Le vagin géant du Brésil

Kul­tur­kampf au Bré­sil et autres guerres des bolsonaristes.

Ola­vo de Car­val­ho, le gou­rou ultra­con­ser­va­teur du pré­sident bré­si­lien Jair Bol­so­na­ro, ne manque jamais une occa­sion de décla­rer la guerre cultu­relle contre les défenseur·es de l’en­vi­ron­ne­ment ou du fémi­nisme. C’est pour­quoi, lorsque les médias ont com­men­cé à par­ler de l’œuvre de land art de la sculp­trice Julia­na Nota­ri repré­sen­tant une énorme vulve creu­sée dans la terre d’une ancienne plan­ta­tion de sucre dans l’É­tat de Per­nam­bu­co, de Car­val­ho s’est adres­sée à ses 500.000 fol­lo­wers sur Twit­ter : « Pour­quoi dire du mal d’un con de 33 mètres au lieu de l’af­fron­ter avec une grosse bite ? »

Capable de tout embras­ser, du machisme le plus gros­sier au néo-pen­te­cô­tisme le plus pudi­bond, la droite bré­si­lienne se frotte les mains face à des œuvres comme celle de Nota­ri. Les réseaux sociaux ultra-conser­va­teurs au Bré­sil ont été enflam­més cette semaine par des dizaines de mil­liers de mes­sages scan­da­li­sés par la sculp­ture de l’ar­tiste de Recife, un impor­tant centre d’arts plas­tiques et de pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique dans le nord-est du Brésil.

« Plus ils pré­tendent cen­su­rer, plus ils font de la publi­ci­té à l’œuvre ; c’est ce qui se passe avec la sculp­ture du vagin. »

Nota­ri avait déjà anti­ci­pé des réac­tions comme celle de Car­val­ho. Elle a expli­qué, lors de la pré­sen­ta­tion de l’œuvre le mois der­nier, qu’elle repré­sente non seule­ment un vagin mais une bles­sure dans la terre et qu’elle ana­lyse « la rela­tion entre la nature et la culture dans une socié­té phal­lo­cen­trique et anthropocentrique ».

La contro­verse com­mence à rap­pe­ler celle qui avait entou­ré l’ex­po­si­tion d’art LGBT Queer­mu­seu à Por­to Alegre en sep­tembre 2017. Elle avait déclen­ché une cam­pagne de colère du Mou­ve­ment Bré­sil libre, qui s’ins­crit dans une vague ultra-conser­va­trice sur laquelle Bol­so­na­ro a sur­fé lors de sa cam­pagne élec­to­rale l’an­née suivante.

Après avoir accu­sé Queer­mu­seu de pro­mou­voir le blas­phème, la pédo­phi­lie et la zoo­phi­lie, les par­ti­sans de Car­val­ho ont décla­ré vic­toire lorsque le spon­sor San­tan­der Cultu­ral — une filiale de la méga-banque espa­gnole — a fer­mé l’ex­po­si­tion 24 jours plus tôt que pré­vu après s’être excu­sé pour son conte­nu. Gau­den­cio Fide­lis, le conser­va­teur, a reçu tel­le­ment de menaces de mort qu’il a déci­dé de s’exi­ler à New York.

Une fois abat­tu Queer­mu­seu , qui com­pre­nait des œuvres d’ar­tistes éta­blis comme Adria­na Vare­jao et même Can­di­do Por­ti­na­ri, les bol­so­na­ristes s’en sont pris à deux expo­si­tions à l’im­por­tant Museu de Arte de São Pau­lo (MASP) : une per­for­mance d’un homme nu a été atta­quée, ain­si qu’ une expo­si­tion d’art éro­tique, qui com­pre­nait des œuvres de la Renaissance.

Lorsque Bol­so­na­ro a pris ses fonc­tions en jan­vier 2019, il a nom­mé un ministre de la culture qui s’est pré­sen­té à la nation dans un dis­cours vidéo pla­gié de Goeb­bels avec une musique de Wag­ner. Le gou­ver­ne­ment a réduit le finan­ce­ment de la culture et a pla­cé d’autres ultra-conser­va­teurs à la tête d’im­por­tantes ins­ti­tu­tions cultu­relles. Un pro­jet de loi a même été pré­sen­té en sep­tembre qui res­trein­drait l’in­clu­sion de nus et de sym­boles reli­gieux dans les expo­si­tions d’art.

Le tra­vail de Nota­ri — avec son mes­sage fémi­niste et éco­lo­giste — a été consi­dé­ré comme une autre cible. « L’ex­trême droite a besoin de ces causes pour main­te­nir son noyau, ces 25% de la popu­la­tion ; c’est une revanche contre l’art », a décla­ré dans une inter­view Mane­co Mül­ler, pro­prié­taire de la gale­rie Mul.ti.plo Espa­ço Arte à Rio de Janei­ro qui a orga­ni­sé une expo­si­tion d’art de rue en novembre pour défendre la culture.

Il y a un pro­blème pour les guer­riers cultu­rels comme de Car­val­ho. « Plus ils essaient de cen­su­rer, plus ils donnent de la publi­ci­té à l’œuvre ; c’est déjà le cas pour la sculp­ture du vagin », a décla­ré Fabio Szwarc­wald, direc­teur exé­cu­tif du Musée d’art moderne de Rio de Janei­ro, dans un autre entre­tien téléphonique.

Scène d’intérieur II (1994) / Adria­na Varejão