Comprendre la défaite d’un coup d’État et… des médias internationaux

Si les médias renouaient le lien avec les intérêts des citoyens, ils informeraient sur ce qui fait qu’ici, le mot “politique” retrouve son sens... La construction d’un État participatif au Venezuela n’attire pas micros et caméras...

Un des objec­tifs de l’extrême droite était de faire “le néces­saire” pour sub­sti­tuer le pro­ces­sus d’une démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive par l’image mon­diale d’un État répres­sif. Mais alors qu’on a rem­pli par­tout les yeux de la “répres­sion-au-Vene­zue­la”, les 90 % des véné­zué­liens se sentent étran­gers à cette réa­li­té vir­tuelle. Pour­quoi ? Parce qu’ils vivent en paix sur la qua­si-tota­li­té du ter­ri­toire. A l’Ouest et au centre de Cara­cas, habi­tés par la majo­ri­té popu­laire, pas de vio­lences, pas de jour­na­listes, pas de pixels pour la voix off : “Vene­zue­la”, “révolte”, “répres­sion”.

On a mon­tré des marches de l’opposition, par­ties des quar­tiers riches. Mais sous le ver­nis obli­gé de slo­gans “sociaux” ou “popu­laires” il n’y a que le triple désir de ceux qui n‘acceptent pas la défaite élec­to­rale : éco­no­mie pri­va­ti­sée, apar­theid social, obéis­sance aux États-Unis. Dans le même temps, les médias ont caché les mobi­li­sa­tions des tra­vailleurs pétro­liers, des étu­diants boli­va­riens, des mou­ve­ments de femmes, des fédé­ra­tions pay­sannes, des per­sonnes âgées, des orga­ni­sa­tions com­mu­nales, des com­mu­ni­ca­teurs popu­laires, des méde­cins inté­graux com­mu­nau­taires pour défendre la pour­suite du pro­gramme choi­si par la majo­ri­té. Occul­tées, les mesures prises lors des ren­contres entre ces col­lec­tifs sociaux et le gou­ver­ne­ment pour refi­nan­cer le sys­tème des hôpi­taux publics, les pro­jets por­tés par les orga­ni­sa­tions com­mu­nales, les allo­ca­tions sociales ou la pro­duc­tion agri­cole. Rien sur les cen­taines de mil­lions de boli­vars des­ti­nés à concré­ti­ser les objec­tifs approu­vés par les élec­teurs et le fait que 80 % des étu­diants et des tra­vailleurs du sec­teur uni­ver­si­taire suivent les cours et tra­vaillent nor­ma­le­ment. Sur 67 uni­ver­si­tés publiques, seuls 5 conseils uni­ver­si­taires se sont pro­non­cés en faveur de la sus­pen­sion des cours.

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Nico­las Madu­ro, le 10 mars, lors de la remise de diplômes à 2500 nou­veaux méde­cins inté­graux com­mu­nau­taires. Actuel­le­ment on compte 20 mille 538 étudiant(e)s de cette car­rière dans six uni­ver­si­tés natio­nales. Le pré­sident a annon­cé la récu­pé­ra­tion de 24 hôpi­taux publics et un bud­get de 1492 mil­lions de boli­vars pour la construc­tion et la répa­ra­tion de centres de san­té de la mis­sion “Bar­rio Aden­tro”.

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Le 9 mars à Cara­cas, Madu­ro ren­contre des mou­ve­ments com­mu­naux venus de tout le pays et annonce l’octroi de 2400 mil­lions de boli­vars pour qu’ils puissent réa­li­ser leurs pro­jets socio-pro­duc­tifs ou de construc­tion de logements.

Une des impasses aux­quelles a mené l’uniformisation média­tique à par­tir des années 80 est que l’Amérique Latine n’apparaît plus que dans la frag­men­ta­tion huma­ni­taire, éphé­mère (vic­times indi­gènes, drames humains, éco­lo­giques, etc..) ou lorsqu’un pic de dés­in­for­ma­tion épouse un pro­gramme de désta­bi­li­sa­tion (comme celui qui vient d’échouer). Hors de ces ins­tants et de ces “morts sur com­mande”, les 99 % du temps et les 99 % de l’espace d’un conti­nent res­tent hors de por­tée de l’occidental.

Si les médias renouaient le lien avec les inté­rêts des citoyens, rede­ve­naient atten­tifs à ce que “le peuple dis­cute avec le peuple” (Sartre, fon­dant “Libé­ra­tion”), ils infor­me­raient sur ce qui fait qu’ici, le mot “poli­tique” retrouve son sens alors qu’il indif­fère la majo­ri­té des occi­den­taux. La construc­tion d’un État par­ti­ci­pa­tif au Vene­zue­la n’attire pas micros et camé­ras. Elle apporte pour­tant les clefs : enjeux et contra­dic­tions d’une révo­lu­tion paci­fique face à des obs­tacles tels que la défla­gra­tion urbaine post-pétro­lière (qui porte plus à l’isolement du consom­ma­teur qu’à la pro­duc­tion et à la soli­da­ri­té) ou l’hégémonie des médias pri­vés (qui dénigrent la sphère publique).

Il y a quelques jours, au cours d’une réunion de l’Organisation des États Amé­ri­cains (OEA), jusqu’ici sou­mise aux États-Unis, 29 pays ont voté une décla­ra­tion de soli­da­ri­té avec les efforts du gou­ver­ne­ment Madu­ro – seuls les États-Unis, le Cana­da et Pana­ma ont voté contre. Avec les posi­tions de l’UNASUR, de l’ALBA, de la CELAC et du MERCOSUR le Vene­zue­la compte sur une uni­té qui fait son che­min : dimanche, le Sal­va­dor a élu pré­sident Sal­va­dor San­chez Ceren, plus à gauche que son pré­dé­ces­seur, et dési­reux d’adhérer à l’ALBA ; la nou­velle pré­si­dente du Chi­li, Michelle Bache­let, a annon­cé le 7 mars “son sou­tien sans res­tric­tions au gou­ver­ne­ment boli­va­rien du Vene­zue­la” et son refus “d’appuyer des ini­tia­tives contraires au ver­dict des urnes ou des actions vio­lentes visant à désta­bi­li­ser un gou­ver­ne­ment démo­cra­ti­que­ment élu”. L’UNASUR se réuni­ra sous peu pour – explique le pré­sident équa­to­rien Cor­rea – “prendre posi­tion sur base de la véri­té, et la véri­té est que c’est le gou­ver­ne­ment légi­time du Vene­zue­la qui est per­sé­cu­té, que Nico­las Madu­ro est huma­niste, qu’il ne serait jamais capable de répri­mer son peuple, et qu’on tente de le désta­bi­li­ser”.

T.D., Cara­cas, 12 mars 2014
source de l’ar­ticle : blog de Thier­ry Deronne