Julian Assange est considéré comme un invité indésirable et un héritage inconfortable du gouvernement précédent.
L’étau s’est resserré sur le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, toujours réfugié à l’Ambassade de l’Équateur à Londres. Les persécutions internationales se multiplient et ses droits sont restreints.
A la mi-novembre, s’est filtré (involontairement) un acte d’accusation sommaire contre Assange aux Etats-Unis, dont la nature n’a pas encore été révélée. Mardi 27 novembre 2018, un juge fédéral étasunien a reporté une décision, demandée par le Comité des journalistes pour la liberté de la presse, d’ordonner la divulgation du contenu de l’acte d’accusation une fois son existence confirmée. Le ministère de la Justice, pour sa part, défend le maintien du secret jusqu’à ce que l’accusé soit arrêté.
Entre-temps, les autorités britanniques maintiennent leur intention d’arrêter Assange s’il quitte l’ambassade, pour avoir violé sa liberté conditionnelle, lorsqu’il est entré à l’ambassade il y a six ans (bien que l’enquête judiciaire suédoise ait maintenant expiré, sans qu’aucune accusation n’ait été portée). Très probablement, si cela se produit, les États-Unis demanderont son extradition. Ces faits renforcent les arguments d’Assange et de son équipe juridique selon lesquels il risque un procès aux États-Unis, qui pourrait entraîner la peine de mort. C’est la principale raison du maintien de l’asile.
Difficile pour les Etats-Unis de poursuivre le journaliste pour la publication de milliers de documents confidentiels, cela constituerait une grave atteinte à la liberté de la presse. D’autant qu’ils devraient aussi accuser les grands médias qui ont répandu l’information. Il convient de rappeler que Wikileaks est un portail internet où sont publiés des documents délivrés par ceux que l’on appelle les “whistleblowers”, c’est-à-dire les lanceurs d’alerte qui révèlent des irrégularités des institutions où ils travaillent, pour des raisons d’intérêt public. Wikileaks vérifie l’origine des documents, et protège l’identité du plaignant. Pour la même raison, Assange n’est pas, comme on l’appelle parfois, un “hacker” (dans le sens d’un pirate qui viole la sécurité des équipements électroniques sans autorisation), mais le chef d’une rédaction.
Pour cette raison, les États-Unis essaient de lier son action à l’espionnage, mais cela signifierait de montrer qu’il fonctionne pour un autre gouvernement. On cherche donc à l’accuser de collusion avec la Russie, dans l’affaire actuellement sous enquête sur l’implication possible des services de renseignements russes dans le vol de courriels du Parti démocratique, qui ont été publiés par Wikileaks pendant la dernière campagne présidentielle, ce qui aurait pu favoriser la candidature de Donald Trump. Wikileaks a nié tout lien avec les Russes dans cette affaire.
Au-delà des détails de l’accusation, il est clair que les gouvernements concernés ne pardonneront jamais à Wikileaks d’avoir divulgué leurs documents confidentiels. Ils veulent encore moins reconnaître que Wikileaks a rendu un grand service à l’humanité en mettant en lumière les questions sur lesquelles les gouvernements devraient être tenus responsables, surtout lorsque l’utilisation des fonds publics est en jeu.
L’Équateur sous pression
Entre-temps, la situation de Julian Assange à l’ambassade de l’Équateur, où il est en isolation complète depuis six mois, est de plus en plus insoutenable ; et c’est ce que visiblement le gouvernement de Lénine Moreno recherche, il est considéré comme un invité indésirable et un héritage inconfortable du gouvernement précédent. En juillet dernier, la Cour inter-américaine a ratifié l’obligation de l’Équateur à non seulement de garantir l’asile, mais aussi d’adopter des mesures positives en faveur du demandeur d’asile, ce qui a sans doute empêché l’expulsion de l’ambassade. Depuis octobre, un sévère protocole de “règles de coexistence” lui a été imposé, violant ses droits fondamentaux et sa liberté d’expression.
Il convient également de noter que le 21 novembre 2018, par décret présidentiel, l’ambassadeur par intérim, Carlos Antonio Abad Ortiz, a été démis de ses fonctions avant l’échéance normale ; d’ailleurs l’ensemble du personnel de l’ambassade a également été substitué. Et à partir de décembre, le demandeur d’asile devra prendre en charge ses propres frais de nourriture et de communication. Tout porte à croire que face à l’impossibilité de l’expulsion, ils veulent lui rendre la vie si difficile dans le but de l’obliger à quitter l’ambassade, soit de son plein gré, soit à cause d’un problème de santé (déjà très fragile en raison de son enfermement et du manque d’accès à des soins médicaux adéquats).
Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement équatorien, qui sur la scène internationale donne la priorité aux relations de coopération et aux accords commerciaux avec les États-Unis et le Royaume-Uni, s’est soumis à de multiples pressions pour annuler la demande d’asile de Julian Assange. Lorsque le vice-président américain Mike Pence s’est rendu à Quito en juin dernier, il en a discuté avec le président Moreno à la demande de plusieurs sénateurs, principalement du Parti démocratique. Moreno nie, la Maison-Blanche le confirme et ajoute rester en étroite coordination pour les prochaines étapes : faut-il comprendre que les pressions actuelles sur Assange s’inscrivent dans ces “étapes” ?
L’Équateur s’est distingué sur la scène internationale pour avoir accordé l’asile à Julian Assange, défiant la pression des puissances mondiales. C’est même le gouvernement actuel qui lui a accordé la citoyenneté il y a un an. Il semble que tout cela est révolu et qu’à ce stade, seule une campagne internationale forte de défense des droits de Julian Assange et de Wikileaks pourrait empêcher une issue fatale.
Sally Burch, journaliste anglo-équatorienne, directrice exécutive de l’Agence latino-américaine d’information (ALAI). Twitter @SallyBurchEc