Rencontre entre Lula Da Silva, Dilma Roussef et Danny Glover. La présidente déchue est venue visiter l’ancien président emprisonné, accompagné par l’acteur étasunien Danny Glover. Voici de quoi ils ont parlé.
Rencontre entre Lula Da Silva, Dilma Roussef et Danny Glover.
La présidente déchue est venue visiter l’ancien président emprisonné, accompagné par l’acteur étasunien Danny Glover. Voici de quoi ils ont parlé.
Curitiba, capitale de l’État Paraná au sud du Brésil.
Dilma marche avec hâte. Un essaim de journalistes la suit de loin, de l’autre côté de la grille qui limite le périmètre de l’édifice de la surintendance de la Police Fédérale de Curitiba, où réside l’ex-président Lula, emprisonné. Elle est attendue par Danny Glover, le fameux acteur nord-américain de « L’arme fatale ». Les deux seront les uniques personnes qui, outre son entourage familial, pourront le visiter cette semaine. Il est plus de 16h et bien que la température ait baissé à 18 degrés, Dilma transpire. Ce n’est pas parce qu’elle a couru de peur d’arriver en retard. Elle pense que c’est les nerfs. Mais soudain elle se rend compte que c’est de l’indignation.
La surintendance de la Police Fédérale de Curitiba est un édifice moderne de 18 mille mètres carrés extrêmement très bien équipé. Il a été inauguré en 2007. Lula a aussi établi un plan de carrière très favorable pour les agents fédéraux, en augmentant significativement leurs salaires et bénéfices au travail. De plus, il leur a offert l’autonomie et l’indépendance qu’ils avaient toujours réclamées.
C’est l’indignation, Dilma se le répète en silence, lorsqu’elle entre elle observe la plaque où il est établi que cet édifice, actuellement l’un de symboles les plus lugubres de l’infamie, a été inauguré quand le Brésil rêvait de devenir une nation édifiée sur les droits citoyens, quand il rêvait de finir avec les privilèges des élites et l’impunité des classes dominantes coloniales, esclavagistes et racistes. Pour cela, il fallait combattre le délits des riches du pays qui avaient transformé la justice en machine d’emprisonnement de pauvres, de travailleurs, de jeunes noirs, de sans terre, de sans toit et des sans droits. La surintendance de Curitiba, comme d’autres prisons dans la région, a été aménagée pour accueillir ceux qui lavent de l’argent et ceux qui commettent des délits financiers. Maintenant, 15 ans plus tard, cette prison est devenue le geôlier de l’avenir démocratique d’une nation.
Le soleil s’incline et commence à perdre sa lumière. Cela fait déjà deux mois que le ciel de Curitiba manque d’éclat. Un gardien demande à Dilma de se débarrasser de tout dispositif électronique. On lui accorde le privilège de ne pas l’examiner. Accompagné par trois agents, elle se dirige vers l’ascenseur qui monte jusqu’au troisième étage. Là, elle devra monter encore un étage par l’escalier qui l’amène jusqu’à la “salle spéciale”, un euphémisme caricatural que la police utilise pour nommer la cellule dans laquelle un certain prisonnier Lula s’y trouve.
La tragédie
L’infamie est toujours tragique. Et la tragédie perce, déchire l’âme des peuples, jusqu’à ce qu’elle la transforment en ferment d’apprentissages et nous apprennent à nous protéger de l’arrogance des puissances supérieures, de l’arbitraire et de la violence des puissants.
Dans ce tas de décombres qu’est la démocratie brésilienne, le 31 mai 2018 s’est consommé l’ignominie la plus cruelle du coup d’État qui renversa Dilma en 2016, là voilà qu’elle entre dans une prison pour visiter celui qui fût son prédécesseur. Elle a eu à monter ces quatre étages maudits pour qu’ils lui disent que là, dans ce qu’ils nomment “salle spéciale” n’est plus qu’une cellule immonde, où Lula vit. Et qu’il ne lui reste qu’un peu plus d’une demi-heure avant qu’on ne l’invite à dégager.
L’arbitraire juridique de quelques tribunaux disposés à condamner sans preuves, de même que la supériorité d’une puissance autoritaire d’un juge gris, voué à l’impunité et au messianisme, les a amené à se retrouver dans une prison, nouvellement comme victimes.
La cellule
Dilma et Danny Glover embrassent Lula. Elle le voit un peu plus maigre. Cela est dû sans doute au manque d’exercice, pense-elle.
La cellule est petite. 15 mètres carrés et quatre murs. Contre l’une d’elles, un lit. Contre l’autre mur, une armoire. Au milieu, une table avec quatre chaises. De l’autre côté du lit, un minuscule appareil de télévision muni d’une antenne avec lequel on capte uniquement les canaux ouverts. Au pied d’un mur traine un ruban ergométrique pour faire des exercices physiques. C’est ici que Lula passe tous ses jours depuis déjà deux mois. Il y reçoit une visite familiale hebdomadaire, quelques personnalités ou amis, bien que ces derniers sont invités à être brefs, pas plus d’une heure. Ici et là, quelques livres. Lula lit, pense, regarde la télé et raconte à ses visiteurs les défis en perspective pour un Brésil dont la décadence politique semble ne pas connaître de fin.
Danny reste un peu plus que 15 minutes avec eux, puis part prendre l’avion qui l’amènera à San Pablo et puis aux États-Unis. Il exprime à Lula son affection et soutien. Aussi, son engagement de continuer à lutter pour que justice soit faite, pour que Lula récupère sa liberté et le Brésil sa démocratie.
Dilma et Lula restent seuls, comme tant d’autres fois. Maiscette fois-ci, il semble que l’histoire est revenue en arrière. Comme s’ils vivaient un mauvais remake de ces années pendant lesquelles il a été fait prisonnier par la police politique de la dictature et elle emprisonnée dans un centre d’arrêt militaire, où elle fut torturée, frappée, humiliée. L’histoire semble s’abattre sur leurs têtes, comme si tout était à recommencer.
Dilma observe la cellule. Il n’y a rien qui orne les murs. La “salle spéciale” est isolée de tout et là, Lula ne peut avoir de contact avec aucun autre prisonnier. Les dictatures l’ont toujours su : la pire condamnation qui peut s’imposer à un être humain est la solitude.
Lula se dit indigné. Il le répète sans cesse : « Je ne me permets pas le droit à la haine parce que la haine empoisonne la vie », dit-il à Dilma d’une voix ferme. Et d’ajouter : « Ce que j’ai c’est une indignation immense de ce qu’ils m’ont fait et de ce qu’ils font avec le pays ». « J’attends, je vis en espérant, qu’ils démontrent que je suis coupable de quelque chose. » Ils parlent de la Petrobras, la société pétrolière et de la manière dont le gouvernement de Michel Temer a privatisé des secteurs si rentables et stratégiques, comment leur politique de prix des combustibles pourrit sévèrement une économie en crise, dont on perçoit déjà les conséquences dans le choix désastreux d’exporter du pétrole brut et d’en importer ses dérivés, dans l’un des pays possédant l’une des entreprise étatique pétrolière les plus compétitives et rentables au monde. Les ressources naturelles sont pillées et Petrobras privatisée, réalisant le souhait d’une oligarchie indolente et corrompue. Et pour faire ce qu’ils ont toujours voulu, ils avaient besoin de destituer Dilma et d’empêcher Lula de devenir président d’un pays souverain et digne. Les deux le savent. Ils conversent de tout cela.
« Ma situation me préoccupe », dit Lula. « Mais beaucoup plus encore, le Brésil et le peuple brésilien me préoccupent. »
Il est 5 heures moins 10 et Dilma est priée de quitter les lieux.
Ils prennent congé avec une forte accolade. Tant de fois ils ont été dans les bras de l’autre, tant de victoires les ont éclairés. Tant d’échecs les ont unis. Ils se sont pris dans les bras sans rien se dire, ou en se disant tout.
Dilma sort de la cellule, mais avant d’arriver à l’escalier revient. Et elle le reprend dans les bras. Ils ne pleurent pas. Cette fois, ils ne pleurent pas. Ils accomplissent peut-être une promesse qui n’a jamais été faite, mais qu’ils semblent disposés à respecter.
Le jour de sa destitution, Dilma conversait avec ses collaborateurs, quand par surprise elle aperçut que Lula était derrière une colonne, distant et étrange. Elle s’est approchée et a vu qu’il pleurait. Elle l’a pris dans ses bras en silence.
Deux ans plus tard et peu de minutes avant de se livrer à la Police Fédérale, Lula cherchait Dilma pour prendre congé et la prendre dans ses bras. « Nous allons résister, nous devons résister », lui dit Lula.
Dilma descend rapidement les quatre étages. Après être sortie une angoisse l’envahit. Elle demande à être seule, elle se sent triste, immensément triste.
Elle s’avance vers les journalistes qui l’attendent de l’autre côté de la rue. Peu importent les questions elle répond du tac-au-tac, elle veut arriver rapidement au campement qui, depuis presque deux mois s’est établi à quelques mètres de la prison. Ces hommes et femmes héroïques, n’acceptent pas que l’histoire soit transformée en une simple avenue par où transitent les puissants.
Dilma s’approche des militants qui campent à Curitiba. Les cris et les chants vont l’encouragent. « Dilma, guerreira da pátria brasileira » (Dilma guerrière de la patrie brésilienne).
Dilma marche et recommence à sentir ses jambes. Son coeur bat de plus en plus vite, elle redevient ferme. « Résistance ! ». « Résistance ! ». « Nous n’allons pas nous rendre ! Jamais. Nous allons résister. »
Et puis se fond dans la multitude.
Par Pablo Gentili
Secrétaire exécutif du Conseil latino-americain de Sciences Sociales.