Dear Mandela… Les enfants de Mandela contre l’ANC

Tourné au jour le jour dans l'urgence, le film ne table pas sur une esthétique originale mais sur une construction habile pour porter son sujet et assumer ses choix

Dear Man­de­la, de Dara Kell et Chris­to­pher Niz­za Les enfants de Man­de­la contre l’ANC

Par Oli­vier Barlet

SSource : afri­cul­tures

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En Afrique du Sud, Man­de­la n’est pas un homme, c’est un dieu. C’est ain­si que le jeune acti­viste S’Bu Nikode dit en début de film qu’il est comme Jésus-Christ. Et qu’il vou­drait lui deman­der ce qu’il pense de ce qui se passe aujourd’­hui dans son pays, lui qui avait pro­mis une mai­son pour tous et qui a fait mar­quer dans la consti­tu­tion que per­sonne ne serait évin­cé sans être relo­gé. Des archives de ses dis­cours élec­to­raux le prouvent mais d’autres archives télé­vi­suelles rendent compte de vio­lentes répres­sions poli­cières contre ceux qui demandent de meilleures condi­tions de logement.

C’est autour de cette contra­dic­tion de la Nou­velle Afrique du Sud que tourne ce docu­men­taire, clai­re­ment enga­gé aux côtés des pauvres qui s’or­ga­nisent et se battent autour des ques­tions de loge­ment, et qui pour cela s’op­posent au gou­ver­ne­ment et donc au pou­voir de l’ANC. Il faut dire que les sup­por­ters de ce mou­ve­ment des mal logés, Aba­ha­li base Mjon­do­lo, se réunissent avec leurs ordi­na­teurs sur la table mais à la lumière des bou­gies dans des bidon­villes sans élec­tri­ci­té. Ils portent des t‑shirts rouges où est ins­crit “The Move­ment of the Poors” (le mou­ve­ment des pauvres), donc dans la droite ligne du pro­gramme de Man­de­la, la lutte contre la pau­vre­té. Mais les com­pro­mis avec le pou­voir blanc pour ne pas cas­ser l’é­co­no­mie sud-afri­caine ont repous­sé à plus tard cet objec­tif pre­mier et la nou­velle bour­geoi­sie noire s’en contente très bien. À plu­sieurs reprises, cette socié­té à double vitesse est mon­trée du doigt et de la camé­ra, qui sur­plombe volon­tiers quar­tiers des affaires et bidon­villes pour mar­quer la dif­fé­rence. Les points presse ou d’in­for­ma­tion des habi­tants gou­ver­ne­men­taux, dont rendent compte les docu­men­ta­ristes à tra­vers les ques­tions d’un jour­na­liste inves­ti­ga­teur, pointent la cruelle dis­tance qui s’est éta­blie entre les repré­sen­tants gou­ver­ne­men­taux et les habitants.

1364311676_2.jpgUn peu de docu-fic­tion pour mon­trer que la consti­tu­tion inter­dit les expul­sions sans relo­ge­ment et le nœud de la lutte est posé : la faire res­pec­ter, donc avoir la loi pour soi. Or en 2008 (le film est tour­né de 2007 à 2010), un arrê­té inti­tu­lé Slums Act, qui vise à éra­di­quer les bidon­villes, auto­rise les des­truc­tions. Quand ils sont relo­gés, les habi­tants sont par­qués dans des contai­ners invi­vables dans des camps éloi­gnés des centres urbains où se trouve le tra­vail, et où ils ne devraient que tran­si­ter mais où ils crou­pissent sur la durée. La lutte d’A­ba­ha­li base Mjon­do­lo sera dès lors de faire inter­dire cette loi comme anti­cons­ti­tu­tion­nelle par la plus haute cour du pays à Johan­nes­burg. Sai­sie dans les règles grâce au sou­tien d’un avo­cat enga­gé, elle met­tra des mois à sta­tuer mais ren­dra un juge­ment déci­sif : cette vic­toire ren­force le mou­ve­ment mais elle arrive trop tard pour empê­cher le drame. Une nuit, un com­man­do vient sac­ca­ger et brû­ler les bara­que­ments, notam­ment ceux des acti­vistes du mou­ve­ment. Il y aura deux morts. Lors de l’en­quête, des mili­tants du mou­ve­ment sont arrê­tés, bon moyen de faire croire à un mou­ve­ment de cri­mi­nels, ce que ren­forcent les mani­fes­ta­tions de mili­tants ANC, orga­ni­sées grâce à des bus affré­tés par le par­ti pour faire venir les accu­sa­teurs. Mena­cés de mort, les diri­geants du mou­ve­ment doivent se cacher, héber­gés par des étudiants.

Il faut dire que dans un mee­ting, le jeune pré­sident du mou­ve­ment pro­pose des slo­gans contre l’ANC : un silence gêné lui répond — il s’at­taque là à un tabou. Dans la Nou­velle Afrique du Sud, il est des choses qui res­tent sacrées, même si leurs pra­tiques vont à l’en­contre de ce qu’ils défen­daient. Ces enfants de Man­de­la qui défendent les plus pauvres ne sont donc pas les bienvenus.

Tour­né au jour le jour dans l’ur­gence, le film ne table pas sur une esthé­tique ori­gi­nale mais sur une construc­tion habile pour por­ter son sujet et assu­mer ses choix : mise en exergue du vécu de trois acti­vistes mais pas seule­ment des diri­geants, sui­vi linéaire du com­bat consti­tu­tion­nel et des troubles, équi­libre entre parole et dérou­le­ment de l’ac­tion, com­men­taire limi­té à quelques encarts. La clar­té du point de vue contourne toute mani­pu­la­tion du spec­ta­teur qui sait à quoi s’en tenir. On retrouve ain­si en Afrique du Sud le com­bat uni­ver­sel des pauvres fati­gués des fausses pro­messes, for­cés de se prendre en main pour résis­ter, mais dans le contexte d’un pays où cela s’ap­pa­rente à un manque de trans­mis­sion. S’Bu Zikode dépose ain­si dans l’urne un bul­le­tin blanc où il ins­crit “No Land, no House, No Vote !” (ni terre ni loge­ment : pas de vote !). Le géné­rique où l’on voit un père aider un enfant à ras­sem­bler des bran­chages le poé­tise, de même que les vagues de la mer en fin de film sont là pour rap­pe­ler que ce com­bat dépasse ceux qui le mènent et donne un sens à leur vie.

Oli­vier Barlet

DEAR MANDELA thea­tri­cal trai­ler from Slee­ping Giant on Vimeo.