17 questions posées à Thierry Deronne, sur VIVE TV

Par Mariana Requena

Maria­na Reque­na est membre de l´équipe de la télé­vi­sion digi­tale de Vive TV, décembre 2008.

Tra­duit par le col­lec­tif vive-Belgique

 

VIVE TV, une télé­vi­sion publique, natio­nale et par­ti­ci­pa­tive au Venezuela

ViVe est une chaine de télé­vi­sion à voca­tion cultu­relle fon­dée par le gou­ver­ne­ment natio­nal du Vene­zue­la en 2003 dont l’ob­jec­tif consiste à la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions liées au pro­ces­sus poli­tique du pays et la pro­mo­tion de la culture vénézuélienne.

1. En quoi consiste l’esthétique audio­vi­suelle de VIVE ?

Il s’agit d’une esthé­tique en mou­ve­ment. Nous la décou­vrons peu a peu dans le va-et-vient entre lan­gage domi­nant et culture popu­laire. On cherche une nou­velle rela­tion indi­vi­du-col­lec­tif, au ser­vice des deux. L´image est par­ti­ci­pa­tive, ne se décide pas en cir­cuit fer­mé, mais dans la dis­cus­sion. Chaque mou­ve­ment social, chaque région, invente son regard. Comme le disait le cinéaste Boli­vien, Jorge San­jínes, “S’il n’y a pas de vrai dia­logue entre l’artiste ou le créa­teur avec le peuple et sa culture popu­laire, il y a un conflit”.


2. Com­ment se construit le dis­cours audio­vi­suel dans les émis­sions de VIVE ?

La réa­li­té dépend de ce que les gens ont besoin de dire, de mon­trer et sur­tout en tant que construc­tion sociale. La forme ne se décide qu’en fonc­tion du conte­nu qui ne dépend pas de nous, mais de l´intelligence col­lec­tive, de la pro­po­si­tion de par­ti­ci­per, l´enquête par­ti­ci­pa­tive est fon­da­men­tale. Un des objec­tifs de l’actuel pro­ces­sus de for­ma­tion inté­grale est de trou­ver une forme par­ti­cu­lière pour chaque émis­sion. La forme domi­nante télé­vi­suelle, celle de tout JT (plans proches de per­sonne inter­viewé + plan proche de per­sonne inter­viewée + plan proche de per­sonne inter­viewée avec plans d´appui pour mas­quer l´ennui et don­ner un peu de cou­leur locale aux pro­pos) est tou­jours liée au manque de temps, lui-même consé­quence de la logique de ren­ta­bi­li­té maxi­male. Pas ques­tion, dans la télé d´aujourd´hui, de faire une enquête, une ana­lyse, de créer des plans auto­nomes de réa­li­té non colo­ni­sés par un com­men­taire, qui per­met­trait au spec­ta­teur de réflé­chir. A Vive on prend au contraire le temps de dia­lo­guer et de mon­ter, ce qui per­met de trou­ver dans le style, un visage, une forme par­ti­cu­lière, qui fait de chaque émis­sion une voix dis­tincte dans une pro­gram­ma­tion hétérogène.

3. Pour­quoi ne voit-on jamais le jour­na­liste de VIVE TV dans les entre­tiens du journal ?

Le jour­na­liste qui se sub­sti­tue aux nou­velles et veut se pla­cer au centre de l’écran est, dans la plu­part des cas, une impo­si­tion nar­cis­sique de la télé-spec­tacle : quelqu´un assume pour les autres le droit divin de don­ner la bonne parole sur le réel. ¡ Bas­ta ya ! La parole des gens, les contra­dic­tions des points de vue, sont seuls á la hau­teur du besoin de com­prendre contem­po­rain. Ces nar­cisses du milieu de l´écran font rêver les jeunes qui entrent en masse dans les écoles de jour­na­lisme, qui rêvent a leur tout de deve­nir pré­sen­ta­teurs-vedettes. Faux « jour­na­listes », sans culture his­to­rique, qui ne font plus de recherche, qui n’informent plus, pré­fa­bri­qués comme les infos-mar­chan­dises qu´ils doivent for­ma­ter dans un mini­mum de temps pour un spec­ta­teur sup­po­sé les aimer. Ces ego déme­su­rés se sont tou­jours oppo­sés, á Vive, à notre mis­sion de pou­voir popu­laire. Le meilleur jour­na­lisme c’est d´abord la pen­sée popu­laire, l’organisation com­mu­nau­taire qui connaît mieux que per­sonne les causes et les solu­tions. Ceci dit, á Vive, le jour­na­liste ne dis­pa­raît pas ! Son rôle rede­vient ce qu´il n´aurait jamais dû ces­ser d´être : orga­ni­sa­teur et “dyna­mi­seur” des dif­fé­rentes sources sociales. Trans­mettre, com­pa­rer, mettre en rela­tion ces sources sociales, génère une incroyable valeur ajou­tée d´information. Au jour­na­liste d´aider le peuple a infor­mer le peuple, comme disait Sartre dans sa confé­rence de presse pour annon­cer la créa­tion du jour­nal Libé­ra­tion. C´était avant July et Rot­schild évidemment.


4. Pour­quoi n’y a‑t-il pas trace du nom du réa­li­sa­teur au géné­rique des émis­sions pro­duites par VIVE TV ?

Parce que nous sommes un ser­vice public. Nous traî­nons en nous une mau­vaise habi­tude datant de la qua­trième répu­blique véné­zué­lienne, celle de fabri­quer des enseignes publi­ci­taires ornées des têtes et des noms des man­da­taires pour annon­cer les chan­tiers publics. Comme si l´État était pri­va­ti­sable par des indi­vi­dua­li­tés tran­si­toires, contin­gentes. Comme si on pou­vait s´approprier per­son­nel­le­ment la Répu­blique, cette fonc­tion abs­traite, col­lec­tive. Chaque travailleur(se) de VIVE vit l´honneur d’être au ser­vice de la Répu­blique. Il n´y a donc pas de rai­son de mettre, comme dans les chaînes com­mer­ciales, oú les egos riva­lisent, une signa­ture pri­vée au géné­rique. Les cultures popu­laires s´en pas­saient bien, dont les oeuvres pro­duites l´étaient par tous et pour tous. C´est l’ascension his­to­rique de la bour­geoi­sie, mépri­sant l´État puisqu´elle n´en a pas besoin, qui a impo­sé la « signa­ture individuelle ».

5. Pour­quoi n’y a t’il pas des nar­ra­teurs, des ani­ma­teurs ou des voix off ?

Si, il y a des nar­ra­teurs, ani­ma­teurs, de la voix off. Mais en géné­ral ce sont les voix de la com­mu­nau­té. Il y par­fois les voix des jour­na­listes ou la voix off dans les pro­grammes didac­tiques comme le cours de ciné­ma ou le cours de phi­lo­so­phie. Dans ce cas nous par­lons d´émissions clas­siques du ser­vice public (édu­ca­tion, culture, infor­ma­tion). Le pro­blème du “pré­sen­ta­teur” est plus pro­fond, car en tant que spec­ta­teurs, nous gar­dons un besoin vital, humain, d’identification. L´Église catho­lique savait ce qu´elle fai­sait en inven­tant la figure fron­tale des saints pour un peuple qui sen­tait, au Moyen Age, que “Dieu” était trop abs­trait. Il est clair qu’une image fron­tale, un visage, une per­sonne, est un fac­teur d’identification. Il ne faut pas que le Saint devienne l´idole mais reste un média­teur vers l´invisible (dans ce cas vers l´intelligence du monde par le spec­ta­teur), et par exemple il ne doit pas diri­ger, cou­per la parole. Bour­dieu a mon­tré com­ment et pour­quoi dans la télé­vi­sion domi­nante et dans la plu­part des cas, le pré­sen­ta­teur à un rôle de cas­tra­teur, confor­ta­ble­ment ins­tal­lé dans sa supé­rio­ri­té sym­bo­lique. Augus­to Boal dit que l’animateur doit être un dyna­mi­sa­teur, un pas­seur socra­tique de la parole du peuple. Nous avons beau­coup d’expériences comme l’émission de débat Construyen­do Repú­bli­ca ou l’animateur pro­vient de la com­mu­nau­té, c’est un appren­tis­sage pour une com­mu­nau­té qui com­mence à ani­mer ses propres débats. C’est une école poli­tique, une école de socia­lisme. Mais le modé­ra­teur tend tou­jours a repa­raître, le besoin nar­cis­sique de cer­tains est très puis­sant, ils aiment sen­tir la caresse de la caméra.


6. Pour­quoi à VIVE TV ne voyons-nous pas les mêmes infor­ma­tions que dans les autres jour­naux télévisés ?

L’info, comme on sait depuis les écrits d´Armand Mat­te­lard dans les années 70, est deve­nue une mar­chan­dise comme une autre, l´introduction de la publi­ci­té a sou­mis tous les pro­grammes, dont le JT, à la valeur d´échange contre la valeur d´usage. Le jour­nal télé­vi­sé est une hié­rar­chie de diver­tis­se­ment, de spec­tacle, de sang et d´exotisme, avec droit à la visi­bi­li­té d´une élite et droit a l´invisiblité du reste de la socié­té. Sa dra­ma­tur­gie est simple, binaire : chaos-ordre, nord-sud, nous-les autres, vio­lence-répres­sion. L´information à VIVE se défi­nit non sous une logique de mar­ché ou de vente, mais en fonc­tion de la construc­tion d’une socié­té dif­fé­rente, libé­ré de la logique du mar­ché. Une construc­tion de pro­po­si­tions et de solu­tions. Ceci néces­site l´enquête ouverte, le temps d´écouter et de com­pa­rer, de com­prendre. Si l’information est insuf­fi­sante les pro­blèmes ne peuvent se résoudre, la socié­té est blo­quée. Dans nos ate­liers l’image d’une cel­lule repré­sente la nation. C’est une cel­lule qui a besoin de se repro­duire, gran­dir, de se défendre contre des menaces externes, mais qui doit pour cela recon­naître son envi­ron­ne­ment tout le temps. La cel­lule vivante, en bonne bio­lo­gie, réclame son infor­ma­tion et la cherche à tra­vers tous les canaux pos­sibles, non seule­ment pour détec­ter la menace éven­tuelle de des­truc­tion mais aus­si et heu­reu­se­ment pour trou­ver des alliances pos­sibles. C’est pour cela qu’une chaîne com­mer­ciale avec son infor­ma­tion frag­men­taire, super­fi­cielle (“effet contre cause”), pri­maire, éphé­mère, sans droit de suite, sans contexte, sans par­ti­ci­pa­tion, basée sur la vio­lence de la concur­rence, étran­gère à toute culture de soli­da­ri­té, est enne­mie de la nation. Dans une télé­vi­sion par­ti­ci­pa­tive, la richesse contra­dic­toire aide la cel­lule à gran­dir, la valeur nutri­tive est incom­pa­rable. L´avenir de l’information passe néces­sai­re­ment, par la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive puisque le cer­veau col­lec­tif donne plus d’information que des inté­rêts mino­ri­taires. La récu­pé­ra­tion du temps, est pour cela, un élé­ment stra­té­gique dans une télé­vi­sion “socia­liste”.

7. Pour­quoi dans cer­taines émis­sions de VIVE TV pré­do­mine la camé­ra à l’épaule et non pas le pied caméra ?

C´est un moyen tech­nique qui inhibe moins. Le phi­lo­sophe Althus­ser disait : “Ce n´est que d´une tech­nique qu´on peut déduire une idéo­lo­gie”. Nous savons que les grandes camé­ras d’il y a dix ans sont un fétiche du pou­voir de la télé­vi­sion. Le dis­po­si­tif fil­mique lourd fait que les gens se trans­forment, s´adressent à la télé­vi­sion comme à un dieu tout-puis­sant. La “camé­ra légère” laisse le dia­logue s´installer entre participant(e)s. Une camé­ra por­tée se veut plus par­ti­ci­pa­tive, plus res­pec­tueuse, se fait oublier, per­met le dépla­ce­ment avec les gens sans les fixer, abor­dant plu­sieurs points de vue. La camé­ra est un outil pro­pice à la démo­cra­tie participative.


8. Pour­quoi n’y a t’il pas de publi­ci­té à VIVE TV ?

Nous sommes un ser­vice public finan­cé par les impôts de la col­lec­ti­vi­té, et la créa­tion de Vive est une forme de les redis­tri­buer au peuple. Notre res­pon­sa­bi­li­té est de déve­lop­per des émis­sions libé­rés de l’audimat, d´éviter la loi du nivel­le­ment par le bas. L’intrusion de la publi­ci­té dans le ser­vice public en Europe, a fait qu´il reste autant de dif­fé­rence entre une télé­vi­sion publique et une télé­vi­sion pri­vée qu´entre une banque publique et une banque pri­vée. L’idée d’un citoyen cri­tique au sens de Simón Rodri­guez ou d´Ernesto “Che” Gue­va­ra, ce répu­bli­cain néces­saire à la répu­blique nou­velle, ne peut se déve­lop­per au sein d´une entre­prise com­mer­ciale et en se mesure pas au rating, mais dans l´évaluation qua­li­ta­tive de la trans­for­ma­tion quo­ti­dienne, indi­vi­duelle et col­lec­tive. Il faut pro­té­ger la télé­vi­sion des lois du mar­ché pour que les pro­grammes soient offerts en fonc­tion de leur valeur d´usage et recouvrent leur uti­li­té sociale, transformatrice.

9. Pour­quoi cette prio­ri­té à VIVE TV de la par­ti­ci­pa­tion des com­mu­nau­tés orga­ni­sées sur celle des man­da­taires publics.

Dans ce modèle de répu­blique boli­va­rienne, la popu­la­tion et l´État doivent tra­vailler sous un sché­ma de cores­pon­sa­bi­li­té. Par exemple, le sujet de l’émission Construyen­do Repú­bli­ca (construire la répu­blique) est ce dia­logue néces­saire com­mu­nau­té – État tel que décrit dans la Consti­tu­tion. Le Pré­sident Cha­vez le dit aus­si : l’État n´est qu´un ins­tru­ment de la popu­la­tion, citant un Boli­var qui croyait plus dans la sagesse popu­laire que dans les conseils des experts. Si on parle des gou­ver­neurs de la qua­trième répu­blique, qui incarnent une forme de pou­voir abso­lu, irra­tion­nel, ils ne trou­ve­ront pas leur place chez nous. Mais les fonc­tion­naires, les man­da­taires publics, les élus, oui, retrouvent leur vraie dimen­sion, leur digni­té lorsqu´ils dia­loguent avec la popu­la­tion. C´est cela qui est inté­res­sant dans le dis­po­si­tif actuel.


10. Régu­liè­re­ment à VIVE TV on voit des émis­sions ou le conte­nu est pri­vi­lé­gié au détri­ment de l’esthétique de l’image.

L’esthétique est une notion rela­tive. Esthé­tique ne veut pas dire joli ou beau. “L’esthétique” est la forme idéale d’une classe sociale. Le “conte­nu” en soi est l’information insé­rée dans le pro­ces­sus de chan­ge­ment. À VIVE les cou­rants s’affrontent, sur des ate­liers, des écoles et des idées, depuis les cercles de réa­li­sa­tion internes et externes, sur ce thème de l’esthétique. Là on trouve un peu de tout, il peut y avoir par exemple une classe moyenne qui trouve « ennuyeux » le temps des classes popu­laires, mais consi­dèrent « atti­rant » le temps com­mer­cial. Il n’y a pas encore, dans notre État du moins, d’hégémonie popu­laire capable d’exprimer un nou­velle esthé­tique au-delà de ce qui est commercial.


11. Quel est la signi­fi­ca­tion d’un plan-séquence à VIVE TV ? (un plan-séquence est une séquence fil­mée en un seul plan et sans montage).

Pour ne prendre que les termes de la gram­maire, il s’agit d’un mou­ve­ment conti­nu de la camé­ra reliant plu­sieurs acti­vi­tés comme si elles étaient des scènes auto­nomes. Le plan-séquence est né à VIVE comme réponse au dogme selon lequel il ne peut y avoir de temps “mort” á la télé­vi­sion. Mais comme Blan­ca Eeck­hout (pré­si­dente de VIVE TV) l’a dit, ce temps appa­rem­ment “mort” pour le capi­ta­lisme est aus­si un temps de la vie, un moment que par défi­ni­tion nous vivons tous et qui n´a pas lieu d´être inter­dit de télé­vi­sion. Pour­quoi ne pas faire sen­tir que le tra­vail, les prises de déci­sions s’effectuent à tra­vers des temps pas si morts qui sont plu­tôt des inter­valles ? Lorsqu’on va d’une mai­son à l’autre, on échange un mot avec telle ou telle autre per­sonne, et ain­si les choses évo­luent peu à peu, comme dans la lit­té­ra­ture. Evi­de­me­ment (rien n´est simple) le modèle domi­nant revient tou­jours au galop, aux têtes inter­viewées, les mots reviennent colo­ni­ser l´image, l´activité, le temps repassent au second plan. Le plan-séquence rede­vient alors une série d’interviews, ou revient á balayer un ate­lier du prof aux élèves et des élèves au prof. Il perd son sens. Mais nous pen­sons que le plan-séquence peut être un labo­ra­toire de la télé­vi­sion du futur. Il dépasse le temps “effi­cace” des séries B qui débouche sur le vide, au pro­fit d´un temps qui nour­rit, qui per­met la par­ti­ci­pa­tion inat­ten­due et que se passent des choses qu´on ne ver­rait jamais dans un autre for­mat, un temps qui se pro­longe dans la mémoire du spec­ta­teur, conserve une vie au-delà du programme.

12. Pour­quoi à VIVE TV pré­do­minent les gros plans de mains, des visages, etc ?
Exis­ter en tant que sujet est une ques­tion idéo­lo­gique : com­ment défi­nir un sujet social ? 

On n’est pas seule­ment un indi­vi­du “indi­vi­duel” mais aus­si “social”. Le piège de la bour­geoi­sie consiste dans l´effacement du monde du tra­vail et dans le fait de doter la mar­chan­dise d´une vie propre, pour qu´elle nous tombe mieux du ciel (le mys­té­rieux “Mar­ché”) et se mette à nous par­ler, nous fasant oublier que des mains, des corps, de la sueur, du temps de tra­vail, de l´exploitation, l´ont pro­duite. Or nous croyons que les peuples font l´histoire, que l´individu est un être concret, social, créa­teur. À VIVE il y a une rela­tion entre les plans col­lec­tifs et les plans indi­vi­duels : c’est le mon­tage de ces “plans” qui donnent la vraie dimen­sion de la per­sonne. Effec­ti­ve­ment, sur les chaînes com­mer­ciales il y a indi­vi­dua­li­sa­tion de l’image comme il y a une vie pour la mar­chan­dise. Ceci dit, en pas nier l’individualité est une des carac­té­ris­tiques du socia­lisme Boli­va­rien. Il y a eu des expé­riences his­to­riques très cri­ti­quées, avec rai­son, par le Pré­sident Cha­vez, lorsqu’il dit que nous ne vou­lons pas impor­ter des modèles col­lec­ti­vistes purs, où le socia­lisme était une ques­tion quan­ti­ta­tive, où la par­ti­ci­pa­tion était mas­sive mais sans qua­li­té de par­ti­ci­pa­tion. Je crois que ce qui carac­té­rise le Vene­zue­la d’aujourd’hui c’est qu’on existe autant que comme per­sonne que comme collectif.

13. Quelle est l´importance d’une télé­vi­sion réa­li­sée par les sec­teurs populaires ?

Notre télé­vi­sion révo­lu­tion­naire, née de la vic­toire popu­laire du 13 avril, a pour fin expli­cite de construire la par­ti­ci­pa­tion et le pro­ta­go­nisme des citoyens, et l´unité des peuples lati­no-amé­ri­cains. La télé­vi­sion com­mer­ciale, en tant que mono­pole pri­vé du patri­moine public des ondes, est le der­nier pan du colo­nia­lisme, un mur sym­bo­lique, c´est la néga­tion de l´Égalité répu­bli­caine par­tout et pour tous. C’est pour cela qu’on doit se battre si dure­ment pour la démo­cra­ti­sa­tion et la récu­pé­ra­tion du spectre radio­élec­trique. Lorsque le contrat de conces­sion arrive à son terme comme ce fut le cas d´une entre­prise com­mer­ciale (RCTV), une cam­pagne média­tique mon­diale fait aus­si­tôt croire qu´elle est “fer­mée par Cha­vez”. Aujourd´hui RCTV trans­met tou­jours, sans cen­sure, depuis une fré­quence pri­vée, par câble et par satel­lite, mais l´opinion mon­diale conti­nue à la croire “fer­mée par le dic­ta­teur Chá­vez”. Récu­pé­rer léga­le­ment une fré­quence publique au terme d´une conces­sion, pour créer une nou­velle chaîne cultu­relle, infor­ma­tive, fait hur­ler les pro­prié­taires de médias : on touche à leur pou­voir de repro­duire leur idéo­lo­gie inéga­li­taire, néo­li­bé­rale, à leur pou­voir de déter­mi­ner qui peut appa­raître et qui non, ce qui peut se faire ou pas.

14. Pour­quoi le docu­men­taire est-il très pré­sent dans la pro­gram­ma­tion de VIVE TV ?

Je pense qu’il s’agit d’une pre­mière phase de la révo­lu­tion. Les émis­sions du genre docu­men­taire nous aident à ana­ly­ser pour mieux trans­for­mer la réa­li­té, pour don­ner à voir les exclus de tou­jours comme des sujets qui font l’Histoire. Nous abor­dons la deuxième phase (que nous aurions dû mener dès le début). Celle de récu­pé­rer la fic­tion, de créer des per­son­nages et des sen­ti­ments asso­ciés à un monde dif­fé­rent qui ne soit plus celui de la concur­rence capi­ta­liste. Les forces créa­trices du peuple — son humour, sa musique, sa lit­té­ra­ture — per­met­tront d´inventer des feuille­tons qui déplacent la tele­no­ve­la indus­trielle, pauvre, de Vene­vi­sion (pro­prié­té du groupe Cis­ne­ros, tenant du concours Miss Vene­zue­la et de la plu­part des tele­no­ve­las). La fic­tion est un ins­tru­ment puis­sant de libé­ra­tion et de trans­for­ma­tion, autant que de domination.

15. Quel est la dif­fé­rence entre VIVE et les autres chaînes de l’État ?

Il y a plu­sieurs dif­fé­rences : dans la culture jour­na­lis­tique, le rôle du “scé­na­rio de l’information”, dans la divi­sion intellectuel/manuel, dans le lien orga­nique avec le peuple. Lorsque le pré­sident Cha­vez explique que la réduc­tion du temps de tra­vail implique un chan­ge­ment de civi­li­sa­tion, il parle de libé­rer du temps pour la for­ma­tion inté­grale, la créa­tion, la rela­tion avec l´Autre. Blan­ca Eekhout, pré­si­dente de VIVE nous disait en 2007 : “Il y a des choses qui doivent être bri­sées et ont à voir avec le divi­sion du tra­vail ; de là le concept de pro­duc­teur inté­gral. Il ne peut y avoir d´un côté ceux qui pensent et d’autres ceux qui pro­duisent.” Le cer­veau col­lec­tif est un vieux rêve de gauche. Faire place à l’intelligence col­lec­tive. “Dix têtes pensent mieux qu’une”. Rap­pel­lons-nous l´expérience de Brecht, le tra­vail inté­gral au Ber­li­ner Ensemble. Dans les autres chaînes, ces divi­sions du tra­vail per­sistent, celui du chef et les sous-chefs, l´incommunication empêche les ver­tus créa­trices de se déployer. Il se pro­duit comme résul­tat non seule­ment la domi­na­tion d’un groupe sur un autre, mais aus­si la stan­dar­di­sa­tion des programmes.


16. Pour­quoi dans les émis­sions de VIVE TV n’utilise-t-on jamais du maquillage ou des costumes ?

Les tech­ni­ciens râlent lorsqu’on voit le reflet d’une sueur sur un visage. Il faut nier la sueur des gens, il faut nier le tra­vail, il faut nier les efforts. Il faut nier la peau qui reflète quelque chose ! On retrouve ce besoin bour­geois de nier l´image du tra­vail. Or ce reflet, c’est la vie-même, la lumière existe, le corps existe. Pour­quoi devrait-on le nier ? Lorsque nous étions une colo­nie, on recou­vrait tout pour ne pas voir notre vrai peau, et dans les télés pri­vées on maquille les gens. Il est dif­fi­cile de construire un sujet his­to­rique social qui a honte de sa propre cou­leur de peau et de sa manière de par­ler. Ali Pri­me­ra, le chan­teur popu­laire du Vene­zue­la dit : même s´il dit des gros mots, le peuple à des droits. Notre centre de contrôle de qua­li­té cen­sure encore des émis­sions conte­nant des “gros mots” ! Ces­ser de faire dis­pa­raître des mots et des reflets, sans même savoir pour­quoi on le fait, c’est rede­ve­nir nous-mêmes, la télé­vi­sion n’a pas á maquiller la vie. A la révo­lu­tion de bri­ser ce rési­du de com­plexe d’infériorité. Le Pré­sident Cha­vez pro­nonce dans ses dis­cours, ces mots savou­reux comme “coño”, “vai­na”, “cara­jo” (con, truc, nom de…) parce que les pro­non­cer libère, parce que ce sont sim­ple­ment nos mots, ceux de la majo­ri­té. Les mas­quer d’un « beeep ! » me fait pen­ser au 12 avril 2002, le coup d´État, c´est au fond la même vio­lence fas­ciste. Un de nos écri­vains, Alí Gómez García, gagnant du pres­ti­gieux Prix Casa de las Amé­ri­cas en 1985 pour son ouvrage “Fal­sas, mali­cio­sas y escan­da­lo­sas reflexiones de un ñan­ga­ra” (fausses, mali­cieuses et scan­da­leuses réflexions d’un coco) plonge dans cette magni­fique rivière lexi­cale. Tous les jours le peuple véné­zué­lien la réin­vente dans la rue, dans sa camion­nette, au tra­vail, dans les champs, là où ce pays est pro­duit. Fou­cault ou Bakh­tine montrent com­ment la bour­geoi­sie a inven­té des concepts de domi­na­tion comme celui de la « folie » ou de la « gros­siè­re­té » pour domi­ner les classes popu­laires « dan­ge­reuses ». Un des livres fon­da­teurs de la langue cas­tillane, notre Don Qui­jote, que notre Minis­tère de la Culture a mas­si­ve­ment et gra­tui­te­ment dis­tri­bué à la popu­la­tion, est un véri­table tor­rent de « gros mots ». Comme la lit­té­ra­ture de Rabelais.


17. Que signi­fie la pré­sence de la consul­tance sociale à VIVE TV ?

Cette “consul­toría social” est un dia­logue per­ma­nent avec les orga­ni­sa­tions popu­laires, qui res­source sans cesse Vive aux mou­ve­ments sociaux. C’est un clas­sique de l’Histoire de voir l’État s’embourgeoiser, fer­mer ses portes, “dur­cir sa cara­pace” comme disait Julio Cortá­zar. À plu­sieurs occa­sions déjà nous avons repro­duit l’attitude du per­son­nel des médias pri­vés : ins­tru­men­ta­li­sa­tion des gens, mépris, il y a eu beau­coup de mécon­ten­te­ment chez les gens. Dans la mesure où nous main­te­nons ce lien orga­nique per­ma­nent, nous conti­nuons à créer de nou­velles logiques de pro­duc­tion. VIVE est une chaîne en mou­ve­ment. Les besoins sociaux évo­luent. Lorsque des nou­velles choses sur­gissent, VIVE doit modi­fier son dis­po­si­tif (contrai­re­ment à une chaîne com­mer­ciale qui répète les mêmes formes ad nau­seam). La révo­lu­tion socia­liste signi­fie que l’État doit être trans­for­mé en ins­tru­ment du peuple et cela signi­fie : á tous les niveaux. Dans la consti­tu­tion, dans les cercles d’étude, dans la manière dont on manie le bud­get non seule­ment d’un minis­tère mais aus­si d’un Conseil com­mu­nal. C’est pour cela que dans la défi­ni­tion des grilles de pro­grammes et des méthodes de pro­duc­tion, la popu­la­tion orga­ni­sée doit don­ner son avis de façon per­ma­nente ; c’est pour cela que nous vou­lons cas­ser la vision de pays cen­trée sur Cara­cas, en construi­sant une régio­na­li­sa­tion géné­rée par les mou­ve­ments sociaux. Tout peut se résu­mer dans l’idée de construire un État comme pou­voir du peuple et dans le cas de VIVE, de l´Égalité faite télévision.