Bolivie : Quand la gauche verte fait le jeu des ONG étrangères

Depuis Marx, on sait que, pour survivre, toute société humaine doit nécessairement transformer la nature et que, par conséquent, toutes les sociétés du monde, qu’elles soient pré-capitalistes, capitalistes ou socialistes sont plus ou moins extractivistes.

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Dans tous les pays d’Amérique latine où il y a un gou­ver­ne­ment de la « nou­velle gauche », remarque-t-il, les mou­ve­ments envi­ron­ne­men­taux et indi­gé­nistes pro­voquent de sérieuses pro­tes­ta­tions sociales contre de plus en plus de pro­jets d’extraction de res­sources natu­relles (mine­rais, pétrole, gaz) ou de construc­tion d’infrastructures y don­nant accès.

En Argen­tine, la pré­si­dente Cris­ti­na Fer­nan­dez fait face à des conflits miniers dans au moins douze pro­vinces ; en Équa­teur, après de vio­lents affron­te­ments, une impor­tante sec­tion de la gauche verte a cou­pé les ponts avec le gou­ver­ne­ment Cor­rea ; au Pérou, beau­coup de mili­tants de gauche ont quit­té le cabi­net du pré­sident Ollan­ta Huma­la après la crise pro­vo­quée autour du pro­jet minier de Conga, dans l’État du Cajamarca.

En Uru­guay, le pré­sident José Muji­ca menace de déman­te­ler le minis­tère de l’Environnement qui para­lyse le pro­jet gou­ver­ne­men­tal de chan­ger la struc­ture pro­duc­tive du pays pour y inclure l’exploitation minière.

La gauche envi­ron­ne­men­tale reproche aux gou­ver­ne­ments de gauche leur extrac­ti­visme, c’est-à-dire d’exploiter les res­sources natu­relles au lieu de les pré­ser­ver, main­te­nant les pays qu’ils gou­vernent dans la dépen­dance envers l’exportation des matières premières.

Pour­tant, nous rap­pelle Line­ra, depuis Marx, on sait que, pour sur­vivre, toute socié­té humaine doit néces­sai­re­ment trans­for­mer la nature et que, par consé­quent, toutes les socié­tés du monde, qu’elles soient pré-capi­ta­listes, capi­ta­listes ou socia­listes sont plus ou moins extractivistes.

Dans le sys­tème mon­dial actuel que domine le capi­ta­lisme, cer­tains pays comme les États-Unis et les pays euro­péens, se concentrent sur la pro­duc­tion scien­ti­fique et tech­nique et sur celle des services.

D’autres, comme la Chine, le Bré­sil, le Mexique et les Phi­lip­pines, sont à la fois extrac­ti­vistes et industrialisés.

Quant à la plu­part des pays lati­no-amé­ri­cains et afri­cains, ils res­tent dans le modèle pri­maire-expor­ta­teur de matières premières.

Mais l’extractivisme, l’industrialisation ou les ser­vices ne sont pas des modes de pro­duc­tion, explique Line­ra. Ce sont des sys­tèmes tech­niques de trai­te­ment de la nature par le tra­vail qui existent dans tous les types de sociétés.

La gauche verte confond sys­tèmes tech­niques et modes de pro­duc­tion et, à par­tir de cette confu­sion, asso­cie extrac­ti­visme et capi­ta­lisme. Mais, insiste Line­ra, l’extractivisme ne condamne pas au capi­ta­lisme pas plus que le non extrac­ti­visme ne mène au socia­lisme. Tout dépend du pou­voir poli­tique qui uti­lise ce moyen technique.

En Boli­vie, la gauche envi­ron­ne­men­tale et indi­gé­niste reproche au pré­sident Morales de sou­mettre ses peuples à la divi­sion du tra­vail pla­né­taire qui domine en ce moment.

Cela est absurde, dit Line­ra, car aucune révo­lu­tion contem­po­raine n’a pu rompre avec cette divi­sion, que se soit l’URSS, la Chine de Mao, Cuba ou toute autre révolution.

Et aucune ne pour­ra le faire tant qu’il n’y aura pas une masse sociale poli­ti­que­ment mobi­li­sée qui soit suf­fi­sam­ment éten­due en ter­ri­toires et tech­no­lo­gi­que­ment avan­cée pour modi­fier l’actuel rap­port de forces.

Pour un pays comme la Boli­vie, dans le contexte de ce rap­port de forces, l’extractivisme est même l’unique moyen tech­nique pour arri­ver, un jour, à sor­tir de ce même extractivisme.

La trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire, dit encore Line­ra, ne consiste pas à ces­ser d’être extrac­ti­viste, mais plu­tôt à dépas­ser le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste qu’il soit dans sa ver­sion extrac­ti­viste ou pas.

Ces­ser d’exploiter les mines et d’extraire le pétrole ou le gaz n’aide en rien à com­battre l’injustice, l’exploitation humaine et les inégalités.

Qu’ils en soient conscients ou non, ces cri­tiques de gauche privent les forces et gou­ver­ne­ments révo­lu­tion­naires d’Amérique latine des moyens maté­riels de satis­faire les besoins de la popu­la­tion, de créer de la richesse et de la dis­tri­buer avec justice.

Line­ra se demande que cherche cette gauche. Que l’État boli­vien cesse de pro­duire ? Qu’il enfonce encore davan­tage la popu­la­tion dans la misère pour que, plus tard, la droite revienne au pouvoir ?

Son livre traite abon­dam­ment de l’opposition presque sur­réa­liste à la construc­tion de l’autoroute Vil­la Tuna­ri-San Igna­cio de Moxos qui passe par le parc natio­nal TIPNIS (Ter­ri­toire indi­gène et parc natio­nal Isi­bo­ro-Secure) et doit relier l’altiplano boli­vien à l’Amazonie bolivienne.

Cette route per­met­tra enfin d’unir deux régions du pays sépa­rées depuis des cen­taines d’années, dit Line­ra. Elle est un méca­nisme gou­ver­ne­men­tal légi­time de ter­ri­to­ria­li­sa­tion et d’établissement de la sou­ve­rai­ne­té de l’État.

En Ama­zo­nie boli­vienne, l’isolement et l’absence de l’État ont livré les peuples indi­gènes non seule­ment à la domi­na­tion de pou­voirs fon­ciers locaux des­po­tiques et illé­gaux, mais aus­si à l’influence de pou­voirs étran­gers qui, au nom de la pro­tec­tion de l’Amazonie, du « pou­mon du monde », exercent un contrôle extra­ter­ri­to­rial sur cette région consi­dé­rée comme la plus grande réserve d’eau douce et de bio­di­ver­si­té de la terre.

C’est le cas de toute l’Amazonie, où pul­lulent les entre­prises bio­tech­no­lo­giques, les ins­ti­tuts de recherche uni­ver­si­taires et les ONG finan­cés par les pays indus­tria­li­sés du Nord, tan­dis que les États natio­naux sont qua­si absents.

Pour Line­ra, les ONG sont deve­nues le moyen, pour les pays riches, d’atteindre des ter­ri­toires et des res­sources qui, autre­ment, devraient être négo­ciés voire dis­pu­tés à d’autres pays souverains.

Négo­cier direc­te­ment avec un peuple indi­gène par l’entremise d’une ONG locale finan­cée par un pays étran­ger, est beau­coup plus facile que d’établir un rap­port d’État à État.

Sur­tout, dit-il, quand l’État, comme c’est le cas en Boli­vie, s’oppose à cette appro­pria­tion étran­gère et que, du même coup, on peut ache­ter la loyau­té de peuples indi­gènes iso­lés et les trans­for­mer en enne­mis du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire d’Evo Morales !

Quant à la gauche verte, finan­ciè­re­ment très dépen­dante de cette pré­sence étran­gère, elle en défend farou­che­ment les thèses comme celles de l’extractivisme et de l’appartenance de l’Amazonie à toute l’humanité.

L’ancien ministre des hydro­car­bures du pré­sident Morales, Andres Soliz Rada, croit qu’il est temps que l’État boli­vien se réveille. D’autant plus, dit-il, que l’Assemblée consti­tuante de 2008 a accor­dé une auto­no­mie consti­tu­tion­nelle à 36 nations indi­gènes du pays, qui repré­sentent une incroyable aubaine pour les ONG étrangères.

Il donne l’exemple d’un fond d’investissement de 14,8 mil­lions de dol­lars sous­crit, en mars 2011, par l’Assemblée du peuple Gua­ra­ni d’Itika Gua­zu, auprès des pétro­lières Rep­sol, Bri­tish petro­leum et Pana­me­ri­can Energy.

L’ONG, Niz­kor liée à l’Exxon-Mobil, a ser­vi d’intermédiaire entre les pétro­lières et les Gua­ra­ni sans la moindre consul­ta­tion du gouvernement !

On voit par là, affirme Soliz Rada, que l’approbation, en 2007, par l’ONU, de la Décla­ra­tion des droits des peuples indi­gènes, obéit aux pires inté­rêts des banques, para­dis fis­caux et pétrolières.

André Mal­tais

Source de l’ar­ticle : glo­bal research