Le renchérissement consécutif du coût de l’argent constituera un obstacle supplémentaire à ce qu’une des trois principales régions économiques du monde recouvre sa stabilité et entraînera de plus grandes souffrances sociales pour les populations concernées.
15 janvier 2012, éditorial de La Jornada, Méxique.
Vendredi dernier, l’agence Standard & Poor’s (S&P) a baissé la note de neuf pays de l’Union Européenne (UE), pour certains à des niveaux pouvant être considérés comme humiliants, notamment celle du Portugal dont les bons du Trésor ont été situés au niveau “poubelle”. Cette officine financière a ainsi mis à exécution sa menace, brandie le 5 décembre dernier, de dégrader les notes des principales économies européennes pour les situer dans une perspective négative.
Diverses autorités de la zone Euro, notamment françaises, ont cherché à minimiser ce fait : le Premier-Ministre, François Fillon, a déclaré que cette baisse était une mesure annoncée, “qu’il existe 21 niveaux de notation, et que la France –qui a vu sa note chez S&P passer du très exclusif triple A à AA+ – se situait au vingtième niveau sur 21 ; qu’elle se trouvait donc encore parmi les meilleurs économies du monde, avec les États-Unis”. En Allemagne – le seul pays de la zone Euro dont la note n’a pas été abaissée –, la chancelière Angela Merkel s’est abstenue de critiquer la décision de S&P, profitant même de l’occasion pour demander la promulgation de nouveaux dispositifs économiques de choc et de discipline fiscale dans l’Union Européenne.
Si dans un premier temps, les marchés n’ont en effet pas trop réagi, comme l’avait déclaré Fillon, la baisse de ces notes ne manquera pas d’avoir des effets dévastateurs pour l’UE et, en particulier, pour les pays de la zone Euro, car les gouvernements devront payer des taux d’intérêts plus élevés pour les crédits qu’ils voudront contracter et pour les nouvelles émissions de dette souveraine, ce qui entraînera une augmentation généralisée des taux d’intérêt. Le renchérissement consécutif du coût de l’argent constituera, du coup, un obstacle supplémentaire à ce qu’une des trois principales régions économiques du monde recouvre sa stabilité et entraînera de plus grandes souffrances sociales pour les populations concernées, déjà affectées par des restrictions budgétaires généralisées et des politiques d’austérité qui frappent d’abord les couches les plus vulnérables et un chômage qui ne cesse de croître.
Il est révélateur que, tant les agences de notation –S&P, Moody’s, Fitch et consorts– que les banques d’investissement –UBS, Deutsche Bank, Crédit Suisse, Nomura, Goldman Sachs, Merryl Linch, etc.– n’aient cessé de faire pression sur les autorités économiques européennes afin qu’elles approfondissent et élargissent les politiques d’austérité, réduisent les budgets sociaux et vouent aux oubliettes toute idée d’État-providence, si ce n’est en faveur des intérêts de petites élites financières et commerciales et des grandes multinationales.
Ces faits ne font que souligner, encore une fois, le pouvoir considérable qu’ont acquis ces organismes privés dans la définition des politiques économiques et sociales afin de garantir la soumission de tout gouvernement national aux diktats des organismes financiers internationaux, qui conditionnent tout programme d’aide financière au sacrifice par leurs propres gouvernements des sociétés concernées.
Ces faits ne font ni plus ni moins que mettre entre guillemets les principes fondamentaux de la représentation politique et de la souveraineté nationale, dès lors que la détermination des choix macroéconomiques d’un pays dépendent, in fine, d’une poignée de technocrates au service d’intérêts particuliers qui émettent des diktats basés sur la captation tout à fait abusive d’un pouvoir exorbitant.
Le comble étant que ces officines partagent pleinement la responsabilité de la crise actuelle qui sévit sur le vieux continent, puisqu’elles ont approuvé, en leur temps, les taux d’endettement irrationnels du gouvernement grec et ont laissé se développer des dérèglements fiscaux comme ceux qui ont fini par exploser en Europe. Il n’est pas inutile de rappeler, pour souligner leur rôle, que ces mêmes organismes, dans les mois précédant le début de la crise en 2008, avaient accordé les notes les plus élevées aux junk bonds et autres subprimes US qui ont contaminé les marchés financiers mondiaux, et qu’ils avaient procédé de même avec la banque Lehman Brothers, déclarée depuis en faillite.
L’autre critique qu’il convient d’adresser à ces agences de notation est leur échelle à géométrie variable pour l’évaluation des économies : bien que l’instabilité et les déséquilibres de l’économie des USA aient contaminé le reste du monde en 2008, et malgré le déficit abyssal de la balance des paiements de la superpuissance, S&P et ses analystes n’ont jamais osé dégrader la note de Washington ; dans le cas de l’Union Européenne, ils le font à contretemps, quand cette décision non seulement n’a plus aucune vertu préventive, mais risque qui plus est de contribuer à l’aggravation de la crise ; pour ce qui concerne les pays d’Amérique Latine, les agences de notation ont pour habitude de récompenser ceux qui se sont docilement pliés au Consensus de Washington [train de mesures d’austérité et de dérégulation imposés, avec l’aval de Washington, par les organismes financiers internationaux à partir du début des années 90, NdT] et de sanctionner tous les projets économiques visant à renforcer la souveraineté nationale, le marché intérieur et l’intégration régionale.
Source : La Jornada (Mexique)
Traduit par Pedro da Nóbrega pour TLAXCALA