La chasse aux musulmans est ouverte

Alain Gresh : Si la droite a désormais ouvert la chasse aux musulmans, on ne peut absoudre les médias et la gauche, y compris intellectuelle, pour la manière dont ils ont préparé le terrain depuis de longues années

croisade.jpgjeu­di 26 avril 2012, par Alain Gresh

L’odeur de la défaite flotte sur la Sar­ko­zie. Il fau­drait un miracle pour sau­ver le « pré­sident des riches », celui dont le quin­quen­nat a signi­fié plus de pri­vi­lèges pour les pri­vi­lé­giés, plus de far­deau pour les plus faibles. Et il faut l’incroyable culot du pré­sident sor­tant pour faire écrire sur un tract élec­to­ral inti­tu­lé « Cinq rai­sons de voter pour Nico­las Sar­ko­zy » : « Je ne veux pas d’une socié­té où les élites confisquent le pou­voir. »

Mais le chef de l’Etat s’accroche désor­mais à la seule bouée qui pour­rait, pense-t-il, le sau­ver : la xéno­pho­bie, l’islamophobie, la haine des immi­grés. La plu­part de ses amis lui emboîtent le pas, cer­tains avec un peu de gêne, d’autres — y com­pris des intel­lec­tuels — sans aucun état d’âme, comme Jean-Claude Casa­no­va, direc­teur de la revue Com­men­taire et pré­sident de la Fon­da­tion natio­nale des sciences poli­tiques, qui trouve nor­mal que M. Sar­ko­zy aille « là où sont les réserves de voix » (Libé­ra­tion, 26 avril).

Le pré­sident-can­di­dat était l’invité, le jeu­di 26 avril, de la mati­nale de France Inter. Il s’est dépas­sé, sur­tout dans le men­songe. Men­tez, men­tez, il en res­te­ra tou­jours quelque chose.

Ses attaques ont por­té d’abord contre Tariq Rama­dan, qui aurait appe­lé à voter Fran­çois Hol­lande, puis sur l’appel de sept cents mos­quées à sou­te­nir le can­di­dat socialiste.

A pro­pos de Tariq Rama­dan (après lui avoir repro­ché les posi­tions de son frère ! Un crime de paren­té, sans doute), M. Sar­ko­zy a évo­qué la polé­mique sur la lapi­da­tion et lui a contes­té le qua­li­fi­ca­tif d’intellectuel : « Je gar­de­rai ce terme pour des gens qui défendent d’autres idées. » Un intel­lec­tuel est donc quelqu’un qui défend les idées que Nico­las Sar­ko­zy enté­rine… Notons que le com­men­ta­teur Patrick Cohen lui en a don­né acte : « Je vous l’accorde », on ne peut pas qua­li­fier Rama­dan d’intellectuel. Drôle de posi­tion pour le modé­ra­teur, qui n’oserait jamais s’attaquer au qua­li­fi­ca­tif d’intellectuel affu­blé à Ber­nard-Hen­ri Lévy… Rap­pe­lons à Patrick Cohen que Tariq Rama­dan a été nom­mé à une chaire d’études isla­miques contem­po­raines à l’Oriental Facul­ty de l’université d’Oxford et enseigne éga­le­ment au Saint Antony’s Col­lege de cette même uni­ver­si­té. Il est pro­fes­seur de sciences isla­miques contem­po­raines au dépar­te­ment des sciences isla­miques de la facul­té du Qatar (rat­ta­ché à la Qatar Foun­da­tion) et cher­cheur (Senior Fel­low) à l’université de Doshi­sha (Kyo­to, Japon). Excu­sez du peu.

Selon M. Sar­ko­zy, le 11 mars à Lyon, dans le cadre d’une dyna­mique inti­tu­lée Le prin­temps des quar­tiers, Tariq Rama­dan, Mar­wan Muham­mad, porte-parole du Col­lec­tif contre l’islamophobie en France (CCIF), et Yous­sef Brak­ni, res­pon­sable du Par­ti des indi­gènes de la répu­blique (PIR), auraient « appe­lé publi­que­ment les per­sonnes pré­sentes ain­si que leur entou­rage à voter pour Fran­çois Hol­lande ou pour un par­ti poli­tique qui serve l’islam ».

Inter­ro­gé sur ses sources et sur le fait qu’aucun média n’avait relayé ce soi-disant appel, le pré­sident a répon­du : « Le vote com­mu­nau­taire ne s’étale pas dans les colonnes de la presse mais s’étale dans les réseaux com­mu­nau­taires. » C’est bien connu, ces gens-là agissent dans l’ombre… Cela ne vous rap­pelle rien — le com­plot juif par exemple ?

Il faut le dire : M. Sar­ko­zy ment et il sait qu’il ment.

Nul ne doute que Claude Guéant et ses poli­ciers suivent depuis long­temps les acti­vi­tés de ces groupes dan­ge­reux dont le pré­sident-can­di­dat parle. Ils savent bien que ni Le prin­temps des quar­tiers, ni le CCIF et encore moins le PIR, dont les cri­tiques à l’égard du Par­ti socia­liste mais aus­si de Jean-Luc Mélen­chon ont sou­vent été vives, n’ont aucune chance d’avoir appe­lé à voter Fran­çois Hollande.

Mais écou­tons, au-delà des démen­tis de Tariq Rama­dan lui-même [[Pour s’en convaincre, il suf­fit de se repor­ter à cet extrait vidéo de son inter­ven­tion à Lyon, repris sur le site du Monde.]], ce que disent les deux autres per­sonnes et orga­ni­sa­tions incriminées :

Yous­sef Brak­ni, du PIR : « Cette décla­ra­tion témoigne soit d’une volon­té carac­té­ri­sée de men­tir aux élec­teurs, soit que les ser­vices de ren­sei­gne­ment de Sar­ko­zy ont les oreilles bien sales. En effet, le mee­ting de Lyon n’avait aucu­ne­ment pour objet de don­ner des consignes de vote mais d’imposer une parole des quar­tiers dans un débat poli­tique qui se déroule sans eux. »

Mar­wan Muham­mad, du CCIF, dénonce dans un com­mu­ni­qué « les pro­pos hon­teux et men­son­gers » de M. Sar­ko­zy et affirme que jamais le CCIF, « dans aucune de ses inter­ven­tions, publiques comme pri­vées », n’a appe­lé à sou­te­nir Fran­çois Hol­lande.

Ajout du 27 avril

A la revue de presse de ce matin 27 avril, sur France Inter, le jour­na­liste signait que le site (de droite) Atlan­ti­co publiait une note poli­cière interne qui confir­mait les accu­sa­tions de Sar­ko­zy. Mais l’enregistrement dit le contraire, pour­quoi France Inter ne le dit pas ? « Radio Paris ment, radio paris ment, radio paris est alle­mand » (slo­gan de la résis­tance dans les années 1940)… Pour­quoi ne pas aus­si s’interroger sur le rôle des ser­vices de police dans la lutte contre les musulmans.

Fin de l’ajout

Comme un seul men­songe ne suf­fit pas, Nico­las Sar­ko­zy a relayé l’information de Marianne2.fr affir­mant que 700 imams allaient appe­ler à voter pour M. Hol­lande (« Des rec­teurs de mos­quées vont appe­ler à voter pour Fran­çois Hol­lande, 25 avril »). Le moins qu’on puisse dire est que l’article est mal­adroit (et faux) et les ten­ta­tives de l’hebdomadaire de le jus­ti­fier ne sont guère convain­cantes (« Polé­mique des mos­quées : pour­quoi Sar­ko­zy mani­pule », 26 avril.)

En fait, dès ce matin, Le Figa­ro publiait un article, « Polé­mique sur des appels de mos­quées à voter Hol­lande », chef d’œuvre de dés­in­for­ma­tion et dont l’argumentation est exac­te­ment la même que celle du pré­sident de la Répu­blique : l’information est fausse, mais elle aurait pu être vraie et elle reflète une dérive communautaire.

Quand on fait remar­quer au chef de l’Etat que l’information est erro­née et démen­tie, il déclare alors : « Vous voyez, j’ai bien fait d’en par­ler. » Puis il s’empresse de pas­ser à la bur­qa, aux horaires des pis­cines, etc. Et l’animateur n’insiste pas sur le men­songe fla­grant… Et, dans le feu du débat, Sar­ko­zy a déjà expli­qué que la fille ne res­semble pas au père…

Mais, si la droite a désor­mais ouvert la chasse aux musul­mans, on ne peut absoudre les médias et la gauche, y com­pris intel­lec­tuelle, pour la manière dont ils ont pré­pa­ré le ter­rain depuis de longues années, en rejoi­gnant les thèmes de l’extrême droite, au nom d’un soi-disant com­bat pour la laï­ci­té, cache-sexe d’une xéno­pho­bie qui n’ose dire son nom.

Un flo­ri­lège de quelques incidents :

- En jan­vier 2012, la nou­velle majo­ri­té de gauche au Sénat trouve une pre­mière action d’éclat à faire : inter­dire aux femmes qui portent le fou­lard de gar­der des enfants chez elles (sauf auto­ri­sa­tion expresse des parents !). Qui est encore visé ? les femmes bien évidemment.

- En mars 2011, des lycéennes musul­manes convo­quées par la direc­trice d’un lycée qui trouve leurs jupes… trop longues.

- A l’automne 2010, exclu­sion d’une femme qui tra­vaille dans une crèche parce qu’elle porte le fou­lard. Une grande par­tie de la gauche intel­lec­tuelle se mobi­lise contre… la femme.

- En juin 2010, les auto­ri­tés envi­sa­geaient sérieu­se­ment de déchoir un citoyen musul­man, certes peu recom­man­dable, de sa natio­na­li­té. Ce n’était hélas, pas pos­sible… Retour aux lois de Vichy sur les juifs ?

- En sep­tembre 2009, un livre, Aris­tote au Mont Saint-Michel, pro­mu par le chro­ni­queur du Monde, cherche à démon­trer que l’Europe ne doit rien à l’islam.

- En juin 2009, l’Assemblée natio­nale ne trouve rien de mieux à faire, en pleine crise éco­no­mique, que de créer une com­mis­sion sur la bur­qa.

- En sep­tembre 2008, un « bobard » relayé par tous les médias, dont Libé­ra­tion, explique qu’un tri­bu­nal n’a pas tenu ses­sion pour cause de… ramadan.

- L’Express consacre sa « Une » (12 – 18 juin 2006) à « Islam, les véri­tés qui dérangent », avec trois sous-titres, « Le Coran et la vio­lence », « Le sort des femmes », « La moder­ni­té impossible ? ».

On pour­rait conti­nuer long­temps… « Unes » raco­leuses, inci­dents mineurs mon­tés en épingle, décla­ra­tions indi­gnées, etc., ont ali­men­té l’idée du « on n’est plus chez nous ». La droite comme la gauche ont lar­ge­ment capi­tu­lé devant l’extrême droite. Le pro­blème n’est pas seule­ment le score du Front natio­nal, c’est aus­si que les idées xéno­phobes du FN pol­luent désor­mais le débat politique.

Amnes­ty Inter­na­tio­nal vient de publier un rap­port sur les dis­cri­mi­na­tions reli­gieuses en Europe et en France (Europe : les musul­mans vic­times de dis­cri­mi­na­tion parce qu’ils expriment leur foi). Sou­hai­tons que le futur pré­sident les lise et prenne au sérieux les recom­man­da­tions, plu­tôt que d’écouter les vents mau­vais de la xéno­pho­bie por­tés par le FN.

Source : le blog du diplo