Deux siècles d’histoire partagée : Les Arabes, leur destin et le nôtre

La Nahda, la renaissance arabe. Tout à la fois ouverture vers l’Occident, ses idées et sa technique, et recherche d’une synthèse entre « islamisme » et « nationalisme », ce mouvement multiforme reste une référence pour les intellectuels du monde arabe.

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« Napo­léon pen­dant la cam­pagne d’Égypte ».

Jean-Léon Gérôme, 1863.

Le monde arabe et le Proche-Orient sont sou­vent vus comme le théâtre d’un « chaos incom­pré­hen­sible ». Dans un livre acces­sible qui s’adresse à un large public, Jean-Pierre Filiu rap­pelle que le mal­heur actuel des Arabes ne doit rien à la fata­li­té et tout aux rap­ports com­plexes entre la volon­té hégé­mo­nique de l’Occident et le long com­bat des peuples du Proche-Orient pour leur éman­ci­pa­tion. L’auteur, pro­fes­seur en his­toire du Moyen-Orient contem­po­rain à Sciences Po et auteur de nom­breux ouvrages sur le Proche-Orient fait com­men­cer cette his­toire par­ta­gée avec l’expédition napo­léo­nienne, « évé­ne­ment-Janus, à la fois agres­sion colo­niale et entre­prise cultu­relle » qui pose au monde arabe le « double défi de la domi­na­tion otto­mane et de l’expansion occidentale ».

C’est alors que naît la Nah­da, la renais­sance arabe, concept tout aus­si dif­fi­cile à cer­ner que celui de la renais­sance euro­péenne. Tout à la fois ouver­ture vers l’Occident, ses idées et sa tech­nique, et recherche d’une syn­thèse entre « isla­misme » et « natio­na­lisme », ce mou­ve­ment mul­ti­forme reste une réfé­rence pour les intel­lec­tuels du monde arabe. Son échec est lar­ge­ment dû à la main­mise de la France et du Royaume-Uni sur les terres de l’empire otto­man après la guerre de 1914 – 1918. Une entre­prise de type colo­nial sous cou­vert des « man­dats » don­nés à ces deux grandes puis­sances euro­péennes, qui en ont pro­fi­té pour tra­cer à grands traits les fron­tières actuelles. Une tra­hi­son de la pro­messe faite au ché­rif Hus­sein de La Mecque de lui offrir un grand royaume arabe en échange de son sou­tien à la lutte contre les Otto­mans. Les révoltes sont écra­sées dans le sang. « Pour les Arabes, avoir été trai­tés comme des enne­mis par les Euro­péens, auprès des­quels ils s’étaient loya­le­ment enga­gés en amis, lais­se­ra un pro­fond sen­ti­ment d’injustice », explique Filiu.

Exit les Lumières arabes, les seuls États indé­pen­dants issus direc­te­ment de la pre­mière guerre mon­diale étant l’Ara­bie saou­dite et le Yémen. On pour­ra objec­ter qu’après la seconde guerre mon­diale, les pays arabes ont conquis leur indé­pen­dance, sou­vent dans la lutte. Indé­pen­dance mais pas liber­té, estime l’auteur, qui dénonce le « grand détour­ne­ment » des aspi­ra­tions démo­cra­tiques par des « cliques mili­taires ». Appuyées par les puis­sances occi­den­tales, qui remettent la main sur la région. « Les mêmes tyran­nies, flé­tries au nom de la liber­té sur le conti­nent euro­péen sont célé­brées au nom de la “sta­bi­li­té” dans le monde arabe » juge Filiu. Et quand ils ne servent plus, on les jette, par­fois sans solu­tion de rem­pla­ce­ment. Résul­tat : le « trou noir » ira­kien et son impasse djihadiste.

Pour­tant, espère l’auteur, « les peuples arabes renouent avec la dyna­mique de leur renais­sance, à la stu­pé­fac­tion géné­rale » à tra­vers les révoltes popu­laires de 2011. Une résur­gence de la Nah­da à laquelle les pays occi­den­taux, plaide Jean-Pierre Filiu, doivent offrir « au moins leur com­pré­hen­sion » au nom de deux siècles d’histoire partagée.

Pierre Prier

Source de l’ar­ticle : orientXXI

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Jean-Pierre Filiu, Les Arabes, leur des­tin et le nôtre

édi­tions La Décou­vert. — 262 pages ; 14,50 €
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