Les défis de la démocratie participative

Dans les villes africaines, en cours de paupérisation, de nouvelles pratiques sociales bousculent les rapports de pouvoir. 


Devant la rup­ture de la cohé­sion sociale, note Mama­dou Bachir Kanou­té, « l’approche du bud­get par­ti­ci­pa­tif favo­rise l’équilibre entre les quar­tiers cen­traux et les quar­tiers péri­phé­riques sur­peu­plés ». Elle amène aus­si les muni­ci­pa­li­tés à se plier au prin­cipe de « rede­va­bi­li­té » qui oblige les élus à rendre des comptes aux électeurs

par Mama­dou Bachir Kanou­té (13 octobre 2011)

C’est en Afrique que la mise en com­mun des res­sources en vue de l’action publique est la plus faible. Nulle part les pré­lè­ve­ments fis­caux et para­fis­caux n’y excèdent les 17 % du pro­duit inté­rieur brut (10 % en géné­ral), alors qu’ils se situent par exemple aux envi­rons de 20 à 25 % en Amé­rique latine, et de 40 à 50 % dans les pays occidentaux.

Les dépenses des col­lec­ti­vi­tés locales afri­caines ne repré­sentent pas plus de 3,5 %des bud­gets publics. En outre, elles sont consa­crées à 80 voire 85 % aux frais de fonc­tion­ne­ment (salaires des agents muni­ci­paux, car­bu­rant, etc.), ne lais­sant qu’une très faible por­tion à l’investissement de base (édu­ca­tion, san­té, eau, assai­nis­se­ment, etc.) et à la satis­fac­tion de la demande sociale (sécu­ri­té, inser­tion socio-éco­no­mique, entre autres).

Cepen­dant, depuis la démo­cra­ti­sa­tion du conti­nent dans les années 1990, les popu­la­tions s’impliquent de plus en plus dans la ges­tion de leurs cités. C’est ain­si que le bud­get par­ti­ci­pa­tif est appa­ru en Afrique au début des années 2000. En 2010, lors du som­met des villes d’Afrique (Afri­ci­tés 5), à Mar­ra­kech, on dénom­brait cin­quante-trois col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales ayant adop­té cette approche. En février 2011, le Forum social mon­dial de Dakar en recen­sait cent cin­quante-trois, soit une cen­taine de nou­velles adhé­sions. Le Séné­gal, le Came­roun et Mada­gas­car sont à la pointe de cette évo­lu­tion. Anta­na­na­ri­vo a res­pon­sa­bi­li­sé le fonds de déve­lop­pe­ment local (FDL) pour encou­ra­ger un mou­ve­ment qui concerne cin­quante-neuf com­munes en 2011 et trois cents en pers­pec­tive pour 2012.

Mais le mou­ve­ment s’étend pro­gres­si­ve­ment à tout le conti­nent. Au Came­roun, une cin­quan­taine de villes sont impli­quées. En Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC), six muni­ci­pa­li­tés dont les bourg­mestres sont pour­tant nom­més par l’Etat cen­tral sont en train d’expérimenter le bud­get par­ti­ci­pa­tif déjà effec­tif dans la capi­tale Kin­sha­sa et dans le Sud-Kivu. En Afrique anglo­phone, c’est l’Afrique du Sud et le Kenya qui font figure de moteurs. Le Mozam­bique et le Cap-Vert, avec six villes, rejoignent le mou­ve­ment en Afrique lusophone.

L’approche du bud­get par­ti­ci­pa­tif per­met une meilleure allo­ca­tion des res­sources com­mu­nales aux besoins essen­tiels des popu­la­tions, sur­tout les plus défa­vo­ri­sées. C’est ain­si qu’à Mada­gas­car les entre­prises d’extraction minière ont été contraintes de rendre publiques les rede­vances qu’elles versent à l’Etat. Les res­sources finan­cières ain­si récu­pé­rées ont été consa­crées aux besoins en salles de classe, en postes de san­té et, d’une manière géné­rale, à une meilleure prise en charge des Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développement.

Dans les villes afri­caines, sou­vent mar­quées par une rup­ture de la cohé­sion sociale, l’approche du bud­get par­ti­ci­pa­tif favo­rise l’équilibre entre les quar­tiers cen­traux, qui sont consi­dé­rés comme une vitrine et qui font l’objet de toutes les atten­tions des auto­ri­tés, et les quar­tiers péri­phé­riques sur­peu­plés. Consti­tués de tau­dis sous-équi­pés, ces der­niers ne béné­fi­cient pas des ser­vices sociaux de base adé­quats. La ville de Dakar a ain­si ins­tau­ré un Fonds de déve­lop­pe­ment et de soli­da­ri­té muni­ci­pal (Fodem) des­ti­né à rele­ver les défis urbains tels que l’emploi des jeunes, la pro­mis­cui­té, l’insécurité, la dégra­da­tion du cadre de vie, l’aggravation de la vul­né­ra­bi­li­té des ménages. On note éga­le­ment une meilleure inclu­sion sociale des groupes vul­né­rables et/ou mar­gi­na­li­sés que sont les jeunes et les femmes, dans la for­mu­la­tion et la prise en charge des besoins.

Au plan poli­tique, le bud­get par­ti­ci­pa­tif accroît la trans­pa­rence de la ges­tion muni­ci­pale. Celle-ci acquiert par ce biais une plus grande cré­di­bi­li­té aux yeux des popu­la­tions. Ain­si plu­sieurs com­munes afri­caines ont-elles adop­té le prin­cipe de « rede­va­bi­li­té », qui oblige les élus à rendre des comptes aux élec­teurs. Au Mali et au Séné­gal, il existe notam­ment des « jour­nées de dia­logue » au cours des­quelles le maire ins­talle son bureau dans la cour et consacre la jour­née à dis­cu­ter avec les citoyens. A Dakar, le maire se sou­met aux inter­ro­ga­tions de la popu­la­tion à tra­vers la radio com­mu­nau­taire. Via Inter­net, il main­tient éga­le­ment le dia­logue avec la dia­spo­ra. C’est un enjeu impor­tant en Afrique, où les émi­grés contri­buent par­fois d’avantage que l’aide publique à l’essor de leur com­mune d’origine.

Pour autant, l’institutionnalisation des pro­ces­sus de bud­gé­ti­sa­tion par­ti­ci­pa­tive reste un défi. A Mada­gas­car, après une expé­ri­men­ta­tion dans neuf com­munes pilotes, le gou­ver­ne­ment encou­rage l’extension du pro­ces­sus à cin­quante com­munes pour l’exercice 2011 et pré­voit de le géné­ra­li­ser dans trois cents com­munes en 2012. Au Séné­gal, le ministre de la décen­tra­li­sa­tion et des col­lec­ti­vi­tés locales s’est pro­non­cé en faveur du vote d’une loi ; au Mozam­bique, des lignes direc­trices sont éla­bo­rées par le gou­ver­ne­ment pour la modé­li­sa­tion de la bud­gé­ti­sa­tion participative.

En effet, dans la majo­ri­té des pays, la légis­la­tion est en retard sur les pra­tiques. L’exemple le plus mani­feste est celui de la RD Congo, où les auto­ri­tés locales sont encore nom­mées, et non élues. Elles n’ont à rendre compte qu’à l’administration cen­trale qui les a ins­tal­lées. Dans les pays d’Afrique fran­co­phone dont les textes sont ins­pi­rés de la France, on note un fos­sé entre ceux qui datent, pour la plu­part, des années 1960, période de leur indé­pen­dance, et les aspi­ra­tions actuelles des citoyens qui réclament l’approfondissement de la démo­cra­tie. Un toi­let­tage est donc nécessaire.

Les pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tifs se révèlent très vola­tils : beau­coup se perdent à la suite des alter­nances locales, d’autres ne résistent pas aux pre­mières dif­fi­cul­tés ren­con­trées sur le ter­rain. En effet, il s’agit in fine d’un par­tage de pou­voir entre des auto­ri­tés dotées de la légi­ti­mi­té que confèrent les urnes et d’autres types de forces qui se sont impo­sées sur le ter­rain social, com­mu­nau­taire, etc. Les pro­ces­sus sont donc très mou­vants. En outre, il existe une contra­dic­tion mani­feste entre la volon­té de décen­tra­li­sa­tion affir­mée par les gou­ver­nants et la fai­blesse, voire l’absence, de trans­fert des res­sources concomitantes.

Enfin, l’un des défis majeurs reste le sui­vi et l’évaluation des expé­riences enga­gées. Le cloi­son­ne­ment des ini­tia­tives, sou­vent liées à des micro­pro­jets ad hoc non coor­don­nés, ne faci­lite pas ce pro­ces­sus. Il appa­raît néces­saire de ren­for­cer les échanges entre pays afri­cains et entre l’Afrique et le reste du monde.

Source de l’ar­ticle : CETRI