Lutter au cœur du néolibéralisme. Que reste-t-il de la contestation étudiante au Chili ?

EN LIEN :

« Il s’agit d’une nouvelle génération qui recueille toutes les racines et traditions critiques et radicales latino-américaines. »

farfan748_1-2.jpgNous avons inter­ro­gé Sebas­tian Far­fan Sali­nas, qui était pré­sident de la Fédé­ra­tion des étudiant.e.s de l’Université de Val­pa­rai­so et membre de l’exécutif natio­nal du mou­ve­ment étu­diant de 2011. Diri­geant de l’aile radi­cale de la Confé­dé­ra­tion des étu­diants chi­liens (Confech), il a par­ti­ci­pé à la créa­tion d’un nou­veau cou­rant poli­tique, l’Union Natio­nale Etu­diante. L’entretien a été réa­li­sé le 17 décembre 2012, réa­li­sé par Bet­ti­na Ghio et Hugo Hara­ri-Ker­ma­dec. On gagne­ra à lire cet entre­tien en lien avec celui, publié il y a quelques semaines sur notre site, réa­li­sé auprès de Gabriel Nadeau-Dubois et Eric Mar­tin, à pro­pos de la mobi­li­sa­tion étu­diante au Qué­bec contre le néo­li­bé­ra­lisme éducatif. 

Source de l’ar­ticle : contre­temps

« C’est le moment où tout le pays s’est rendu compte que le Chili était en train de changer. »

Q : Est-ce que tu peux nous rap­pe­ler les prin­ci­pales étapes de la mobi­li­sa­tion de 2011 ?

Par­mi les prin­ci­pales dates, il y a le 12 mai 2011, qui a mon­tré qu’il fal­lait que le mou­ve­ment étu­diant soit tac­ti­que­ment assez flexible pour ras­sem­bler dif­fé­rents acteurs. Le ras­sem­ble­ment est l’une des ques­tions clés, qu’on n’avait jamais menée de façon sys­té­ma­tique. Cette fois-ci, on y est arri­vé, avec une concré­ti­sa­tion le 12 mai : toutes les uni­ver­si­tés publiques ont été blo­quées, à l’initiative des rec­teurs ! Grâce à des dis­cus­sions poli­tiques avec leur asso­cia­tion, sur la crise de l’éducation, sur leur pro­blème face aux coupes bud­gé­taires, on est arri­vé au constat de la néces­si­té d’une lutte com­mune. Le blo­cage par les rec­teurs a inter­pe­lé les enseignant.e.s, les travailleur.euses et aus­si les étudiant.e.s moins politisé.e.s. Ils ne pou­vaient plus aller en cours, à cause de la grève des rec­teurs (!). En voyant les rec­teurs mani­fes­ter, ils se sont ren­du compte qu’ils devaient aus­si par­ti­ci­per. L’implication des rec­teurs a créé une forte polé­mique, avec des accu­sa­tions de la part des jour­naux de droite, qui les a obli­gés à assu­mer publi­que­ment leur posi­tion. Ca leur a per­mis de construire leur ana­lyse et d’en rendre compte sur les pla­teaux télés. Le 12 mai a donc été une démons­tra­tion de rassemblement.

Le 21 mai a mar­qué le début de la radi­ca­li­sa­tion totale du mou­ve­ment. On avait don­né un ulti­ma­tum à Piñe­ra [le pré­sident du Chi­li – droite[[ Voir : F. Gau­di­chaud, « Un entre­pre­neur mul­ti­mil­lion­naire à la tête du Chi­li ».]]] pour répondre à nos reven­di­ca­tions. Or le 21 mai, chaque année, le pré­sident doit faire un dis­cours télé­vi­sé. Mais ce jour-là, il n’a rien dit de nou­veau sur l’éducation. On atten­dait une annonce, quelque chose. Mais non, rien. Alors tout le monde a com­pris qu’il n’y avait pas de dia­logue pos­sible et ça nous a radi­ca­li­sés. Dans la semaine, pra­ti­que­ment toutes les uni­ver­si­tés étaient occupées.

Août a été le point culmi­nant de la mobi­li­sa­tion, entre le 4 et le 25. Début août, on sen­tait un affai­blis­se­ment du mou­ve­ment, et la mani­fes­ta­tion du 4 pou­vait en annon­cer la fin. Et le gou­ver­ne­ment a pris une mesure très absurde en inter­di­sant la mani­fes­ta­tion. Ce qui a jeté de l’huile sur le feu. « Si vous vou­lez nous inter­dire de mani­fes­ter, alors on va se battre contre la répres­sion ». On donc appe­lé à deux mobi­li­sa­tions, matin et après-midi, qui ont été des luttes constantes pour récu­pé­rer les rues. Il y a eu des affron­te­ments, débou­chant fina­le­ment sur un appui mas­sif de la popu­la­tion. C’est le moment où tout le pays c’est ren­du compte que le Chi­li était en train de chan­ger. La popu­la­tion est sor­tie dans les rues, pas uni­que­ment les étudiant.e.s : le soir, alors qu’il y avait par­tout des bar­ri­cades et des affron­te­ments, les gens sont sor­tis à la fenêtre avec leurs cas­se­roles, comme lors de la dic­ta­ture mili­taire, pour dire leur oppo­si­tion au gou­ver­ne­ment et à sa répres­sion. On a donc réac­ti­vé des usages de l’époque de la dic­ta­ture. On enten­dait par­tout les cas­se­roles, dans tout San­tia­go et tout le Chi­li. C’était très émou­vant et ça a obli­gé le gou­ver­ne­ment à recu­ler. L’appui était trop mas­sif et direct.

A par­tir de là et jusqu’au 25 août, le mou­ve­ment a repris de la force. Des assem­blées locales se sont mises en place, des pro­tes­ta­tions heb­do­ma­daires, des blo­cages de rue, de nom­breuses ini­tia­tives dans le monde du tra­vail. On a alors appe­lé à une grève le 25 avec les tra­vailleurs chi­liens, pen­dant deux jours. Ca a été la mobi­li­sa­tion la plus forte mais elle s’est sol­dée par un mort le soir du 25. Au Chi­li, on a l’habitude de sor­tir le soir les jours de mobi­li­sa­tion dans les quar­tiers, de faire des bar­ri­cades et d’affronter les cara­bi­ne­ros la gen­dar­me­rie]. Il en a résul­té de nom­breux bles­sés, beau­coup de vio­lence parce que c’est une police mili­taire qui inter­vient la nuit dans les quar­tiers. Et un mort. Nous n’avons jamais vou­lu une telle situa­tion mais ca a pesé sur la suite du mou­ve­ment étu­diant, qui s’est sen­ti en par­tie res­pon­sable. A ça s’est ajou­tée une tra­gé­die natio­nale debut sep­tembre. Le gou­ver­ne­ment était alors très inquiet à l’approche du 11 sep­tembre [anni­ver­saire du coup d’état de Pino­chet], qui est tou­jours une date de mobi­li­sa­tion forte et radi­cale. Au début du mou­ve­ment, ça parais­sait inat­tei­gnable comme date, mais pour­tant le mou­ve­ment était tou­jours là. On atten­dait donc une grande radi­ca­li­té et des vio­lences. Mais quelques jours avant, un acci­dent d’avion à Juan Fer­nan­dez a tué des per­son­na­li­tés publiques, dont le prin­ci­pal ani­ma­teur télé du pays. Ça a beau­coup tou­ché les gens, et tout sus­pen­du. On ne savait pas trop com­ment réagir, et le mou­ve­ment a reflué pro­gres­si­ve­ment, tout en per­du­rant jusqu’à novembre au moins. Voi­là pour les prin­ci­pales dates de ce qui a été le plus fort mou­ve­ment social au Chi­li, depuis les années 1970 [[Voir : F. Gau­di­chaud, « [Chi­li. Quand le néo­li­bé­ra­lisme triom­phant se fis­sure ».]] .

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Q : Com­ment s’organisent les étudiant.e.s au Chi­li, et com­ment s’est prise l’initiative du mou­ve­ment étu­diant de 2011 ?

Le mou­ve­ment étu­diant est uni­taire : il n’y a qu’une orga­ni­sa­tion, la Confech. Il com­bine des aspects de démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, à tra­vers les porte-paroles, avec une impor­tante com­po­sante de démo­cra­tie directe. Le pou­voir réel n’est pas entre les mains des porte-paroles ou des diri­geants, mais reste à la base, dans les assem­blées qui ont un pou­voir abso­lu sur les déci­sions. Les diri­geants ne peuvent pas prendre leur déci­sion de leur côté, ils sont tou­jours enga­gés par les déci­sions prises par les assem­blées. Le pou­voir des assem­blées est si grand qu’une bonne par­tie des porte-paroles, qui étaient membre de la Concertation[[La Concer­ta­tion de Par­ti­dos por la Demo­cra­cia (Concer­ta­tion des Par­tis pour la Démo­cra­tie) est un regrou­pe­ment des par­tis sociaux-libé­raux et de centre gauche qui ont gou­ver­né le Chi­li de 1990 (au sor­tir de la dic­ta­ture) jusqu’à 2010.]], ont été éjec­tés pen­dant la lutte. Par simple déci­sion de la base. Il y a des élec­tions par fédé­ra­tion chaque année, où se pré­sentent des listes de l’extrême droite, l’Union Démo­cra­tique Indé­pen­dante (UDI [issu du régime mili­taire]), jusqu’à nous, en pas­sant par le PC, la Concer­ta­tion. La liste ayant reçu le plus de voix gagne mais toute l’année les porte-paroles peuvent être révo­qués s’ils ne res­pectent pas ce qui se dit dans les assem­blées. D’où ce mélange entre repré­sen­ta­tion et démo­cra­tie directe très forte. Dans d’autres pays, le sys­tème est beau­coup plus délé­ga­tif et la fédé­ra­tion élue fait ce qu’elle veut. Ici, c’est impos­sible, et ça donne sa force au mou­ve­ment, en lais­sant plus de place pour la par­ti­ci­pa­tion des cama­rades. Il y a des assem­blées par dis­ci­pline, par facul­té, des assem­blées géné­rales de chaque uni­ver­si­té, et des assem­blées régio­nales. ça donne de la force et ca se com­bine avec des porte-paroles clairs avec des res­pon­sa­bi­li­tés poli­tiques, ce qui per­met une exé­cu­tion des tâches. Et en même temps c’est uni­taire, ce que je n’ai pas vu ailleurs. Les uni­ver­si­tés recon­naissent la fédé­ra­tion élue et lui affecte un finan­ce­ment pour des sys­tèmes de bourses, de crèches. Ce sont de véri­tables ins­ti­tu­tions poli­tiques avec une longue tra­di­tion qui remonte aux années 1960. Et donc per­sonne n’irait faire une fédé­ra­tion paral­lèle, tous y par­ti­cipent. La droite, si elle avait été plus radi­cale, aurait pu cher­cher à créer un mou­ve­ment paral­lèle, ou l’extrême gauche. Mais per­sonne ne l’a fait parce que tout le monde y par­ti­cipe, le sys­tème est trop légi­time. Ain­si, lorsque la grève ou l’occupation sont votées, ces déci­sions sont res­pec­tées. L’assemblée est le lieu sou­ve­rain dont nous dis­po­sons. Si tu as des idées de droite, tu dois aller les y défendre, tu ne peux pas la contour­ner. C’est une for­te­resse qui nous donne une grande uni­té. Il y a beau­coup de luttes poli­tiques en leur sein, en per­ma­nence, mais c’est démo­cra­tique et unitaire.

Cette force fait des dirigeant.e.s étudiant.e.s des acteurs poli­tiques recon­nus. Cela ne date pas de 2011, mais des années 1990. Les luttes contre la mar­chan­di­sa­tion et la pri­va­ti­sa­tion durent depuis long­temps. Etre porte-parole étu­diant donne donc un poids poli­tique natio­nal. Et à par­tir de 2011 encore plus. Ca per­met d’intervenir dans le débat public, de deve­nir un acteur dont on demande l’opinion sur de nom­breux sujets. On devient un vrai acteur public. 

Q : Jus­te­ment, com­ment es-tu deve­nu porte-parole ?

La gauche a pen­dant long­temps trou­vé refuge à l’Université. Je fais par­tie de cette gauche, qui avait créé des col­lec­tifs dans tout le Chi­li, des regrou­pe­ments de la gauche alter­na­tive au PC et à la Concer­ta­tion. Quand j’ai com­men­cé à mili­ter, on a déci­dé de cher­cher à se faire un espace dans les fédé­ra­tions étu­diantes, que l’on consi­dé­rait avant comme des bureau­cra­ties. Et on s’est ren­du compte qu’on pou­vait gagner ! Comme diri­geant, j’ai gagné face au PC et à la Concer­ta­tion dans le mou­ve­ment étu­diant. On ne pen­sait pas qu’un tel mou­ve­ment étu­diant arri­ve­rait, mais lorsqu’il est appa­ru, on y a par­ti­ci­pé. Il a alors fal­lu déci­der quoi faire des col­lec­tifs qu’on avait créés. On a cher­ché à l’organiser natio­na­le­ment, au moins au niveau étu­diant dans un pre­mier temps, comme pre­mière étape vers une uni­fi­ca­tion de la gauche. Une nou­velle orga­ni­sa­tion est née, l’Union Natio­nale Etu­diante, qui a tenu son congrès de fon­da­tion cette année. Je pense que c’est une des orga­ni­sa­tions les plus remar­quables aujourd’hui au Chi­li, par­mi celles qui s’opposent à la Concer­ta­tion. C’est l’union de dif­fé­rents groupes de gauche radi­cale qui inter­ve­naient dans les uni­ver­si­tés, en vue d’un pro­jet com­mun. Des orga­ni­sa­tions d’origines diverses, avec des points de vue dif­fé­rents, mais qui se rejoignent sur un pro­gramme et des pers­pec­tives com­munes. C’est une orga­ni­sa­tion poli­tique, insé­rée dans le mou­ve­ment étu­diant. Notre ras­sem­ble­ment nous per­met d’être pré­sents sur presque tout le ter­ri­toire, d’assumer des porte-paro­lats impor­tants – ils sont en cours de renou­vel­le­ment et on vient de gagner celui de l’Université de Concep­tion. On est arri­vé second de l’une des prin­ci­pales cir­cons­crip­tions de l’Université du Chi­li, tra­di­tion­nel­le­ment l’université la plus radi­cale. L’Université catho­lique, foyer de la droite, un impres­sion­nant mou­ve­ment de gauche est arri­vé troi­sième, ce qui est notable dans une uni­ver­si­té qui a vu naitre le « gre­mia­lisme » [mou­ve­ment poli­tique étu­diant chré­tien ultra­con­ser­va­teur, ayant conduit à la créa­tion de] l’Union Démo­cra­tique Indé­pen­dante (UDI), l’un des prin­ci­paux par­tis qui gou­vernent aujourd’­hui le Chi­li. C’est donc une évo­lu­tion inté­res­sante, sur­tout étant don­né l’importance des uni­ver­si­tés dans le mou­ve­ment social, ce qui est peut-être spé­ci­fique du Chi­li. Peser là, pour la gauche, augure d’un rôle poli­tique impor­tant dans les années à venir, avec la res­pon­sa­bi­li­té d’organiser au-delà des étudiant.e.s – les travailleur.euses, les quar­tiers, etc. – en construi­sant une orga­ni­sa­tion qui ait pour pré­ten­tion de chan­ger le Chili.

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« Le mot d’ordre ‘‘Non au profit’’ du mouvement étudiant est devenu immédiatement une sorte de parapluie, repris dans d’autres secteurs » 


Q : Com­ment le mou­ve­ment des étudiant.e.s au Chi­li est-il deve­nu un mou­ve­ment de lutte beau­coup plus large ?

Cela s’explique par les condi­tions de lutte éta­blies au Chi­li à par­tir des énormes contra­dic­tions sur­gies de la dic­ta­ture mili­taire de 1973 et de l’implantation du modèle néo­li­bé­ral. Ces pro­fondes contra­dic­tions se sont cumu­lées depuis des années dans notre pays et elles explosent en 2011 à par­tir du mot d’ordre « Non au pro­fit » (« no al lucro ») du mou­ve­ment étu­diant, qui est deve­nu immé­dia­te­ment une sorte de « para­plui » : la même reven­di­ca­tion étant reprise dans d’autres sec­teurs. C’est-à-dire, la demande d’arrêter le pro­fit dans l’éducation a per­mis aux salarié.e.s des autres sec­teurs et à la socié­té en géné­ral de l’exiger à leur tour.

Puis, quand notre pro­gramme s’est radi­ca­li­sé, nous avons com­men­cé éga­le­ment à avan­cer des reven­di­ca­tions his­to­riques du peuple chi­lien qui dataient même de l’époque de l’Unidad Popular[[L’Unité Popu­laire (UP) née en 1969 d’un accord poli­tique entre les par­tis de la gauche et du centre gauche au Chi­li. Elle a mené à la pré­si­dence Sal­va­dor Allende en 1970.]]. Par exemple, la demande de la natio­na­li­sa­tion du cuivre, d’une assem­blée consti­tuante, ou l’exigence des réfé­ren­dums popu­laires pour prendre des déci­sions sur cer­tains sujets. Ces reven­di­ca­tions se sont répan­dues en même temps que les demandes des étudiant.e.s. Ce pro­gramme nous a per­mis d’avoir une vision de la situa­tion beau­coup plus large et de nous relier à d’autres sec­teurs com­ba­tifs de la société.

De plus, à l’intérieur même du mou­ve­ment étu­diant, nous avons com­men­cé à per­ce­voir l’étudiant.e en tant que sujet qui a besoin du sou­tien de ces autres sec­teurs, car il ne peut pas chan­ger l’ensemble de la situa­tion tout seul. Il a besoin que son peuple se mobi­lise avec lui, il lui faut notam­ment l’aide des salarié.e.s ; c’est pour­quoi, par exemple, nous avons appe­lé à une grève de deux jours avec les salarié.e.s du cuivre. C’est à par­tir de cette per­cep­tion poli­tique que les luttes ont com­men­cé à converger.

Q : Com­ment a eu lieu exac­te­ment la struc­tu­ra­tion des étudiant.e.s avec ces autres sec­teurs ? Il y a eu des formes de coor­di­na­tion ou seule­ment des inter­pel­la­tions entre les syndicats ?

Au début, il s’agissait d’interactions directes entre la Fédération[[La Fédé­ra­tion des étu­diants de l’Université du Chi­li (FECH).]] et les syn­di­cats des tra­vailleurs, chaque fédé­ra­tion entre­te­nait des rela­tions poli­tiques avec les dif­fé­rents acteurs de la région. Par exemple, dans plu­sieurs villes, il y avait des assem­blées uni­taires des étudiant.e.s, professeur.e.s et salarié.e.s qui per­met­taient des marches com­munes. Mais ensuite, nous avons com­pris qu’au Chi­li le pro­ces­sus d’articulation avec les salarié.e.s est beau­coup plus lent que celui des étudiant.e.s, c’est ain­si que nous avons déci­dé de convo­quer ce que nous avons appe­lé des « assem­blées popu­laires ». Ces assem­blées étaient néces­saires afin de faci­li­ter l’expansion des demandes, car n’importe quelle per­sonne, même si elle n’était pas syn­di­quée ou orga­ni­sée, pou­vait inté­grer le mou­ve­ment. De cette manière, ces assem­blées de base ont été convo­quées dans tout le pays et c’est de là que l’on appe­lait aux mobi­li­sa­tions. Ces espaces très démo­cra­tiques ont per­mis que des gens qui n’étaient pas aupa­ra­vant enga­gés dans des luttes soient désor­mais par­tie pre­nante du mou­ve­ment. Il y avait alors des ins­tances for­melles de coor­di­na­tion entre les syn­di­cats, le mou­ve­ment étu­diant et d’autres acteurs, avec leurs dirigeant.e.s et porte-paroles, mais il y avait aus­si des espaces de base qui per­met­taient aux gens de par­ti­ci­per acti­ve­ment du mou­ve­ment. De cette manière, les reven­di­ca­tions ont com­men­cé à s’articuler et à se cana­li­ser. Avec des contra­dic­tions bien sûr, car il s’agissait d’un mou­ve­ment gigan­tesque avec des avis divers sur la façon d’avancer. Mais en tout cas, cette façon de fonc­tion­ner a per­mis la démo­cra­ti­sa­tion de la lutte et que tout le monde se sente acteur et sujet d’un processus. 

Les réseaux sociaux ont éga­le­ment joué un rôle d’articulateurs de la lutte : des gens qui n’étaient pas poli­ti­sés mais qui étaient moti­vés pour par­ti­ci­per du mou­ve­ment ont décou­vert dans ces réseaux un outil de lutte. Ain­si, nous nous sommes ren­du compte que de nom­breuses per­sonnes occupent les réseaux sociaux comme un outil poli­tique de dénon­cia­tion. Par exemple, en repre­nant les sujets qui les concernent dans leurs tweets, les gens peuvent les faire mon­ter dans les sujets du jour qui sont repris dans les moyens de com­mu­ni­ca­tions tra­di­tion­nels. Celle nou­velle forme de par­ti­ci­pa­tion a per­mis de cana­li­ser cette éner­gie, qui se serait dif­fi­ci­le­ment mani­fes­tée s’il n’y avait aucun espace de participation.

Q : Dans quelle dyna­mique était l’éducation avant le mou­ve­ment de 2011 ? Y a‑t-il eu des pro­grès après les années Pino­chet ou le même modèle a‑t-il été maintenu ?

L’accès à l’université a aug­men­té de façon gigan­tesque. C’est un fait dont la droite se sert contre nous, mais c’est vrai. Il y a actuel­le­ment presque un mil­lion d’étudiant.e.s dans l’enseignement supé­rieur, pour une popu­la­tion qui ne dépasse pas les dix-sept mil­lions d’habitants[[Soit une pro­por­tion d’étudiants deux fois plus impor­tante qu’en France.]]. Il faut se deman­der com­ment est-on arri­vé à cette crois­sance ? Il ne s’agit pas d’un pro­jet public régu­lé ou d’un pro­jet de déve­lop­pe­ment natio­nal, mais sim­ple­ment de mesures visant à favo­ri­ser l’anarchie du mar­ché. Si bien qu’aujourd’hui près de 70% des étudiant.e.s sont dans des uni­ver­si­tés pri­vées, gran­de­ment remises en ques­tion, notam­ment pour ce qu’elles font de leurs res­sources. Au Chi­li, selon la loi, le « pro­fit » dans l’éducation est entiè­re­ment inter­dit mais, après le mou­ve­ment étu­diant, on a décou­vert que la plu­part des uni­ver­si­tés chi­liennes fai­sait des pro­fits d’une façon scan­da­leuse. Même le ministre de l’Education du gou­ver­ne­ment de Piñe­ra, Joa­quín Lavín, menait ses propres affaires dans une uni­ver­si­té et il s’est avé­ré inca­pable de se défendre ou de nier ce pro­fit quand il a été invi­té à des émis­sions de télévision.

Les uni­ver­si­tés et les gou­ver­ne­ments ont créé un grand mar­ché de l’éducation avec des consé­quences néfastes pour les étudiant.e.s et leurs familles. Tout d’abord, les tarifs sont les plus chers du monde et les familles doivent s’endetter. Ensuite, la décep­tion est à la mesure des grands espoirs que crée l’inscription à l’université. Cela est non seule­ment dû au manque de tra­vail — 60% des gens qui sortent de l’université n’ont pas de tra­vail cor­res­pon­dant à leur diplôme — mais aus­si à la mau­vaise qua­li­té de l’enseignement uni­ver­si­taire pri­vé. Par exemple, de nom­breuses filières des uni­ver­si­tés pri­vées ont dû fer­mer en cours d’année parce qu’elles n’avaient pas les res­sources pour conti­nuer ou qu’elles se sont ren­du compte qu’il n’y avait pas de tra­vail lié aux diplômes qu’elles dis­pen­saient. Tout cela a pro­duit des contra­dic­tions ter­ribles chez les étudiant.e.s qui avaient fon­dé de grands espoirs dans leur cur­sus uni­ver­si­taire. Il y a eu éga­le­ment de nom­breux scan­dales liés au pro­fit fait dans l’éducation qui ont pous­sé plu­sieurs ministres à démis­sion­ner. En décembre der­nier par exemple, le ministre de la Jus­tice, Teo­do­ro Ribe­ra, a démis­sion­né à cause de sa par­ti­ci­pa­tion frau­du­leuse dans des affaires liées à l’Enseignement supé­rieur. Le sys­tème d’« accré­di­ta­tion » avait été conçu pour homo­gé­néi­ser les uni­ver­si­tés pri­vées et publiques, mais il existe une magouille gigan­tesque à laquelle ont par­ti­ci­pé des membres du gou­ver­ne­ment. Le ministre a ain­si accep­té des pots-de-vin pour accré­di­ter de nom­breuses uni­ver­si­tés pri­vées qui ne rem­plis­saient aucun cri­tère de qua­li­té. Une fois la cor­rup­tion connue, l’Universidad del Mar a per­du son accré­di­ta­tion et risque donc de fer­mer. Il y a envi­ron 13 000 étudiant.e.s qui ne pour­ront pas finir leurs études et perdent toute pos­si­bi­li­té de décro­cher un diplôme. La situa­tion de cette uni­ver­si­té a été un scan­dale énorme.

Alors certes, l’accès à l’université a aug­men­té, mais au prix d’un sys­tème cor­rom­pu, anar­chique et avec de nom­breux conflits qui ont pro­vo­qué de plus un dis­cré­dit des gouvernant.e.s du pays. La crise de l’éducation est un pro­blème énorme, et mal­gré l’obstruction des membres du gou­ver­ne­ment les scan­dales se mul­ti­plient, en par­tie grâce au mou­ve­ment étu­diant, car il s’agit d’un sys­tème de pri­va­ti­sa­tion si radi­cal qu’il se moque du peuple chilien.

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« Il s’agit d’une nouvelle génération qui recueille toutes les racines et traditions critiques et radicales latino-américaines. » 

Q : Quelle est la rela­tion du mou­ve­ment étu­diant avec les par­tis tra­di­tion­nels de la gauche, comme le Par­ti Com­mu­niste, ou révo­lu­tion­naires, comme le Mou­ve­ment de la gauche révo­lu­tion­naire, MIR ?

Il faut savoir qu’au Chi­li après la dic­ta­ture mili­taire et le pro­ces­sus de tran­si­tion vers cette démo­cra­tie « pac­tée » qui existe de nos jours, la gauche a été conti­nuel­le­ment mar­gi­na­li­sée. A part le Par­ti Com­mu­niste qui a été le seul qui a réus­si à sur­vivre, en s’adaptant au sys­tème, la gauche a été balayée et, si elle sub­siste encore, ce n’est qu’en se divi­sant. Il y a donc un grand vide, pas de réfé­rent impor­tant à gauche. Le Par­ti Com­mu­niste, de son côté, a sui­vi une stra­té­gie d’insertion dans les ins­ti­tu­tions grâce à des accords faits avec les mêmes per­sonnes qui ont appro­fon­di le modèle de Pino­chet par la Concer­ta­tion. Le PC obtient un espace ins­ti­tu­tion­nel grâce à des accords avec les par­tis de la Concer­ta­tion, qui regroupe des par­tis qui vont de la Démo­cra­tie chré­tienne jusqu’à des sec­teurs renou­ve­lés du Par­ti Socia­liste, des orga­ni­sa­tions qui défendent ouver­te­ment le sys­tème. Ces alliances ont coû­té très cher au PC qui a été énor­mé­ment remis en ques­tion dans la mobilisation.

Les autres orga­ni­sa­tions de la gauche comme le MIR n’existent pra­ti­que­ment plus de nos jours. Dans les années 1990, la gauche s’est refu­giée dans de petits col­lec­tifs uni­ver­si­taires qui lui per­met­taient, par des mobi­li­sa­tions à l’intérieur même des uni­ver­si­tés, de conti­nuer d’exister. En 2011, avec la mobi­li­sa­tion des étudiant.e.s, tous ces groupes et toute la gauche qui était plus ou moins cachée refont sur­face sur la scène poli­tique. C’est l’origine de notre pro­jet de construc­tion d’un mou­ve­ment de gauche, grâce aux mou­ve­ments sociaux et à la poli­ti­sa­tion de nou­veaux gens. Mal­heu­reu­se­ment, le PC se rap­proche au contraire de la Concer­ta­tion pour cher­cher à gagner de plus en plus de dépu­tés et d’espace ins­ti­tu­tion­nel. Il a une si mau­vaise image que les représentant.e.s des étudiant.e.s à la Fédé­ra­tion sont désor­mais issu.e.s de cou­rants radi­caux et non pas du PC. Cela a coû­té cher au mou­ve­ment étu­diant : il a man­qué des capa­ci­tés de direc­tion dans les délé­ga­tions des étudiant.e.s cette année. Ain­si les étudiant.e.s qui ont été élu.e.s comme des porte-paroles sont les plus radicalisé.e.s, ceux et celles qui ont été appelé.e.s par la presse chi­lienne comme les « ultra », car ils/elles sont perçu.e.s comme étant plus radicaux/radicales que le PC. De plus, le PC a tou­jours limi­té ses reven­di­ca­tions à ce qui est « pos­sible » dans le cadre du sys­tème et de ne jamais mener les mobi­li­sa­tions au-delà. Il s’oppose par exemple à l’éducation gra­tuite au Chi­li. Cette atti­tude du PC a per­mis alors l’émergence d’un nou­veau sec­teur de la gauche, plus jeune, d’une géné­ra­tion jeune qui n’a pas néces­sai­re­ment de liens directs avec le pas­sé mili­tant du MIR ou du Frente Patrio­ti­co Manuel Rodriguez[[FPMR, Groupe de la gauche révo­lu­tion­naire d’idéologie mar­xiste-léni­niste, ini­tia­le­ment issu du PC et qui a com­men­cé à lut­ter par les armes contre Pino­chet à par­tir de 1983.]]. Nous avons héri­té de cette expé­rience mili­tante, mais il s’agit sur­tout d’une géné­ra­tion nou­velle qui recueille toutes les racines et tra­di­tions cri­tiques et radi­cales latino-américaines.

Q : Quelles suites a eu le mou­ve­ment en 2012, après cette année de mobi­li­sa­tion ? Y a‑t-il une tra­duc­tion élec­to­rale dans le cadre de la pré­si­den­tielle qui s’annonce ?

Il y a eu un cer­tain coût à la mobi­li­sa­tion : beau­coup d’étudiant.e.s ont per­du leur année uni­ver­si­taire en 2011, ce qui les oblige à payer beau­coup plus. Mais mal­gré ça, les mobi­li­sa­tions de rue ont conti­nué. Il n’y a pas eu de grande grève très longue, mais il y a bien eu des mani­fes­ta­tions, qui ont réuni autant de gens qu’en 2011. Le mou­ve­ment garde donc son ampleur dans les rues. De plus, plu­sieurs scan­dales et erreurs ont été com­mis par le gou­ver­ne­ment : le scan­dale des cer­ti­fi­ca­tions dont nous avons par­lé, le scan­dale de l’Universidad del Mar, et d’autres. Le sujet de l’éducation est donc tou­jours d’actualité au Chi­li, et sera cer­tai­ne­ment un des sujets de l’élection pré­si­den­tielle de 2013. Tout can­di­dat devra prendre posi­tion à ce sujet, même Michelle Bache­let [ancienne pré­si­dente socia­liste] qui a lar­ge­ment pri­va­ti­sé et mar­chan­di­sé l’économie. Donc la stra­té­gie de la Concer­ta­tion, qui consiste à main­te­nir Michelle Bache­let à dis­tance, à New York à l’ONU, loin de tout pro­blème poli­tique, a été effi­cace jusqu’à pré­sent puisqu’elle n’a pas eu à réagir à tout ça. Mais comme le sujet est tou­jours là, quand elle revien­dra elle devra rendre des comptes sur ses actions et celles de ses ministres lorsqu’elle était présidente.

De notre côté, on a fait une ana­lyse poli­tique sur ce qui s’était pas­sé, avec des dis­cus­sions internes pour faire un bilan de 2011 et cher­cher com­ment le mou­ve­ment étu­diant pou­vait avan­cer. Il y avait beau­coup de confu­sion sur cette ques­tion, face aux dif­fi­cul­tés qu’imposent les ins­ti­tu­tions chi­liennes en inter­di­sant tout débat démo­cra­tique réel. En dehors des rues, il n’y a pas d’espace pour cana­li­ser nos demandes. Face à nous, face au mou­ve­ment social, on trouve d’un côté la Concer­ta­tion qui a appro­fon­die le modèle et qui font eux-mêmes par­tie du busi­ness uni­ver­si­taire et n’ont donc aucun inté­rêt à le chan­ger, et de l’autre la droite his­to­rique qui défend l’héritage de la dic­ta­ture de Pino­chet. On a donc une muraille face à nous. Com­ment faire face à cette muraille ? Il fal­lait se poser cette ques­tion avant de nous tour­ner vers la for­ma­li­sa­tion des nou­veaux liens que nous avons construits, des accords poli­tiques qui se sont mis en place. Mais c’est l’étape qui nous occupe aujourd’hui. A par­tir de mars, quand les étudiant.e.s vont retour­ner en cours, nous aurons une base beau­coup plus solide pour retour­ner dans les rues. C’est l’objectif, pour repo­ser les reven­di­ca­tions de fond et impo­ser l’éducation comme thème au prin­ci­pal lors de l’élection pré­si­den­tielle et que tous les can­di­dats soient obli­gés de se posi­tion­ner sur ce sujet. 

Q : Quel est le lien entre le mou­ve­ment de 2011 et les autres formes de contes­ta­tion comme celle des Mapuches ou les mobi­li­sa­tions écologistes ?

La lutte des étudiant.e.s a occu­pé la scène publique en 2011 parce que cela a repré­sen­té sept mois de mobi­li­sa­tion per­ma­nente, mais en paral­lèle, et même avant, il y a eu d’autres luttes qui annon­çaient que quelque chose allait arri­ver sur le plan de la contes­ta­tion sociale. Par exemple, un mou­ve­ment qui a pris beau­coup de force est un mou­ve­ment régio­na­liste qui se mobi­lise contre l’hypercentralisme de la capi­tale chi­lienne. On dirait que le Chi­li se réduit sou­vent à San­tia­go, alors les régions se révoltent car elles donnent leurs res­sources natu­relles mais reçoivent très peu en échange. Ain­si, il y a eu le mou­ve­ment Magal­lanes dans une région du sud chi­lien très iso­lée où les gens doivent, par exemple, se rendre en Argen­tine pour se faire soi­gner parce qu’il n’y a pas d’hôpitaux de qua­li­té. Elle a connu éga­le­ment des pro­blèmes d’approvisionnement de gaz, ce qui a pro­vo­qué une explo­sion sociale. Puis, il y a eu le mou­ve­ment éco­lo­giste qui a pris éga­le­ment beau­coup de force quand des entre­prises — notam­ment espa­gnoles -, qui ont le contrôle abso­lu de l’eau, de la télé­pho­nie et de l’électricité, ont com­men­cé à construire des bar­rages hydro­élec­triques dans tout le sud chi­lien et argen­tin. Ces grands bar­rages cherchent à cana­li­ser des fleuves qui ne sont pas seule­ment chi­liennes, mais qui appar­tiennent au patri­moine mon­dial. On a alors com­men­cé à ques­tion­ner ce modèle de déve­lop­pe­ment éner­gé­tique et la réponse offi­cielle c’était qu’elle n’était pas seule­ment des­ti­née aux gens mais sur­tout aux entre­prises du cuivre qui en ont besoin de grandes quan­ti­tés pour extraire les minerais.

Il existe éga­le­ment des luttes mapuches his­to­riques[Voir : « [L’utopie d’avoir à nou­veau son propre pays : le cas du peuple mapuche », entre­tien avec Pedro Cayu­queo. ]] qui sont depuis tou­jours vio­lem­ment répri­mées et ain­si un grand nombre de pri­son­niers poli­tiques mapuches dans le sud du Chi­li. Mal­heu­reu­se­ment, l’Etat conti­nue à agir avec l’armée dans les zones de conflit mapuche, et cela a pro­vo­qué de nom­breuses morts et des trau­ma­tismes chez des enfants ; tout cela a été dénon­cé par des orga­nismes de droits humains inter­na­tio­naux. La rébel­lion constante des Mapuches a été tou­jours sou­te­nue par les autres mou­ve­ments sociaux. Il y aus­si d’autres mou­ve­ments des peuples ori­gi­naires, comme ceux de l’Ile de Pâques, une zone tou­ris­tique du Chi­li qui a obte­nu des grands capi­taux. Ces peuples ori­gi­naires exigent le res­pect et le main­tient de leur culture, ils sou­lignent avec force qu’ils ne se sentent pas par­tie inté­grante de l’Etat chi­lien et, pire encore, qu’ils ont été détruits en tant que culture par ce même Etat. Tous ces exemples sont des expres­sions poli­tiques de mou­ve­ments de nature dif­fé­rente, bien au delà du seul mou­ve­ment des étudiant.e.s.

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Q : A par­tir de ces nou­velles formes de mou­ve­ments sociaux, y a‑t-il par exemple des rap­ports avec le mou­ve­ment des Indi­gnés ? Et celui-ci a‑t-il eu de l’influence sur votre mouvement ?

Il existe un fil conduc­teur très solide entre les dif­fé­rents mou­ve­ments qui sont en train d’émerger dans le monde entier. Par exemple, nous ne sommes pas res­tés indif­fé­rents à ce qui se pas­sait en Espagne avec le mou­ve­ment des Indi­gnés, à ce qui se pas­sait en Egypte ou en Tuni­sie ou dans d’autres lieux du monde. Ces évé­ne­ments étaient pour nous une réfé­rence qui mon­trait que le sys­tème contre lequel nous étions en train de nous révol­ter au Chi­li, avait éga­le­ment une fai­blesse struc­tu­relle au niveau mon­dial. Il est évident que les consé­quences de la crise mon­diale du capi­ta­lisme sont en train de frap­per fort dans dif­fé­rents endroits, et les gens s’indignent, se révoltent et ont la capa­ci­té de pro­tes­ter. Or, le vrai défi c’est de voir com­ment ces luttes et mou­ve­ments peuvent s’articuler entre eux, cela est un véri­table défi pour les mou­ve­ments sociaux de gauche, car ces explo­sions ne sont pas de simples explo­sions, mais elles se trans­forment en poten­tia­li­tés éman­ci­pa­trices beau­coup plus amples. 

En tout cas, en Amé­rique latine, nous essayons d’avancer sur ce che­min, c’est-à-dire, de coor­don­ner tous ces mou­ve­ments. En Colom­bie, par exemple, à quelques mois de notre mou­ve­ment, émerge une lutte contre la pri­va­ti­sa­tion de l’éducation. Et après notre mou­ve­ment, ça a démar­ré au Qué­bec[Voir notre entre­tien avec Gabriel Nadeau-Dubois, ani­ma­teur du mou­ve­ment étu­diant lors du « prin­temps érable » et Eric Mar­tin, coau­teur de Uni­ver­si­té inc. : « [Où vont la gauche et le mou­ve­ment étu­diant au Qué­bec après le ’’prin­temps érable’’ » ?]]. Cela a été un sou­tien moral : ne pas être seuls dans cette lutte nous donne plus de légi­ti­mi­té. On com­prend que le pro­blème n’est pas chi­lien, mais plus géné­ral. Et on s’est appuyé sur l’exemple qué­bé­cois pour relan­cer la mobi­li­sa­tion dans les assem­blées. Ca nous per­mis de dire : « Nous avons rai­son, regar­dez au Qué­bec : ils ont les mêmes reven­di­ca­tions ; en Colom­bie aus­si ». On a éta­bli des contacts et nous savons mutuel­le­ment que nous avons beau­coup en com­mun. Ce qui manque c’est de concré­ti­ser ces liens, c’est une res­pon­sa­bi­li­té pour la CLASSE au Qué­bec, la Confech au Chi­li, la MANE en Colom­bie : créer un cadre de réunion et de coor­di­na­tion. C’est une tâche pour 2013. On pour­ra alors peut-être réité­rer l’expérience de 2011 – 2012 de luttes simultanées.


Notes :