Relire “Racisme et culture” de Frantz Fanon au prisme des actes négrophobes ayant eu lieu au Pukkelpop festival
“Le racisme (…) n’est qu’un élément d’un plus vaste ensemble : celui de l’oppression systématisée d’un peuple.” “L’un des paradoxes rapidement rencontré est le choc en retour de définitions égocentristes, sociocentristes.” ” (…) le racisme est bel et bien un élément culturel. Il y a donc des cultures avec racisme et des cultures sans racisme.” “Il nous faut chercher, au niveau de la culture, les conséquences de ce racisme.”
Frantz Fanon — Culture et racisme
Fanon explique comment le projet raciste est hanté par la mauvaise conscience en tant qu’engagement passionnel. Le racisme n’est pas un élément surajouté aux éléments culturels d’un groupe, bien plus c’est l’ensemble culturel qui est profondément remanié par l’expérience du racisme.
C’est ainsi que la chanson De Kongo (Léopoldville, 1926) est un élément de cette culture coloniale et de l’oppression systématique du peuple congolais. Et l’on ne combat pas l’oppression et ses brutalités par l’éducation ou la déconstruction des préjugés, ni même par la seule déconstruction de la propagande coloniale. Bien plus, comme nous y invite Fanon, il faut rechercher les répercussions du racisme à tous les niveaux de la sociabilité.
Il n’y a ni libération de la parole raciste ni retour du racisme car celui-ci n’a jamais disparu. Ce que montre Fanon c’est que s’il y a une transformation des formes du racisme, ce n’est pas en tant que travail de la conscience mais bien en tant qu’effet de l’évolution des formes d’exploitation. En effet, les formes du racisme, c’est-à-dire l’idéologie raciste est toujours d’abord le signe de l’exploitation. Or le problème le plus important avec tous ces discours autour de la décolonisation des mentalités, c’est qu’ils émanent de l’idéologie démocratique et humaniste, celle des éducateurs qui aiment à penser le racisme comme une chose déliée des formes d’exploitation pour ne pas avoir à se situer eux-même depuis l’ordre racial.
L’antiracisme humaniste qui comme le montre très bien Fanon résulte du choc et du souvenir du nazisme après-guerre (voir aussi Colette Guillaumin, L’idéologie raciste) possède une définition morale du racisme sans prise sur les rapports de domination. Or les jeunes flamands qui ont chanté la chanson De Kongo ne sont ni des abrutis ni des illettrés. Ce sont des sujets socialisés au racisme comme une part importante des Belges blancs, des sujets fabriqués à partir d’une culture raciste. C’est la même erreur qui consiste à faire des Nazis des crétins sans éducation et à ne pas prendre en considération les effets de la révolution culturelle nazie. D’ailleurs, dans cette affaire, on peut voir comment les agresseurs usent dans leurs témoignages (quasiment d’emblée) de catégories juridiques qui visent à les prévenir d’une qualification d’incitation à la haine. Les témoignages ressemblent d’ailleurs assez fort aux témoignages dont sont coutumiers les policiers après un homicide afin d’instruire leur caractère involontaire. C’est-à-dire qu’ils sont produits par des avocats qui anticipent d’emblée les risques de condamnation.
Il n’existera pas de point de vue en surplomb sur notre société gangrenée par le racisme à partir duquel on pourrait rééduquer les mauvais sujets coloniaux. Notre société est raciste, le racisme y prolifère en se métamorphosant et en se répétant parce que nous vivons dans une société capitaliste néo-libérale, c’est-à-dire dans une société qui est structurée sur et par l’exploitation. Fanon nous invite à une lutte totale et sans trêve contre cet ordre, une lutte dont le ressort est la transformation radicale des formes d’oppression et des moyens de production de l’ordre racial.
D’ailleurs la double réaction de Zual Demir et de Theo Francken montre clairement que le libéralisme autoritaire (NVA) se satisfait très bien des injonctions à décoloniser les mentalités car ça lui permet de relativiser et d’euphémiser les actes racistes en tant que tel et d’ainsi jeter le discrédit sur les victimes. D’un côté, Zual Demir valide l’hypothèse de la définition du racisme comme un problème d’éducation et en tant que ministre en charge des institutions scientifiques fédérales rencontre et invite les agresseurs à une visite “décoloniale” du musée de Tervuren. De l’autre côté Theo Francken peut insulter les victimes et signifier qu’elles sont peut-être en fin de compte responsables de leur agression.
Martin Vander Elst
Reproduit de sa page facebook (avec son aimable autorisation), jeudi 23 août 2018