Médias en campagne : à propos du film « DSK, Hollande, etc. »

A l’occasion des élections et, surtout de l’élection présidentielle, les principaux médias, quand ils se gardent de se prononcer pour un candidat, se posent toujours en chefs d’orchestre de la campagne et en administrateurs du débat et se prononcent alors pour un candidat… sans le nommer.

par Mathias Rey­mond, le 2 mai 2012

Depuis le 18 avril, le film « DSK, Hol­lande, etc. » est en ligne sur le site www.pierrecarles.org/. Ce docu­men­taire au mon­tage évo­lu­tif réa­li­sé par Julien Bry­go, Pierre Carles et Aurore Van Ops­tal est auto­pro­duit et a néces­si­té l’aide de tech­ni­ciens bénévoles.

Film de cri­tique des médias, « DSK, Hol­lande, etc. » s’inscrit dans la lignée de « Jup­pé for­cé­ment », réa­li­sé par Pierre Carles en 1995, où il était ques­tion du trai­te­ment média­tique de la cam­pagne muni­ci­pale de Bor­deaux. Cette fois, on parle de la pré­si­den­tielle de 2012. Les noms et les lieux ont chan­gé… mais pas les méthodes.

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Les ins­ti­tu­tions de la Ve Répu­blique et en par­ti­cu­lier l’élection pré­si­den­tielle au suf­frage uni­ver­sel qui ne laisse que deux can­di­dats en lice au second tour favo­risent la bipo­la­ri­sa­tion et la per­son­na­li­sa­tion de la vie politique

Or les prin­ci­paux médias – sou­vent avec la com­pli­ci­té des par­tis poli­tiques – contri­buent à accen­tuer ces ten­dances par leurs propres mépris des « petits » can­di­dats, l’orchestration des débats et la déli­mi­ta­tion des sujets de dis­cus­sion et sur­tout mise en scène de la com­pé­ti­tion élec­to­rale sur le modèle d’une course hip­pique.., à grands ren­forts de son­dages et de com­men­taires de sondages.

Dans le film « DSK, Hol­lande, etc. », les réa­li­sa­teurs – Julien Bry­go, Pierre Carles et Aurore Van Ops­tal – s’intéressent à tout cela, en mon­trant com­ment les médias coor­donnent une cam­pagne et sélec­tionnent leurs can­di­dats. En effet, à l’occasion des élec­tions et, sur­tout de l’élection pré­si­den­tielle, les prin­ci­paux médias, quand ils se gardent de se pro­non­cer pour un can­di­dat, se posent tou­jours en chefs d’orchestre de la cam­pagne et en admi­nis­tra­teurs du débat et se pro­noncent alors pour un can­di­dat… sans le nommer.

Domi­nique Strauss-Kahn, atten­du comme un mes­sie, a long­temps été le chou­chou des médias [Voir l’ar­ticle [ici-même.]]. Mais « l’affaire du Sofi­tel » l’a fait tom­ber de son pié­des­tal. Qu’importe : la presse habi­tuel­le­ment clas­sée à gauche ou au centre-gauche lui a rapi­de­ment trou­vé un équi­valent et un rem­pla­çant en la per­sonne de Fran­çois Hol­lande. C’était leur choix…

… Seule­ment voi­là : les porte-voix de ces médias le nient. Pis : ils s’offusquent qu’on puisse le croire. Et c’est tout l’intérêt de ce film de le mon­trer, à grand ren­fort d’entretiens. À entendre Nico­las Demo­rand de Libé­ra­tion, Laurent Jof­frin du Nou­vel Obser­va­teur ou Mau­rice Sza­fran de Marianne, leur média ne « roule » pas pour le can­di­dat socia­liste… « Pas ça, pas nous », affirme en sub­stance cha­cun d’eux en décla­rant que tous les autres, en revanche, sou­tiennent bien Hol­lande. Évi­dem­ment. Cette comé­die devient trans­pa­rente quand Sza­fran, alors que la camé­ra semble arrê­tée, concède : « L’Obs a sou­te­nu Hol­lande, nous, on a plu­tôt sou­te­nu Hol­lande, Libé a plu­tôt sou­te­nu Hol­lande, Le Monde a plu­tôt sou­te­nu Hol­lande […]. » L’arrogance avec laquelle ils affichent leur neu­tra­li­té de façade est par­fois bur­lesque, sou­vent décon­cer­tante. Alors, pour­quoi ne pas l’admettre ? Pour­quoi cette dupli­ci­té ? Pour­quoi ne pas admettre que, à l’instar du Figa­ro (sup­por­ter de Nico­las Sar­ko­zy) ou de l’Humanité (sup­por­ter de Jean-Luc Mélen­chon), les jour­naux qui le nient sont des jour­naux de par­ti pris, voire des jour­naux par­ti­sans qui sou­tiennent Fran­çois Hol­lande ? Cela irait mieux en le disant, non ?

Ce film met éga­le­ment en lumière les pas­sions qui agitent le micro­cosme média­tique et, en par­ti­cu­lier, l’amour incon­di­tion­nel des jour­na­listes de com­pé­ti­tion pour le seul arbitre de l’élection : le son­dage. On invi­te­ra un can­di­dat en fonc­tion de sa popu­la­ri­té dans les son­dages… sans jamais se deman­der si sa popu­la­ri­té dans les son­dages n’est pas due, ne serait-ce que par­tiel­le­ment, à sa pré­sence dans les médias. Ain­si, l’élection pré­si­den­tielle est l’occasion de poin­ter du doigt le mépris réser­vé par les grands médias à ceux qu’ils appellent les « petits » can­di­dats. Le cré­dit qui leur est accor­dé par les jour­na­listes est mal­heu­reu­se­ment cor­ré­lé à leur score dans les son­dages d’intention de vote… Et quand ils accèdent enfin au micro, les dis­tor­sions qua­li­ta­tives se com­binent aux dis­tor­sions quan­ti­ta­tives, car les contrô­leurs d’antenne et autres inter­vie­weurs s’emploient à les mal­trai­ter. Excep­tion­nel­le­ment invi­tés pour par­ler du fond, ils doivent d’abord faire face à une série de ques­tions et remarques subal­ternes, consis­tant la plu­part du temps à jus­ti­fier leur existence.

Si la cam­pagne pour l’élection de 2012 n’a pas échap­pé à cette règle, c’est dans l’émission « Le Grand Jour­nal » de Canal +, régu­liè­re­ment épin­glée par Acri­med, que les dis­pa­ri­tés ont été les plus signi­fi­ca­tives. « Vous devez être le pro­to­type du can­di­dat inutile dans cette cam­pagne. Tota­le­ment inutile. » C’est ain­si par exemple que Jean-Michel Apha­tie, éga­le­ment inter­ro­gé dans le film, don­nait son avis sur le plu­ra­lisme lorsqu’il s’exprimait face à Jacques Che­mi­nade, sur Canal Plus, le 31 jan­vier 2012 [À ce sujet voir l’ar­ticle « [Mépris pour les « petits can­di­dats » dans le « Grand Jour­nal » de Canal Plus ».]].

Qu’importent les rares moments consa­crés au fond et au pro­gramme des can­di­dats, le mes­sage prin­ci­pal reste : il existe des can­di­dats légi­times et d’autres illé­gi­times. Les pre­miers sont consa­crés par les son­dages, leurs com­man­di­taires et leurs gar­diens, les seconds sont enter­rés, par les mêmes juges, avec « la morgue et le mépris » qu’on leur connaît par­fois. À ce sujet, dans le film « DSK, Hol­lande, etc. », Eva Joly revient sur la façon dont elle a été trai­tée tout au long de cette cam­pagne, et com­ment les médias ont mis en doute, avec une régu­la­ri­té inso­lente, sa can­di­da­ture, ne l’interrogeant que rare­ment sur des enjeux politiques.

En com­men­tant une cam­pagne comme un match à coups de son­dage quo­ti­diens, on ne peut abor­der le fond, les ques­tions sociales, éco­no­miques, inter­na­tio­nales, qu’en poin­tillés. Et lorsque le fond est (enfin) abor­dé, il se fait dans un cadre bien pré­cis. Bry­go, Carles et Van Ops­tal, montrent bien que si les médias en ques­tion contri­buent à dépo­li­ti­ser le débat poli­tique, ils se com­portent en même temps en fer­vents défen­seurs d’un sta­tu quo idéo­lo­gique, poli­tique et institutionnel.

Mathias Rey­mond

Source : acri­med

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