Cela va faire trois ans qu’Howard Zinn nous a quitté et mes oreilles résonnent toujours plus fort de sa voix. Je m’attends à ce que cet effet continue pour les décennies, les siècles à venir, parce que Zinn parlait de besoins et de sujets qui perdurent. Il enseignait des choses qui doivent être réapprises encore et toujours, alors que les tentations qui pèsent sur elles sont si fortes. Il enseignait ces choses comme personne d’autre.
Nous aimons employer le mot “nous” et nous aimons y inclure tout ce que la constitution prétend qu’il doit y être inclus, particulièrement le gouvernement. Mais le gouvernement a une sérieuse tendance à agir contre nos intérêts. Les milliardaires par définition, agissent contre nos intérêts. Zinn nous a mis en garde sans relâche du danger à autoriser ces pouvoirs à utiliser le mot “nous” pour nous inclure dans des actions auxquelles nous nous opposerions en temps normal. C’est une habitude que nous avons que ce soit en parlant de sports, de guerres, de politiques économiques, mais le danger d’un spectateur criant “nous avons marqué” n’est pas le même que celui de millions de spectareurs clâmant : “Nous avons libéré l’Afghanistan !”
Nous aimons penser que les élections sont une part centrale et importante de la vie civique et comme un moyen d’avoir un impact signifiant sur le futur. Non seulement Zinn nous a averti contre cette mauvaise perception avec des exemples historiques incisifs et édifiants et avec la conscience de la valeur de la lutte pour le droit de vote des afro-américains dans le sud des Etats-Unis, mais il fut également partie prenante de cette lutte et nous mit en garde à cette époque contre des attentes déplacées.
Nous voulons penser que l’histoire est forgée par les actions d’individus importants, de leaders. Nous voulons penser que la guerre est un outil de dernier recours, comme démontré dans notre liste “des bonnes guerres”, qui généralement incluent la guerre d’indépendance des Etats-Unis, la guerre civile (NdT : connue chez nous sous le vocable de “guerre de sécession”, mot que les Américains veulent faire disparaître du narratif…) et la seconde guerre mondiale (villipendées par Zinn comme les “Trois guerres saintes”). Nous imaginons que les partis politiques sont centraux dans nos efforts de façonner le monde, mais que la désobéissance civile ne l’est pas. Nous pensons souvent que nous n’avons aucun pouvoir pour forger ce monde, que les forces poussant dans l’autre direction sont bien trop puissantes pour être renversées. Si vous écoutez suffisamment Howard Zinn, chacune de ces croyances finit par paraître ridicule, même si cela est dans certains cas, tragique.
Si vous n’avez pas encore assez eu d’Howard Zinn ces derniers temps (qui en a assez ?), un nouveau livre vient de sortir qui fait une compilation de ses meilleurs discours : “Howard Zinn Speaks”. Ceci ne représente qu’une petite parcelle de ses discours et interventions, qui furent inombrables au cours des années et de sa carrière. A l’exception d’un seul, ces discours ont été retranscrits depuis des discours qu’il avait fait sans notes pré-écrites. Zinn n’avait pas de notes dans les mains quand il parlait. Il paraphrasait les gens plutôt que de les citer verbatim ; mais il disait aussi ce qu’il croyait être le besoin du moment, ce à quoi il avait pensé profondément et qui lui faisait dire les choses en une variation toujours changeante de son seul thème : “Nous pouvons changer et façonner le futur si, et seulement si, nous savons utiliser le passé.”
Les discours compilés dans ce livre sont eux-mêmes une partie du passé. Il y en a un des années 1960, deux des années 1970, deux des années 1980, quatre des années 1990 et plus de la moitié du bouquin des années Bush-Obama. Mais Zinn utilise aussi des exemples précis, des histoires qu’il raconte pour illustrer son point de vue, provenant de siècles en arrière, d’un passé que la plupart des Américains ne reconnaît que faiblement.
Zinn traque les racines du racisme et des guerres sur le continent jusqu’à la découverte du nouveau monde par Colomb, jusqu’à l’esclavage, le colonialisme et les guerres américaines actuelles. “L’abolition de la guerre”, dit-il, “est bien sûr un énorme projet. Mais gardez présent à l’esprit que nous, dans le mouvement anti-guerre, avons un puissant allié. Notre allié est une vérité que même les gouvernements accrocs à la guerre, bénéficiant des guerres, devront reconnaître un de ces jours : que les guerres ne sont pas des moyens pratiques pour parvenir à leurs buts. De plus en plus dans l’histoire récente, nous constatons que les nations les plus puissantes ne parviennent pas à conquérir des nations bien plus faibles.”
Il y a quatre ans, Zinn mettait en garde : “Il est dangereux de ne regarder qu’Obama. Ceci fait partie de notre culture, regarder, admirer les sauveurs. Les sauveurs ne sauveront rien. Nous ne pouvons pas dépendre des personnes du haut de la pyramide pour nous sauver. J’espère que les gens qui soutiennent Obama ne vont pas simplement s’assoir sous leurs lauriers et attendre qu’il nous sauve, mais qu’ils vont comprendre qu’ils doivent faire bien plus. Tout ceci n’est que victoire limitée.”
En Avril 1963, Zinn parlait en des termes similaires, même plus durs, à propos du président Kennedy. “Ceci est au-delà du Sud”, avait-il dit. “Notre problème n’est pas que l’Est est méchant, mais que Kennedy est timide.” Zinn critiqua Kennedy pour ses actions et ses inactions en 1961, encore en 1963, lorsque le sénat avait eu l’opportunité, comme il l’a toujours au début de chaque nouvelle session, de changer ses propres règles et d’éliminer les flibustiers. Zinn avait conclu que Kennedy voulait que les racistes deviennent les flibustiers contre le mouvement des droits civiques. Des échos des dires de Zinn devraient être amplifiés entre maintenant et Janvier suffisamment fort pour que les sénateurs et le président actuels, puissent entendre.
En Mai 1971. Zinn avait dit : “Cela fait longtemps que nous n’avons pas destitué un président. Le temps est venu, le temps de destituer un président et un vice-président et tous les autres assis au gouvernement qui perpétuent cette guerre.” (NdT : du Vietnam bien sûr..) En 2003, Zinn disait : “Il y a des gens dans le pays qui appellent à la destitution de Bush. Certains pensent que ceci est une chose osée à dire. Non ! C’est dans la constitution. Elle permet la destitution… Le congrès avait eu la volonté de destituer Nixon pour avoir fait pénétrer dans un bâtiment par effraction, mais il ne veut pas destituer Bush pour être entrer dans un pays par effraction.”
Zinn disait de notre complexe sans fin et peut-être permanent au sujet des élections : “Il est vrai que les Américains ont voté chaque quelques années pour leurs congrès et leurs présidents, mais il est également très vrai que les changement sociaux les plus importants de l’histoire des Etats-Unis, de l’indépendance de l’Angleterre à l’évacuation des Etats-Unis du Vietnam en passant par l’émancipation des noirs, l’organisation du travail, l’égalité des sexes, la mise hors-la-loi de la ségrégation raciale, ne sont pas venus des urnes mais de l’action directe de la lutte sociale, par l’organisation des mouvements populaires utilisant une variété de tactiques extralégales et illégales. L’enseignement standard en science politique ne décrit pas cette réalité.”
Plus tard, des années plus tard, Zinn dira : “Et bien si nous n’avons pas de presse pour nous informer, pas de parti d’opposition pour nous aider, nous sommes seuls, ce qui est en fait une bonne chose. C’est très bien de savoir que nous sommes seuls. C’est une bonne chose que de savoir que vous ne pouvez pas dépendre de gens dont on ne peut pas dépendre. Mais si vous êtes seul, cela veut dire que vous devez apprendre de l’histoire, parce que sans l’histoire, vous êtes perdu. Sans l’histoire, n’importe qui au sein de l’autorité peut se tenir devant un micro et dire : ‘Nous devons envahir ce pays pour telle et telle raison, pour la liberté, pour la démocratie, la menace.’ N’importe qui peut se mettre devant un micro et vous dire ce qu’il veut et si vous n’avez pas l’histoire, vous n’avez aucun moyen de vérifier cela.”
Mais si vous avez l’histoire dit Zinn, alors vous gagnez cet avantage additionnel de reconnaître que “ces concentrations de pouvoir, à un certain moment, se brisent. De manière soudaine et surprenante et vous vous rendez compte qu’en fait elles étaient très fragiles. Vous vous rendez compte aussi que des gouvernements qui ont dits : “nous ne ferons jamais cela”, finissent par le faire. “Nous ne biaiserons et ne nous enfuirons pas” avaient-ils dit au Vietnam. Ils ont biaisé et se sont enfuis. Dans le sud, George Wallace, le gouverneur raciste d’Alabama avait dit : “ségrégation aujourd’hui, ségrégation demain, ségrégation pour toujours”. Foule d’applaudissements. Deux ans plus tard, les noirs avaient entre temps obtenus le droit de vote en Alabama et Wallace se baladait afin de gagner des voix noires pour son élection. Le Sud a dit JAMAIS et les choses ont changé.”
Plus les choses changent et plus… nous avons besoin d’entendre Howard Zinn.
David Swanson
Article original en anglais : Howard Zinn’s Echoes, publié le 27 novembre 2012 et publié initialement par War is a Crime, le 25 novembre 2012
Traduit de l’anglais par Résistance 71
Source de l’article : global research