Nous vous proposons un article qui sort du lot, écrit par Alexandre Penasse, pour la revue Kairos. Publié ici, avec son aimable autorisation.
Nous suivons depuis plus d’une semaine, apathiques, les « fils infos » qui formidablement ne font que répéter la même chose, ne nous apportant que très rarement une information nouvelle. Mais, inlassablement, nous attendons quelque chose. Habitués à les écouter tous les jours, ils sont les mamelles qui nourrissent notre perception de la réalité. En temps de grande incertitude, nous sommes encore plus qu’à l’habitude, comme des enfants en attente de la voix officielle.
Sauf que dans un état de tension initié par le gouvernement et relayé par les médias, nous percevons maintenant clairement une chose essentielle : nous dépendons plus que jamais des médias de masse, qui relayent les ordres gouvernementaux et font plus que décrire l’état de la société, puisqu’ils nous disent ce que nous devons faire et comment réagir. Et nous obéissons : du samedi 21 au mardi 24 novembre, c’est « l’état d’alerte » niveau 4, signifiant « un risque d’attaque imminente ». Tout est fermé à Bruxelles : centres commerciaux, nombreux cafés, halls omnisports, centres culturels, piscines ; les trains, métros, nombreux trams, ne circulent plus ; les militaires et la police sont déployés par milliers en rue… et, à partir de lundi : écoles, académies de musique, de dessin, clubs sportifs sont fermés… C’est le pied de guerre. Curieusement, le mercredi matin, « la vie reprend doucement son cours à Bruxelles », mais les raisons qui l’avaient suspendu (le niveau d’alerte 4) sont toujours présentes. Contradictions ? Nous y sommes habitués et les avons intégrées, ce qui nous a mis dans un état de sidération où nous continuons à regarder les écrans et agir comme on nous dit, même si cela n’a aucun sens. Nous sommes pris dans un grand magma diffus et nous ne trouvons que trop peu de relais sociaux et médiatiques qui nous offriraient un autre son. Cet « autre son » qui permettrait aussi de sortir de « l’opinion publique » et de découvrir la divergence (combien sommes-nous au fait a vraiment être las de ce monde?).
L’état de psychose créé par ces mesures gouvernementales dont les justifications précises ne nous ont jusqu’ici pas été données, préfigure peut-être les mécanismes médiatiques et les réactions sociales qui auraient lieu suite à une catastrophe majeure. Imaginez qu’une centrale comme Doel ou Tihange connaisse un accident majeur, à l’instar de Fukushima, et que militaires et police nous assignent à résidence ? Les « recommandations » gouvernementales dans de tels cas ne sont-elles pas déjà de :
- rentrez ou restez à l’intérieur ;
- fermez les portes et les fenêtres ;
- écoutez la radio et regardez la télé ;
- évitez de téléphoner ;
- laissez les enfants à l’école.
Ne jamais sortir de l’instantané
Et la peur n’est-elle pas le mieux pour ne pas penser, contextualiser encore moins que d’habitude ce qu’il se passe ? Qu’ont dit ce matin les parents en conduisant leur enfant à l’école ? Ceux qui, nombreux à Bruxelles, étaient en voiture ? Leur ont-ils expliqué que pour pouvoir rouler, ils ont besoin de pétrole et que ce qu’ils voient comme une liberté de se déplacer rend nécessaire les guerres et leurs dégâts collatéraux ? Les enseignants leur ont-ils dit que notre agriculture intensive a recours à l’emploi massif de pesticides qui nécessitent du pétrole, participe de la malbouffe généralisée mais aussi des guerres dans le monde ? Et que dans cette course à l’intensification, la grande surface dans laquelle ils iront cet après-midi, participe activement ? Leur diront-ils que depuis des décennies, les politiciens travaillent pour leur réélection, appauvrissant de plus en plus la masse et enrichissant les plus nantis, expliquant aux premiers qu’il faudra travailler jusqu’à 67 ans ? Que l’Arabie saoudite, qui finance Daech, et une alliée indéfectible de Bruxelles et Paris ?
Il est peu probable que l’on entende ce discours dans les écoles, l’histoire des « méchants » qui attaquent les « gentils » risquant d’avoir plus de succès. La rengaine rassurante du « il n’y a pas d’alternatives à notre monde » ayant déjà été assimilée.
Mais soyons sûrs que dans une ville, capitale du pays le plus inégalitaire des pays de l’OCDE en terme d’enseignement (plus on est pauvre plus on échoue à l’école en Belgique), peu de petits écoliers athée, catholique ou juif auront à côté d’eux un petit copain musulman, et que, lorsque des mots comme terroristes, islam, musulman, animeront très certainement le discours, la dichotomie entre deux mondes qui ne se connaissent pas sera encore plus grande. Et la peur de l’Autre socialement dévastatrice.
Il est donc plus qu’essentiel de dire qu’un autre monde est possible, et indispensable de ne plus avoir peur.
Alexandre Penasse
Source de l’article : Kairos
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