Mali : les dessous impérialistes d’une intervention franco-américaine

Le terrorisme islamiste est un argument fondamental dans la justification des aventures bellicistes de l’impérialisme et des atteintes aux libertés dans les sociétés occidentales elles-mêmes.

Par Mireille Fanon-Mendes-France, experte à l’ONU et pré­si­dente de la Fon­da­tion Frantz Fanon.

Source de l’ar­ticle : bama­da

L’écoute atten­tive du dis­cours des deux can­di­dats à la pré­si­dence des Etats-Unis a confir­mé l’orientation stra­té­gique de déclen­cher une nou­velle guerre, aux consé­quences tota­le­ment impré­vi­sibles, contre l’Iran. Dans ce but, l’establishment amé­ri­cain et ses médias n’hésitent pas à ins­til­ler l’idée que ce pays est sur le point de fina­li­ser la bombe nucléaire. Dès lors serait un dan­ger pour l’ensemble du monde mais par­ti­cu­liè­re­ment pour l’Etat d’Israël, der­nier rem­part moyen-orien­tal d’un Occi­dent dont l’influence se contracte irré­sis­ti­ble­ment et dont le modèle libé­ral est entré dans une crise terminale.

obama-africom1.jpgLes Etats-Unis se posent en gar­dien de la paix et de la sécu­ri­té inter­na­tio­nales. Ain­si qu’on a pu le voir en Irak où leur inter­ven­tion a été impo­sée à la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale par le men­songe, en Afgha­nis­tan où celle-ci a été jus­ti­fiée au nom de la démo­cra­tie et contre la situa­tion faite aux femmes, les Etats-Unis ont bien l’intention d’attaquer l’Iran dès que leur calen­drier sera en cohé­rence avec celui de l’Etat d’Israël. Mais, entre­temps, Washing­ton ne perd pas de vue son objec­tif prin­ci­pal : contrer la pro­gres­sion glo­bale de la Chine dans la grande guerre pour les res­sources de la pla­nète. Et dans ce conflit encore feu­tré mais qui pour­rait se trans­for­mer en guerre chaude, l’Afrique est le conti­nent de tous les enjeux. Le rap­port « Hori­zons stra­té­giques » publié par le Minis­tère fran­çais de la Défense, avril 2012, anti­cipe cette éven­tua­li­té et s’inquiète du face-à-face Chine-Etats-Unis : « enfin, sans conduire à une logique bipo­laire, le for­mat de la rela­tion sino-amé­ri­caine devient, qu’on le sou­haite ou non, l’enjeu de la gou­ver­nance de demain ».

C’est bien sous cet angle que doit être éva­luée la situa­tion du Mali et les menaces d’intervention amé­ri­ca­no-fran­çaises. Il s’agit de pro­fi­ter de la déli­ques­cence d’Etats sous domi­na­tion conti­nue depuis les indé­pen­dances pour réin­tro­duire direc­te­ment une pré­sence mili­taire camou­flée der­rière des armées locales dont nul n’ignore l’insigne fai­blesse. Dans ce jeu géos­tra­té­gique, le Mali devient otage d’une volon­té des Etats impé­ria­listes et de leurs sou­tiens. Ceux-ci sou­haitent por­ter par­tout la guerre sans fin, de façon à inter­dire la pro­gres­sion d’une puis­sance adverse et, dans le même mou­ve­ment, d’éradiquer toute volon­té des peuples à résis­ter à l’ordre ultra­li­bé­ral mon­dia­li­sé construit sur la finan­cia­ri­sa­tion et la mili­ta­ri­sa­tion. En répon­dant à l’appel à l’aide de son allié fran­çais désor­mais inca­pable, à lui seul, de gérer son pré car­ré afri­cain, les Etats-Unis démontrent leur sens de l’opportunisme. La pré­sence amé­ri­caine dans le Sahel per­met de contrô­ler direc­te­ment l’accès à des res­sources essen­tielles, l’uranium notam­ment, et de confé­rer une pro­fon­deur stra­té­gique à leur action sur le conti­nent et au Moyen-Orient.

Les Etats-Unis et Africom

La pre­mière étape pour les Etats-Unis qui avaient com­pris que l’ancienne puis­sance colo­niale de l’Afrique fran­co­phone, la France, n’avait plus les moyens de jouer le rôle de sou­tien et de pro­tec­teur effec­tif des trans­na­tio­nales implan­tées pour cap­ter les res­sources natu­relles indis­pen­sables à leur domi­na­tion éco­no­mique, était d’implan­ter des bases Afri­com. Il y a six ans, les Etats-Unis, par le biais d’Africom, ont déci­dé d’un cadre mili­taire spé­ci­fique au conti­nent afin de faci­li­ter sa mise sous tutelle. Les Etats-Unis ont étof­fé leur pré­sence mili­taire, notam­ment par des bases plus ou moins secrètes sur l’ensemble du conti­nent. C’est ain­si qu’Africom a com­men­cé son ins­tal­la­tion au Mali par des pro­grammes de for­ma­tion à l’intention de quelque 6000 sol­dats de l’armée malienne, dans l’incapacité de contrô­ler le ter­ri­toire parce qu’insuffisamment for­més et armés.

Sous cou­vert d’une opé­ra­tion « Creek Sand », des mili­taires et des entre­pre­neurs amé­ri­cains sont arri­vés au Mali pour des mis­sions de ren­sei­gne­ment. Par ailleurs, dès 2009, le Penta­gone avait envi­sa­gé l’intégration dans l’armée malienne de com­man­dos amé­ri­cains mais aus­si le sur­vol du ter­ri­toire par des avions de sur­veillance res­sem­blant à des avions de trans­port civil, mais cela a été aban­don­né. Enfin au moins par­tiel­le­ment, puis­qu’en avril der­nier, six per­sonnes, dont trois sol­dats amé­ri­cains accom­pa­gnés de trois res­sor­tis­santes maro­caines, ont trou­vé la mort à Bama­ko lorsque leur 4×4 a plon­gé dans le fleuve Niger. Que fai­saient-ils là ? Offi­ciel­le­ment, les Etats-Unis avaient annon­cé avoir sus­pen­du toutes rela­tions miliaires avec le gou­ver­ne­ment malien, à la suite du coup d’Etat du mois de mars.

Cet acci­dent semble for­te­ment confir­mer le contraire : au nord Mali, des uni­tés d’élite, inves­ties secrè­te­ment dans des actions de contre-ter­ro­risme visant offi­cieu­se­ment Aqmi, étaient bien pré­sentes et le sont pro­ba­ble­ment encore.

Une inter­ven­tion mili­taire au Mali

La seconde étape consiste à pré­pa­rer l’opinion publique inter­na­tio­nale à une inter­ven­tion au nord Mali au nom de la démo­cra­tie et de l’ordre consti­tu­tion­nel, du patri­moine cultu­rel mon­dial mis en péril par des ter­ro­riste isla­mistes et de la souf­france des popu­la­tions, qui, rap­pe­lons-le, paient le prix fort de tout conflit interne ou impor­té par ceux qui veulent impo­ser leur loi. Ces rai­sons méritent questionnement.

mali-cedao.jpgSont à la fois mis en avant la situa­tion huma­ni­taire des popu­la­tions du nord et du sud mais ne peut être omis que de nom­breux par­te­naires, dont l’Union euro­péenne, les Etats-Unis, la Bel­gique, le Cana­da, la France[[Sur le site du MAE, « Depuis le coup d’Etat du 22 mars, la France a sus­pen­du toutes ses coopé­ra­tions réga­liennes avec le Mali. Elle main­tient son aide en faveur de la popu­la­tion, en par­ti­cu­lier l’aide ali­men­taire, ain­si que la coopé­ra­tion en matière de lutte contre le ter­ro­risme. »http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/la-france-et-le-mali/]] et des ins­ti­tu­tions finan­cières ont déci­dé, au len­de­main du coup d’Etat, de sus­pendre leurs aides au Mali, pré­ci­pi­tant l’ensemble de la socié­té malienne dans une pau­vre­té encore plus grande ; cet « embar­go » finan­cier a été ren­for­cé par un « embar­go » poli­tique. L’Organisation inter­na­tio­nale de la Francophonie[[Communiqué du 30 mars 2012 dans lequel le Conseil per­ma­nent de la Fran­co­pho­nie a déci­dé « la sus­pen­sion de ce pays des ins­tances fran­co­phones, y com­pris la sus­pen­sion de la coopé­ra­tion mul­ti­la­té­rale fran­co­phone à l’exception des pro­grammes qui béné­fi­cient direc­te­ment aux popu­la­tions civiles et de ceux qui peuvent concou­rir au retour à l’ordre consti­tu­tion­nel et au réta­blis­se­ment de la démo­cra­tie ».]] a sus­pen­du le Mali dès le 30 mars ; l’Union Africaine[[Communiqué du 23 mars der­nier trans­mis par Paul Lolo, pré­sident du Conseil de paix et de sécu­ri­té de l’organisation pan­afri­caine : « Le Conseil a déci­dé que le Mali devrait être sus­pen­du sine die de toute nou­velle par­ti­ci­pa­tion jusqu’au retour effec­tif de l’ordre consti­tu­tion­nel ».]] dès le 23 mars et la Com­mu­nau­té éco­no­mique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dès le 27 mars. Il aura fal­lu la qua­si-cer­ti­tude d’une inter­ven­tion mili­taire pour que cer­taines ins­tances reviennent sur leur déci­sion de ban­nir le Mali de leur com­mu­nau­té internationale.

Le Pré­sident Hol­lande, quant à lui, reven­dique son droit à déli­vrer les otages –cela semble comp­ter bien peu- mais sur­tout à pro­té­ger les inté­rêts fran­çais. Pour mieux faire accep­ter une inter­ven­tion mili­taire, il cache des inten­tions néo­co­lo­niales par­ta­gées der­rière le besoin d’une inter­ven­tion pour « éra­di­quer le ter­ro­risme dans l’intérêt de ce pays, de l’Afrique et de la sta­bi­li­té du monde ». Certes, l’Islam radi­cal –dési­gné glo­ba­le­ment et sous nuances par le terme « ter­ro­risme » pour condi­tion­ner l’opinion– dis­pose de bases dans le Sahel, sur les routes du pétrole, du gaz et de l’uranium, mais ne soyons pas naïfs, son émer­gence et sa conso­li­da­tion ont bien été favo­ri­sées –notam­ment par les Saou­diens et les Qata­ris- pour ser­vir les inté­rêts des Occi­den­taux et par­ti­cu­liè­re­ment ceux des Amé­ri­cains. Cette conso­li­da­tion des posi­tions des fon­da­men­ta­listes cor­res­pond au vide ins­ti­tu­tion­nel que l’Etat malien déli­ques­cent a lais­sé s’installer dans la région. Les Jiha­distes font la loi et assurent une sorte de ser­vice public (par la dis­tri­bu­tion d’eau, de vivres et de médi­ca­ments) là où des poten­tats dis­po­saient de manière réga­lienne du réel pou­voir d’Etat. La lutte contre le ter­ro­risme est l’argument rhé­to­rique pour jus­ti­fier la mise sous tutelle du Mali et faire main basse sur les res­sources natu­relles de cette région du monde dont les mul­ti­na­tio­nales veulent s’arroger le mono­pole. On ne peut, bien sûr, igno­rer que nombre de citoyennes et de citoyens maliens sou­haitent, eux aus­si, la fin de l’Islam radi­cal et des exac­tions qui l’accompagnent sur leur territoire.

Mali_Non_aux_soldats_de_la_CEDEAO-8790a.jpgLes Maliens, dans leur ensemble, dési­rent vivre en assu­mant leur droit à l’autodétermination, leur droit à dis­po­ser plei­ne­ment de leurs res­sources natu­relles et leur droit à choi­sir libre­ment leur repré­sen­ta­tion poli­tique sans qu’un pays, ancien ou futur colo­ni­sa­teur, vienne leur dire ce qui est bon pour eux, au nom de la « res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger » et/ou la démo­cra­tie mais sur­tout au nom de la lutte contre le terrorisme.

Le Pré­sident fran­çais n’hésite pas, pour se doter d’une « légi­ti­mi­té » moins dis­cu­table et pour convaincre les der­niers récal­ci­trants, à affir­mer qu’il s’agit de « cas­ser un pro­ces­sus fon­dé sur le tra­fic de drogue, d’armes, d’êtres humains qui risque de désta­bi­li­ser l’ensemble de la région (…) ». Mais qui contrôle et à qui pro­fite exac­te­ment le tra­fic de drogue, d’armes et d’êtres humains ?

Le Mali ne pos­sède pas d’armes de des­truc­tion mas­sive mais sur son ter­ri­toire se retrouvent tous les ingré­dients pour que les Occi­den­taux s’autorisent à inter­ve­nir au nom de ce qu’ils consi­dèrent comme leur mis­sion depuis l’époque où ils ont fou­lé, pour la pre­mière fois, d’autres terres que les leurs. Leur mis­sion impres­crip­tible et immuable est de « sau­ver leur monde » ; la lutte de la Civi­li­sa­tion (ou de l’Axe du Bien) contre le ter­ro­risme est une des nou­velles déno­mi­na­tions du cré­do impé­ria­liste. Et comme le veut l’usage, le moyen d’imposer les lumières et la Civi­li­sa­tion, par essence, est la guerre…Le rap­port « Hori­zons stra­té­giques » per­met de consta­ter que, d’une part, même si le Pré­sident de la France change, les rela­tions cou­pables de la Fran­ça­frique per­durent, le néo­co­lo­nia­lisme vit encore de beaux jours. Une fois élu, rien ne change alors que le can­di­dat Hol­lande avait clai­ron­né, durant sa cam­pagne, qu’il allait tout chan­ger. D’autre part, ce rap­port pointe un pos­sible affai­blis­se­ment de la sphère occi­den­tale ce qui ren­for­ce­rait encore plus le besoin en sécu­ri­té glo­bale « dont les Etats-Unis conti­nue­raient d’assurer la maî­trise d’ouvrage (…) » avec « la pos­sible émer­gence d’un réfé­ren­tiel unique en matière de contrat opé­ra­tion­nel et, sur­tout, un pro­ces­sus déci­sion­nel maî­tri­sé de plus en plus étroi­te­ment par les États-Unis ». En toute objec­ti­vi­té, les rédac­teurs du rap­port, envi­sagent qu’« indi­rec­te­ment donc, l’autonomie de nos déci­sions rela­tives à notre envi­ron­ne­ment inter­na­tio­nal de sécu­ri­té pour­rait être régu­liè­re­ment mise à l’épreuve d’ici 2040 », par­ti­cu­liè­re­ment si « un retrait de la pré­sence mili­taire amé­ri­caine en Europe » n’était « pas sui­vi d’une stra­té­gie concer­tée entre Euro­péens sur les moda­li­tés de la sécu­ri­té du conti­nent » ce qui « aurait des effets néfastes pour la sta­bi­li­té de la région ».

Construc­tion d’une alliance militaire

Se pose, à l’heure actuelle, la ques­tion des alliances pour mener cette guerre dont les pre­mières vic­times seront les Maliens eux-mêmes, mais aus­si les Mau­ri­ta­niens, les Nigé­riens, les Bur­ki­na­bais, les Algé­riens avec des consé­quences évi­dentes pour les Gui­néens, les Ivoi­riens et les Séné­ga­lais. Autant dire que toute l’Afrique sahé­lienne et de l’ouest pour­rait s’embraser et s’enfoncer dans une guerre sans fin à l’instar de celles menées en Irak et en Afghanistan.

La CEDAO, mal­gré les orien­ta­tions bel­li­cistes qui lui sont dic­tées par ses men­tors pari­siens, n’a ni les moyens humains ni maté­riels pour mener une inter­ven­tion lourde et com­plexe. Sous forte influence, pour ne pas dire sous la conduite directe, de l’ex-métropole, elle a donc recher­ché un sou­tien exté­rieur, obte­nu à l’issue du vote à l’unanimité de la Réso­lu­tion 2071 adop­tée par le Conseil de sécu­ri­té, consi­dé­rant notam­ment que « la situa­tion au Mali consti­tue une menace contre la paix et la sécu­ri­té inter­na­tio­nales » et qui « se déclare prêt à don­ner suite à la demande des auto­ri­tés de tran­si­tion maliennes qu’une force mili­taire inter­na­tio­nale prête son concours aux forces armées maliennes en vue de la recon­quête des régions occu­pées du nord du Mali ». Reste à savoir qui par­ti­ci­pe­ra à cette force inter­na­tio­nale qui à terme devrait, selon les termes du Secré­taire géné­ral des Nations Unies, « éla­bo­rer une stra­té­gie glo­bale por­tant sur les pro­blèmes trans­fron­ta­liers du Sahel : les armes, les réfu­giés et le terrorisme » ?

Afin de déli­mi­ter les contours de cette force, le gou­ver­ne­ment tran­si­toire du Mali a, main­te­nant un peu moins de 45 jours pour défi­nir, en liai­son avec ses par­te­naires de la CEDAO et de l’Union afri­caine, un « concept d’opération » ‑condi­tions concrètes de l’aide exté­rieure, moda­li­tés du déploie­ment sur le ter­rain, forces venant de dif­fé­rents pays. Ce n’est qu’à l’issue de ces 45 jours, qu’une autre réso­lu­tion auto­ri­se­ra le déploie­ment de la force.

La réunion, tenue dans le cadre du Conseil euro­péen ‑18 et 19 octobre à Bruxelles‑, semble avoir pré­ci­sé le cadre de cette force qui devrait prendre modèle sur l’Amisom- mis­sion de l’Union afri­caine en Soma­lie- qui, sou­te­nue par l’European Union Trai­ning Mis­sion Soma­lia ‑EUTM Soma­lia- aurait contri­bué à arrê­ter les jiha­distes Che­babs en Soma­lie. Il s’agit là d’une inter­pré­ta­tion opti­miste. Même si les Che­babs soma­liens sont en recul, la guerre dure en Soma­lie et la paix n’est pas à l’ordre du jour, le pays est tou­jours en état de guerre civile.

manif-mali-400.jpgIl est, dès lors, pour le moins curieux de se reven­di­quer d’un modèle qui n’a pas fait ses preuves et dont la fin de la « for­ma­tion » ne pren­dra effet qu’en décembre 2012, date à laquelle près de 3 000 sol­dats soma­liens auront été for­més par quelque 675 ins­truc­teurs européens.

La mis­sion de for­ma­tion au Mali (Mice­ma) compte 3 000 hommes envi­ron. Elle devrait contri­buer à la réor­ga­ni­sa­tion et à l’entraînement des forces de défense maliennes et se trou­ver sous man­dat de l’Union afri­caine et de l’ONU. La France, la Grande-Bre­tagne et l’Espagne ont accep­té d’y par­ti­ci­per, l’Italie, la Bel­gique aus­si, l’Allemagne vient de se déci­der ; seuls la Pologne et les pays nor­diques font encore attendre leur décision.

Mais il est bien évident que la force de la Cedeao avec ou sans l’appui logis­tique de l’Otan ne suf­fi­ra pas. Dans l’appel des acteurs, sur ce champ mar­tial un des pro­ta­go­nistes essen­tiels semble renâcler.

Une incon­nue de taille

Il reste en effet une incon­nue de taille et dont dépendent l’entrée et l’issue de cette guerre : l’Algérie va-t-elle accep­ter de par­ti­ci­per à cette force ? Jusqu’à pré­sent, elle a refu­sé toute inter­ven­tion mili­taire hors de ses fron­tières. De plus les Algé­riens qui connaissent bien la région et les autres acteurs estiment que 3 000 hommes, dans un théâtre d’opérations de plus de 8 000 km² et face à une gué­rilla déter­mi­née et sou­te­nue par les popu­la­tions Toua­regs, sont loin de consti­tuer une force suf­fi­sante. Il est indis­pen­sable pour les Algé­riens d’identifier pré­ci­sé­ment les groupes de gué­rilla et d’établir une dis­tinc­tion nette entre sub­ver­sion jiha­diste, incar­née par le Mou­ve­ment pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Aqmi, et le groupe mili­ta­ro-poli­tiques, Ançar Eddine et le Mou­ve­ment natio­nal de libé­ra­tion de l’Azawa (Mnla), qui ont un réel ancrage dans les popu­la­tions locales. Dans une optique de guerre indif­fé­ren­ciée, l’adversaire mène­ra une guerre d’usure qu’il gagne­ra à coup sûr contre une for­ma­tion mili­taire telle que la pense la Cedeao, qui ne connaît pas, non plus, le ter­rain saha­rien. Les groupes armés s’appuieront sur la popu­la­tion locale, des Toua­regs, pour qui une armée afri­caine équi­vaut à une force d’occupation étran­gère. A l’heure actuelle, l’Algé­rie, après avoir pon­dé­ré son avis, accep­te­rait, selon le très influent ser­vice de ren­sei­gne­ment algé­riens, le Dépar­te­ment du ren­sei­gne­ment et de la sécu­ri­té (DRS), d’offrir un appui logis­tique à la future force afri­caine d’intervention dans le nord du Mali.

L’Etat algé­rien entre­tient de bons rap­ports avec les Etats-Unis mais sait aus­si qu’il sus­cite la convoi­tise à cause de ses propres res­sources et de sa posi­tion géo­gra­phique qui ouvre les portes vers le Sahel avec ses richesses éner­gé­tiques et son poten­tiel souterrain.

L’Algérie se montre hési­tante mais il n’échappe à per­sonne que dans la région, c’est le seul Etat, dis­po­sant d’une armée puis­sante et équi­pée, capable d’envisager une confron­ta­tion de longue haleine avec les rebelles, même si elle sait que cela reste ris­qué. Dès lors, ceux qui s’auto-désignent comme « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale », essen­tiel­le­ment les Occi­den­taux du G5 (Etats-Unis, Japon, Grande-Bre­tagne, Alle­magne et France), s’impatientent : au pre­mier chef la France et elle le fait savoir.

La fabri­ca­tion de l’ennemi de l’intérieur

Pour ne pas être exclue des richesses à prendre et qu’elle n’a pas su gar­der mais aus­si pour mon­trer sa par­ti­ci­pa­tion active à l’Axe du Bien tel que pen­sé par George W. Bush, la France, après avoir œuvré en vue du vote de la réso­lu­tion 2071, mène, sur son propre ter­ri­toire, une guerre mul­ti­forme contre les ter­ro­ristes, les jiha­distes, les isla­mistes fana­tiques, …, laquelle par­fois, à la lumière des « unes » de cer­tains heb­do­ma­daires, res­semble ni plus ni moins à une guerre contre l’Islam, pro­lon­ge­ment et suc­cé­da­né de la guerre per­due d’Algérie. Une guerre poli­cière mais aus­si idéo­lo­gique, psy­cho­lo­gique et très lour­de­ment médiatique.

Dans ce com­bat oblique où l’ennemi n’est pas seule­ment le ter­ro­riste armé mais celui qui pro­clame sa dif­fé­rence, la Répu­blique n’hésite pas à recou­rir à l’arsenal des stig­ma­ti­sa­tions néo­co­lo­niales et à la dia­bo­li­sa­tion de l’étranger inas­si­mi­lable. La méthode est éprou­vée mais la Répu­blique ne veut pour­tant, à aucun titre, en assu­mer les ori­gines col­la­bo­ra­tion­nistes et colo­niales. La France des élites laisse (ou pousse) une par­tie de son opi­nion déri­ver vers une repré­sen­ta­tion euro­péo-cen­trée qui désigne l’Autre, l’Etranger en tant que res­pon­sable de l’errance poli­tique des repré­sen­tants poli­tiques (y com­pris ceux au gou­ver­ne­ment), du déli­te­ment de la pen­sée intel­lec­tuelle et d’une crise sociale, éco­no­mique et fina­le­ment morale et cultu­relle. Il est aujourd’hui admis et consi­dé­ré comme abso­lu­ment nor­mal de réécrire une « his­toire » plus « poli­ti­que­ment cor­recte », basée sur une concep­tion raciste ou eth­no­cul­tu­relle du monde. Ce prisme réduc­teur et dan­ge­reux est de plus en plus pré­sent dans le champ poli­tique. C’est ain­si que l’on entend les intel­lec­tuels orga­niques du libé­ra­lisme au pou­voir dis­til­ler à lon­gueur de colonnes et sur tous les pla­teaux de télé­vi­sion les thé­ma­tiques de l’arabophobie et de l’islamophobie[[A ce sujet, lire Tho­mas Del­tombe, L’Islam ima­gi­naire (Edi­tions La Décou­verte), octobre 2007 et Sébas­tien Fon­ten­nelle et alii, Les Edi­to­crates (Edi­tions La Décou­verte) 2009]]. Le racisme se fond aujourd’hui dans un ensemble de méca­nismes d’exclusion et d’infériorisation qui semblent fonc­tion­ner de manière auto­nome, sans que per­sonne n’ait à s’assumer expli­ci­te­ment raciste mais où tous com­prennent le lan­gage le code de l’exclusion. Les super­struc­tures idéo­lo­giques d’Etat nour­rissent l’exclusion par des stig­ma­ti­sa­tions essen­tia­listes. De « l’homme noir qui n’est pas entré dans l’histoire » à une laï­ci­té de com­bat, l’essentialisme est bien l’habit neuf d’un vieux dis­cours. Les hié­rar­chies onto­lo­giques visent à dif­fé­ren­cier irré­mé­dia­ble­ment pour mieux exploiter.

Dans un cli­mat de xéno­pho­bie ascen­dante et d’émiettement social, le racisme est vécu au quo­ti­dien, pèse for­te­ment sur les construc­tions iden­ti­taires des indi­vi­dus et vient de manière, ô com­bien oppor­tune pour le sys­tème, trans­cen­der les cli­vages de la misère et les logiques d’exclusion qui concerne des caté­go­ries crois­santes de Fran­çais. En ce sens la figure sociale de l’Algérien, en France ou en Algé­rie, pour les Fran­çais n’a pas chan­gé depuis la colonisation.

On peut affir­mer que la rai­son de ce racisme tient au fait que ces repré­sen­ta­tions ont pré­cé­dé les Fran­çais issus de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, au-delà même de la période colo­niale. C’est ain­si que la reprise du thème du « racisme anti-blanc » par un par­ti de droite « répu­bli­cain » est révé­la­trice de l’imprégnation d’un dis­cours essen­tia­liste direc­te­ment héri­té de la colo­ni­sa­tion et de la guerre d’Algérie. On le sait, le soi-disant racisme anti-blanc est la pre­mière ligne de défense du racisme réel, celui des colo­ni­sa­teurs et des exploiteurs.

Com­ment émer­ger d’un pas­sé trau­ma­tique et visi­ble­ment indé­pas­sable ? La ques­tion est d’autant plus com­plexe qu’elle ren­voie irré­sis­ti­ble­ment aux enjeux actuels du débat sur l’immigration et à l’enracinement dans la socié­té de jeunes Fran­çais issus de mino­ri­tés « visibles ». C’est sur ce ter­reau nau­séa­bond que l’on voit des intel­lec­tuels ‑presque tou­jours- d’origine algé­rienne désignés[[Houria Bou­tel­j­da, porte-parole du Par­ti des Indi­gènes de la Répu­blique ;www.indigenes-republique.fr/bloghouria et Saïd Boua­ma­ma, socio­logue, ani­ma­teur du Forum de l’Immigration et des Quar­tiers popu­laires ; dailynord.fr/2012/10/36389/]] à la vin­dicte au pré­texte qu’ils feraient l’apologie du « racisme anti-blanc ». Appa­raît dans l’espace poli­ti­co-social la dési­gna­tion de res­pon­sables des errances d’une socié­té qui se réveille chaque jour un peu plus raciste, chauf­fée à blanc par ses médias enga­gés à des degrés divers dans la défense de l’Etat d’Israël et du mou­ve­ment sio­niste, repre­nant à son compte les délires racistes datant de la lutte de libé­ra­tion natio­nale de l’Algérie. Cette accu­sa­tion n’est pas sans lien avec la guerre pro­gram­mée au Mali et l’éventuelle agres­sion de l’Iran.

Il s’agit pour ceux qui dominent et qui veulent péren­ni­ser cette domi­na­tion au nom des mul­ti­na­tio­nales et des banques de dési­gner ceux qui empê­che­raient ou leur « paix » et leur « sécu­ri­té inter­na­tio­nales » ou leur « cohé­sion sociale ». Leur volon­té de por­ter la guerre au Mali, certes au nom de la libé­ra­tion du nord de forces rétro­grades, ce que dési­rent de nom­breux Maliens, n’est pas sans lien avec ce que le rap­port « Hori­zons stra­té­giques » cité plus haut dit de la peur que sus­citent, chez les Occi­den­taux, la résur­gence puis­sante du pan­afri­ca­nisme et la volon­té de cer­tains Etats afri­cains d’assumer leur sou­ve­rai­ne­té sans « tuteurs ». De nom­breux intel­lec­tuels et poli­tiques du conti­nent font entendre leur désir d’être débar­ras­sés de cer­tains des accords bila­té­raux qui les main­tiennent dans un sta­tut de sou­mis­sion –mili­taires, poli­ciers, éco­no­miques ou por­tant sur les migra­tions. Ces reven­di­ca­tions suc­ces­sives sont, pour les anciens colo­ni­sa­teurs, inac­cep­tables. Ce n’est pas pour rien que les vigies occi­den­tales scrutent avec angoisse les révoltes arabes. Les centres néo­co­lo­niaux craignent bien trop la prise en main du pro­ces­sus de libé­ra­tion de la dic­ta­ture par le mou­ve­ment social. Outre la fabri­ca­tion aéro­por­tée d’une révo­lu­tion assu­jet­tie comme en Libye, les Occi­den­taux, forts de leurs relais saou­diens et qata­ris, poussent leurs pions et tentent d’influer les luttes internes comme en Tuni­sie, où cer­tains se délectent de la mon­tée de l’Islam obs­cu­ran­tiste et des faux débats autour de valeurs morales qu’il intro­duit pour détour­ner les popu­la­tions tuni­siennes des réa­li­tés éco­no­miques et poli­tiques de la domi­na­tion et de l’exploitation.

Le bom­bar­de­ment envi­sa­gé sur l’Iran pro­cède de la même logique. Il s’agit de mettre à l’index ceux qui s’opposent à l’ordre du monde impé­ria­liste et de les exclure de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale ; tout comme il s’agit d’exclure de la socié­té ceux qui dénoncent la droi­ti­sa­tion de la socié­té fran­çaise. Il s’agit pour les domi­nants d’utiliser des ins­tru­ments de répres­sion poli­ti­co-idéo­lo­gique et de remise en cause des droits poli­tiques et civils.

Les Etats-Unis et leurs alliés assument plei­ne­ment la logique du dit « choc des civi­li­sa­tions », entre Etats mais aus­si entre citoyens d’un même pays, en légi­ti­mant l’état d’exception inter­na­tio­nal mis en place par les puis­sants contre les peuples.

Ter­ro­risme ver­sus paix et sécu­ri­té internationales

La plus grande menace à la paix et à la sécu­ri­té inter­na­tio­nales se trouve dans la vio­lence des pays occi­den­taux, spé­cia­le­ment des Etats-Unis et de leurs alliés euro­péens qui violent sys­té­ma­ti­que­ment le droit inter­na­tio­nal et la Charte des Nations Unies, sous cou­vert de lutte contre le ter­ro­risme, comme c’est le cas en Irak, en Afgha­nis­tan, au Sou­dan, à Cuba, en Haï­ti , en Ser­bie, en Côte d’ivoire et bien­tôt au Mali.

L’exemple le plus carac­té­ris­tique est celui de la Pales­tine qui, depuis plus de soixante ans, est exi­lée –aus­si bien sur son ter­ri­toire qu’à l’international ‑par une « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale »- réduite au G5 occi­den­tal : il main­tient l’ensemble des Pales­ti­niens exclus des normes impé­ra­tives du droit inter­na­tio­nal et du droit huma­ni­taire inter­na­tio­nal mais aus­si du droit à leurs droits.

Cette com­mu­nau­té d’alliés qui, en pro­té­geant l’Etat israé­lien et en le lais­sant com­mettre des crimes de guerre, tou­jours impu­nis, contri­bue déci­si­ve­ment à la vio­la­tion des normes impé­ra­tives du droit inter­na­tio­nal et, sur­tout joue le rôle de cour­roie de trans­mis­sion d’un pro­jet et d’un modèle poli­tique, idéo­lo­gique et éco­no­mique qui vise à l’instauration d’un ordre inter­na­tio­nal fon­dé sur la guerre sans fin, la dis­cri­mi­na­tion, l’apartheid, la force, la domi­na­tion des peuples et la violence.

Comme cela a été le cas en Libye où l’intervention de l’Otan a été pos­sible grâce à l’injonction para­doxale por­tée par ceux qui ont voté la réso­lu­tion 1973, ils affirment d’un côté, « leur ferme atta­che­ment à la sou­ve­rai­ne­té, à l’indépendance, à l’intégrité ter­ri­to­riale et à l’unité natio­nale de la Jama­hi­riya arabe libyenne » et de l’autre envoient des forces armées pour obte­nir plus rapi­de­ment l’assassinat en direct de Kadha­fi en dehors de toute léga­li­té inter­na­tio­nale au regard de la Charte des Nations Unies, lais­sant le pays dans une situa­tion de grave déstabilisation.

La vraie menace à la paix inter­na­tio­nale est la pau­vre­té géné­ra­li­sée des popu­la­tions du Sud, le pillage de leurs res­sources natu­relles par les socié­tés trans­na­tio­nales et les guerres qu’elles déclenchent pour péren­ni­ser leur hégé­mo­nie ou pré­ve­nir l’intrusion du nou­veau concur­rent chi­nois. C’est bien dans la réa­li­té de la misère géné­ra­li­sée et orga­ni­sée par la mon­dia­li­sa­tion libé­rale que peuvent être défi­nis les res­sorts pro­fonds du ter­ro­risme et des idéo­lo­gies du déses­poir. L’impérialisme et ses relais locaux ont, tra­di­tion­nel­le­ment, uti­li­sé pour leurs propres aven­tures et tou­jours à leur avan­tage les mou­ve­ments fana­tiques apo­li­tiques et les des­pe­ra­dos qu’ils sub­juguent. Les médias omettent de le rap­pe­ler mais le ter­ro­risme isla­miste contem­po­rain est né en Afgha­nis­tan pour contrer l’Union sovié­tique. Ce ter­ro­risme, finan­cé par les Saou­diens et sou­te­nu à bout de bras par les Amé­ri­cains et leurs alliés, a fini par avoir rai­son de l’armée rouge et a pré­ci­pi­té l’effondrement de l’URSS. On le voit, hier ins­tru­ment com­mode et effi­cace, le ter­ro­risme isla­miste est aujourd’hui un épou­van­tail tout aus­si opé­rant. Le ter­ro­risme, consé­quence du déses­poir que l’ordre injuste impose aux peuples, est aus­si un ins­tru­ment entre les mains des archi­tectes de la mon­dia­li­sa­tion libérale.

Au Mali, en France, aux Etats-Unis mais aus­si dans de nom­breux autres pays, le ter­ro­risme isla­miste est un argu­ment fon­da­men­tal dans la jus­ti­fi­ca­tion des aven­tures bel­li­cistes de l’impérialisme et des atteintes aux liber­tés dans les socié­tés occi­den­tales elles-mêmes. La guerre glo­bale et éter­nelle contre l’islamisme ali­mente un dis­cours raciste qui per­met de détour­ner l’attention des popu­la­tions des pays indus­tria­li­sés confron­tées à une crise éco­no­mique majeure. La libé­ra­tion de l’impensé raciste occupe une place cen­trale dans le dis­cours poli­tique « décom­plexé » par temps de chô­mage géné­ra­li­sé et de creu­se­ment sans pré­cé­dent des inéga­li­tés. En Europe comme en Afrique.


Notes :