LIBRE, BAHAR EST UN HOMME LIBRE !
L’Italie refuse d’extrader Bahar Kimyongür vers la Turquie !
Après 111 jours d’assignation à résidence dans la localité de Marina di Massa, le citoyen belge est enfin libre et va pouvoir rentrer chez lui
Ce mardi 11 mars 2014, la Cour d’Appel de Brescia (dans une première et unique audience) a décidé de remettre Kimyongür en liberté. Le juge a ainsi déclaré totalement infondées et attentatoires à la liberté d’expression les incriminations contenues dans le mandat d’extradition lancé par la Cour de Sûreté de l’Etat turque contre notre ami.
Pour rappel, les accusations portées par Ankara étaient et restent les suivantes : « être le dirigeant d’une organisation terroriste, le DHKP‑C » ; « avoir menacé et attaqué le ministre des Affaires étrangères » Ismail Cem, lors de son audition devant le Parlement européen ; « avoir participé à une grève de la faim, en solidarité avec un prisonnier du DHKC»…
Les autorités turques accusent donc Bahar Kimyongür d’«être un dirigeant du DHKP‑C », (un mouvement décrété « terroriste » par les Etats-Unis et l’Union européenne)… Or en Belgique, deux tribunaux ont affirmé –par deux fois– le contraire (à savoir la Cour d’Appel d’Anvers [le 7 février 2008], puis la Cour d’Appel de Bruxelles [dans un Arrêt définitif rendu le 23 décembre 2009]).
Deuxième élément « à charge » ? Kimyongür aurait « menacé et attaqué le ministre des Affaires étrangères turc, Ismail Cem»… Or un document filmé, tourné le 28 novembre 2000 dans le grand auditoire du Parlement européen, prouve le caractère parfaitement mensonger de ces assertions. Certes Bahar Kimyongür y interrompt quelques instants le ministre turc –en train de nier tout génocide envers le peuple arménien. Certes Kimyongür lance en direction des parlementaires plusieurs dizaines de tracts tout en criant sa solidarité avec les centaines de prisonniers politiques qui, en Turquie, mènent depuis des semaines une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions atroces d’enfermement. Certes. Mais ces gestes révoltés ne constituaient en aucune manière ni des menaces, ni des attaques contre la personne du ministre des Affaires étrangères.
C’est d’ailleurs ce qu’a formellement convenu, le 4 juillet 2006, la Chambre d’Extradition de la Haye. À propos de l’accusation centrale, avancée par le mandat international, le juge Van Rossum précisera qu’il s’agissait –au Parlement européen– d’une « démonstration » (au sens de « protestation non délictueuse »), en aucun cas une menace ou une agression à l’égard du ministre turc. Dans leurs attendus, les juges néerlandais prendront même la peine d’insister : non, « interpeller un ministre sur les conditions de détention dans les prisons n’est pas un acte coupable ». Ni, ultime accusation portée, « marquer sa solidarité, avec un prisonnier en grève de la faim » –en l’occurrence Ilhan Yelkovan lequel avait entamé un jeûne de la mort pour protester contre son maintien en isolement dans la prison de Hambourg. Grâce à la solidarité de milliers de personnes à travers toute l’Europe, Yelkovan avait finalement obtenu satisfaction après dix semaines de privation. Qu’y aurait-il eu à redire à propos de cette solidarité, du point de vue pénal ? Absolument rien.
Dans la saga judiciaire dont Bahar est victime depuis une décennie, la sentence italienne sonne donc comme un nouveau camouflet pour la Turquie et pour les forces qui, en Europe (et en Belgique tout particulièrement), se rangent aux côtés d’Ankara.
En réalité, cette décision judiciarisée, telle que rendue ce jour par la Justice transalpine, n’aura été rendue possible que par la mobilisation de milliers de citoyens à travers le monde, une mobilisation qui s’est utilement combinée au travail des avocats de Bahar.
Grâce à ce mouvement multiforme, le citoyen belge va enfin pouvoir rentrer auprès des siens en Belgique, après avoir été retenu en Italie 16 semaines durant (dont deux, enfermé à la prison de Bergame).
Deux fois ne fait pourtant pas coutume. Le chapitre italien de « l’affaire Kimyongür » vient de se clore. A nous de rester sur le qui-vive et de nous (re)mobiliser quand Bahar sera convoqué devant la Justice espagnole laquelle doit, elle aussi, statuer sur son sort et répondre à la même demande extraditionnelle avancée par la Turquie.
Jean Flinker