dirigeant du FMLN et ancien commandant guérillero, Salvador Sánchez Cerén. Durant la campagne électorale les grands médias s’affichent clairement contre lui, essayant d’inculquer à la population les mêmes peurs que 5 ans plus tôt. Pourtant, le 15 mars le FMLN remporte le scrutin avec 51,3% de votes. Le 1er juin, il commence à gouverner.
Habituée à prendre les décisions dans ce pays, la Maison blanche n’est pas indifférente. Laissant de côté le chantage aux immigrés et leurs envois de fonds, elle utilise des méthodes plus subtiles. Selon les communiqués diplomatiques déclassifiés par WikiLeaks, l’ambassade étasunienne à San Salvador détient un dossier complet sur Funes . C’est pour cela qu’il est prévu que le président Barack Obama l’appelle peu de temps après sa victoire électorale. On raconte que cela produit chez Funes émotion et extase. De même que la présence de la secrétaire d’état, Hillary Clinton, lors de sa prise de fonctions. Funes est le premier président de la région reçu par Obama, en mars 2010, et à la surprise générale un an après c’est Obama qui visite El Salvador, après être passé par le Brésil et le Chili. De hauts responsables du Commando Sud de l’armée étasunienne, et le sous-secrétaire d’Etat, Arturo Valenzuela, ont aussi rencontré Funes.
Pourquoi tant d’attention de la part de Washington à l’égard du président d’un pays si peu influent politiquement et économiquement en Amérique latine ? Funes gouverne depuis à peine un mois lorsque le 28 juin 2009 se produit le coup d’état contre Manuel Zelaya. Le président du Honduras commençait à prendre des décisions qui n’étaient pas du goût de la Maison blanche, en particulier son adhésion à l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, ALBA, pilotée par le président vénézuélien Hugo Chavez. Funes voit-il dans ce coup d’état un message : toujours est-il que peu de temps après il affirme clairement que son allié stratégique est les Etats-Unis, et que son gouvernement ne fera pas un seul pas vers l’ALBA. Les avertissements de Madame Clinton le 1er juin ont aussi fait leur effet : Washington ne verrait pas d’un bon œil qu’il prenne cette voie, selon les communiqués déclassifiés. Certes le président Funes a rétabli les relations diplomatiques avec Cuba, rompues 50 ans plus tôt, mais la proximité politique est restée faible.
El Salvador est le seul pays latino-américain qui a envoyé des troupes en Irak, à la demande de Washington. Ce que Funes, le journaliste, critique fermement. Mais désormais c’est lui qui les envoie en Afghanistan. Il commence par dire que la résolution de l’ONU d’octobre 2010 le lui impose. Mais WikiLeaks révèle qu’il a pris cette décision avec son ministre de la Défense, le général David Munguia, trois mois après son entrée en fonctions. Funes explique alors que c’est Madame Clinton qui le lui avait demandé : « C’est une alliance stratégique que nous avons avec les Etats-Unis et nous collaborons mutuellement. De la même manière, les Etats-Unis vont soutenir notre plan de sécurité. » Effectivement, le 10 décembre 2010, les deux pays signent un accord pour des programmes de lutte contre les bandes (Maras), des opérations anti-drogue, de sécurité frontalière, et l’installation d’une station d’écoutes régionale.
Une si étroite « collaboration » provoque la démission de Manuel Melgar, dirigeant du FMLN et ministre de la Sécurité publique. Lorsqu’on reproche à Funes de l’avoir obligé à démissionner sur pression de Washington, il nie et réplique que « certains secteurs de la gauche n’ont pas suffisamment évolué et vivent dans des toiles d’araignée idéologiques ». Mais quelques jours plus tard, le 24 novembre 2011, il doit reconnaître que Melgar n’était pas apprécié de « certains secteurs politiques » à Washington. Désormais, les Etats-Unis ont une personne de confiance à ce poste stratégique : l’ancien ministre de la Défense Munguía. Le ministère de la Sécurité publique gère les relations avec de nombreuses agences officielles étasuniennes actives dans le pays.
Face aux critiques provenant de secteurs importants du FMLN, parce qu’il va à l’encontre de ses positions politiques, Funes a déclaré qu’il ne fallait pas confondre parti et gouvernement. Mais la crédibilité du FMLN pourrait en être affaiblie aux prochaines élections. Heureusement, sur le terrain, le FMLN a mis en œuvre un grand projet stratégique, encouragé par la base et qui est en train de prouver son efficacité tant économique que politique, sur un plan national et international.
Dans le port d’Acajutla, à 85 km au sud-ouest de la capitale, se trouve l’usine de stockage de combustibles « Schafik Hándal ». En 2006, une vingtaine de communes, avec des mairies du FMLN, ont mis leurs capitaux en commun et se sont associées à la compagnie pétrolière de l’état vénézuélien, PDVSA. Ils ont ainsi créé l’entreprise « Alba Petroleo de El Salvador ». Il s’agit du premier accord de coopération énergétique non souscrit entre des états. L’usine est la plus grande d’Amérique centrale, avec une capacité de 350.000 barrils de combustibles et 5.000 de gaz liquéfié. Elle pourra donc fournir d’autres pays de la région. Elle vend déjà des combustibles et lubrifiants moins chers, au grand mécontentement des entreprises pétrolières étasuniennes. Lors de son inauguration le 19 mai 2011, le président Funes brillait par son absence.
source : blog de hernan calvo ospina