Les grands médias occidentaux ne pardonnent pas au Nicaragua de reprendre le projet révolutionnaire

Entretien avec Margarita Zapata: Le problème est que le Front Sandiniste et le gouvernement nicaraguayen ne sont pas là pour plaire aux médias occidentaux

par Juan Agulló, de Cró­ni­ca Popular

Margarita_Zapata.pngMar­ga­ri­ta Zapa­ta (Méxi­co DF, 1950) n´hésite pas. Elle a quelques décen­nies d´expérience poli­tique. Sa mili­tance vient de loin : après avoir par­ti­ci­pé à la Révo­lu­tion San­di­niste, la petite-fille d´Emiliano Zapa­ta, socio­logue, jour­na­liste, fut la vice-pré­si­dente de l´Internationale Socia­liste de 2000 à 2008 [Lire à ce sujet l’en­quête très fouillée de Mau­rice Lemoine “[L’In­ter­na­tio­nale Socia­liste, une coquille vide“, in le Monde Diplo­ma­tique de jan­vier 2012]]. Sa vie est un com­bat sur tous les fronts. En 2011, après s´être éloi­gnée un temps du pays, elle a été nom­mée ambas­sa­drice iti­né­rante du Nica­ra­gua. C´est une grande connais­seuse de l´Amérique Latine qui parle.

Pour­quoi reve­nir à un poste de res­pon­sa­bi­li­té après un si long éloi­gne­ment et à un moment oú le Nica­ra­gua offre une image inter­na­tio­nale controversée ?

C´est vrai que le Nica­ra­gua a une image inter­na­tio­nale contro­ver­sée mais cela est dû au fait que le pré­sident, Daniel Orte­ga, est en train de reprendre le pro­jet de la Révo­lu­tion San­di­niste : la réforme agraire, l´éducation et la san­té gra­tuites, l´accès au loge­ment, les poli­tiques de la jeunesse…

La meilleure arme pour com­battre la pau­vre­té est l´éducation. C´est pour­quoi quand je vois que les enfants ne sont plus dans la rue, aux feux rouges, je revis le rêve pour lequel nous avons lut­té et pour lequel sont morts les meilleurs fils du Nicaragua.

Mais à l´extérieur du Nica­ra­gua on dit plu­tôt que l´élite san­di­niste s´est conver­tie en une sorte d´oligarchie sem­blable à celle qui exis­tait du temps de Somo­za (avant la révo­lu­tion Sandiniste).

Cette oli­gar­chie san­di­niste n´existe pas. Je ne vais pas nier qu´il y a des san­di­nistes riches mais beau­coup sont deve­nus entre­pre­neurs quand le FSLN [Frente San­di­nis­ta de Libe­ra­ción Nacio­nal, récem­ment réélu en novembre 2011] a per­du les élec­tions [en 1990]. Ce sont ceux qui s´appellent aujourd´hui les “réno­va­teurs” [en réfé­rence au Mou­ve­ment de Réno­va­tion San­di­niste, allié à l´opposition de droite]. Les gens les appellent encore “san­di­nistes” mais ils ne sont plus à l´intérieur du pro­jet sandiniste.

Mais par exemple la relève de géné­ra­tion est-elle garan­tie à l´intérieur du FSLN ? Sur le plan inter­na­tio­nal on dit beau­coup que la per­sonne qui suc­cè­de­rait Porque à Daniel Orte­ga pour­rait être son épouse Rosa­rio Murillo. On nour­rit des craintes, d´ailleurs, pour la conti­nui­té du projet.

La conti­nui­té du pro­jet est garan­tie et la relève géné­ra­tion­nelle aus­si. Le FSLN a tra­vaillé beau­coup pour rap­pro­cher la jeu­nesse de l´expérience. De fait l´évolution a été très posi­tive : des membres de la direc­tion his­to­rique du FSLN, il ne reste que trois. On a tra­vaillé beau­coup aus­si pour ins­tau­rer la pari­té : actuel­le­ment, plus de la moi­tié des dépu­tés du FSLN sont des femmes. A par­tir de ces prin­cipes, cepen­dant, il faut avan­cer en s´adaptant aux cir­cons­tances, sans précipitations.

Vous faites beau­coup allu­sion aux chan­ge­ments concrets dans le sec­teur social. S´agit-il de chan­ge­ments structurels ?

Oui et non seule­ment il s´agit de chan­ge­ments struc­tu­rels mais il s´édifient sur une forte crois­sance éco­no­mique que même le FMI a recon­nue (4 % en 2011).

Ce qu´on dit sur le plan inter­na­tio­nal, c´est que cette crois­sance serait dopée par le Vene­zue­la et plus concrè­te­ment par Hugo Chávez.

Le Nica­ra­gua ne reçoit pas de cadeaux : ce qu´il y a c´est un com­merce juste dans le cadre de l´ALBA [Alter­na­tive Boli­va­rianne pour les Peuples de Notre Amé­rique — Trai­té de Com­merce des Peuples]. Ce n´est pas que le Vene­zue­la soit le bien­fai­teur et sub­ven­tionne à fonds per­dus. Il y a un échange avec le Vene­zue­la et avec d´autres pays qui ne font pas par­tie de l’ALBA.

Quelle dif­fé­rence y a‑t-il actuel­le­ment entre les modèles nica­ra­guayen et salvadorien ?

Je ne connais pas le cas sal­va­do­rien en pro­fon­deur mais je ne réus­sis pas à voir clai­re­ment où est l´avantage éco­no­mique de main­te­nir une cer­taine dis­tance avec le reste des pays lati­no-amé­ri­cains. Ceci dit avec tout le res­pect, je ne com­prends pas non plus le pari du pré­si­dente Mau­ri­cio Funes de faire un gou­ver­ne­ment “apo­li­tique” alors qu´il a été lui-même por­té au pou­voir par un par­ti poli­tique [le FMLN, ex-guér­rilla]. Il veut main­te­nir la dis­tance avec son par­ti, la dis­tance avec le gou­ver­ne­ment, la dis­tance avec la gauche, il veut qu´on parle de “ses” suc­cès et non de ceux du FMLN. Wiki­leaks a publié des conver­sa­tions oú il demande l´aide des États-Unis pour “se déga­ger” du FMLN. Il me semble en tout cas qu´il y a des choses qui dérangent les salvadoriens.

Puisque nous par­lons de gauche et d’A­mé­rique Latine, où situez-vous le pro­jet san­di­niste actuel, dans le cadre idéo­lo­gique des gou­ver­ne­ments de gauche qui existent dans le continent ?

Le gou­ver­ne­ment de Daniel Orte­ga est de gauche. C´est très clair…

Mais le Nica­ra­gua est très proche de l´ALBA ; a‑t-il d´autres élé­ments, des apports en propre… ?

Le san­di­nisme se rénove, se met à jour, s´adapte. Le FSLN de 1979 [année du triomphe de la révo­lu­tion] n´est pas le FSLN de 1984, lorsque ont été orga­ni­sées les pre­mières élec­tions démo­cra­tiques du Nica­ra­gua ; ni celui de 1990 qui a per­du les élec­tions, ni celui de 2006 qui les a rem­por­tées ni même, pour aller vite, celui qui a gagné en 2011. C´est logique…

Est-il com­pa­tible de faire par­tie de l´ALBA en tant que pays et, en même temps, en tant que par­ti au pou­voir, de l´Internationale Socia­liste (IS) ?

Bien sûr. De fait si nous pre­nons au pied de la lettre les sta­tuts de l´IS, la majo­ri­té de ses membres devraient être ali­gnés sur la gauche lati­no-amé­ri­caine actuelle. Le pro­blème est qu´ils ne le sont pas parce que l´IS se posi­tionne de plus en plus à droite.

Et que pense faire Daniel Orte­ga à ce sujet ?

Cela dépen­dra de ce que sera l´IS après son pro­chain congrès, pré­vu en fin d´année. Ce qui va s´y déci­der est si l´IS va conti­nuer à parier sur le néo-libé­ra­lisme ou si elle va reve­nir aux prin­cipes et aux valeurs sur la base des­quels elle s´est créée et qui sont ceux de la Révo­lu­tion San­di­niste. Hors de l´Internationale Socia­liste il y a beau­coup d´espaces (comme la COPPPAL [Confé­rence Per­ma­nente des Par­tis Poli­tiques d´Amérique Latine] et le Forum de Sao Pau­lo) qui sont beau­coup plus fédé­ra­teurs et beau­coup plus à gauche que l´IS, car on ne peut conti­nuer de cette manière.

Le prix à payer pour ces posi­tions poli­tiques est l´image média­tique qui se pro­jette du Nica­ra­gua à l´extérieur depuis que le FSLN est reve­nu au pouvoir ?

En effet. La mau­vaise image du Nica­ra­gua dans les grands médias occi­den­taux est le résul­tat de ses posi­tions mais aus­si de son pro­jet poli­tique. Le pro­blème est que le Front San­di­niste et le gou­ver­ne­ment nica­ra­guayen ne sont pas là pour plaire aux médias occi­den­taux mais pour résoudre les pro­blèmes des nica­ra­guayens. Et ils ne le font pas si mal. Daniel Orte­ga a été réélu avec 62 pour cent des suffrages.

Source : cro­ni­ca popular

Tra­duc­tion : Thier­ry Deronne