Les structures de contrôle et les structures de libération du cinéma
Il est peut-être difficile de diagnostiquer son époque et d’y réagir efficacement. Aujourd’hui, des structures pour le contrôle de la production, de la circulation en réseau sont ouvertement créées et face à une ingérable culture émergente de production sociale de la culture, c’est alors que les histoires du passé du cinéma nous viennent à l’esprit.
Lu en diagonale, cette histoire ressemble à une boucle, marquée par la formation de structures de contrôle esthétique-commerciales très puissantes et non moins puissantes par périodes de faible intensité ou de transgression de ces structures. Voici quelques exemples de leur histoire.
La naissance officielle du cinéma elle-même connut un court règne des frères Lumière qui ont été les premiers à créer une structure d’entreprise flexible et expansive. Ils ont tenté d’obtenir un certain monopole sur cette nouvelle forme de spectacle avec une certaine incrédulité. Ils vendent des répliques du cinématographe, leur contrôle est rapidement dépassé par l’expansion et l’intérêt pour le cinéma émergent, au point qu’en quelques mois d’autres noms ont pris de l’importance dans cette nouvelle activité, fabriquant leurs propres appareils.
C’est dans la première décennie, vers 1910, que “le cinéma a été une activité de libre concurrence dans les États-Unis”, explique Douglas Gomery. En 1908 commence l’influence infernale de Thomas Alva Edison pour le contrôle du cinéma. Entre 1909 et 1915, il crée la Motion Picture Patents Company (un Trust), ainsi, il “altéra, transforma et unifia l’industrie cinématographique” qui depuis, ne sera plus jamais la même…
Les méthodes et les normes peuvent nous sembler connues : création d’un cartel formé par les principaux producteurs, fabricants de caméras et des projecteurs qui se lient dans le but de fixer les prix des matériaux qui sont exclusivement entre leurs mains. Kodak Eastman (plus connu sous le nom de Kodak) ne fournit que la pellicule aux membres et alliés de la Motion Pictures Patents Company.
Le contrat était clair, ou bien on devient un allié du système Edison, ou bien la justice s’occupe de toi. Si une entreprise veut fabriquer des projecteurs, il doit payer au Trust cinq dollars par semaine. Les diffuseurs payent deux dollars par semaine s’ils désirent utiliser légalement les projecteurs. Ceux qui veulent faire un film doivent eux aussi payer pour chaque mètre de film homologué.
Un tel contrôle oligopolistique était si puissant qu’il s’est approprié de toutes les sociétés de distribution. Toutes, sauf celles de New York, la ville la plus importante des États-Unis géré par William Fox, qui non seulement refusa de vendre son entreprise, mais il lançait une poursuite contre le Trust. En 1912, le gouvernement fédéral procédera à une action antitrust. En 1913, un tribunal de Pennsylvanie dicte l’illégalité du Trust et, enfin, en 1915, la Cour suprême des états-Unis mettait fin au premier oligopole cinématographique qui n’admit pas le recours contre la décision judiciaire. Le contrôle absolu du marché n’était pas viable, et pas pour de nobles raisons, mais uniquement commerciales. Le Cinéma devait poursuivre son progrès … indépendant.
Dans les mêmes années où le contrôle pervers de la MPPC s’est affirmé, les indépendants allaient développer une contre-pression qui lui permettra de devenir un empire plus grand (et pire) en puissance que le Trust. Certains d’entre eux, Marcus Loew qui avait fondé le Loew’s Incorporated et sa filiale, Metro-Godwyn Mayer ; William Fox, qui a fondé son empire connue jusqu’à aujourd’hui, et Carl Laemmle, fondateur de ce qui est connu comme les studios Universal. C’est donc la naissance d’Hollywood.
Disons que même dans les cas pas trop commerciaux, le cinéma est laissé monopoliser de manière absolue pour un bon bout de temps.
Nous avons donc Hollywood, une nouvelle structure montée. Première magnats. Le système de Studios et le star-system qui allait devenir le cœur du marché. Un système de Studio de tournage commence à se consolider avec une hiérarchie dans la répartition des responsabilités : entre un conseil d’administration et un président qui décident de la stratégie globale de la production et qui octroient les budgets, et une équipe de production subordonnée ayant une organisation rigoureuse de la production.
Adolph Zukor et sa formule d’entreprise transforme son entreprise, la Famous Players-Lasky, dans la machine, la plus puissante du monde, à tirer un maximum bénéfice : le Star System atteint sa splendeur avec l’exploitation des longs-métrages avec des vedettes célèbres.
La Première Guerre mondiale impose le système d’hollywoodien comme structure impériale qui prétends désormais contrôler tout ce qui lui a échappé jusqu’à présent : le contrôle total du cinéma.
Son apogée sera atteint dans les années 30 et 1946, désigné parfois, comme le point culminant des bénéfices découlant du cinéma. Un deuxième point culminant vient lors de la Seconde Guerre mondiale, et plus tard encore. Les prochaines décennies seront sismiques pour la structure impériale, malgré toute sa puissance, elle s’use et assiste, en même temps à l’émergence de différents mouvements et dérives du cinéma menées par des cinéastes et des groupes qui commencent à trouver de nouveaux moyens de réalisation. Le néoréalisme italien fera des ruines du pays une marque de fabrique originale qui marquera durablement et se répliquera dans les décennies qui viendront, à la suite d’une fusion de toutes les ruptures au système hollywoodien et l’expansion d’une insurrection d’auteurs qui élaborent une vision et une nouvelle manière de faire du cinéma.
Les deux dernières décennies suivantes marquent à nouveau une tendance pour les cinémas périphériques qui n’émergent plus de l’intérieur des tendances habituelles du cinéma et des classes productrices. Un exemple : le mouvement indigènes d’Amérique Latine des années quatre-vingt, n’ont plus le profil d’un mouvement né au sein du cinéma occidental. Il se développe à partir de l’utilisation des nouvelles technologies audiovisuelles, sans lien direct avec la connaissance occidentale, c’est un cinéma original avec une forte position de revendication de son image comme propriété culturelle qui doit se développer de manière audiovisuelle, par eux, comme peuple. Différents lieux de production de divers types et tailles ont su en même temps créer une structure de coordination CLAPCI (Cinéma d’Amérique centrale et de la communication des peuples autochtones). Ce mouvement a développé ses propres circuits d’enseignement de l’audiovisuel et ses propres réseaux de festival et diffusion.
C’est que peut-être le cinéma est une activité indomptable. Elle est toujours le résultat de la tension entre les grandes structures de contrôle et les mouvements de libération. Peut-être que ce sont ces deux tendances insatiables que l’on devrait toujours tenir en compte, selon les périodes clefs où la lutte pour le contrôle de la production culturelle et audiovisuelle est en forte hausse. Et que sa forte émergence en tant que production libre, souvent gérés en dehors des structures de contrôle, fait que c’est un thème très actuel.
Bien entendu, cette dichotomie, comme toutes les autres, sert à définir d’une certaine manière la compréhension de la réalité, mais elle ne l’explique pas complètement. Quoi qu’il en soit, ces forces si profondes peuvent être retracé dans l’histoire du cinéma, elles devraient nous aider à mûrir et à penser les structures que nous voulons générer en tant que créateurs, en tant que cinéastes. Pour nous, un siècle plus tard, depuis que certains ont commencé à fuir le contrôle implacable et Mafieux d’Edison, pour commencer à construire un empire encore plus grand qu’Hollywood, cela nous a fait imaginer un mouvement possible en accord à sa seconde histoire.
Il nous semble urgent et nécessaire de concilier ces deux forces de cinéma sous-terrain que semble bouger ce qui cinématographique vers toute action visant à rendre l’utilisation du film comme un processus de transformation sociale : des structures de force productive au service de personnes ne faisant pas de production audiovisuel, des méthodes fermes et précises qui conduisent non pas vers des gains financiers comme seule mesure, mais plutôt vers une organisation sociale autour de la représentation cinématographique elle-même.
Il semble urgent et nécessaire que nous commencions à concevoir d’autres approches sur d’autres manières de faire des films qui dépassent le militantisme accidentel du volontariat et de promouvoir ses plates-formes de production plus lourdes conçues comme des structures de la libération sociale, participatives, exploitées et gérées par différents groupes de personnes d’une localité.
En bref, s’il s’agit « d’utopie », nous pensons qu’il faut s’engager dans la création de plateformes cinématographiques dont la puissance de production est progressivement occupé par des collectivités.
Un siècle après que les grands studios ont commencé à être considérés comme un monstrueux marché culturel du vingtième siècle, nous voulons construire des grands studios (ouverts) où nos méthodes ferreux conduisent directement à la production et à la gestion populaire des films.
Eh bien, oui … qu’est-ce que nous avons en notre faveur pour un tel exploit ? La même chose qu’avaient les Lumière en décembre 1895, lors de la première projection, avec un échec apparent du public, une petite caméra, un projecteur (le cinématographe), beaucoup de doutes et une grande capacité travail.
Alors, pourquoi ne pas mettre le mot “utopie”, là où nous avons dû écrire « décision » ?