Grèce : une démocratie perdue

Par Eva Betavatzi

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CADTM

L’autoritarisme du gou­ver­ne­ment grec s’amplifie de jour en jour et face à lui, la contes­ta­tion grandit

Depuis quelques semaines, les rues d’Athènes, de Thes­sa­lo­nique, et de plu­sieurs autres villes de Grèce grondent de colère face aux mesures du gou­ver­ne­ment, aux décla­ra­tions des diri­geants, à la mani­pu­la­tion média­tique et aux vio­lences poli­cières. La police tra­vaille en pre­mière ligne pour faire régner la ter­reur, usant et abu­sant de sa force, allant même jusqu’à mena­cer de mort des manifestant.e.s1. Elle béné­fi­cie du sou­tien indé­fec­tible du gou­ver­ne­ment de Kyria­kos Mit­so­ta­kis, au point qu’un inves­tis­se­ment public de plu­sieurs mil­lions va être alloué pour son renforcement.

Par­mi les nom­breuses mesures liber­ti­cides de Kyria­kos Mit­so­ta­kis (PM) figure la créa­tion d’une nou­velle bri­gade réser­vée aux Uni­ver­si­tés et plus pré­ci­sé­ment à la pour­suite de groupes mili­tants de gauche et anar­chistes. Des mil­lions d’euros qui ne seront pas inves­tis dans le sys­tème de san­té, dans l’éducation, dans l’aide à l’accès au loge­ment, ou dans l’aide aux ménages en dif­fi­cul­té, aux per­sonnes âgées, à celles qui sont vul­né­rables, ou encore aux per­sonnes deman­deuses d’asile. Cela ne man­quait pas à une socié­té en crise depuis plus d’une décen­nie. De l’argent aus­si pour l’armée et le ren­for­ce­ment de la flotte mili­taire, face à un conflit latent avec la Tur­quie autour des gise­ments gaziers en mer Égée. De l’argent encore pour les médias (20 mil­lions inéqui­ta­ble­ment dis­tri­bués pour dif­fu­ser des mes­sages sur le coro­na­vi­rus) contrô­lés par le pre­mier ministre lui-même puisqu’il n’a pas man­qué, au début de sa légis­la­ture, de cen­tra­li­ser le contrôle de la presse autour de sa propre fonction.

Les men­songes relayés sont de plus en plus énormes :

l’information est tron­quée dans le but de mas­quer l’autoritarisme du gou­ver­ne­ment et les scan­dales à répé­ti­tion qui concernent le cercle proche de Mit­so­ta­kis (dont celui qui accuse l’ancien direc­teur du Théâtre natio­nal grec de pédo­phi­lie, un pro­té­gé du gou­ver­ne­ment). Impu­ni­té, vio­lence, cor­rup­tion, état d’exception per­ma­nent, la gou­ver­nance s’effrite en Grèce. Il y a quelques jours, une famille assise sur un banc a été inter­pel­lée par des poli­ciers car il est inter­dit de s’asseoir dans l’espace public. Un homme s’est inter­po­sé pour pro­tes­ter contre cette appa­rente absur­di­té. Les poli­ciers l’ont vio­lem­ment frap­pé à coups de matraque en acier (dont l’usage par la police est pour­tant inter­dit), car il avait osé s’adresser à eux. En réac­tion 15.000 per­sonnes se sont ras­sem­blées dans le quar­tier d’Athènes de Nea Smyr­ni où l’incident s’est pro­duit, 15.000 per­sonnes pour une famille punie car elle était assise sur un banc, cela est bien arri­vé. L’épisode n’est pas anec­do­tique, il révèle l’ampleur de la crise poli­tique que tra­verse le pays. Les nom­breuses mani­fes­ta­tions sont orga­ni­sées mal­gré l’interdiction de cir­cu­ler pour rai­son non-essen­tielle contre l’autoritarisme, les mesures sani­taires répres­sives, les abus poli­ciers, les abus à l’encontre de Dimi­tris Kou­fon­ti­nas (qui a annon­cé dimanche der­nier qu’il rom­pait sa grève de la faim enta­mée 66 jours avant), la loi contre les mou­ve­ments orga­ni­sés dans les Uni­ver­si­tés, etc. Après les urnes en 2015, et les bancs de la jus­tice jusqu’en 2020, la rue est deve­nue aujourd’hui le seul lieu de com­bat pour une démo­cra­tie perdue.

Une police universitaire pour réprimer l’opposition

En février, le par­le­ment grec votait à la majo­ri­té une loi qui vise à ins­tau­rer une bri­gade de police « spé­ciale » pour les Uni­ver­si­tés. La Grèce devient le seul (ou le pre­mier ?) pays euro­péen à déployer une telle bri­gade dans ses cam­pus : 1030 poli­ciers, équi­pés de matraques (mais les­quelles ?) et de sprays anti-agres­sion. Le pro­jet de loi, annon­cé un mois plus tôt, avait sus­ci­té la colère des étudiant.e.s, sui­vi de toute la gauche et d’un grand nombre de per­sonnes cho­quées par le sou­ve­nir ravi­vé des jours sombres de la dic­ta­ture des colo­nels. Des mobi­li­sa­tions impor­tantes avaient été orga­ni­sées dans toute la Grèce, et conti­nuent à ce jour. Elles ont été vio­lem­ment répri­mées. Outre l’usage abu­sif de gaz lacry­mo­gènes et de gre­nades assour­dis­santes, les poli­ciers ont vio­lem­ment frap­pés les étudiant.e.s même celles et ceux qui étaient menotté.e.s. Les jour­na­listes, enseignant.e.s, parents, n’ont pas échap­pé aux coups.

10 février : deuxième jour­née de pro­tes­ta­tion contre la pro­po­si­tion de loi dans les uni­ver­si­tés. — Source : No Borders

Sous cou­vert de répondre à un « besoin sécu­ri­taire », la loi pour les Uni­ver­si­tés (dite loi Édu­ca­tion) du gou­ver­ne­ment cache une volon­té d’écraser les mou­ve­ments d’opposition qui s’organisent en par­tie sur les cam­pus. Pour ceux et celles qui se sou­viennent des évè­ne­ments du 17 novembre 1973, durant les­quels un char mili­taire avait lit­té­ra­le­ment écra­sé l’enceinte de l’école poly­tech­nique d’Athènes pour répri­mer le mou­ve­ment estu­dian­tin oppo­sé à la dic­ta­ture des colo­nels, tuant des dizaines de per­sonnes, la nou­velle loi pour les Uni­ver­si­tés appa­rait comme une menace évi­dente à la démo­cra­tie. L’épisode du 17 novembre 1973 a mar­qué le début de la fin de la junte et a don­né lieu, quelques années plus tard, à l’interdiction pour les forces de l’ordre d’entrer dans les cam­pus (ce qu’on appelle en grec l’asile uni­ver­si­taire ins­tau­rée en 1982 et abro­gée par Mit­so­ta­kis et son par­le­ment en août 2019, après une ten­ta­tive du PASOK en 2011 annu­lée ensuite par Syri­za en 2017). Depuis la fin de la dic­ta­ture, le 17 novembre est un jour férié natio­nal en Grèce pour célé­brer le retour à la « démo­cra­tie »2.

22 février — mani­fes­ta­tion contre la nou­velle loi dans les uni­ver­si­tés à Thes­sa­lo­nique — Pho­to : Kons­tan­ti­nos Tsakalidis

Il a fal­lu que Nou­velle Démo­cra­tie arrive au pou­voir pour ravi­ver ce sou­ve­nir que les grec.que.s auraient vou­lu der­rière eux. Comble de l’histoire, le bud­get annuel annon­cé pour cette bri­gade spé­ciale sera exces­sif par rap­port à celui alloué à l’enseignement supé­rieur dans son ensemble : 20 mil­lions d’euros pour la police uni­ver­si­taire contre 91,6 mil­lions d’euros pour l‘enseignement supé­rieur d’après un article paru dans le Monde3. Il fau­dra 30 mil­lions de plus pour équi­per cette bri­gade spé­ciale de répres­sion des mou­ve­ments estu­dian­tins. Plu­sieurs voix, notam­ment uni­ver­si­taires, et même la fédé­ra­tion natio­nale de la police4, se sont posi­tion­nées publi­que­ment contre la loi pour dif­fé­rentes rai­sons et des mobi­li­sa­tions ont eu lieu durant plu­sieurs semaines dans le pays pour que le gou­ver­ne­ment aban­donne son pro­jet. Cela n’a pas suf­fi, la loi est pas­sée le 11 février dernier.

La bri­gade spé­ciale n’est pas encore for­mée mais les vio­lences poli­cières dans les cam­pus uni­ver­si­taires ne se font pas attendre.

Pour n’en don­ner qu’une illus­tra­tion récente, le 11 mars der­nier, les étudiant.e.s de l’Université Aris­tote de Thes­sa­lo­nique ont été atta­qués bru­ta­le­ment lors de la fer­me­ture, pour­tant annon­cée, d’une occu­pa­tion qu’ils et elles avaient ouvert deux semaines aupa­ra­vant. La police a péné­tré le cam­pus uni­ver­si­taire quelques heures plus tôt, sans attendre la libé­ra­tion des lieux, et les a atta­qué alors qu’ils et elles pre­naient la parole pour mar­quer leur départ :

La loi nou­vel­le­ment adop­tée vise éga­le­ment à modi­fier le sys­tème d’admission des étudiant.e.s et réduire leurs temps d’études, à quelques excep­tions près pour celles et ceux qui doivent tra­vailler pour payer leurs études et pour les per­sonnes confron­tées à des pro­blèmes de san­té. Un seuil d’admission plus strict sera éga­le­ment impo­sé. Il s’agit de limi­ter l’accès à l’éducation supé­rieure publique, avec une grande par­tie des jeunes qui se retrou­ve­ront pro­ba­ble­ment expulsé.e.s ou exclu.e.s au béné­fice d’établissements pri­vés à condi­tion de pou­voir les payer. Les can­di­dats qui ne fran­chi­ront pas ce nou­veau seuil d’admission, et qui n’auront pas les moyens de payer une école pri­vée, ne pour­ront tout sim­ple­ment pas faire d’études supé­rieures. La loi pour les Uni­ver­si­tés consti­tue un ren­for­ce­ment des dis­cri­mi­na­tions de classe.

La brutalité policière à son comble

L’évènement qui a eu lieu sur la place de Nea Smyr­ni, ban­lieue Sud de la capi­tale, le dimanche 7 mars, est révé­la­teur de l’impunité de la police face aux abus de vio­lence qu’elle fait subir à la population.

Une vidéo dif­fu­sée lar­ge­ment sur les réseaux sociaux – deve­nus une alter­na­tive essen­tielle à une dés­in­for­ma­tion sidé­rante de la part des médias domi­nants diri­gés par des oli­garques proches du gou­ver­ne­ment – illustre l’ampleur du régime de ter­reur qui s’installe pro­gres­si­ve­ment avec l’excuse d’un confi­ne­ment stricte impo­sé pour faire face à la pan­dé­mie. Cette fois, il ne s’agissait ni d’une mani­fes­ta­tion, ni d’un ras­sem­ble­ment, ni d’une occu­pa­tion mais d’un homme qui a vou­lu pro­tes­ter contre une amende Covid que des poli­ciers étaient sur le point d’infliger à une famille assise sur un banc.
https://www.youtube.com/watch?v=8GgEyOPgkyk.

source vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=8GgEyOPgkyk

Une mobi­li­sa­tion a ras­sem­blé 500 per­sonnes le jour-même pour pro­tes­ter contre l’agression abu­sive des poli­ciers, toutes ont été vio­lem­ment dis­per­sées. S’en sont sui­vi des dénon­cia­tions et des annonces molles de la part du Ministre en charge de la pro­tec­tion du citoyen, M. Chry­so­choides. Aris­to­te­lia Pelo­ni, porte-parole de l’exécutif, a décla­ré que le gou­ver­ne­ment « essaie (…) de sor­tir le pays de cette crise sani­taire sans pré­cé­dent avec le moins de pertes pos­sibles. Mal­heu­reu­se­ment, l’opposition exploite les ten­sions et enflamme le cli­mat poli­tique et social »5. Cette décla­ra­tion fait par­tie d’une série d’autres du même genre qui visent à poin­ter du doigt l’opposition et ain­si jus­ti­fier l’autoritarisme gran­dis­sant et les vio­lences poli­cières qui en résultent.

À l’opposé de ces accu­sa­tions, une frac­tion du syn­di­cat de la police a affir­mé que « les vio­lences poli­cières exces­sives et inutiles des der­niers jours sont dues à des ordres venus d’en haut.6 ».

Deux jours plus tard, 15.000 per­sonnes se sont ras­sem­blées dans ce quar­tier d’Athènes, répu­té calme, habi­té prin­ci­pa­le­ment par une popu­la­tion issue de la classe moyenne. Lors de ce der­nier ras­sem­ble­ment, un poli­cier a été bles­sé (ain­si que des dizaines de manifestant.e.s). Les médias se sont immé­dia­te­ment sai­sis de l’information pour décla­rer que les faits contre le poli­cier avaient été pro­vo­qués par des par­ti­sans de Syri­za, ce qui s’est très vite avé­ré incon­tes­ta­ble­ment faux. Les arres­ta­tions effec­tuées quelques heures plus tard par la police elle-même ont révé­lé le men­songe. Il s’agissait vrai­sem­bla­ble­ment de hoo­li­gans de clubs de foot qui avaient annon­cé préa­la­ble­ment leur par­ti­ci­pa­tion au ras­sem­ble­ment sur les réseaux sociaux.

14 mars : mani­fes­ta­tion à Kip­se­li et dans de nom­breux quar­tiers d’A­thènes contre l’au­to­ri­ta­risme et la répres­sion policière

Les médias domi­nants ont relayé en boucle les images de l’agression du poli­cier, en omet­tant déli­bé­ré­ment de mon­trer les mil­liers d’images qui attestent de la bru­ta­li­té poli­cière sur la toile. 7,

les nom­breuses arres­ta­tions qui suivent, et les vio­lences dénon­cées lors de gardes à vue (vio­lences et agres­sions sexuelles). Cerise sur le gâteau, le Pre­mier ministre ne s’est pas pri­vé d’affirmer lui aus­si la res­pon­sa­bi­li­té des membres de Syri­za pour les vio­lences sur­ve­nues ce jour-là. L’acharnement contre l’opposition vient de tous côtés. Ces fausses accu­sa­tions démontrent, on ne peut plus clai­re­ment, une volon­té de mani­pu­ler l’opinion publique afin de décré­di­bi­li­ser les forces poli­tiques oppo­sées au gou­ver­ne­ment et plus lar­ge­ment la contes­ta­tion, et de camou­fler les dérives auto­ri­taires. Pour toutes ces rai­sons, l’épisode de Nea Smyr­ni a fini par pro­vo­quer une vague de pro­tes­ta­tions impres­sion­nantes dans tout le pays qui n’est pas prête de s’arrêter.

 

Vio­lences poli­cières à Halan­dri, quar­tier d’A­thènes lors d’un raid poli­cier sur un mar­ché aux légumes. — Source : https://thepressproject.gr/dimarchos-chalandriou-epistrofi-se-skoteines-epoches-i-epidromi-ton-mat-mesa-se-laiki-agora/

Dimitris Koufontinas

Si Dimi­tris Kou­fon­ti­nas n’avait pas annon­cé, dimanche 14 mars, qu’il allait rompre la grève de la faim qu’il avait enta­mé il y a un peu plus de deux mois pour dénon­cer ses condi­tions de déten­tions injustes – et sur­tout illé­gales – sa mort aurait été de la res­pon­sa­bi­li­té du Pre­mier ministre lui-même.

Kou­fon­ti­nas a débu­té une grève de la faim le 8 jan­vier, et de la soif quelques semaines plus tard. Ancien membre du groupe 17 Novembre, âgé aujourd’hui de 63 ans, il avait recon­nu sa par­ti­ci­pa­tion dans plu­sieurs assas­si­nats dont celui du beau-frère de l’actuel Pre­mier ministre, Pav­los Bakoyian­nis. Kou­fon­ti­nas s’est ren­du de lui-même à la police, il y a 19 ans (en sep­tembre 2002), et a recon­nu les faits. Après toutes ces années, la loi pré­voit, pour lui, comme pour les autres déte­nus, des condi­tions d’incarcération moins strictes. Sa demande de trans­fert vers la pri­son de Kory­dal­los, depuis une pri­son de haute sécu­ri­té où il avait été pla­cé par le gou­ver­ne­ment actuel, a été refu­sée illé­ga­le­ment (puis il y a eu le vote d’une loi faite sur mesure pour lui début mars, des mois après sa demande).

Par­mi les six par­tis poli­tiques repré­sen­tés au Par­le­ment grec, quatre se sont posi­tion­nés en faveur d’un trans­fert du pri­son­nier vers la pri­son de Kory­dal­los, sui­vi de l’Association des juges et pro­cu­reurs et de nom­breuses orga­ni­sa­tions, per­son­na­li­tés, jour­na­listes, méde­cins, artistes, uni­ver­si­taires, et des per­sonnes du monde entier. Des mobi­li­sa­tions mas­sives ont eu lieu en Grèce, elles ont ras­sem­blé tous les mou­ve­ments de lutte de gauche (col­lec­tifs, syn­di­cats, mou­ve­ments étu­diants, etc.) et groupes anarchistes.

Mit­so­ta­kis n’a pas fai­bli face à la pres­sion popu­laire. Il a rétor­qué qu’il ne cède­rait pas au chan­tage du « ter­ro­riste ». Kou­fon­ti­nas n’a pas été accu­sé de ter­ro­risme puisque la notion-même a été intro­duite dans la loi grecque en 2004, après son pro­cès. Le chef du gou­ver­ne­ment a ain­si exclu le pri­son­nier du droit de manière tota­le­ment arbi­traire. Il a été sou­te­nu par les médias domi­nants, cer­tains fas­cistes, les forces répres­sives (dans la rue) et l’ambassade des États-Unis. L’affaire Kou­fon­ti­nas a révé­lé encore une fois mais de manière bien plus bru­tale que les diri­geants grecs s’estiment au-des­sus de leurs propres lois, façon­nant la légis­la­tion en fonc­tion de ce qui les arrange après coup (ce qui est récur­rent en Grèce), intro­dui­sant un régime d’exception qui ne néces­site aucune jus­ti­fi­ca­tion légale ou poli­tique (le ter­ro­risme et/ou le coro­na­vi­rus sont uti­li­sés comme jus­ti­fi­ca­tions média­tiques à des fins de pro­pa­gande), un régime autoritaire.

Le pri­son­nier n’est pas mort, le 24 février, alors qu’il était hos­pi­ta­li­sé aux soins inten­sifs de l’hôpital de Lamia, enta­mant le 48e jour de grève de la faim, les auto­ri­tés judi­ciaires ont ordon­né son gavage. L’alimentation for­cée des déte­nus en grève de la faim est consi­dé­rée comme de la tor­ture selon les lois inter­na­tio­nales, à moins que le gré­viste puisse être « capable de for­mer un juge­ment ration­nel et intact »8. L’alimentation for­cée de Kou­fon­ti­nas a été ordon­née par le pro­cu­reur local du tri­bu­nal de pre­mière ins­tance, une déci­sion uni­la­té­rale qui a mon­tré que les ins­ti­tu­tions du pou­voir n’allaient pas céder et qu’elles avaient déci­dé de retar­der la condam­na­tion à mort arbi­traire de Kou­fon­ti­nas. Autre­ment dit, cette affaire révèle une peine de mort mas­quée infli­gée par le pouvoir.

C’est fina­le­ment la mobi­li­sa­tion popu­laire mas­sive, mul­ti­forme et inter­na­tio­nale, qui a pous­sé Dimi­tris Kou­fon­ti­nas à annon­cer l’arrêt de sa grève de la faim le 14 mars. Un appel des mou­ve­ments de gauche a éga­le­ment été lan­cé le 64e jour de la grève, après l’épuisement de tous les moyens légaux et sociaux (les mobi­li­sa­tions et actions délo­ca­li­sées ont été vio­lem­ment répri­mées) déployés pour que le gré­viste soit trans­fé­ré dans la pri­son de Kory­dal­los. L’appel est une demande au gré­viste de se réali­men­ter tant que les luttes se pour­suivent. Le 17 mars, dans deux jours, aura lieu le pro­chain ras­sem­ble­ment en sou­tien à Kou­fon­ti­nas dans le centre d’Athènes.

4 mars : mani­fes­ta­tion en sou­tien à Dimi­tris Kou­fon­ti­nas — Pho­to : Sav­vas Karmaniolas

La menace policière et gouvernementale sur la démocratie ne s’arrête pas là

Le bref aper­çu des luttes qui ont (et qui conti­nuent de) mobi­li­ser des mil­liers de per­sonnes en Grèce, et ailleurs dans le monde en soli­da­ri­té, contre une police uni­ver­si­taire, une police par­tout, répres­sive, agis­sant en toute impu­ni­té avec le sou­tien des médias et d’un gou­ver­ne­ment diri­gé par un gang plus cri­mi­nel que ceux et celles qu’il juge, montre le début de la grande période du ren­for­ce­ment des luttes qui a débu­té cette année. Le mou­ve­ment de luttes en Grèce vit un moment his­to­rique, le com­bat pour la liber­té et la digni­té du peuple grec pour­rait se joindre aux com­bats des peuples de Bel­gique, de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Espagne, de Tur­quie, de Chypre et d’ailleurs, c’est pour­quoi il est impor­tant d’en par­ler, de faire cir­cu­ler l’information.

La rue et la soli­da­ri­té sont au centre de ce com­bat pour une démo­cra­tie per­due, ce texte se veut une petite pierre ajou­tée à l’édifice. Mais les quelques para­graphes qui pré­cèdent sont loin d’être suf­fi­sants pour décrire la situa­tion que tra­verse le pays, c’est pour­quoi, dans une deuxième par­tie, j’aborderai d’autres ques­tions qui touchent de plus près les pays créan­ciers de la Grèce, la France en par­ti­cu­lier. Je revien­drai sur la loi anti-envi­ron­ne­men­tale adop­tée au début de la crise sani­taire qui vise à la pri­va­ti­sa­tion et l’exploitation de la richesse natu­relle du pays. Le gou­ver­ne­ment a mon­tré qu’il n’a aucun scru­pule à détruire des zones pro­té­gées Natu­ra 2000 et l’Europe se tait. Il s’agira ensuite de décrire briè­ve­ment la situa­tion des per­sonnes deman­deuses d’asile aujourd’hui, après le Pacte inhu­main sur la Migra­tion de l’UE, et d’évoquer les enjeux géo­po­li­tiques et éner­gé­tiques trop dis­crè­te­ment dis­cu­tés dans les médias des pays qui tirent pro­fit de cette crise (France et Allemagne).

Il ne suf­fit pas de poin­ter du doigt uni­que­ment les pays créan­ciers, la Grèce est diri­gée par un par­ti cor­rom­pu et violent, qui mani­feste du mépris pour son peuple depuis son arri­vée au pou­voir. Mais la démo­cra­tie grecque est étouf­fée à toutes les échelles (du local au glo­bal) au béné­fice de ceux qui aujourd’hui détiennent le pou­voir. Les grec.que.s ne sont pas dupes, ils et elles savent que der­rière l’affaire Kou­fon­ti­nas se cachent les États-Unis, que der­rière la loi Édu­ca­tion et les vio­lences poli­cières on retrouve le nuage néo­fas­ciste d’Aube Dorée. Il y a quelques mois, les mou­ve­ments anti­fas­cistes criaient « les Nazis en pri­son » appe­lant à la condam­na­tion des membres de l’ancien par­ti néo­na­zi Aube Dorée, demain ils appel­le­ront les membres de Nou­velle Démo­cra­tie à rejoindre ces premiers.

 

  1. Le chef de la bri­gade « Dra­si » (Action) n°36 a été fil­mé en train de dire à ses subor­don­nés qu’ils pou­vaient tuer des mani­fes­tants : https://www.youtube.com/watch?v=csD6-Juy5GI
  2. Cette date a don­né son nom à un groupe de gué­rilla dont Dimi­tris Kou­fon­ti­nas était membre.
  3. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/12/en-grece-le-gouvernement-instaure-une-police-speciale-dans-les-universites_6069728_3210.html
  4. https://www.bastamag.net/Non-aa-la-police-dans-les-universitees-tribune-contre-une-nouvelle-loi-liberticide-en-Grece
  5. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/grece-tolle-apres-une-intervention-musclee-de-la-police-pour-faire-respecter-le-confinement-20210307
  6. https://www.keeptalkinggreece.com/2021/03/08/greece-police-beat-citizen-nea-smyrni/
  7. Un site inter­net nom­mé très iro­ni­que­ment « memo­no­me­na per­ista­ti­ka » (inci­dents iso­lés), regroupe des images de vio­lences poli­cières afin de démon­trer qu’il s’agit bien d’incidents sys­té­ma­tiques et pas du tout « iso­lés » comme le pré­tendent les médias : https://memonomenaperistatika.gr/
  8. https://www.keeptalkinggreece.com/2021/02/24/koufontinas-force-feeding-court/