La dette de l’État belge ne cesse d’augmenter. Elle atteindra cette année 98,9% de son Produit Intérieur Brut (PIB) et avoisinera les 100% en 2013. Pour Luc Coene, gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), cette augmentation est due au « sauvetage » de la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne [[Le Soir, 12 juin 2012 page 21 « La Belgique évitera la stagnation »]]. Son impact sur la dette publique belge s’élève à 11,6 milliards d’euros. Pour le gouverneur de la BNB, cette augmentation serait donc imputable à ces États indisciplinés qui ne savent pas gérer leur économie et que la Belgique et ses partenaires européens doivent aujourd’hui sauver. Or, les faits disent tout à fait autre chose.
Rappelons, tout d’abord, que la crise des dettes publiques en Europe est largement d’origine privée. Une partie importante de l’augmentation des dettes souveraines est la conséquence du sauvetage des banques. A titre d’exemple, la dette publique de l’Irlande est passée de 25% de son PIB en 2007 à 96% en 2010. L’Espagne figurait aussi parmi les meilleurs élèves de la zone euro en 2007 avec une dette publique qui ne représentait que 36% de son PIB. Ce qui était largement inférieur à la limite des 60% du PIB fixée par les critères de Maastricht.
Soulignons ensuite que les plans de « sauvetage » coordonnées par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds Monétaire International) auquel participe la Belgique ne bénéficient pas aux États mais aux banques. Ces « aides » sont en réalité des prêts empoisonnés assortis de mesures d’austérité anti-sociales qui servent principalement à renflouer les banques privées alors que ces dernières sont largement responsables de la crise. Bien loin d’être solidaire, la Belgique participe donc à des prêts illégitimes qui profitent encore aux banques, violent les droits des peuples et la souveraineté des États.
Bien que les dirigeants européens nous martèlent qu’aucune réforme structurelle n’a été imposée en échange du prêt destiné à sauver Bankia et recapitaliser les autres banques, l’Espagne est dans le viseur de la Troïka. En effet, ce prêt européen alourdit automatiquement la dette publique espagnole et augmente la probabilité que le pays passe dans les prochaines semaines sous la tutelle de la Troïka lorsque que le pays ne pourra plus emprunter sur les marchés financiers. Actuellement, ce taux avoisine les 7% ; ce qui rend déjà la situation insoutenable. Le risque est donc élevé que l’Espagne soit rapidement contrainte de faire appel à la Troïka qui, certes, lui prêtera à un taux d’intérêt moins élevé que les banquiers privés mais en profitera pour imposer à la population des politiques d’austérité brutales à l’instar de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal.
Si l’État belge voulait réellement faire preuve de solidarité avec ces pays comme il le prétend, il devrait annuler ses créances sur la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Espagne car ici et ailleurs ce n’est pas aux populations de payer la facture laissée par le secteur bancaire.
Une telle mesure d’annulation en plus d’être juste est parfaitement réaliste. La Belgique pourrait largement compenser le coût de cette annulation en refusant elle même de payer sa dette illégitime envers les institutions financières tout en garantissant l’épargne des citoyens. Rappelons que les sauvetages de Fortis, KBC, Ethias et Dexia (à deux reprises) ont lourdement aggravé le poids de la dette publique, l’augmentant de 26 milliards d’euros, soit davantage que l’ensemble des prêts accordés par la Belgique dans le cadre des plans d’ « aide » européens.
Le fait que ces banques remboursent (progressivement et quand elles le veulent contrairement aux États qui sont tenus par un échéancier !) les prêts qui leur ont été accordés par l’Etat pour les sauver n’est pas suffisant. Leur dette envers la population est bien plus importante car elles portent une lourde responsabilité dans la crise socio-économique en Belgique. Primo, elles sont à l’origine de la crise financière qui s’est répercutée dans l’économie réelle entraînant la fermeture d’entreprises, la destruction d’emplois, etc. Secundo, le sauvetage par les pouvoirs publics a eu pour conséquence de plomber les finances publiques, d’augmenter la dette et ainsi d’accroître les pressions de la Commission européenne pour renforcer l’austérité qui frappe principalement les classes populaires.
Aujourd’hui, cette politique austérité anti-sociale appliquée par le gouvernement belge se traduit notamment par la réforme des allocation de chômage qui va exclure 27 000 personnes à partir du 1er janvier 2015 pour une économie budgétaire de seulement 51 millions d’euros… Une somme ridiculement faible comparée aux pertes fiscales enregistrées annuellement par l’État à cause des cadeaux fiscaux octroyés aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises comme Arcelor-Mittal, Elecrabel, Delhaize, etc. Entre 2001 et 2009, le taux effectif moyen d’imposition des sociétés a diminué de moitié en raison d’une série de mécanismes de déductions fiscales (notamment les fameux intérêts notionnels) mis en place par l’ancien Ministre des finances Didier Reynders. Conséquence logique : l’État enregistre chaque année des pertes colossales qu’il compense en s’endettant auprès des marchés financiers. Pour la seule année 2010, le manque à gagner pour l’État était de 19,5 milliards euros. Le gouverneur de la BNB serait bien avisé de souligner l’impact de ces cadeaux fiscaux sur l’augmentation de la dette publique belge…
Pour le CADTM, les dettes publiques issues des sauvetages bancaires et des cadeaux fiscaux sont illégitimes car elles ne servent pas l’intérêt général. Leur remboursement doit donc être rapidement remis en cause vu les montants importants que l’État consacre au remboursement des seuls intérêts sur la dette. En 2012, ce montant s’élève à 13,3 milliards d’euros et devrait passer à 15,4 milliards en 2017, mettant ainsi en péril les missions de service public de l’État. Pour mettre la pression sur le gouvernement, démarrons le plus vite possible l’audit citoyen de la dette mais aussi des créances de la Belgique (envers les pays européens et des pays du Sud) afin d’identifier la part illégitime qui doit être annulée sans condition.
Tribune publiée sur le site de de la RTBF le 25 juin 2012
Source : http://www.cadtm.org/La-Belgique-creanciere-illegitime