Quand la violence fait place à la violence. La Colombie à l’heure de la paix.

Un an. Le premier anniversaire des accords de paix est bien triste. Assassinats, harcèlements et menaces. De quoi peut-on se réjouir, un an après la signature de ce qui devait être des accords historiques pour la Colombie, mettant fin à près de 70 ans de conflit armé ?

Un an. Le pre­mier anni­ver­saire des accords de paix est bien triste. Assas­si­nats, har­cè­le­ments et menaces. De quoi peut-on se réjouir, un an après la signa­ture de ce qui devait être des accords his­to­riques pour la Colom­bie, met­tant fin à près de 70 ans de conflit armé ?

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En tout, 18,3 % des accords auraient été res­pec­tés, sur l’ensemble des 6 points[[Rapport Obser­va­to­rio de Segui­mien­to de Imple­men­ta­cion de los Acuer­dos de Paz (OIAP), 5 jan­vier 2018]]. A y regar­der de plus près, ces 18,3 % se doivent en grande par­tie à la gué­rilla qui a hono­ré les points de l’accord lui cor­res­pon­dant, à savoir se sou­mettre à la jus­tice, rendre ses armes et ses biens, et fon­der un par­ti poli­tique. Pour le reste, la réforme rurale, les vic­times du conflit, la garan­tie de par­ti­ci­pa­tion poli­tique, la garan­tie de non-répé­ti­tion, la sub­sti­tu­tion volon­taire de la Coca, l’amnistie, la jus­tice spé­ciale pour juger les crimes de guerre … rien ou presque n’a été accompli. 

600 ex-membres de la FARC-EP, bien que amnis­tiés, sont tou­jours en pri­son. Dénon­cia­tions après dénon­cia­tions, il est chaque jour plus évident que l’Etat colom­bien ne rem­plit pas ses obli­ga­tions. Ex-gué­rille­ros et lea­ders sociaux sont assas­si­nés et font l’objet de menaces de plus en plus fré­quentes. Selon les don­nées de l’Institut des études pour le déve­lop­pe­ment et la paix (Inde­paz), en 2017, 170 lea­ders sociaux ont été assas­si­nés. Cela repré­sente un assas­si­nat tous les 2,1 jours, soit 45 % de plus qu’en 2016[[Journal El Tiem­po, rubrique Nacion, 7 jan­vier 2018]]. 

D’autre part, selon la direc­tion du par­ti FARC, on compte depuis la signa­ture des accords de paix le 24 novembre 2016, 49 vic­times par­mi les gué­rille­ros démo­bi­li­sés et leur famille[[Revista Sema­na, 23/1/2018]].

Le régime de la ter­reur a repris le pas alors que la gué­rilla a ren­du ses armes. Elle s’est trans­for­mée en un par­ti en toute trans­pa­rence qui contre vents et marées lutte pour son exis­tence poli­tique. En ce début 2018, les atten­tats contre les lea­ders sociaux et anciens com­bat­tants des FARC-EP ont repris de plus belle. Et les menaces de groupes para­mi­li­taires dans dif­fé­rentes régions aug­mentent. Selon la Defen­so­ria del pue­blo, équi­valent au Média­teur de la répu­blique en France ou Média­teur fédé­ral en Bel­gique, entre le 17 et le 20 jan­vier 2018, plus de 1000 per­sonnes ont dû fuir dans dif­fé­rentes régions du pays[[Journal El Espe­ca­ta­dor, 22 jan­vier 2018]]. 

De plus, 10 per­sonnes ont déjà per­du la vie et 14 autres ont été bles­sées dans des mas­sacres, et des ‘fal­sos positivos’[[Le terme ‘fal­sos posi­ti­vos’ se réfère à des per­sonnes vic­times des forces armées, qu’elles font pas­ser pour des membres de la gué­rilla afin de pré­sen­ter des résul­tats posi­tifs de leur actions et ain­si être récom­pen­sée par leur hié­rar­chie. De 2007 à 2009, plus de 4000 cas ont été enre­gis­trés.]] ont à nou­veau été dénon­cés par­mi les com­mu­nau­tés indi­gènes, selon l’ONIC[[Organisation Natio­nal des Indi­gènes de Colom­bie]]. Il y a quelques jours à peine, Ara­ce­ly Cana­ve­ral Velez, retrai­tée du sec­teur de la confec­tion, tou­jours active syn­di­ca­le­ment et membre du nou­veau par­ti issu de la démo­bi­li­sa­tion des FARC-EP, a été mena­cée de mort par le groupe para­mi­li­taire Auto­de­fen­sas Gai­ta­nis­tas de Colom­bia. agc.jpgSur leur pam­phlet, les AGC écrivent : « … décla­rer Ara­ce­ly Cana­ve­ral objec­tif mili­taire à par­tir de ce moment et pour tou­jours (…) tout délin­quant des FARC qui la côtoie ou la contacte sera aus­si exter­mi­né … ». A l’heure où ce papier est écrit, Fares Cara­balí, le frère le maire de Bue­nos Aires, Cau­ca, vient d’être assassiné[[http://www.elpais.com.co/judicial/fue-asesinado-el-hermano-del-alcalde-de-buenos-aires-cauca.html]].

Le 15 sep­tembre 2016, le Pré­sident décla­rait : « Nous, en tant que gou­ver­ne­ment, devons res­pec­ter nos enga­ge­ments et garan­tir la sécu­ri­té phy­sique de toute per­sonne qui par­ti­cipe à la vie poli­tique et plus spé­ci­fi­que­ment des membres tout par­ti poli­tique, y com­pris du nou­veau mou­ve­ment poli­tique issu de la tran­si­tion des FARC-EP à la vie civile ». Quant au mas­sacre com­mis contre le par­ti poli­tique né en 1985 d’une des nom­breuses ten­ta­tives de paix entre le gou­ver­ne­ment et la gué­rilla FARC-EP, l’Union Patrio­tique, le pré­sident San­tos décla­rait ce jour-là : « Je me com­pro­mets solen­nel­le­ment aujourd’hui face à vous, à prendre toutes les mesures pos­sible pour que plus jamais, en Colom­bie, une orga­ni­sa­tion poli­tique ne doive revivre ce qu’a connu l’Union Patrio­tique ».
Alors, Mr. Le Pré­sident ? où en est votre com­pro­mis face à ces assas­si­nats sys­té­ma­tiques des membres et sym­pa­thi­sants du nou­veau par­ti FARC ? Ou alors serait-ce avec notam­ment les pro­jets miniers, comme celui de El Gua­ran­go dans la région La Agua­da où vit Ara­ce­ly, que vous vous êtes com­pro­mis non pas en parole mais en fait… ?

Une autre ques­tion se pose à l’Union Euro­péenne, garante du pro­ces­sus de paix. Ce 25 jan­vier 2018, l’Union Euro­péenne signait un accord avec le Fonds Colom­bia en Paz, pour l’octroi de 12 mil­lions d’euros dans le cadre du post-conflit[[Journal El Espec­ta­dor, 25 jan­vier 2018]]. N’est-on pas en droit de se deman­der si ces aides devaient effec­ti­ve­ment être ver­sée à un gou­ver­ne­ment qui ne res­pectent pas ses enga­ge­ments pour la paix ? 

Le pro­ces­sus de paix était l’occasion de sor­tir du cycle de la vio­lence dans lequel le pays est enfer­mé depuis plus d’un demi-siècle. C’était l’occasion de faire de la poli­tique sans les armes. Mais la recru­des­cence des acti­vi­tés para­mi­li­taires et de la répres­sion exer­cées par les forces armées mettent à mal toute ten­ta­tive de paix. La gué­rilla FARC-EP n’est-elle pas née d’un mou­ve­ment d’auto-défense des pay­sans colom­biens face à la vio­lence estatale ? 

Par Jas­mine Pétry, Arlac

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