mardi, 4 octobre 2011
Par MAURICE LEMOINE (Auteur de Cinq Cubains à Miami, Don Quichotte, Paris, 2010)
Le 28 septembre, près de Boston, un « aspirant djihadiste » qui voulait attaquer le Pentagone et le Congrès a été arrêté et inculpé. Diplômé de physique, M. Rezwan Ferdaus aurait acheté, en août dernier, un avion modèle réduit, le F‑86 Sabre, qu’il comptait bourrer d’explosifs C‑4 et téléguider contre les deux symboles du pouvoir américain. L’acte d’accusation indique qu’il voulait se procurer deux autres copies d’avions de chasse de moins de 2 m de long et 1,60 m de large, pour les utiliser comme « drones », avec le même dessein.
Curieusement, les agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) qui l’ont arrêté, empêchant ce possible crime, n’ont été ni inquiétés ni incarcérés, et l’on ne parle pas de leur intenter un procès.
La réflexion qui précède peut paraître saugrenue, voire incompréhensible. Et pourtant…
Dans les années 1990, depuis Miami et dans une ombre tout à fait relative, un certain nombre de groupes anticastristes – Alpha 66, Omega 7, Parti unité nationale démocratique (PUND), etc. – organisent et mènent à bien d’incessantes infiltrations, attaques et attentats contre Cuba. La Fondation nationale cubano-américaine (FNCA), la plus importante des organisations de l’exil, si elle les appuie, le fait en sous-main, soucieuse de préserver son statut d’organisation publique et « exclusivement politique ». Toutefois, dans le but d’accentuer la pression sur l’île, ce respectable cénacle va, à son tour, se doter d’une structure clandestine, le Front national cubain (FNC). Sa création se trame durant les congrès annuels de la FNCA tenus en 1992 à Naples (Floride) et en 1993 à Santo Domingo (République dominicaine). Une vingtaine de dirigeants participent à ces réunions, parmi lesquels Jorge Mas Canosa (alors président de la FNCA), Alberto Hernández, Luis Zuñiga Rey (qui dirigera le FNC), Horacio García, Roberto Martin Pérez, José Francisco « Pepe » Hernández (actuel président de la FNCA), Angel Alfonso Alemán, Guillermo Novo Sampol [1], etc.
L’un des membres du bureau directeur (la junta directiva), l’homme d’affaires José Antonio Llama Muñoz, apporte personnellement 1 471 840 dollars afin de financer les futures opérations. Pour ce faire, il crée une société paravent, la Nautical Sports Inc. et contracte un emprunt à l’International Financial Bank. Grâce à ces fonds, le groupe paramilitaire dispose bientôt d’un hélicoptère, de sept embarcations rapides, d’explosifs et… de dix modèles réduits d’avions télécommandés destinés à être utilisés contre des objectifs économiques cubains ou dans un attentat contre M. Fidel Castro.
C’est pour infiltrer ces groupes criminels et informer La Havane des opérations en préparation que cinq agents antiterroristes cubains – MM. Gerardo Hernández, Ramón Labañino, René González, Fernando González et Antonio Guerrero – se trouvaient, depuis le début des années 1990, à Miami.
On connaît la suite de l’histoire (au moins partiellement). Si les plans impliquant les dix mini-avions téléguidés ne furent jamais menés à bien, c’est à cause de la capture accidentelle, en 1997, du yacht La Esperanza (appartenant à M. Llama Muñoz), qui emmenait dans l’île de Margarita (Venezuela) un commando chargé d’assassiner M. Fidel Castro, à l’occasion d’un Sommet ibéro-américain. Soumis à une enquête et sous pression, les conspirateurs se débarrassèrent en hâte de ce matériel compromettant. En revanche, l’action préventive des « Cinq », agents « non déclarés » du gouvernement cubain, leur valut d’être arrêtés en 1998, puis condamnés, en décembre 2001, à Miami, par la juge Joan Lenard, pour « conspiration », à des peines défiant l’imagination (de quinze ans à deux perpétuités plus quinze ans). Pourtant, en 1999, alors qu’ils étaient déjà embastillés, M. Llama Muñoz, sans que son témoignage fasse se lever un sourcil, confirmera la légitimité de leur mission. Soumis à de sérieuses difficultés financières l’ayant mené à la faillite et se retournant contre ses amis de la FNCA, il porte plainte et, racontant le financement du terrorisme, évoque le rôle de son apport de fonds dans l’acquisition, entre autres, des fameux dix avions télécommandés.
Revenant à l’arrestation, ces jours-ci, de M. Rezwan Ferdaus, on nous permettra donc d’élaborer un théorème – dit « Théorème Clinton-Bush-Obama » : « Lancer des modèles réduits d’avion bourrés d’explosifs sur des objectifs américains est un crime ; tenter de les empêcher d’atteindre des cibles cubaines est passible d’envoi dans un cul de basse-fosse ».
De son cul de basse-fosse de Marianna (Floride), l’un des « Cinq », M. René González, condamné à quinze années d’emprisonnement, sortira le 7 octobre prochain. Voici sept mois, son avocat a présenté une motion demandant à ce qu’il puisse immédiatement rentrer dans son pays, Cuba. Le 16 septembre, suivant à la lettre la réquisition de la procureure Caroline Heck Miller, qui représente le gouvernement des Etats-Unis, la juge Lenard a refusé, alléguant que si elle accède à cette demande, elle ne pourra pas « évaluer si le peuple étasunien est protégé des futurs crimes que le condamné pourrait commettre ». René sera donc obligé de vivre les trois prochaines années, en « liberté surveillée », sur le territoire américain.
On peut parler de cruauté gratuite : après quinze ans d’enfermement inique, il lui sera toujours impossible de vivre avec ses filles, Ivette et Irma, et surtout de voir enfin sa femme à qui, depuis onze ans, les autorités américaines refusent un visa pour le visiter. On peut aussi parler d’irresponsabilité : l’extrême droite cubaine de Miami, au sens viscéral du terme, hait les « Cinq ». Et n’a en rien renoncé à ses méthodes expéditives. En 2008, du fait de ses démêlées avec la FNCA, M. Llama Muñoz a été victime d’un attentat. Qu’il en ait réchappé n’ôte rien au danger – à plus forte raison s’agissant de René.
Note
[1] M. Guillermo Novo Sampol a été condamné à perpétuité pour l’assassinat, à Washington (1976), de l’ancien ministre des affaires étrangères de Salvador Allende, Orlando Letelier, avant d’être acquitté en appel grâce aux manœuvres de la CIA, dont le directeur était, au moment du crime, M. George Bush (père). Il purgera quatre ans de prison au Panamá (avant d’être amnistié pour « raisons humanitaires ») après avoir tenté, en 2000, d’assassiner M. Fidel Castro dans ce pays, en compagnie du terroriste notoire Luis Posada Carriles.
Source de l’article : MedeLu