L’arrestation d’Assange est scandaleuse

par Noam Chomsky

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el dia­rio

Wiki­Leaks publiait des infor­ma­tions sur les per­sonnes au pou­voir que les gens devraient connaître. Les gens au pou­voir n’aiment pas ça, alors on doit les faire taire. Ce genre de choses, ce genre de scan­dales, mal­heu­reu­se­ment, sont courants.

Les avo­cats de Julian Assange s’en­gagent à lut­ter contre l’ex­tra­di­tion éven­tuelle du fon­da­teur de Wiki­Leaks vers les Etats-Unis après son arres­ta­tion à Londres. La police bri­tan­nique a expul­sé de force M. Assange de l’am­bas­sade de l’É­qua­teur, où il était en exil depuis près de sept ans. Le jeu­di 11 avril, Amy Good­man de Demo­cra­cy Now ! a par­lé à Noam Chom­sky de la déten­tion d’As­sange, de Wiki­Leaks et du pou­voir amé­ri­cain.

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L’ar­res­ta­tion d’As­sange est scan­da­leuse pour plu­sieurs rai­sons. L’une d’elles est liée aux ten­ta­tives des gou­ver­ne­ments… et pas seule­ment du gou­ver­ne­ment des États-Unis. Le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique coopère. L’É­qua­teur, bien sûr, coopère actuel­le­ment. La Suède a coopé­ré dans le pas­sé. Je fais réfé­rence aux ten­ta­tives de faire taire un jour­na­liste qui publiait des infor­ma­tions que les gens au pou­voir ne vou­laient pas voir dif­fu­sées. C’est essen­tiel­le­ment ce qui s’est pro­duit. Wiki­Leaks publiait des infor­ma­tions sur les per­sonnes au pou­voir que les gens devraient connaître. Les gens au pou­voir n’aiment pas ça, alors on doit les faire taire. Ce genre de choses, ce genre de scan­dales, mal­heu­reu­se­ment, sont courants.

Nous pou­vons voir un autre exemple juste à côté de l’É­qua­teur, au Bré­sil, où les évé­ne­ments qui se sont pro­duits sont extrê­me­ment impor­tants. Le Bré­sil est le pays le plus impor­tant d’A­mé­rique latine et l’un des plus impor­tants au monde. Sous le gou­ver­ne­ment de Lula, au début de ce mil­lé­naire, le Bré­sil était peut-être le pays le plus res­pec­té au monde. Sous la direc­tion de Lula da Sil­va, c’é­tait la voix du Sud. Regarde ce qui s’est pas­sé. Il y a eu un coup d’É­tat, un coup d’É­tat “soft”, qui vise à éli­mi­ner les effets du Par­ti des tra­vailleurs. C’est ce que la Banque mon­diale a décrit — pas moi, c’est la Banque mon­diale qui l’a dit — comme la “décen­nie dorée” de l’his­toire du Bré­sil, au cours de laquelle une réduc­tion radi­cale de la pau­vre­té a été réa­li­sée, une exten­sion mas­sive de l’in­clu­sion des popu­la­tions mar­gi­na­li­sées, qui consti­tuent une grande par­tie de la popu­la­tion — la popu­la­tion afro-bré­si­lienne, la popu­la­tion autoch­tone — dans la socié­té, qui a créé un sen­ti­ment de digni­té et d’es­poir chez la popu­la­tion. Cela ne sau­rait être toléré.

Après le départ de Lula de la pré­si­dence, une sorte de “coup bas” a eu lieu, je ne vais pas expli­quer les détails, mais la der­nière mesure, en sep­tembre der­nier, a été d’emprisonner Lula da Sil­va, le lea­der dans les son­dages, la figure la plus popu­laire au Bré­sil, qui allait être, avec une cer­ti­tude presque abso­lue, le vain­queur de l’é­lec­tion sui­vante, et a été empri­son­né à l’i­so­le­ment, condam­né pour l’es­sen­tiel, à 25 ans de pri­son, l’in­ter­dic­tion de lire la presse ou les livres et, sur­tout, l’in­ter­dic­tion de faire des décla­ra­tions publiques, contrai­re­ment aux assas­sins de masse dans le cou­loir de la mort. Tout cela pour faire taire la per­sonne qui était le vain­queur pro­bable de l’é­lec­tion. Lula est le pri­son­nier poli­tique le plus impor­tant au monde.

Eh bien, Assange est un cas simi­laire : ils veulent faire taire cette voix. Si nous remon­tons dans l’his­toire, cer­tains se sou­vien­dront de l’emprisonnement d’An­to­nio Gram­sci par le gou­ver­ne­ment fas­ciste de Mus­so­li­ni. Le pro­cu­reur avait dit : “Nous devons faire taire cette voix pen­dant 20 ans. Nous ne pou­vons pas le lais­ser par­ler.” Il en va de même pour Assange et Lula. Il y a d’autres cas. C’est un grand scandale.

L’autre c’est la por­tée extra­ter­ri­to­riale des États-Unis, ce qui est cho­quant : aucun autre État ne pour­rait le faire, mais pour­quoi les États-Unis devrait-elle avoir le pou­voir de contrô­ler ce que les autres peuples font dans d’autres par­ties du monde ? C’est une situa­tion insen­sée. C’est constant. On ne s’en rend même pas compte. Au moins, ce n’est pas quelque chose dont on parle.

C’est un peu comme la ques­tion des accords com­mer­ciaux avec la Chine, à quoi servent les accords com­mer­ciaux ? Il s’a­git d’une ten­ta­tive d’en­trave au déve­lop­pe­ment éco­no­mique de la Chine. C’est exac­te­ment çà. Main­te­nant, la Chine a un modèle de déve­lop­pe­ment, le gou­ver­ne­ment Trump n’aime pas ça. Par consé­quent, il cherche à l’af­fai­blir. Posez-vous la ques­tion sui­vante : que se pas­se­rait-il si la Chine ne res­pec­tait pas les règles que les États-Unis tentent d’im­po­ser ? La Chine, par exemple… lorsque Boeing, Micro­soft ou une autre grande socié­té inves­tit en Chine, la Chine veut avoir un cer­tain contrôle sur le carac­tère de cet inves­tis­se­ment. Ils veulent un cer­tain degré de trans­fert de tech­no­lo­gie. Y a‑t-il quelque chose de mal à cela ? C’est ain­si que les États-Unis s’est déve­lop­pée, en volant — ce que nous appe­lons voler — la tech­no­lo­gie en Angle­terre. C’est ain­si que l’An­gle­terre s’est déve­lop­pée, volant la tech­no­lo­gie des pays les plus avan­cés : l’Inde, les Pays-Bas et même l’Ir­lande. C’est ain­si que tous les pays déve­lop­pés ont atteint le stade avan­cé de développement.

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Si Boeing et Micro­soft n’aiment pas ces accords, ils peuvent déci­der de ne pas inves­tir en Chine. Per­sonne ne pointe une arme sur eux. S’il y avait quel­qu’un qui croyait vrai­ment au capi­ta­lisme, il devrait être libre de conclure tout accord qu’il vou­drait avec la Chine. Si cela inclut le trans­fert de tech­no­lo­gie, c’est très bien. Les États-Unis veulent blo­quer cela, de sorte que la Chine ne puisse pas se développer.

Regar­dons ce qu’on appelle les “droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle”, les droits de bre­vet exor­bi­tants pour les médi­ca­ments, pour Win­dows, par exemple. Micro­soft détient le mono­pole des sys­tèmes d’ex­ploi­ta­tion, par l’in­ter­mé­diaire de l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce. Sup­po­sons que la Chine ne les res­pecte pas, qui en pro­fi­te­rait et qui y per­drait ? Eh bien, la véri­té, c’est que les consom­ma­teurs des États-Unis en pro­fi­te­raient. Cela signi­fie­rait qu’ils obtien­draient des médi­ca­ments moins chers. Cela signi­fie­rait que lors­qu’ils achètent un ordi­na­teur, ils n’au­raient pas besoin d’u­ti­li­ser Win­dows. Ils pour­raient uti­li­ser un meilleur sys­tème d’ex­ploi­ta­tion. Bill Gates aurait un peu moins d’argent. Les socié­tés phar­ma­ceu­tiques ne seraient pas aus­si riches qu’elles le sont, elles seraient un peu moins riches. Y a‑t-il quelque chose de mal à cela ? y a‑t-il un pro­blème à cela ?

Eh bien, on peut se deman­der ce qu’il y a der­rière toutes ces dis­cus­sions et négo­cia­tions. C’est vrai dans tous les domaines. Dans presque tous les pro­blèmes que l’on choi­sit, on peut se deman­der : Pour­quoi est-ce accep­té ? Dans ce cas par­ti­cu­lier, pour­quoi est-il accep­table que les États-Unis aient même le pou­voir de pré­sen­ter une péti­tion pour extra­der quel­qu’un dont le crime est d’ex­po­ser à la socié­té des infor­ma­tions que les gens au pou­voir ne veulent pas que la socié­té voit ? C’est essen­tiel­le­ment ce qui se passe.

Source : el dia­rio / tra­duit par ZIN TV