Jean Ziegler : « Ne parler que du climat est une hypocrisie totale »

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Jean Zie­gler est vice-pré­sident du Comi­té consul­ta­tif du conseil des droits de l’homme des Nations unies.

Image_4-44.pngpar Cathy Ceïbe et Jean Ziegler

Le 28 juillet 2011, L’Humanité.fr

De 2000 à 2008, Jean Zie­gler a occu­pé la fonc­tion de rap­por­teur spé­cial pour le droit à l’alimentation des popu­la­tions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il est l’auteur de la Haine de l’Occident.

La réunion de la FAO tire la son­nette 
d’alarme sur la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique en rai­son de la séche­resse. 
Le fac­teur cli­ma­tique explique-t-il à lui seul 
la situa­tion catastrophique ?

Jean Zie­gler. Ne par­ler que de cli­mat est une hypo­cri­sie totale qui élude les vraies rai­sons de cette catas­trophe effroyable. C’est le der­nier coup por­té aux 12 mil­lions de per­sonnes mena­cées de famine et aux dizaines de mil­liers de vic­times. La pre­mière rai­son est l’absence de stocks de réserve. Cette séche­resse dure depuis cinq ans. Depuis, les récoltes sont défi­ci­taires. Dans n’importe quel pays, il existe des réserves ali­men­taires. Les États se pré­parent en cas de catas­trophe. En Soma­lie, Éry­thrée, Kenya, Éthio­pie, Dji­bou­ti, les gre­niers sont vides. 
Ils le sont parce que les prix ali­men­taires (ali­ments de base c’est-à-dire riz, maïs, céréales qui couvrent 75 % de la consom­ma­tion mon­diale) ont explo­sé en rai­son de la spé­cu­la­tion des hedge funds et grandes banques. Les spé­cu­la­teurs finan­ciers ont per­du des mil­liers et des mil­liers de mil­liards de dol­lars lors de la crise finan­cière de 2008 et de 2009. Ils ont quit­té les Bourses de papier valeur et ont migré vers les Bourses des matières pre­mières agri­coles. Léga­le­ment, avec les ins­tru­ments spé­cu­la­tifs ordi­naires, ils réa­lisent des pro­fits astro­no­miques sur les ali­ments de base. Actuel­le­ment, la tonne de blé meu­nier est à 270 euros. Il y a an, elle était de moi­tié. La tonne de riz a plus que dou­blé en un an et le maïs a aug­men­té de 63 %. Les pays pauvres ne peuvent donc même plus ache­ter les ali­ments à même de consti­tuer des réserves. Ils sont impuis­sants lorsque la catas­trophe arrive. La deuxième cause pro­fonde est le sur­en­det­te­ment de ces pays. Le ser­vice (inté­rêt et amor­tis­se­ment) de la dette étran­gère est tel­le­ment éle­vé qu’il absorbe pra­ti­que­ment tous les reve­nus des États et les rend inca­pables d’investir dans les infra­struc­tures notam­ment agri­coles. Un exemple : seule­ment 3,8 % des terres arables éthio­piennes sont irri­guées alors qu’en Europe, elles le sont à 60 %. L’Éthiopie n’a pas l’argent néces­saire pour pui­ser l’eau. Aujourd’hui, la nappe phréa­tique se trouve à 60, 70 mètres sous terre en rai­son de la séche­resse et, de ce fait, rend inopé­rantes les méthodes tra­di­tion­nelles pour lever l’eau.

De nom­breuses ONG tirent la son­nette d’alarme quant aux pro­messes non tenues des États en matière d’aide. 
Quelle est votre réaction ?

Jean Zie­gler. Les gens meurent par manque d’argent. Il est extrê­me­ment simple de faire reve­nir à la vie un enfant gra­ve­ment sous-ali­men­té avec de la nour­ri­ture thé­ra­peu­tique intra­vei­neuse. Mais, comme pour les bis­cuits vita­mi­nés, l’argent fait défaut. Un seul chiffre : le Pro­gramme ali­men­taire mon­dial (Pam) avait un bud­get ordi­naire pla­né­taire de 6 mil­liards de dol­lars. Il a été réduit à 2,8 mil­liards, soit plus de la moi­tié parce que les pays riches ne payent plus leurs coti­sa­tions. Regar­dez l’absurdité : jeu­di der­nier, les États euro­péens de l’euro ont mobi­li­sé 162 mil­liards d’euros pour sau­ver les banques déten­trices de la dette grecque. Dans le même temps, à Dadaab, au Kenya, le plus grand camp de réfu­giés ne peut même plus accueillir des per­sonnes au bord de l’effondrement.

Entre­tien réa­li­sé par Cathy Ceïbe