Le 15 février 2021, le People’s Forum a organisé une rencontre avec Camille Chalmers, Mamryah Dougé-Prosper et Sabine Lamour, qui ont offert une analyse de la conjoncture actuelle en Haïti, sur l’implication de l’impérialisme étasunien, la démocratie et de l’état des luttes populaires. Camille Chalmers est un camarade de nombreuses batailles internationalistes et leader clé de la gauche en Haïti, membre fondateur du parti socialiste Rasin Kan Pèp La. En 2019, avec d’autres forces démocratiques et progressistes, ils créent le Front patriotique populaire pour se mobiliser contre le régime de Jovenel Moïse.
Le 1er janvier 1804, les généraux de l’armée haïtienne, dirigés par Jean Jacques Dessalines, signent la déclaration d’indépendance d’Haïti. En jurant de “renoncer à jamais à la France et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination”, les généraux, au nom du peuple haïtien, déclarent une purge de l’empreinte des esclavagistes et des colonisateurs de la société haïtienne . “Quand nous lasserons-nous de respirer le même air qu’eux ?” demande Dessalines. “Qu’avons-nous en commun avec ce peuple de bourreaux ?”
Les Français n’étaient pas les ennemis les plus immédiats de la révolution. Avant d’obtenir son indépendance, le peuple haïtien devait également vaincre les forces de l’Espagne et de la Grande-Bretagne. Il s’agissait des trois empires les plus puissants d’Europe. Avec cette révolution contre l’esclavage et le colonialisme, le peuple haïtien s’est engagé dans la lutte contre l’impérialisme.
L’impérialisme est la capture des ressources — le produit de la terre et du travail — d’un endroit pour enrichir les gens d’un autre endroit. L’impérialisme, par essence, est une méthode de domination de classe. C’est la forme initiale sous laquelle la classe capitaliste a établi son pouvoir et comment elle l’a maintenu au cours des siècles. À l’époque de Dessalines, l’impérialisme se manifestait par le colonialisme et l’esclavage. À notre époque, l’impérialisme poursuit sa quête incessante de terres et de main-d’œuvre bon marché. Camille Chalmers nous apprend que l’impérialisme se tourne maintenant vers Haïti pour créer des “zones franches” pour la fabrication de textiles, l’agriculture, l’exploitation minière et le tourisme.
Dessalines avait mis en garde ses compatriotes contre les dangers d’une contre-révolution. Les impérialistes et ses agents, a‑t-il insisté, “ne sont pas nos frères… s’ils trouvent asile parmi nous, ils seront les conspirateurs de nos troubles et de nos divisions”. Les négriers “réfugiés” de la colonie de Saint-Domingue ont trouvé asile aux États-Unis, ce qui a marqué le début du rôle permanent des États-Unis en tant que dernier refuge des traîtres, des scélérats et des criminels de guerre. Certains de ces “réfugiés” faisaient partie des négriers les plus riches des États-Unis. Ils ont tenté de persuader les gouvernements étasunien et français d’envahir à nouveau Haïti pour rétablir l’esclavage et ainsi récupérer leurs propriétés dérobées. À l’époque de Dessalines, ils ont fui vers Charleston et la Nouvelle-Orléans. Ceux qui remplissent ce rôle aujourd’hui vivent à Miami et à New York.
Dessalines a exhorté le peuple haïtien à “poursuivre à jamais les traîtres et les ennemis de [son] indépendance”. Le département d’État étasunien a annoncé que le mandat présidentiel de Jovenel Moïse se poursuivrait jusqu’au 7 février 2022, tout en remettant en question la clarté de la constitution haïtienne de 1987.
Ce n’est pas une coïncidence si, au milieu des rumeurs concernant une “nouvelle guerre froide” avec la Chine, les États-Unis cherchent à suspendre la Constitution haïtienne et à faciliter une nouvelle dictature en Haïti, imposée par des escadrons de la mort dans un règne de terreur. Les États-Unis prétendent être en faveur d’ ”élections justes et libres” en Haïti, mais leurs actions prouvent le contraire.
Depuis plus d’un siècle, un flot incessant de migrants haïtiens a servi de source de main-d’œuvre bon marché dans les Caraïbes, aux États-Unis, au Canada et au-delà, apportant avec eux l’immense réservoir spirituel de la tradition révolutionnaire d’Haïti. Dans cette diaspora, l’impérialisme a collaboré en générant ses propres fossoyeurs. Haïti est situé à mi-chemin entre Cuba et le Venezuela, tous deux en ferme résistance contre l’agression brutale des États-Unis. Au milieu de leur échec lamentable à contenir la pandémie de COVID-19, les Etats-Unis tentent de mettre en quarantaine et d’isoler le processus révolutionnaire lui-même, de contrôler Haïti afin d’affirmer leur contrôle sur la communauté des Caraïbes.
Dessalines rappelle que ce sont les Français qui sont les véritables esclaves, ayant gagné leur liberté pour ensuite la perdre. Dans leur révolution contre le féodalisme, le règne des seigneurs de la guerre sous mandat divin, les Français ont défendu le caractère sacré de la propriété privée, même de la propriété d’autres êtres humains. En maintenant l’esclavage à Saint-Domingue, les Français ont fatalement empoisonné leur propre révolution. Camille Chalmers explique que l’extrême droite haïtienne possède une vision féodale du pouvoir.
À ce stade, il reflète l’impérialisme d’aujourd’hui, qui a produit des marchés d’esclaves en Libye et la propagation d’ISIS en Irak et en Syrie.
Dans son roman sur la révolution haïtienne, Le Royaume de ce monde (1957), Alejo Carpentier décrit le royaume des cieux, où “il n’y a aucune grandeur à conquérir” en raison de “l’impossibilité du sacrifice”. L’humanité, écrivait-il, ne trouverait pas là sa plus haute mesure, mais seulement dans le royaume de ce monde, “chargé de peines et de tâches, magnifique dans sa misère, capable d’amour au milieu des fléaux”. Les gens souffrent, espèrent et luttent pour ceux qu’ils ne connaîtront jamais, qui à leur tour souffrent, espèrent et luttent pour d’autres inconnus. Cela, écrit Carpentier, c’est la grandeur de l’humanité, la grandeur dont nous sommes témoins dans le processus révolutionnaire d’Haïti.
Le 29 mars, l’Assemblée internationale des peuples a appelé les organisations populaires du monde entier à exprimer leur solidarité avec la lutte du peuple haïtien. Que signifie exprimer sa solidarité ? Au début de leur révolution, l’armée haïtienne n’a pas capturé de navires négriers, mais a libéré les Africains transportés comme cargaison, les a nourris et soignés, et les a organisés en unités de combat. Grâce à ce processus, les asservis sont devenus des révolutionnaires, luttant pour rester libres et pour abolir le système d’esclavage lui-même. Cette histoire nous enseigne comment agir en solidarité avec le peuple haïtien aujourd’hui. Pour se libérer mutuellement des chaînes qui nous lient. S’équiper mutuellement avec les armes de la sensibilisation et de l’organisation. Pour rejoindre la bataille contre notre ennemi commun : l’impérialisme. Comme le déclaraient les révolutionnaires d’Haïti en 1804 : “Nous avons osé être libres, osons être libres pour nous-mêmes et par nous-mêmes.
Par Manu Karuka
Révolution et contre-révolution
Tout d’abord, il est nécessaire de souligner la nature de la Révolution haïtienne qui triomphe en 1804. Cette révolution a introduit une rupture fondamentale dans l’ordre mondial dominant, tout en soulevant un ensemble de questions sans réponse sur les relations économiques et sociales entre les hommes.
La révolution haïtienne a constitué une critique essentielle de la domination des empires européens sur des pays comme le nôtre. Elle a soulevé toute une série de nouvelles dynamiques qui nous permettent de la considérer comme une révolution à la fois anticoloniale et antiesclavagiste, à une époque où l’esclavage était un mode d’accumulation dominant dans le monde entier. C’était une révolution antiraciste. C’était aussi une révolution contre le modèle économique du système de plantation qui avait été imposé dans les Caraïbes au cours des deux siècles précédents.
Depuis cette révolution, il y a eu une série de malentendus concernant la relation d’Haïti avec le reste du monde. Les empires d’aujourd’hui continuent d’isoler Haïti, à la manière d’une quarantaine, pour cacher au monde l’exemple de sa révolution.
C’est une sorte de conspiration silencieuse. Peu de gens connaissent la révolution haïtienne et, lorsqu’elle est mentionnée, le but est de démonétiser Haïti. Notre pays est présenté comme un pays de magie noire, de sorcellerie et de criminalité perpétuelle pour empêcher les autres de comprendre ce qui s’est passé ici. Pour justifier l’occupation militaire d’Haïti en 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1542 (2004), qui autorisait la tristement célèbre Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) en déclarant qu’Haïti constituait “une menace pour la paix et la sécurité internationales de la région”. Cette phrase renvoie au discours dominant contre Haïti au XIXe siècle.
Il est primordial de réfléchir à l’ampleur du danger que représente Haïti. L’un de ces dangers est son histoire révolutionnaire, qui a démontré qu’un petit pays peut construire un projet opposé à la logique fondamentale de l’ordre capitaliste.
Deuxièmement, pour bien comprendre ce qui se passe en Haïti, nous devons considérer que tout au long du 19ème siècle, il y a eu une contre-révolution réussie qui a empêché la révolution de s’étendre et réussisse à accomplir toutes ses promesses. Une nouvelle oligarchie a été établie pour remplacer les colons blancs français, introduisant de nouvelles relations d’exploitation et de domination. Dans ce contexte, le XIXe siècle est le théâtre d’importantes luttes dans lesquelles la paysannerie entre en conflit avec l’État haïtien, qui s’est éloigné des revendications populaires. Une série de mouvements paysans remettent en question l’État existant et son incapacité à défendre les intérêts nationaux. Vers la fin du XIXe siècle, les élites ont cédé pour accepter l’agriculture à petite échelle comme la forme dominante de production économique établie par l’insurrection populaire. Tout cela va commencer à changer avec la première intervention militaire étasunienne en 1915.
Quelques jours auparavant, le président haïtien Guillaume Sam, dont le gouvernement développait les relations commerciales avec les États-Unis, avait ordonné l’exécution de 167 prisonniers politiques, ce à quoi la population avait répondu par une révolte. Sam a été destitué et ensuite exécuté.
Le président américain de l’époque, Woodrow Wilson, a ordonné aux Marines étasuniens d’occuper Haïti et de réprimer le soulèvement populaire. Entre 1915 et 1934, l’armée des États-Unis a occupé Haïti et a développé une relation néocoloniale, réorganisant ses forces militaires et réécrivant la Constitution afin de permettre que la propriété foncière reste entre des mains étrangères. De cette manière, ils ont fait en sorte que pendant des décennies, Haïti reste au service des entreprises étasuniennes.
L’excuse officielle de cette occupation était de s’opposer aux influences allemandes et françaises, alors puissantes, en Haïti. Puis, rapidement, les États-Unis ont retiré leurs investissements d’Haïti. Au lieu de cela, les États-Unis ont investi dans la modernisation des grandes industries sucrières et de leurs plantations à Cuba et en République dominicaine. La migration forcée des travailleurs d’Haïti a été essentielle au développement de cette industrie.
Depuis lors, Haïti est devenu un fournisseur de main-d’œuvre bon marché pour l’industrie capitaliste de la région. Une situation sociale et économique interne a également été générée en Haïti à cause de l’expulsion de la paysannerie de ses terres, qui avait pour but de créer et de reproduire la pauvreté et la carence. Cela a créé un flux sans fin de travailleurs migrants pour approvisionner les industries régionales (Cuba, la République dominicaine, les Caraïbes occidentales, les États-Unis, le Canada et l’Europe).
Entre 1915 et 1934, les États-Unis ont revendiqué le contrôle politique du pays et installé un président de leur choix. Le président était une sorte de gouverneur représentant les intérêts de l’impérialisme étasunien et de ses industries. Smedley Butler, un ancien général de brigade étasunienne, a fait une confession dans son livre War is a Racket (1935) : “J’ai consacré trente-trois ans et quatre mois au service militaire actif, et pendant cette période, j’ai passé la plupart de mon temps à jouer les brutes pour les grandes entreprises, Wall Street et les banquiers. En bref, j’étais un arnaqueur, un gangster du capitalisme.”
En ce sens, il est clair que tout notre système politique moderne en Haïti est construit sur les bases posées par le Département d’État étasunien et les autres puissances impérialistes qui ont une influence stratégique dans la prise de décision. En conséquence, entre 1957 et 1986, nous avons connu la dictature de François Duvalier et de son fils, qui ont aggravé la crise qui avait commencé en 1915. La mission de Duvalier était de détruire le mouvement de résistance populaire car les étasuniens avaient rencontré une opposition féroce lors de plusieurs guerres avec les Cacos, des groupes rebelles armés issus de soulèvements d’esclaves et d’esclavagistes.
Nous avons un système politique dominé par une politique économique mandatée par les États-Unis qui reproduit toute une série de mécanismes. Ces mécanismes de domination ont été mis en œuvre après l’accord américano-haïtien de septembre 1915, selon lequel même si le parlement haïtien ratifie une décision, celle-ci ne peut être exécutée sans l’approbation de l’ambassade des États-Unis. Cette forme de dépendance de l’État vis-à-vis des États-Unis a accéléré le pillage impérial d’Haïti.
Cette forme de dépendance à l’égard des États-Unis a accéléré le pillage et la dévastation impérialiste des ressources de notre pays. Par exemple, pendant l’occupation étasunienne, Haïti a perdu 25 à 30 % de ses réserves forestières. Tout cela a conduit à la grande crise des années 1980.
Révolte populaire et intervention étrangère
En 1986, un vaste mouvement populaire vise à mettre fin à la crise. Nous voulions non seulement cesser de vivre sous la dictature, mais aussi transformer l’État. Le programme du mouvement populaire suivait deux objectifs principaux : 1) mettre fin à la dictature et 2) transformer l’État. Nous voulions un nouveau modèle d’État qui ne soit pas au service de l’oligarchie, pas un État violent, pas un État avec l’exclusion systématique des secteurs populaires, pas un État vassal qui obéit aux ordres des États-Unis. Lors du soulèvement de 1986, les secteurs populaires ont à nouveau récupéré leur rôle d’acteurs clés du processus politique.
Cependant, de 1986 à 2020, toutes les présidences n’ont pas réussi à développer une politique à la hauteur des exigences du soulèvement populaire de 1986. Ces gouvernements ont réussi à introduire quelques petites réformes avec un certain degré de progrès dans des domaines spécifiques. Malgré cela, il n’y a pas eu de transformation structurelle, ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue politique, qui aurait assuré la viabilité du rêve du peuple haïtien, manifesté par la rupture radicale du mouvement de 1986.
Il convient de noter que depuis 1986, les forces dominantes — tant l’oligarchie haïtienne que les forces impérialistes — ont tout tenté pour écraser les mouvements populaires et rétablir l’État oligarchique. Afin de parvenir à détruire les mouvements populaires, des groupes paramilitaires et des escadrons de la mort (sous les surnoms d’ ”agrégats”, de “zenglendo” et maintenant de “G9”) ont été formés pour réaliser divers coups d’État. L’expression ultime de cette stratégie a été le coup d’État de 1991, qui a mis fin au régime progressiste de Jean-Bertrand Aristide, élu moins d’un an auparavant avec une base dans les masses populaires. L’objectif était d’expulser le secteur populaire du processus politique parce que l’impérialisme et l’élite haïtienne avaient construit un système politique d’exclusion sans la participation du peuple.
Le coup d’État a permis d’exclure le peuple de la sphère politique par le biais des occupations militaires. Il est de la plus haute importance de souligner l’occupation militaire de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), entre 2004 et 2015, faisait partie d’un projet de militarisation impérialiste dans le bassin caribéen, dans un contexte de défis et des compétitions géopolitiques entre les États-Unis et les autres puissances mondiales.
Il est essentiel de reconnaître que la mise en œuvre de la MINUSTAH répond à de multiples préoccupations. Premièrement, soumettre définitivement les mouvements populaires qui reprenaient leur place centrale dans la sphère politique. Deuxièmement, pour répondre à un nouvel élément de la doctrine de sécurité étasunienne, selon lequel la principale menace pour les intérêts stratégiques de l’empire n’était plus les soulèvements paysans, mais les bidonvilles et les masses appauvries des villes.
Par conséquent, si l’on regarde le déploiement de la MINUSTAH sur une carte, on constate que l’objectif principal était de mettre fin à la résistance des bidonvilles urbains. Par exemple, il y a eu une série de massacres et d’attaques à Cité-Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince. Il semble qu’il s’agisse d’une sorte d’expérience visant à créer un double mécanisme de contrôle et de répression : répression militaire contre les bidonvilles et contrôle social par le biais d’organisations à but non lucratif prétendant œuvrer pour le développement et l’aide humanitaire.
De retour chez eux, de nombreux militaires brésiliens ont considéré l’expérience de la MINUSTAH en Haïti comme une formation aux méthodes de répression et de contrôle social à appliquer dans les favelas de São Paulo et de Rio de Janeiro. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement de Jair Bolsonaro a nommé d’anciens soldats ayant participé à la MINUSTAH à des postes publics importants, tels que des ministres. Par exemple, Augusto Heleno, ancien commandant de la MINUSTAH en 2004 – 2005, est actuellement le secrétaire institutionnel à la sécurité et joue un rôle central dans le gouvernement de Bolsonaro.
Au cours des 13 années d’occupation militaire, la MINUSTAH a aggravé la crise structurelle de la société haïtienne tout en commettant de graves crimes contre la population, notamment le viol massif de femmes, avec des dizaines de milliers de victimes documentées (bien que les chiffres réels soient probablement encore plus élevés) et l’orphelinat d’un grand nombre d’enfants.
L’un des autres crimes commis contre le peuple haïtien a été l’épidémie de choléra en 2010, une maladie jusqu’alors inexistante en Haïti, qui a fait au total au moins 10.000 morts et mourants. Au moins 800.000 personnes ont contracté le choléra, qui a également causé de graves dommages économiques au pays.
Il est donc extrêmement important de comprendre les fonctions et les objectifs de la MINUSTAH par rapport à la crise de la société haïtienne et qu’elle représente une sorte de précédent pouvant être utilisé dans d’autres crises. Ils pourraient s’appuyer sur son “succès” supposé, comme l’a décrit l’ancien secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, pour faire face à d’autres crises qui surviendront dans le cadre des efforts visant à reprendre le contrôle impérialiste des Caraïbes. Par exemple, l’impérialisme américain rencontre de nombreuses difficultés par rapport à son projet de recolonisation des Caraïbes, notamment avec Cuba et le Venezuela, qui l’empêchent d’avoir un contrôle total de la région.
Politique de droite Haïtienne et Intérêts des entreprises étasuniennes
Haïti a vécu un terrible traumatisme avec le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a fait 300.000 morts et des millions de blessés. Les forces d’occupation ont profité de cette catastrophe naturelle pour concevoir une réponse beaucoup plus radicale à la crise avec la création du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK). Le PHTK est un parti qui ressemble beaucoup à la tendance croissante à la politique conservatrice d’extrême droite qui émerge en Amérique latine dans le cadre de la tentative de reprise du contrôle du continent. Des exemples similaires sont Jair Bolsonaro au Brésil, Lenin Moreno en Équateur, Mario Abdo Benitez au Paraguay, Nayib Bukele au Salvador, etc. Si nous traçons une typologie de ces leaders politiques, nous verrons une similitude frappante entre l’ancien président haïtien Michel Martelly (2011 – 2016), Donald Trump et Jair Bolsonaro. Ils ont tous créé une nouvelle formule de gestion politique de style “gangster”, efficace pour initier des processus de destruction des institutions démocratiques populaires afin d’installer un règne oligarchique et impérialiste de contrôle absolu.
La mission fondamentale du PHTK, sous la direction de Michel Martelly et Jovenel Moïse, est précisément de mettre fin à l’émergence des mouvements populaires, d’éradiquer les vestiges démocratiques ou sociaux obtenus par le soulèvement de 1986 et les mouvements populaires et de rétablir un pouvoir autoritaire.
Pourquoi veulent-ils un pouvoir autoritaire ? Ils en ont besoin pour soumettre les mouvements populaires une fois pour toutes et les éliminer du processus politique. Les États-Unis veulent mener à bien l’entreprise inachevée de leur occupation de 1915 : transformer complètement l’économie haïtienne en un appendice des intérêts des sociétés multinationales étasuniennes.
À cette fin, ils ont élaboré un ensemble de stratégies qui définissent quatre domaines de croissance pour le pays. Paul Collier, un économiste néolibéral britannique spécialisé dans les pays à faible revenu, a été envoyé en Haïti par les Nations unies pour établir une nouvelle stratégie économique.
Dans son rapport de 2009 au Secrétaire général des Nations unies, M. Collier a écrit que le développement d’Haïti devrait être basé sur des zones de libre-échange dans quatre domaines :
1. Externalisation de la fabrication de produits textiles, exportation de produits textiles aux États-Unis.
2. Exportations agricoles et agro-industrielles
3. Zones franches minières établies par un processus de spéculation entrepris dans le nord du pays.
4. Des zones franches pour le tourisme, comme l’Ile-a-Vache.
Cependant, un obstacle considérable a empêché la mise en œuvre de la stratégie des quatre zones de libre-échange : il y avait encore des terres appartenant à des paysans pauvres, qui constituaient la base d’une économie familiale. Même si de nombreuses grandes propriétés sont encore méconnus en Haïti, il y a encore un grand nombre de paysans qui occupent les terres qui seraient nécessaires pour établir des zones de libre-échange. C’est ce qui sous-tend le récent virage politique à droite. Ils ont besoin d’un pouvoir fort pour imposer ces projets et pour mater toute résistance que la paysannerie pourrait opposer au transfert de la propriété des terres aux multinationales.
Revendications anticonstitutionnelles et revendications du peuple
Un grand nombre de critiques acharnés ont fait pression pour obtenir un amendement à la Constitution de 1987 afin de résoudre politiquement la question de la propriété foncière. Ces critiques affirment que le seul et principal problème du pays est la Constitution de 1987. Derrière ces allégations se cache une tentative de modifier la Constitution pour concentrer et centraliser le pouvoir au sein du Président de la République. Ils veulent réduire le pouvoir et les responsabilités du Parlement. Ils veulent éliminer les espaces de participation dans les petites communautés et réduire toute institution réglementaire qui représente des contrôles et des corrections pour le pouvoir exécutif.
C’est le principal projet depuis l’arrivée de Jovenel Moïse à la présidence en 2017, qui a généré notre situation actuelle. Il est très révélateur qu’aucun des deux mandats successifs de Martelly et de Moïse n’ait appelé à la tenue d’une seule élection dans le pays. Ce n’est pas une simple coïncidence, mais parce que les élections nationales n’ont pas leur place dans leurs plans. Si les élections sont bien l’expression du peuple lui-même, alors pour ces élites, la politique et l’expression du peuple ne vont pas de pair. Ils ont une vision féodale du pouvoir. Jovenel Moïse a installé une dictature dans laquelle il est le seul à prendre toutes les décisions.
Depuis janvier 2020, ils ont réussi à éliminer les pouvoirs du Parlement et, à ce jour, ils ont publié 45 décrets, chacun d’entre eux détruisant les libertés, tous en contradiction flagrante avec l’esprit et la lettre de la Constitution de 1987. Ces décrets ont permis l’arbitraire de la police et la répression militaire, ce qui a entraîné la criminalisation de la protestation sociale et des mouvements populaires en général.
Telle est la situation actuelle du pays. Maintenant, Jovenel Moïse a créé une équipe de cinq personnes travaillant presque clandestinement au Palais national pour rédiger un texte constitutionnel sans aucune consultation du peuple. Dans des circonstances normales, le référendum aurait eu deux étapes : il y aurait dû y avoir une première étape pour consulter le peuple s’il veut changer la Constitution et une deuxième étape pour proposer une nouvelle Constitution.
Ils n’ont pas pris la peine de respecter ces différentes étapes. Il existe un nouveau texte constitutionnel qui sera présenté lors du référendum du 25 avril 2021. À cette fin, ils ont nommé un conseil électoral totalement illégal et anticonstitutionnel, rejeté par tous les secteurs du pays et sans le moindre degré de légitimité. Dans le même temps, ils ont confié à ce conseil électoral l’approbation d’une nouvelle constitution et la tenue d’élections législatives et présidentielles à la fin de 2021.
Face à ce projet, nous pouvons dire que le peuple haïtien s’est levé avec vigueur et créativité, avec une grande dignité depuis plusieurs années. Depuis la fameuse mobilisation du 22 janvier 2016, lorsque le peuple a refusé la tenue de l’élection présidentielle avec un seul candidat, un cycle continu de mobilisations a suivi. Par exemple, entre 2017 et 2018, il y a eu les fameuses mobilisations contre le budget. Le peuple a rejeté une proposition de budget qualifiée à juste titre de criminelle. L’État haïtien s’est retrouvé dans une situation de crise fiscale et, pour répondre à cette crise, les impôts ont été augmentés de manière significative. Cependant, suite aux ordres de la communauté internationale d’augmenter les taxes de 54%, le gouvernement haïtien a été contraint d’augmenter le taux d’imposition.
Cependant, après les directives de la communauté internationale d’augmenter les prix de détail des produits pétroliers de 54%, les mobilisations populaires ont atteint un nouveau sommet en juillet 2018. La population s’est engagée dans un soulèvement populaire qui a paralysé le pays pendant près d’une semaine. Par conséquent, tout au long de 2018 et 2019, il y a eu des mobilisations de masse au cours desquelles des millions de citoyens haïtiens sont descendus dans la rue pour dire ” NON ! ” au retour de la dictature, ” NON ! ” à ce régime. Les Haïtiens veulent s’appuyer sur les acquis démocratiques de 1986.
Nouvelle répression étatique et renaissance de la solidarité internationale
Le régime de Moïse a profité de COVID-19 pour reprendre le contrôle de la situation et, pendant cette période, a organisé de nouveaux mécanismes et outils de répression, comme le “G9”. Le G9 est une fédération de gangs ayant pour but de terroriser la population afin de créer une atmosphère de peur. Le G9 a perpétré une douzaine de massacres dans des quartiers populaires entre 2018 et 2020, dont le tristement célèbre massacre de Cité Soleil en novembre 2018.
Ce régime se montre nostalgique du régime des Duvalier, cherchant à réinstaurer la dictature et le règne de la terreur. C’est un régime dans lequel un seul homme peut décider de tout. En ce sens, elle a reçu le plein soutien de l’administration de Donald Trump et d’autres pays impérialistes (Canada et Europe), qui ont fait la sourde oreille aux abus, aux niveaux d’indécence et d’immoralité démontrés par les politiciens haïtiens, aux massacres criminels et aux destructions qu’ils ont causés.
Aujourd’hui, nous avons des personnes comme l’ambassadrice des Étas-Unis, Michele J. Sison et le chef du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), Helen La Lime. Dans les faits, ce sont des militants du PHTK et ne manquent pas une occasion de soutenir Jovenel Moïse. Ils utilisent également Jovenel Moïse dans la stratégie régionale contre le gouvernement bolivarien du Venezuela ; au sein de l’Organisation des États américains, Haïti a voté en faveur de l’intervention militaire étasunienne au Venezuela. En outre, Moïse pourrait facilement servir de cheval de Troie contre la Communauté des Caraïbes (CARICOM), une organisation de quinze États et dépendances répartis dans toute la région, qui favorise l’intégration économique et la coopération entre ses membres. L’objectif des Etats-Unis, par l’intermédiaire de Moïse, est de détruire l’unité du CARICOM sur un certain nombre de questions extrêmement importantes, notamment le choix du directeur général de la Banque interaméricaine de développement.
L’impérialisme étasunien entend reprendre le contrôle du continent en défaisant une fois pour toutes les efforts de Lula da Silva et Hugo Chávez, qu’il s’agisse de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) ou de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC).
Le 7 février 2021, une nouvelle étape de la crise a commencé, marquée par le fait que, selon la Constitution, le mandat de Jovenel Moïse a pris fin ce jour-là.
C’est un principe constitutionnel qu’il a lui-même mis en œuvre contre le parlement en janvier 2020. Notre président est un usurpateur qui a décidé de rester au pouvoir jusqu’au 7 février 2022. Il s’agit d’une tactique visant à réaliser le programme impérialiste de réforme de la Constitution de 1987, à confier le mandat à une équipe politique entièrement acquise aux idéaux de l’extrême droite et à rétablir une dictature semblable à celle qui a été vécue pendant 29 ans sous le régime des Duvalier.
Aujourd’hui, nous traversons une situation critique qui met en danger la population d’Haïti. La vie de chacun est en danger en raison d’une répression plus forte et plus intense qui a atteint des niveaux extraordinaires, notamment l’arrestation, le passage à tabac et la torture d’un juge de la Cour suprême.
Il est scandaleux de voir les arrestations arbitraires systématiques et que la protestation a été criminalisée et réprimée avec autant de violence que possible. Moïse va de l’avant avec son programme, qui a déjà rétabli certains éléments évidents de la dictature de Duvalier. Il a également l’intention d’accélérer le processus de pillage des ressources d’Haïti au profit des entreprises américaines et européennes.
Je voudrais conclure en disant que, en termes de solidarité, nous avons réalisé ces dernières années un réveil essentiel en tant que mouvements populaires en Amérique latine. Je pense que de nombreux mouvements comprennent l’enjeu et l’impact de ce qui se passe en Haïti, et l’importance d’être présent avec le peuple haïtien dans ces batailles ; en particulier le soutien du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) du Brésil, qui est très présent parmi nous et a fondé la Brigade de solidarité Dessalines. Cette Brigade travaille en Haïti depuis 2009 avec des paysans de différentes régions.