La bagarre sociale, « un acte de délinquance comme un autre… »

EN LIEN :

Xavier Mathieu est poursuivi dans le cadre de la lutte syndicale en France. L’État a oublié d’attaquer les dirigeants de Conti pour avoir saccagé 5 à 6000 vies et ne pas avoir respecté le reclassement.

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Par Hen­ri Lucien, 6/02/2012

Se retrou­ver dans un fichier créé pour les auteurs d’infractions sexuelles ? Non mer­ci, répond Xavier Mathieu, pour­sui­vi dans le cadre de la lutte syn­di­cale. Son ADN, l’ancien porte-parole CGT des « Contis » veut bien le don­ner, mais par amour. Les juges, moins roman­tiques, le condamnent à 1 200 euros d’amende.

C’est grâce à « la soli­da­ri­té ouvrière » que Xavier Mathieu, l’ancien porte-parole CGT des « Contis », pour­ra régler les 1 200 euros d’amende (plus 120 euros de frais) aux­quels l’a condam­né, ven­dre­di, la cour d’appel d’Amiens, pour refus de pré­lè­ve­ment d’ADN. Presque autant que les 1 500 euros deman­dés à l’audience par le par­quet, le repré­sen­tant du minis­tère, début janvier.

En 2002, plus de 2 000 per­sonnes étaient enre­gis­trées au Fnaeg, le Fichier natio­nal auto­ma­ti­sé des empreintes géné­tiques. Dix ans plus tard, elles sont plus d’1,7 mil­lion, dont plus d’un mil­lion de simples sus­pects. Chaque jour se créent mille nou­velles fiches.

Xavier Mathieu ne veut pas de ce pri­vi­lège que lui vaut sa contri­bu­tion à la mise à sac de la sous-pré­fec­ture de Com­piègne, en 2009. Début jan­vier, ce tout frais grand-père a jus­ti­fié ce refus de pré­lè­ve­ment par son « devoir d’être humain : j’ai un patri­moine géné­tique, trans­mis de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Jamais je ne don­ne­rai mon ADN autre­ment que par amour dans cette vie. »

Le juge­ment de ven­dre­di « est une régres­sion par rap­port à d’autres arrêts en la matière, concer­nant des fau­cheurs d’OGM ou de Gala­no, un mili­tant des Auto­routes du sud de la France, condam­né à seule­ment 150 € d’amende avec sur­sis », com­mente Pas­cal Mous­sy, col­la­bo­ra­teur de l’avocate de Xavier Mathieu. En pre­mière ins­tance, le tri­bu­nal avait pour­tant relaxé Xavier Mathieu, esti­mant le pré­lè­ve­ment bio­lo­gique, dans son cas, « inadé­quat, non-per­ti­nent, inutile et exces­sif ».

« Les pre­miers juges avaient fait un effort de com­pré­hen­sion du contexte, Xavier Mathieu étant un mili­tant du com­bat social, pour­suit Pas­cal Mous­sy. Pour la cour d’appel, en revanche, se battre dans le cadre du com­bat social est un acte de délin­quance comme un autre… »

La bar­ba­rie dévalorisée

Quand la défense parle de « contexte », le par­quet invoque le « mobile ». Et pour lui, cela ne rentre pas en ligne de compte. Pas à son niveau en tout cas. « La ques­tion de mettre ou non une action syn­di­cale dans cette loi relève du fait et non du droit », explique le sub­sti­tut du pro­cu­reur général.

Libre aux can­di­dats à la pré­si­den­tielle – par exemple Artaud, Joly, Mélen­chon et Pou­tou, et une envoyée de Hol­lande, venus sou­te­nir Xavier Mathieu début jan­vier – de reti­rer cer­taines infrac­tions du fichage ADN, voire de sup­pri­mer le fichier. Aux poli­tiques de recon­naître qu’une action syn­di­cale et un viol ne sont pas tout à fait la même chose… Pour le moment, avec l’égalité de trai­te­ment devant le pré­lè­ve­ment d’ADN, « il n’y a pas d’échelle des sanc­tions », déplore le mili­tant CGT Charles Hoa­reau, témoin pro-Mathieu. Un acte de bar­ba­rie, par exemple, n’en a plus le même poids…

Lui aus­si, Charles Hoa­reau a été confron­té au fichage de son ADN. Il fut même « l’un des pre­miers ou le pre­mier syn­di­ca­liste en France » convo­qué pour un tel motif. Il fut aus­si l’un des pre­miers à le refu­ser… À quoi bon le ficher ? « Tout le monde savait où j’étais. » Et de glis­ser : « Le pro­cu­reur m’avait dit que je ne serais pas convo­qué. Je ne l’ai pas été. »

Face à une défense qui lui rap­pelle sa marge de manœuvre, le par­quet d’Amiens affirme se plier à une obli­ga­tion : au regard des textes, il ne peut pas faire autre­ment, dans ce cas, que de deman­der le pré­lè­ve­ment d’ADN. Il s’étonne de cette liber­té qu’on lui prête… Et le tri­bu­nal avec lui.
« Pas une cra­pule »

Xavier Mathieu a au moins gagné une chose : il n’est « pas une cra­pule », recon­naît le par­quet, même si si les dégra­da­tions aux­quelles il a par­ti­ci­pé relèvent de la délin­quance. En effet : Xavier Mathieu était sim­ple­ment un tra­vailleur révol­té par la fer­me­ture de son usine. Et à la sous-pré­fec­ture de Com­piègne, le coup de colère des « Contis » n’avait rien d’un « sac­cage », selon l’avocate Marie-Laure Dufresne-Cas­tets. Juste quelques ordi­na­teurs détruits et des papiers qui volent.

« Toutes les plaintes ont été reti­rées sauf celle concer­nant le “sac­cage”, déplore Xavier Mathieu. L’État a oublié d’attaquer les diri­geants de Conti pour avoir sac­ca­gé 5 à 6 000 vies et ne pas avoir res­pec­té le reclas­se­ment. J’aurais aimé voir devant cette cour pas­ser les diri­geants de Conti­nen­tal. » Seuls 212 des 1 120 « Contis » ont retrou­vé un CDI. Il faut aus­si par­ler de l’alcool, des médi­ca­ments, des divorces, d’un suicide…

À l’issue de sa condam­na­tion, l’ex-syndicaliste iro­nise : « Quand je vois aujourd’hui Wau­quiez se gar­ga­ri­ser sur les Leja­by, c’est dom­mage que notre boîte n’ait pas fer­mé au moment de la pré­si­den­tielle… Et si c’est vrai [que l’atelier de lin­ge­rie est repris,] cela montre qu’ils peuvent, quand ils veulent… »

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« Fichier fourre-tout »

À son pro­cès en appel, Xavier Mathieu a quit­té le ter­rain du droit pour « par­ler d’honneur, de digni­té d’homme, de parole don­née, de mémoire ». De la mémoire, Mat­thieu Bon­duelle en a aus­si. Le pré­sident du Syn­di­cat de la magis­tra­ture rap­pelle que l’histoire du fichage ADN est celle « d’un dévoiement ».

Elle débute en 1998, dans le sillage de l’affaire Guy Georges. Au départ, le texte vise les auteurs d’infractions sexuelles, puis il se déve­loppe « dans des pro­por­tions assez pré­oc­cu­pantes », jusqu’à deve­nir « fourre-tout », concer­nant « plus de 130 infrac­tions, à l’exception de la plu­part des infrac­tions éco­no­miques et finan­cières… L’exception s’est bana­li­sée. D’outil d’investigation, d’instrument d’élucidation, le Fnaeg est deve­nu sup­port d’une sanc­tion qui ne dit pas son nom. » Les sus­pects y crou­pissent vingt-cinq ans, les condam­nés qua­rante – une « double peine »…

Ce n’est pas cou­rant pour un magis­trat de témoi­gner à la barre. Mais, s’explique Mat­thieu Bon­duelle, le fichage ADN « ques­tionne les magis­trats que nous sommes et les auto­mates que nous ne sommes pas ». Il le rap­pelle : le pré­texte au fichage de Xavier Mathieu, ce sont des dégra­da­tions de biens – pour les­quelles il a d’ailleurs été condam­né. « Il y a très peu d’expertises ADN pour les dégra­da­tions, note pour­tant le magis­trat. Je ne connais qu’un cas, pour le vol du scoo­ter d’une per­sonne impor­tante... » En l’occurrence un fils de Nico­las Sar­ko­zy, ampu­té de son deux-roues à Neuilly.
Le fameux seg­ment D2S 1338

On lui avait retrou­vé son Piag­gio 50 cm³, d’ailleurs. C’est que le recours à l’ADN est plu­tôt fiable, scien­ti­fi­que­ment. Pour dimi­nuer le risque d’erreurs, l’analyse est même pas­sée de 7 à 16 ou 18 seg­ments d’ADN. « Mais en cher­chant à se pré­mu­nir du risque d’erreur, on a aug­men­té les infor­ma­tions », alerte Cathe­rine Bour­gain, cher­cheuse en géné­tique humaine à l’Inserm. Une récente étude, menée par une Por­tu­gaise, le démontre : à par­tir de mar­queurs pré­le­vés pour le Fnaeg, un logi­ciel peut éta­blir, dans 86 % des cas, si la per­sonne est d’origine eur­asienne, asia­tique ou subsaharienne.

D’après d’autres cher­cheurs, ita­liens ceux-là, l’étude du seg­ment D2S 1338 – inclus dans l’analyse du Fnaeg – peut révé­ler la pré­sence d’un dys­fonc­tion­ne­ment très rare des glo­bules rouges. « “Non-codant” selon les bio­lo­gistes des années 1950, ce seg­ment est deve­nu “codant” » avec les pro­grès de la géné­tique. Résul­tat : « Le ver­rou de sécu­ri­té a sau­té. » Cathe­rine Bour­gain ne s’oppose pas à l’usage de l’ADN, à la com­pa­rai­son ou à l’expertise qu’il per­met­trait ponc­tuel­le­ment ; elle cri­tique le fichage en règle, avec des infor­ma­tions nominatives.

Si on éplu­chait l’ADN du sub­sti­tut, on y décou­vri­rait à coup sûr le gène de l’optimisme. « Le ver­rou juri­dique existe et empêche que les recherches [dont la scien­ti­fique parle] puissent être faites dans le cadre du Fnaeg. » En gros, des tri­pa­trouillages non-régle­men­tés, autres que des com­pa­rai­sons géné­tiques en vue d’une enquête, pour­raient être taxés de mani­pu­la­tion géné­tique non-auto­ri­sée. Sur ce point, les par­ti­sans de Xavier Mathieu semblent avoir plu­tôt le gène de la méfiance…

L’optimisme est aus­si sta­tis­tique. « J’ai des cas en tête où le fichage au Fnaeg d’une per­sonne – qu’on n’aurait pas soup­çon­née par ailleurs – a per­mis d’élucider une affaire. Et un autre cas où une per­sonne a été inno­cen­tée… » « Un cas, » comp­ta­bi­lise un peu plus tard, avec iro­nie, l’avocate de Xavier Mathieu.

L’ADN moins fort que TF1

« Faut-il ficher toute la popu­la­tion dès la nais­sance ? » En fili­grane, c’est fina­le­ment la ques­tion qui se pose, selon Mat­thieu Bon­duelle. Pas plus tard que la veille du déli­bé­ré, un cour­rier de lec­teurs du Cour­rier picard va dans ce sens. Après tout, on est déjà fichés « par notre carte vitale, l’immatriculation de notre véhi­cule etc. » Ben oui, et à la can­tine aussi…

Xavier Mathieu se fait his­to­rien : « On est en droit de se poser la ques­tion de ce genre de fichiers, qui exis­tait entre 1940 et 1945, pour les Juifs, les homo­sexuels, les Tzi­ganes. » Si on fiche les nou­veaux-nés, « le taux d’élucidation grim­pe­ra un peu mais on ne sera plus en démo­cra­tie », ima­gine Mathieu Bon­duelle. Alors que le droit ne manque déjà pas de res­sources pour atteindre l’équilibre entre la recherche du cou­pable et le res­pect de la liberté.

Et aus­si le res­pect de l’homme, sans doute. C’est de la phi­lo­so­phie, presque, une concep­tion de la socié­té et de l’humain qui est en jeu : ficher à tour de bras, c’est croire que le pécheur péche­ra à nou­veau. Que nul n’est per­fec­tible. Que le fau­teur d’un jour l’est à vie. Qui a bu boi­ra… « J’ai peut-être bu, je ne reboi­rai pas, rétorque Xavier Mathieu, au casier judi­ciaire vierge pen­dant qua­rante-six ans. Et je vou­drais que quelqu’un puisse m’expliquer en quoi être fiché va ser­vir à la jus­tice. »

« Rien ne pré­dis­pose Xavier Mathieu à réci­di­ver plus que d’autres dans cette salle », plaide Mat­thieu Bon­duelle. Le risque de réci­dive ? Très faible, confirme Marie-Laure Dufresne-Cas­tets. D’autant que son client a agi devant les camé­ras de télé : pas besoin d’ADN pour prou­ver sa par­ti­ci­pa­tion aux dégra­da­tions de la sous-pref. Les images non-flou­tées de TF1 ont suf­fi… Son propre aveu aus­si. Il s’interroge : si on avait retrou­vé un de ses mégots ou un de ses che­veux sur place, cela aurait prou­vé sa pré­sence, pas sa participation…

« Ce n’est pas l’amende le pire, a conclu Xavier Mathieu, ven­dre­di, mais d’être condam­né à nou­veau, d’être traî­né comme un délin­quant. » Il n’exclut pas un pour­voi en cas­sa­tion voire un pas­sage devant la Cour euro­péenne des droits de l’homme. « Ces gens-là sont des vau­tours. Mais un vau­tour ne bouffe ses proies que quand elles sont mortes, et je ne suis pas encore mort. »

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Source de l’ar­ticle : revue Fakir

Compte ren­du du pro­cès de Xavier Mathieu — Refus de pré­lè­ve­ment ADN (4 jan­vier 2012)