Santiago Alvarez réalise une centaine de documentaires, dont 600 des 1500 actualités filmées produites par l’ICAIC. Ciclón est l’un de ses premiers films.
À la main, Santiago Alvarez ne tenait pas une caméra mais une arme. Son cinéma est né entrelacé à la révolution cubaine, en a absorbé la vigueur des premières années, a pris des risques et s’est mis à l’épreuve avec le courage de ceux qui n’ont pas de temps à perdre. Entièrement engagé aux côtés du programme socialiste, Alvarez a inventé un langage cinématographique dont l’influence se retrouve chez plusieurs générations de cinéastes à Cuba, en Amérique Latine et ailleurs.
En 1959, le premier acte culturel du nouveau gouvernement révolutionnaire fut la création de l’Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographique, l’ICAIC. Santiago Alvarez a alors quarante ans et aucune expérience dans le cinéma. Il accepte néanmoins l’invitation qui lui est faite de diriger les « noticieros » de l’ICAIC. Reportages hebdomadaires sur d’importants événements cubains et étrangers, les « noticieros » étaient projetés dans des salles de cinéma cubaines avant la séance principale. Ce fut la grande école de Santiago Alvarez.
En très peu de temps, il transgresse le format journalistique et, abdiquant sa supposée impartialité, devient un vrai chroniqueur. Jusqu’en 1998, année de sa mort, il réalise une centaine de documentaires, dont 600 des 1500 actualités filmées produites par l’ICAIC. Ciclón est l’un de ses premiers films.
Le nouveau régime commençait à gagner en puissance lorsque l’ouragan Flora dévaste une grande partie des provinces de l’Est de l’île. Malgré la délicate restructuration que le pays affronte alors, Alvarez n’omet pas l’intensité de la douleur ni le désespoir des cubains face à la catastrophe. Au contraire, il se sert d’images de grand impact, montrant des corps sans vie, des zones complètement inondées et propose une construction dramatique dépassant les limites du récit de désastre. Dans le sous-texte du film s’élabore un message fondamental pour les objectifs politiques du pays à l’époque : la dignité et la force du peuple cubain – en syntonie avec l’État – sont capables de résister aux pires agressions, et de réagir.
Santiago Alvarez propose un regard révolutionnaire qui se sait partie prenante de la tragédie. Après avoir présenté un Cuba prospère et productif dans les premières minutes du film, le cyclone survient, apportant avec lui la ruine. Les images s’arrêtent, la musique prend un ton grave, le montage devient tendu. Mais le désastre fait naître les solutions. Avec Fidel Castro en première ligne, les forces gouvernementales initient les secours, la livraison d’aliments et la reconstruction du pays. Ils le font côte à côte avec le peuple, qui n’abandonne pas la place de protagoniste. Les mêmes yeux qui, au début du film, paraissaient marqués par l’angoisse, semblent indiquer, à la fin, l’ébauche d’un sourire.
Santiago Alvarez a passé sa vie à filmer des catastrophes. Si dans Ciclón la cause en était une force naturelle, le documentariste était également attentif aux catastrophes provoquées par l’homme –spécialement celles émanant des États-Unis. Alvarez filme le premier bombardement américain sur la population civile au Vietnam, à Hanoï, les atrocités commises par Pinochet au Chili, la violence de la discrimination raciale aux États-Unis, ainsi que la mort d’Ho Chi Mihn. Dans ses films, la réponse aux catastrophes – accomplies ou imminentes – est apportée par le travail collectif, l’organisation du peuple et de ses dirigeants.
Sa créativité était sans limites. Photographies, dessins, images d’archives, effets sonores, animations, usage narratif de la musique… Alvarez combinait tous les éléments qu’il avait sous la main pour communiquer. L’impossibilité de filmer quelque chose, ou le manque de ressources, stimulaient son imagination. Sans jamais perdre la tendresse de ses points de vue, il a subverti le langage audiovisuel, en phase avec la rupture idéalisée par la révolution. Il le dit lui-même : « L’efficacité artistique et politique d’une œuvre cinématographique réside fondamentalement dans la clarté de la position idéologique qui guide sa réalisation. Définitivement, la forme se fait belle lorsqu’elle part de la beauté de son contenu. L’artiste n’est pas révolutionnaire s’il produit un divorce entre le contenu et la forme ». 1
Dans le dernier plan de Ciclón, Santiago Alvarez se concentre avec insistance sur le visage d’un enfant qui regarde la caméra. Face à n’importe quelle menace, il parie sur l’essence de l’homme et sur sa puissance transformatrice.
Par Manoela Ziggiatti, réalisatrice et a suivi le cours régulier de réalisation documentaire à la Escuela Internacional de Cine y Televisión de San Antonio de los Baños, Cuba. Texte traduit du portugais par Lúcia Monteiro.
- Santiago Alvarez, « El periodismo cinematografico » [1978], in Revista Cine Cubano, nº 18/19, juillet/décembre 2010, La Havane, Instituto Cubano Del Arte e Industria Cinematográficos, www.cubacine.cult.cu/revistacinecubano/digital1819/articulo14.htm.