Haïti : Nous osons être libres

Par Camille Chalmers

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The Peo­ple’s forum


Tra­duit par ZIN TV

Le 15 février 2021, le People’s Forum a orga­ni­sé une ren­contre avec Camille Chal­mers, Mam­ryah Dou­gé-Pros­per et Sabine Lamour, qui ont offert une ana­lyse de la conjonc­ture actuelle en Haï­ti, sur l’im­pli­ca­tion de l’im­pé­ria­lisme éta­su­nien, la démo­cra­tie et de l’é­tat des luttes popu­laires. Camille Chal­mers est un cama­rade de nom­breuses batailles inter­na­tio­na­listes et lea­der clé de la gauche en Haï­ti, membre fon­da­teur du par­ti socia­liste Rasin Kan Pèp La. En 2019, avec d’autres forces démo­cra­tiques et pro­gres­sistes, ils créent le Front patrio­tique popu­laire pour se mobi­li­ser contre le régime de Jove­nel Moïse.

Le 1er jan­vier 1804, les géné­raux de l’ar­mée haï­tienne, diri­gés par Jean Jacques Des­sa­lines, signent la décla­ra­tion d’in­dé­pen­dance d’Haï­ti. En jurant de “renon­cer à jamais à la France et de mou­rir plu­tôt que de vivre sous sa domi­na­tion”, les géné­raux, au nom du peuple haï­tien, déclarent une purge de l’empreinte des escla­va­gistes et des colo­ni­sa­teurs de la socié­té haï­tienne . “Quand nous las­se­rons-nous de res­pi­rer le même air qu’eux ?” demande Des­sa­lines. “Qu’a­vons-nous en com­mun avec ce peuple de bourreaux ?”

Les Fran­çais n’é­taient pas les enne­mis les plus immé­diats de la révo­lu­tion. Avant d’ob­te­nir son indé­pen­dance, le peuple haï­tien devait éga­le­ment vaincre les forces de l’Es­pagne et de la Grande-Bre­tagne. Il s’a­gis­sait des trois empires les plus puis­sants d’Eu­rope. Avec cette révo­lu­tion contre l’es­cla­vage et le colo­nia­lisme, le peuple haï­tien s’est enga­gé dans la lutte contre l’impérialisme.

L’im­pé­ria­lisme est la cap­ture des res­sources — le pro­duit de la terre et du tra­vail — d’un endroit pour enri­chir les gens d’un autre endroit. L’im­pé­ria­lisme, par essence, est une méthode de domi­na­tion de classe. C’est la forme ini­tiale sous laquelle la classe capi­ta­liste a éta­bli son pou­voir et com­ment elle l’a main­te­nu au cours des siècles. À l’é­poque de Des­sa­lines, l’im­pé­ria­lisme se mani­fes­tait par le colo­nia­lisme et l’es­cla­vage. À notre époque, l’im­pé­ria­lisme pour­suit sa quête inces­sante de terres et de main-d’œuvre bon mar­ché. Camille Chal­mers nous apprend que l’im­pé­ria­lisme se tourne main­te­nant vers Haï­ti pour créer des “zones franches” pour la fabri­ca­tion de tex­tiles, l’a­gri­cul­ture, l’ex­ploi­ta­tion minière et le tourisme.

Des­sa­lines avait mis en garde ses com­pa­triotes contre les dan­gers d’une contre-révo­lu­tion. Les impé­ria­listes et ses agents, a‑t-il insis­té, “ne sont pas nos frères… s’ils trouvent asile par­mi nous, ils seront les conspi­ra­teurs de nos troubles et de nos divi­sions”. Les négriers “réfu­giés” de la colo­nie de Saint-Domingue ont trou­vé asile aux États-Unis, ce qui a mar­qué le début du rôle per­ma­nent des États-Unis en tant que der­nier refuge des traîtres, des scé­lé­rats et des cri­mi­nels de guerre. Cer­tains de ces “réfu­giés” fai­saient par­tie des négriers les plus riches des États-Unis. Ils ont ten­té de per­sua­der les gou­ver­ne­ments éta­su­nien et fran­çais d’en­va­hir à nou­veau Haï­ti pour réta­blir l’es­cla­vage et ain­si récu­pé­rer leurs pro­prié­tés déro­bées. À l’é­poque de Des­sa­lines, ils ont fui vers Char­les­ton et la Nou­velle-Orléans. Ceux qui rem­plissent ce rôle aujourd’­hui vivent à Mia­mi et à New York.

Des­sa­lines a exhor­té le peuple haï­tien à “pour­suivre à jamais les traîtres et les enne­mis de [son] indé­pen­dance”. Le dépar­te­ment d’É­tat éta­su­nien a annon­cé que le man­dat pré­si­den­tiel de Jove­nel Moïse se pour­sui­vrait jus­qu’au 7 février 2022, tout en remet­tant en ques­tion la clar­té de la consti­tu­tion haï­tienne de 1987.

Ce n’est pas une coïn­ci­dence si, au milieu des rumeurs concer­nant une “nou­velle guerre froide” avec la Chine, les États-Unis cherchent à sus­pendre la Consti­tu­tion haï­tienne et à faci­li­ter une nou­velle dic­ta­ture en Haï­ti, impo­sée par des esca­drons de la mort dans un règne de ter­reur. Les États-Unis pré­tendent être en faveur d’ ”élec­tions justes et libres” en Haï­ti, mais leurs actions prouvent le contraire.

Depuis plus d’un siècle, un flot inces­sant de migrants haï­tiens a ser­vi de source de main-d’œuvre bon mar­ché dans les Caraïbes, aux États-Unis, au Cana­da et au-delà, appor­tant avec eux l’im­mense réser­voir spi­ri­tuel de la tra­di­tion révo­lu­tion­naire d’Haï­ti. Dans cette dia­spo­ra, l’im­pé­ria­lisme a col­la­bo­ré en géné­rant ses propres fos­soyeurs. Haï­ti est situé à mi-che­min entre Cuba et le Vene­zue­la, tous deux en ferme résis­tance contre l’a­gres­sion bru­tale des États-Unis. Au milieu de leur échec lamen­table à conte­nir la pan­dé­mie de COVID-19, les Etats-Unis tentent de mettre en qua­ran­taine et d’i­so­ler le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire lui-même, de contrô­ler Haï­ti afin d’af­fir­mer leur contrôle sur la com­mu­nau­té des Caraïbes.

Des­sa­lines rap­pelle que ce sont les Fran­çais qui sont les véri­tables esclaves, ayant gagné leur liber­té pour ensuite la perdre. Dans leur révo­lu­tion contre le féo­da­lisme, le règne des sei­gneurs de la guerre sous man­dat divin, les Fran­çais ont défen­du le carac­tère sacré de la pro­prié­té pri­vée, même de la pro­prié­té d’autres êtres humains. En main­te­nant l’es­cla­vage à Saint-Domingue, les Fran­çais ont fata­le­ment empoi­son­né leur propre révo­lu­tion. Camille Chal­mers explique que l’ex­trême droite haï­tienne pos­sède une vision féo­dale du pouvoir.

À ce stade, il reflète l’im­pé­ria­lisme d’au­jourd’­hui, qui a pro­duit des mar­chés d’es­claves en Libye et la pro­pa­ga­tion d’I­SIS en Irak et en Syrie.

Dans son roman sur la révo­lu­tion haï­tienne, Le Royaume de ce monde (1957), Ale­jo Car­pen­tier décrit le royaume des cieux, où “il n’y a aucune gran­deur à conqué­rir” en rai­son de “l’im­pos­si­bi­li­té du sacri­fice”. L’hu­ma­ni­té, écri­vait-il, ne trou­ve­rait pas là sa plus haute mesure, mais seule­ment dans le royaume de ce monde, “char­gé de peines et de tâches, magni­fique dans sa misère, capable d’a­mour au milieu des fléaux”. Les gens souffrent, espèrent et luttent pour ceux qu’ils ne connaî­tront jamais, qui à leur tour souffrent, espèrent et luttent pour d’autres incon­nus. Cela, écrit Car­pen­tier, c’est la gran­deur de l’hu­ma­ni­té, la gran­deur dont nous sommes témoins dans le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire d’Haïti.

Le 29 mars, l’As­sem­blée inter­na­tio­nale des peuples a appe­lé les orga­ni­sa­tions popu­laires du monde entier à expri­mer leur soli­da­ri­té avec la lutte du peuple haï­tien. Que signi­fie expri­mer sa soli­da­ri­té ? Au début de leur révo­lu­tion, l’ar­mée haï­tienne n’a pas cap­tu­ré de navires négriers, mais a libé­ré les Afri­cains trans­por­tés comme car­gai­son, les a nour­ris et soi­gnés, et les a orga­ni­sés en uni­tés de com­bat. Grâce à ce pro­ces­sus, les asser­vis sont deve­nus des révo­lu­tion­naires, lut­tant pour res­ter libres et pour abo­lir le sys­tème d’es­cla­vage lui-même. Cette his­toire nous enseigne com­ment agir en soli­da­ri­té avec le peuple haï­tien aujourd’­hui. Pour se libé­rer mutuel­le­ment des chaînes qui nous lient. S’é­qui­per mutuel­le­ment avec les armes de la sen­si­bi­li­sa­tion et de l’or­ga­ni­sa­tion. Pour rejoindre la bataille contre notre enne­mi com­mun : l’im­pé­ria­lisme. Comme le décla­raient les révo­lu­tion­naires d’Haï­ti en 1804 : “Nous avons osé être libres, osons être libres pour nous-mêmes et par nous-mêmes.

Par Manu Karuka

Révolution et contre-révolution

Tout d’a­bord, il est néces­saire de sou­li­gner la nature de la Révo­lu­tion haï­tienne qui triomphe en 1804. Cette révo­lu­tion a intro­duit une rup­ture fon­da­men­tale dans l’ordre mon­dial domi­nant, tout en sou­le­vant un ensemble de ques­tions sans réponse sur les rela­tions éco­no­miques et sociales entre les hommes.

La révo­lu­tion haï­tienne a consti­tué une cri­tique essen­tielle de la domi­na­tion des empires euro­péens sur des pays comme le nôtre. Elle a sou­le­vé toute une série de nou­velles dyna­miques qui nous per­mettent de la consi­dé­rer comme une révo­lu­tion à la fois anti­co­lo­niale et anti­es­cla­va­giste, à une époque où l’es­cla­vage était un mode d’ac­cu­mu­la­tion domi­nant dans le monde entier. C’é­tait une révo­lu­tion anti­ra­ciste. C’é­tait aus­si une révo­lu­tion contre le modèle éco­no­mique du sys­tème de plan­ta­tion qui avait été impo­sé dans les Caraïbes au cours des deux siècles précédents.

Depuis cette révo­lu­tion, il y a eu une série de mal­en­ten­dus concer­nant la rela­tion d’Haï­ti avec le reste du monde. Les empires d’au­jourd’­hui conti­nuent d’i­so­ler Haï­ti, à la manière d’une qua­ran­taine, pour cacher au monde l’exemple de sa révolution.

C’est une sorte de conspi­ra­tion silen­cieuse. Peu de gens connaissent la révo­lu­tion haï­tienne et, lors­qu’elle est men­tion­née, le but est de démo­né­ti­ser Haï­ti. Notre pays est pré­sen­té comme un pays de magie noire, de sor­cel­le­rie et de cri­mi­na­li­té per­pé­tuelle pour empê­cher les autres de com­prendre ce qui s’est pas­sé ici. Pour jus­ti­fier l’oc­cu­pa­tion mili­taire d’Haï­ti en 2004, le Conseil de sécu­ri­té des Nations unies a adop­té la réso­lu­tion 1542 (2004), qui auto­ri­sait la tris­te­ment célèbre Mis­sion des Nations unies pour la sta­bi­li­sa­tion en Haï­ti (MINUSTAH) en décla­rant qu’­Haï­ti consti­tuait “une menace pour la paix et la sécu­ri­té inter­na­tio­nales de la région”. Cette phrase ren­voie au dis­cours domi­nant contre Haï­ti au XIXe siècle.

Il est pri­mor­dial de réflé­chir à l’am­pleur du dan­ger que repré­sente Haï­ti. L’un de ces dan­gers est son his­toire révo­lu­tion­naire, qui a démon­tré qu’un petit pays peut construire un pro­jet oppo­sé à la logique fon­da­men­tale de l’ordre capitaliste.

Deuxiè­me­ment, pour bien com­prendre ce qui se passe en Haï­ti, nous devons consi­dé­rer que tout au long du 19ème siècle, il y a eu une contre-révo­lu­tion réus­sie qui a empê­ché la révo­lu­tion de s’é­tendre et réus­sisse à accom­plir toutes ses pro­messes. Une nou­velle oli­gar­chie a été éta­blie pour rem­pla­cer les colons blancs fran­çais, intro­dui­sant de nou­velles rela­tions d’ex­ploi­ta­tion et de domi­na­tion. Dans ce contexte, le XIXe siècle est le théâtre d’im­por­tantes luttes dans les­quelles la pay­san­ne­rie entre en conflit avec l’É­tat haï­tien, qui s’est éloi­gné des reven­di­ca­tions popu­laires. Une série de mou­ve­ments pay­sans remettent en ques­tion l’É­tat exis­tant et son inca­pa­ci­té à défendre les inté­rêts natio­naux. Vers la fin du XIXe siècle, les élites ont cédé pour accep­ter l’a­gri­cul­ture à petite échelle comme la forme domi­nante de pro­duc­tion éco­no­mique éta­blie par l’in­sur­rec­tion popu­laire. Tout cela va com­men­cer à chan­ger avec la pre­mière inter­ven­tion mili­taire éta­su­nienne en 1915.

Quelques jours aupa­ra­vant, le pré­sident haï­tien Guillaume Sam, dont le gou­ver­ne­ment déve­lop­pait les rela­tions com­mer­ciales avec les États-Unis, avait ordon­né l’exé­cu­tion de 167 pri­son­niers poli­tiques, ce à quoi la popu­la­tion avait répon­du par une révolte. Sam a été des­ti­tué et ensuite exécuté.

Le pré­sident amé­ri­cain de l’é­poque, Woo­drow Wil­son, a ordon­né aux Marines éta­su­niens d’oc­cu­per Haï­ti et de répri­mer le sou­lè­ve­ment popu­laire. Entre 1915 et 1934, l’ar­mée des États-Unis a occu­pé Haï­ti et a déve­lop­pé une rela­tion néo­co­lo­niale, réor­ga­ni­sant ses forces mili­taires et réécri­vant la Consti­tu­tion afin de per­mettre que la pro­prié­té fon­cière reste entre des mains étran­gères. De cette manière, ils ont fait en sorte que pen­dant des décen­nies, Haï­ti reste au ser­vice des entre­prises étasuniennes.

L’ex­cuse offi­cielle de cette occu­pa­tion était de s’op­po­ser aux influences alle­mandes et fran­çaises, alors puis­santes, en Haï­ti. Puis, rapi­de­ment, les États-Unis ont reti­ré leurs inves­tis­se­ments d’Haï­ti. Au lieu de cela, les États-Unis ont inves­ti dans la moder­ni­sa­tion des grandes indus­tries sucrières et de leurs plan­ta­tions à Cuba et en Répu­blique domi­ni­caine. La migra­tion for­cée des tra­vailleurs d’Haï­ti a été essen­tielle au déve­lop­pe­ment de cette industrie.

Depuis lors, Haï­ti est deve­nu un four­nis­seur de main-d’œuvre bon mar­ché pour l’in­dus­trie capi­ta­liste de la région. Une situa­tion sociale et éco­no­mique interne a éga­le­ment été géné­rée en Haï­ti à cause de l’ex­pul­sion de la pay­san­ne­rie de ses terres, qui avait pour but de créer et de repro­duire la pau­vre­té et la carence. Cela a créé un flux sans fin de tra­vailleurs migrants pour appro­vi­sion­ner les indus­tries régio­nales (Cuba, la Répu­blique domi­ni­caine, les Caraïbes occi­den­tales, les États-Unis, le Cana­da et l’Europe).

Entre 1915 et 1934, les États-Unis ont reven­di­qué le contrôle poli­tique du pays et ins­tal­lé un pré­sident de leur choix. Le pré­sident était une sorte de gou­ver­neur repré­sen­tant les inté­rêts de l’im­pé­ria­lisme éta­su­nien et de ses indus­tries. Smed­ley But­ler, un ancien géné­ral de bri­gade éta­su­nienne, a fait une confes­sion dans son livre War is a Racket (1935) : “J’ai consa­cré trente-trois ans et quatre mois au ser­vice mili­taire actif, et pen­dant cette période, j’ai pas­sé la plu­part de mon temps à jouer les brutes pour les grandes entre­prises, Wall Street et les ban­quiers. En bref, j’é­tais un arna­queur, un gang­ster du capitalisme.”

En ce sens, il est clair que tout notre sys­tème poli­tique moderne en Haï­ti est construit sur les bases posées par le Dépar­te­ment d’É­tat éta­su­nien et les autres puis­sances impé­ria­listes qui ont une influence stra­té­gique dans la prise de déci­sion. En consé­quence, entre 1957 et 1986, nous avons connu la dic­ta­ture de Fran­çois Duva­lier et de son fils, qui ont aggra­vé la crise qui avait com­men­cé en 1915. La mis­sion de Duva­lier était de détruire le mou­ve­ment de résis­tance popu­laire car les éta­su­niens avaient ren­con­tré une oppo­si­tion féroce lors de plu­sieurs guerres avec les Cacos, des groupes rebelles armés issus de sou­lè­ve­ments d’es­claves et d’esclavagistes.

Nous avons un sys­tème poli­tique domi­né par une poli­tique éco­no­mique man­da­tée par les États-Unis qui repro­duit toute une série de méca­nismes. Ces méca­nismes de domi­na­tion ont été mis en œuvre après l’ac­cord amé­ri­ca­no-haï­tien de sep­tembre 1915, selon lequel même si le par­le­ment haï­tien rati­fie une déci­sion, celle-ci ne peut être exé­cu­tée sans l’ap­pro­ba­tion de l’am­bas­sade des États-Unis. Cette forme de dépen­dance de l’É­tat vis-à-vis des États-Unis a accé­lé­ré le pillage impé­rial d’Haïti.

Cette forme de dépen­dance à l’é­gard des États-Unis a accé­lé­ré le pillage et la dévas­ta­tion impé­ria­liste des res­sources de notre pays. Par exemple, pen­dant l’oc­cu­pa­tion éta­su­nienne, Haï­ti a per­du 25 à 30 % de ses réserves fores­tières. Tout cela a conduit à la grande crise des années 1980.

Révolte populaire et intervention étrangère

En 1986, un vaste mou­ve­ment popu­laire vise à mettre fin à la crise. Nous vou­lions non seule­ment ces­ser de vivre sous la dic­ta­ture, mais aus­si trans­for­mer l’É­tat. Le pro­gramme du mou­ve­ment popu­laire sui­vait deux objec­tifs prin­ci­paux : 1) mettre fin à la dic­ta­ture et 2) trans­for­mer l’É­tat. Nous vou­lions un nou­veau modèle d’É­tat qui ne soit pas au ser­vice de l’o­li­gar­chie, pas un État violent, pas un État avec l’ex­clu­sion sys­té­ma­tique des sec­teurs popu­laires, pas un État vas­sal qui obéit aux ordres des États-Unis. Lors du sou­lè­ve­ment de 1986, les sec­teurs popu­laires ont à nou­veau récu­pé­ré leur rôle d’ac­teurs clés du pro­ces­sus politique.

Cepen­dant, de 1986 à 2020, toutes les pré­si­dences n’ont pas réus­si à déve­lop­per une poli­tique à la hau­teur des exi­gences du sou­lè­ve­ment popu­laire de 1986. Ces gou­ver­ne­ments ont réus­si à intro­duire quelques petites réformes avec un cer­tain degré de pro­grès dans des domaines spé­ci­fiques. Mal­gré cela, il n’y a pas eu de trans­for­ma­tion struc­tu­relle, ni d’un point de vue éco­no­mique ni d’un point de vue poli­tique, qui aurait assu­ré la via­bi­li­té du rêve du peuple haï­tien, mani­fes­té par la rup­ture radi­cale du mou­ve­ment de 1986.

Il convient de noter que depuis 1986, les forces domi­nantes — tant l’o­li­gar­chie haï­tienne que les forces impé­ria­listes — ont tout ten­té pour écra­ser les mou­ve­ments popu­laires et réta­blir l’É­tat oli­gar­chique. Afin de par­ve­nir à détruire les mou­ve­ments popu­laires, des groupes para­mi­li­taires et des esca­drons de la mort (sous les sur­noms d’ ”agré­gats”, de “zen­glen­do” et main­te­nant de “G9”) ont été for­més pour réa­li­ser divers coups d’É­tat. L’ex­pres­sion ultime de cette stra­té­gie a été le coup d’É­tat de 1991, qui a mis fin au régime pro­gres­siste de Jean-Ber­trand Aris­tide, élu moins d’un an aupa­ra­vant avec une base dans les masses popu­laires. L’ob­jec­tif était d’ex­pul­ser le sec­teur popu­laire du pro­ces­sus poli­tique parce que l’im­pé­ria­lisme et l’é­lite haï­tienne avaient construit un sys­tème poli­tique d’ex­clu­sion sans la par­ti­ci­pa­tion du peuple.

Le coup d’É­tat a per­mis d’ex­clure le peuple de la sphère poli­tique par le biais des occu­pa­tions mili­taires. Il est de la plus haute impor­tance de sou­li­gner l’oc­cu­pa­tion mili­taire de la Mis­sion des Nations Unies pour la sta­bi­li­sa­tion en Haï­ti (MINUSTAH), entre 2004 et 2015, fai­sait par­tie d’un pro­jet de mili­ta­ri­sa­tion impé­ria­liste dans le bas­sin cari­béen, dans un contexte de défis et des com­pé­ti­tions géo­po­li­tiques entre les États-Unis et les autres puis­sances mondiales.

Il est essen­tiel de recon­naître que la mise en œuvre de la MINUSTAH répond à de mul­tiples pré­oc­cu­pa­tions. Pre­miè­re­ment, sou­mettre défi­ni­ti­ve­ment les mou­ve­ments popu­laires qui repre­naient leur place cen­trale dans la sphère poli­tique. Deuxiè­me­ment, pour répondre à un nou­vel élé­ment de la doc­trine de sécu­ri­té éta­su­nienne, selon lequel la prin­ci­pale menace pour les inté­rêts stra­té­giques de l’empire n’é­tait plus les sou­lè­ve­ments pay­sans, mais les bidon­villes et les masses appau­vries des villes.

Par consé­quent, si l’on regarde le déploie­ment de la MINUSTAH sur une carte, on constate que l’ob­jec­tif prin­ci­pal était de mettre fin à la résis­tance des bidon­villes urbains. Par exemple, il y a eu une série de mas­sacres et d’at­taques à Cité-Soleil, le plus grand bidon­ville de Port-au-Prince. Il semble qu’il s’a­gisse d’une sorte d’ex­pé­rience visant à créer un double méca­nisme de contrôle et de répres­sion : répres­sion mili­taire contre les bidon­villes et contrôle social par le biais d’or­ga­ni­sa­tions à but non lucra­tif pré­ten­dant œuvrer pour le déve­lop­pe­ment et l’aide humanitaire.

De retour chez eux, de nom­breux mili­taires bré­si­liens ont consi­dé­ré l’ex­pé­rience de la MINUSTAH en Haï­ti comme une for­ma­tion aux méthodes de répres­sion et de contrôle social à appli­quer dans les fave­las de São Pau­lo et de Rio de Janei­ro. Ce n’est pas un hasard si le gou­ver­ne­ment de Jair Bol­so­na­ro a nom­mé d’an­ciens sol­dats ayant par­ti­ci­pé à la MINUSTAH à des postes publics impor­tants, tels que des ministres. Par exemple, Augus­to Hele­no, ancien com­man­dant de la MINUSTAH en 2004 – 2005, est actuel­le­ment le secré­taire ins­ti­tu­tion­nel à la sécu­ri­té et joue un rôle cen­tral dans le gou­ver­ne­ment de Bolsonaro.

Au cours des 13 années d’oc­cu­pa­tion mili­taire, la MINUSTAH a aggra­vé la crise struc­tu­relle de la socié­té haï­tienne tout en com­met­tant de graves crimes contre la popu­la­tion, notam­ment le viol mas­sif de femmes, avec des dizaines de mil­liers de vic­times docu­men­tées (bien que les chiffres réels soient pro­ba­ble­ment encore plus éle­vés) et l’or­phe­li­nat d’un grand nombre d’enfants.

L’un des autres crimes com­mis contre le peuple haï­tien a été l’é­pi­dé­mie de cho­lé­ra en 2010, une mala­die jus­qu’a­lors inexis­tante en Haï­ti, qui a fait au total au moins 10.000 morts et mou­rants. Au moins 800.000 per­sonnes ont contrac­té le cho­lé­ra, qui a éga­le­ment cau­sé de graves dom­mages éco­no­miques au pays.

Il est donc extrê­me­ment impor­tant de com­prendre les fonc­tions et les objec­tifs de la MINUSTAH par rap­port à la crise de la socié­té haï­tienne et qu’elle repré­sente une sorte de pré­cé­dent pou­vant être uti­li­sé dans d’autres crises. Ils pour­raient s’ap­puyer sur son “suc­cès” sup­po­sé, comme l’a décrit l’an­cien secré­taire géné­ral des Nations unies Ban Ki-moon, pour faire face à d’autres crises qui sur­vien­dront dans le cadre des efforts visant à reprendre le contrôle impé­ria­liste des Caraïbes. Par exemple, l’im­pé­ria­lisme amé­ri­cain ren­contre de nom­breuses dif­fi­cul­tés par rap­port à son pro­jet de reco­lo­ni­sa­tion des Caraïbes, notam­ment avec Cuba et le Vene­zue­la, qui l’empêchent d’a­voir un contrôle total de la région.

Politique de droite Haïtienne et Intérêts des entreprises étasuniennes

Haï­ti a vécu un ter­rible trau­ma­tisme avec le trem­ble­ment de terre du 12 jan­vier 2010 qui a fait 300.000 morts et des mil­lions de bles­sés. Les forces d’oc­cu­pa­tion ont pro­fi­té de cette catas­trophe natu­relle pour conce­voir une réponse beau­coup plus radi­cale à la crise avec la créa­tion du Par­ti Haï­tien Tèt Kale (PHTK). Le PHTK est un par­ti qui res­semble beau­coup à la ten­dance crois­sante à la poli­tique conser­va­trice d’ex­trême droite qui émerge en Amé­rique latine dans le cadre de la ten­ta­tive de reprise du contrôle du conti­nent. Des exemples simi­laires sont Jair Bol­so­na­ro au Bré­sil, Lenin More­no en Équa­teur, Mario Abdo Beni­tez au Para­guay, Nayib Bukele au Sal­va­dor, etc. Si nous tra­çons une typo­lo­gie de ces lea­ders poli­tiques, nous ver­rons une simi­li­tude frap­pante entre l’an­cien pré­sident haï­tien Michel Mar­tel­ly (2011 – 2016), Donald Trump et Jair Bol­so­na­ro. Ils ont tous créé une nou­velle for­mule de ges­tion poli­tique de style “gang­ster”, effi­cace pour ini­tier des pro­ces­sus de des­truc­tion des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques popu­laires afin d’ins­tal­ler un règne oli­gar­chique et impé­ria­liste de contrôle absolu.

La mis­sion fon­da­men­tale du PHTK, sous la direc­tion de Michel Mar­tel­ly et Jove­nel Moïse, est pré­ci­sé­ment de mettre fin à l’é­mer­gence des mou­ve­ments popu­laires, d’é­ra­di­quer les ves­tiges démo­cra­tiques ou sociaux obte­nus par le sou­lè­ve­ment de 1986 et les mou­ve­ments popu­laires et de réta­blir un pou­voir autoritaire.

Pour­quoi veulent-ils un pou­voir auto­ri­taire ? Ils en ont besoin pour sou­mettre les mou­ve­ments popu­laires une fois pour toutes et les éli­mi­ner du pro­ces­sus poli­tique. Les États-Unis veulent mener à bien l’en­tre­prise inache­vée de leur occu­pa­tion de 1915 : trans­for­mer com­plè­te­ment l’é­co­no­mie haï­tienne en un appen­dice des inté­rêts des socié­tés mul­ti­na­tio­nales étasuniennes.

À cette fin, ils ont éla­bo­ré un ensemble de stra­té­gies qui défi­nissent quatre domaines de crois­sance pour le pays. Paul Col­lier, un éco­no­miste néo­li­bé­ral bri­tan­nique spé­cia­li­sé dans les pays à faible reve­nu, a été envoyé en Haï­ti par les Nations unies pour éta­blir une nou­velle stra­té­gie économique.

Dans son rap­port de 2009 au Secré­taire géné­ral des Nations unies, M. Col­lier a écrit que le déve­lop­pe­ment d’Haï­ti devrait être basé sur des zones de libre-échange dans quatre domaines :

1. Exter­na­li­sa­tion de la fabri­ca­tion de pro­duits tex­tiles, expor­ta­tion de pro­duits tex­tiles aux États-Unis.

2. Expor­ta­tions agri­coles et agro-industrielles

3. Zones franches minières éta­blies par un pro­ces­sus de spé­cu­la­tion entre­pris dans le nord du pays.

4. Des zones franches pour le tou­risme, comme l’Ile-a-Vache.

Cepen­dant, un obs­tacle consi­dé­rable a empê­ché la mise en œuvre de la stra­té­gie des quatre zones de libre-échange : il y avait encore des terres appar­te­nant à des pay­sans pauvres, qui consti­tuaient la base d’une éco­no­mie fami­liale. Même si de nom­breuses grandes pro­prié­tés sont encore mécon­nus en Haï­ti, il y a encore un grand nombre de pay­sans qui occupent les terres qui seraient néces­saires pour éta­blir des zones de libre-échange. C’est ce qui sous-tend le récent virage poli­tique à droite. Ils ont besoin d’un pou­voir fort pour impo­ser ces pro­jets et pour mater toute résis­tance que la pay­san­ne­rie pour­rait oppo­ser au trans­fert de la pro­prié­té des terres aux multinationales.

Revendications anticonstitutionnelles et revendications du peuple

Un grand nombre de cri­tiques achar­nés ont fait pres­sion pour obte­nir un amen­de­ment à la Consti­tu­tion de 1987 afin de résoudre poli­ti­que­ment la ques­tion de la pro­prié­té fon­cière. Ces cri­tiques affirment que le seul et prin­ci­pal pro­blème du pays est la Consti­tu­tion de 1987. Der­rière ces allé­ga­tions se cache une ten­ta­tive de modi­fier la Consti­tu­tion pour concen­trer et cen­tra­li­ser le pou­voir au sein du Pré­sident de la Répu­blique. Ils veulent réduire le pou­voir et les res­pon­sa­bi­li­tés du Par­le­ment. Ils veulent éli­mi­ner les espaces de par­ti­ci­pa­tion dans les petites com­mu­nau­tés et réduire toute ins­ti­tu­tion régle­men­taire qui repré­sente des contrôles et des cor­rec­tions pour le pou­voir exécutif.

C’est le prin­ci­pal pro­jet depuis l’ar­ri­vée de Jove­nel Moïse à la pré­si­dence en 2017, qui a géné­ré notre situa­tion actuelle. Il est très révé­la­teur qu’au­cun des deux man­dats suc­ces­sifs de Mar­tel­ly et de Moïse n’ait appe­lé à la tenue d’une seule élec­tion dans le pays. Ce n’est pas une simple coïn­ci­dence, mais parce que les élec­tions natio­nales n’ont pas leur place dans leurs plans. Si les élec­tions sont bien l’ex­pres­sion du peuple lui-même, alors pour ces élites, la poli­tique et l’ex­pres­sion du peuple ne vont pas de pair. Ils ont une vision féo­dale du pou­voir. Jove­nel Moïse a ins­tal­lé une dic­ta­ture dans laquelle il est le seul à prendre toutes les décisions.

Depuis jan­vier 2020, ils ont réus­si à éli­mi­ner les pou­voirs du Par­le­ment et, à ce jour, ils ont publié 45 décrets, cha­cun d’entre eux détrui­sant les liber­tés, tous en contra­dic­tion fla­grante avec l’es­prit et la lettre de la Consti­tu­tion de 1987. Ces décrets ont per­mis l’ar­bi­traire de la police et la répres­sion mili­taire, ce qui a entraî­né la cri­mi­na­li­sa­tion de la pro­tes­ta­tion sociale et des mou­ve­ments popu­laires en général.

Telle est la situa­tion actuelle du pays. Main­te­nant, Jove­nel Moïse a créé une équipe de cinq per­sonnes tra­vaillant presque clan­des­ti­ne­ment au Palais natio­nal pour rédi­ger un texte consti­tu­tion­nel sans aucune consul­ta­tion du peuple. Dans des cir­cons­tances nor­males, le réfé­ren­dum aurait eu deux étapes : il y aurait dû y avoir une pre­mière étape pour consul­ter le peuple s’il veut chan­ger la Consti­tu­tion et une deuxième étape pour pro­po­ser une nou­velle Constitution.

Ils n’ont pas pris la peine de res­pec­ter ces dif­fé­rentes étapes. Il existe un nou­veau texte consti­tu­tion­nel qui sera pré­sen­té lors du réfé­ren­dum du 25 avril 2021. À cette fin, ils ont nom­mé un conseil élec­to­ral tota­le­ment illé­gal et anti­cons­ti­tu­tion­nel, reje­té par tous les sec­teurs du pays et sans le moindre degré de légi­ti­mi­té. Dans le même temps, ils ont confié à ce conseil élec­to­ral l’ap­pro­ba­tion d’une nou­velle consti­tu­tion et la tenue d’é­lec­tions légis­la­tives et pré­si­den­tielles à la fin de 2021.

Face à ce pro­jet, nous pou­vons dire que le peuple haï­tien s’est levé avec vigueur et créa­ti­vi­té, avec une grande digni­té depuis plu­sieurs années. Depuis la fameuse mobi­li­sa­tion du 22 jan­vier 2016, lorsque le peuple a refu­sé la tenue de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle avec un seul can­di­dat, un cycle conti­nu de mobi­li­sa­tions a sui­vi. Par exemple, entre 2017 et 2018, il y a eu les fameuses mobi­li­sa­tions contre le bud­get. Le peuple a reje­té une pro­po­si­tion de bud­get qua­li­fiée à juste titre de cri­mi­nelle. L’É­tat haï­tien s’est retrou­vé dans une situa­tion de crise fis­cale et, pour répondre à cette crise, les impôts ont été aug­men­tés de manière signi­fi­ca­tive. Cepen­dant, suite aux ordres de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale d’aug­men­ter les taxes de 54%, le gou­ver­ne­ment haï­tien a été contraint d’aug­men­ter le taux d’imposition.

Cepen­dant, après les direc­tives de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale d’aug­men­ter les prix de détail des pro­duits pétro­liers de 54%, les mobi­li­sa­tions popu­laires ont atteint un nou­veau som­met en juillet 2018. La popu­la­tion s’est enga­gée dans un sou­lè­ve­ment popu­laire qui a para­ly­sé le pays pen­dant près d’une semaine. Par consé­quent, tout au long de 2018 et 2019, il y a eu des mobi­li­sa­tions de masse au cours des­quelles des mil­lions de citoyens haï­tiens sont des­cen­dus dans la rue pour dire ” NON ! ” au retour de la dic­ta­ture, ” NON ! ” à ce régime. Les Haï­tiens veulent s’ap­puyer sur les acquis démo­cra­tiques de 1986.

Nouvelle répression étatique et renaissance de la solidarité internationale

Le régime de Moïse a pro­fi­té de COVID-19 pour reprendre le contrôle de la situa­tion et, pen­dant cette période, a orga­ni­sé de nou­veaux méca­nismes et outils de répres­sion, comme le “G9”. Le G9 est une fédé­ra­tion de gangs ayant pour but de ter­ro­ri­ser la popu­la­tion afin de créer une atmo­sphère de peur. Le G9 a per­pé­tré une dou­zaine de mas­sacres dans des quar­tiers popu­laires entre 2018 et 2020, dont le tris­te­ment célèbre mas­sacre de Cité Soleil en novembre 2018.

Ce régime se montre nos­tal­gique du régime des Duva­lier, cher­chant à réins­tau­rer la dic­ta­ture et le règne de la ter­reur. C’est un régime dans lequel un seul homme peut déci­der de tout. En ce sens, elle a reçu le plein sou­tien de l’ad­mi­nis­tra­tion de Donald Trump et d’autres pays impé­ria­listes (Cana­da et Europe), qui ont fait la sourde oreille aux abus, aux niveaux d’in­dé­cence et d’im­mo­ra­li­té démon­trés par les poli­ti­ciens haï­tiens, aux mas­sacres cri­mi­nels et aux des­truc­tions qu’ils ont causés.

Aujourd’­hui, nous avons des per­sonnes comme l’am­bas­sa­drice des Étas-Unis, Michele J. Sison et le chef du Bureau inté­gré des Nations unies en Haï­ti (BINUH), Helen La Lime. Dans les faits, ce sont des mili­tants du PHTK et ne manquent pas une occa­sion de sou­te­nir Jove­nel Moïse. Ils uti­lisent éga­le­ment Jove­nel Moïse dans la stra­té­gie régio­nale contre le gou­ver­ne­ment boli­va­rien du Vene­zue­la ; au sein de l’Or­ga­ni­sa­tion des États amé­ri­cains, Haï­ti a voté en faveur de l’in­ter­ven­tion mili­taire éta­su­nienne au Vene­zue­la. En outre, Moïse pour­rait faci­le­ment ser­vir de che­val de Troie contre la Com­mu­nau­té des Caraïbes (CARICOM), une orga­ni­sa­tion de quinze États et dépen­dances répar­tis dans toute la région, qui favo­rise l’in­té­gra­tion éco­no­mique et la coopé­ra­tion entre ses membres. L’ob­jec­tif des Etats-Unis, par l’in­ter­mé­diaire de Moïse, est de détruire l’u­ni­té du CARICOM sur un cer­tain nombre de ques­tions extrê­me­ment impor­tantes, notam­ment le choix du direc­teur géné­ral de la Banque inter­amé­ri­caine de développement.

L’im­pé­ria­lisme éta­su­nien entend reprendre le contrôle du conti­nent en défai­sant une fois pour toutes les efforts de Lula da Sil­va et Hugo Chá­vez, qu’il s’a­gisse de l’U­nion des nations sud-amé­ri­caines (UNASUR), de l’Al­liance boli­va­rienne pour les peuples de notre Amé­rique (ALBA) ou de la Com­mu­nau­té des États d’A­mé­rique latine et des Caraïbes (CELAC).

Le 7 février 2021, une nou­velle étape de la crise a com­men­cé, mar­quée par le fait que, selon la Consti­tu­tion, le man­dat de Jove­nel Moïse a pris fin ce jour-là.

C’est un prin­cipe consti­tu­tion­nel qu’il a lui-même mis en œuvre contre le par­le­ment en jan­vier 2020. Notre pré­sident est un usur­pa­teur qui a déci­dé de res­ter au pou­voir jus­qu’au 7 février 2022. Il s’a­git d’une tac­tique visant à réa­li­ser le pro­gramme impé­ria­liste de réforme de la Consti­tu­tion de 1987, à confier le man­dat à une équipe poli­tique entiè­re­ment acquise aux idéaux de l’ex­trême droite et à réta­blir une dic­ta­ture sem­blable à celle qui a été vécue pen­dant 29 ans sous le régime des Duvalier.

Aujourd’­hui, nous tra­ver­sons une situa­tion cri­tique qui met en dan­ger la popu­la­tion d’Haï­ti. La vie de cha­cun est en dan­ger en rai­son d’une répres­sion plus forte et plus intense qui a atteint des niveaux extra­or­di­naires, notam­ment l’ar­res­ta­tion, le pas­sage à tabac et la tor­ture d’un juge de la Cour suprême.

Il est scan­da­leux de voir les arres­ta­tions arbi­traires sys­té­ma­tiques et que la pro­tes­ta­tion a été cri­mi­na­li­sée et répri­mée avec autant de vio­lence que pos­sible. Moïse va de l’a­vant avec son pro­gramme, qui a déjà réta­bli cer­tains élé­ments évi­dents de la dic­ta­ture de Duva­lier. Il a éga­le­ment l’in­ten­tion d’ac­cé­lé­rer le pro­ces­sus de pillage des res­sources d’Haï­ti au pro­fit des entre­prises amé­ri­caines et européennes.

Je vou­drais conclure en disant que, en termes de soli­da­ri­té, nous avons réa­li­sé ces der­nières années un réveil essen­tiel en tant que mou­ve­ments popu­laires en Amé­rique latine. Je pense que de nom­breux mou­ve­ments com­prennent l’en­jeu et l’im­pact de ce qui se passe en Haï­ti, et l’im­por­tance d’être pré­sent avec le peuple haï­tien dans ces batailles ; en par­ti­cu­lier le sou­tien du Mou­ve­ment des tra­vailleurs sans terre (MST) du Bré­sil, qui est très pré­sent par­mi nous et a fon­dé la Bri­gade de soli­da­ri­té Des­sa­lines. Cette Bri­gade tra­vaille en Haï­ti depuis 2009 avec des pay­sans de dif­fé­rentes régions.