Saillans, une expérimentation politique

par Fer­nand Karagiannis

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Revue Poli­tique

En France, le petit vil­lage de Saillans, expé­ri­mente depuis 2014 une forme de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. A quelques semaines des élec­tions com­mu­nales en Bel­gique, voi­ci un retour sur une expé­rience qui fonctionne.

Situé sur une des rives de la Drôme, en pleine région du Diois (Sud-Est de la France), le petit vil­lage de Saillans, à peine plus de mille habi­tants, expé­ri­mente depuis 2014 une forme de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. D’initiative citoyenne, ce pro­jet a dû inven­ter au fil de l’expérimentation ses propres ins­ti­tu­tions de par­ti­ci­pa­tion afin de pas­ser de l’utopie à la réa­li­sa­tion concrète d’une gou­ver­nance alter­na­tive. Trois ans après son élec­tion, et alors que l’équipe muni­ci­pale entame sa der­nière année de man­da­ture, Fer­nand Kara­gian­nis, contre­maitre de métier et « élu-réfé­rent » à Saillans, a pro­fi­té du calme de l’été pour répondre à quelques-unes de des ques­tions de la revue Poli­tique. Retour sur une expé­rience de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive qui fonctionne. 

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Pou­vez-vous reve­nir sur la genèse du pro­jet qui a pré­si­dé à l’instauration d’une forme de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive dans la com­mune de Saillans ? Quel a été le déclen­cheur de votre volon­té de pré­sen­ter une liste – contre le maire sor­tant – aux élec­tions muni­ci­pales de 2014 ?

FK : L’un des déclen­cheurs de ce « pro­jet » – comme on l’appelle ici – est cer­tai­ne­ment la consti­tu­tion d’un col­lec­tif d’habitants, en 2013, qui s’opposaient à un plan d’installation d’un super­mar­ché à l’entrée du vil­lage. Cette idée de super­mar­ché avait été avan­cée par l’équipe muni­ci­pale en place, mais sans concer­ta­tion avec la popu­la­tion locale. Dans notre dos en quelque sorte. Alors les membres du col­lec­tif se sont lan­cés dans une cam­pagne pour ten­ter de faire annu­ler ce pro­jet d’implantation en péri­phé­rie du vil­lage (accès pos­sible uni­que­ment en voi­ture). Cette cam­pagne était aus­si un moyen de sen­si­bi­li­ser le plus grand nombre d’habitants. Tous les dimanches, pen­dant le mar­ché, le col­lec­tif dis­tri­buait de la docu­men­ta­tion et dis­cu­tait avec les habi­tants de l’incohérence de ce pro­jet de super­mar­ché et du manque de prise de compte des vil­la­geois. Cette cam­pagne d’information, et plus lar­ge­ment l’expérience du col­lec­tif – qui eu fina­le­ment gain de cause – a été l’occasion pour beau­coup d’entre nous – habi­tants du vil­lage – de nous ren­con­trer, de par­ler, par­fois très lon­gue­ment. Petit à petit, nos dis­cus­sions ont dépas­sé la seule his­toire du super­mar­ché pour abor­der des sujets plus pro­fonds : les pro­blèmes des habi­tants, de la vie du vil­lage, de la manière dont la muni­ci­pa­li­té fonc­tion­nait, etc.
C’est à par­tir de toutes ces ren­contres et de toutes ces dis­cus­sions qu’a mûri l’idée de pré­sen­ter une liste auto­nome aux élec­tions de 2014 et de com­men­cer à réflé­chir concrè­te­ment à un mode de fonc­tion­ne­ment qui pou­vait inclure les habi­tants de la com­mune. Cette idée a fina­le­ment dépas­sé les seuls membres du col­lec­tif et a été reprise par de plus en plus d’habitants. Tous par­ta­geaient le constat du manque d’espace de dis­cus­sion et de par­ti­ci­pa­tion au sein de la com­mune. On a com­men­cé alors à ima­gi­ner des moyens concrets de faire de la poli­tique autre­ment avec, en ligne de mire, trois idées simples – mais qui sont pour nous fon­da­men­tales au fonc­tion­ne­ment de la mai­rie : la col­lé­gia­li­té, la par­ti­ci­pa­tion et la trans­pa­rence. Et aujourd’hui, 3 ans et demi plus tard, je dois dire que non seule­ment le pro­jet a dépas­sé nos attentes, mais sur­tout que ce sont ces trois idées qui, aujourd’hui encore, guident nos actions.

Mais avant d’être élus, vous avez cer­tai­ne­ment dû faire cam­pagne ? Com­ment avez-vous orga­ni­sez celle-ci ?

FK : Nous avons orga­ni­sé ce qu’on a appe­lé une « cam­pagne ouverte ». C’est-à-dire sans pro­gramme, sans tête de liste et sans équipe muni­ci­pale pré­éta­blie. Le socle de la cam­pagne était de four­nir aux habi­tants – à nous-mêmes ! – des outils pour reprendre le contrôle de notre vil­lage, pour se réap­pro­prier notre quo­ti­dien. C’est-à-dire que, au lieu de faire des pro­messes sur des objec­tifs maté­riels à tenir, au lieu de par­ler en termes de résul­tats tan­gibles, nous avons, pen­dant la cam­pagne et avec l’aide de plu­sieurs habi­tants du vil­lage, orga­ni­sé des réunions publiques ani­mées avec des méthodes type d’éducation popu­laire et qui avaient pour voca­tion pré­ci­sé­ment de réflé­chir aux manières dont nous vou­lions gérer notre com­mune. Non pas ce qu’on allait déci­der mais com­ment nous avions envie de décider.
Et cette idée de « faire autre­ment » a inclus dans ce pro­ces­sus beau­coup de per­sonnes – y com­pris celles qui n’avaient pas for­cé­ment voix au cha­pitre aupa­ra­vant – dans un esprit d’ouverture et de bien­veillance. Si bien que les pre­miers ins­ti­ga­teurs du pro­jet ont été rapi­de­ment rejoints par une plu­ra­li­té d’habitants. Je pense que c’est cette « cam­pagne ouverte » qui a fait adhé­rer beau­coup de gens à notre liste. Pas une his­toire d’idéologie, de gauche, de droite, ni un ral­lie­ment sur des idées de fond. Je pense que les gens ont été séduits par l’idée de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive qui leur avait été expo­sée lors d’activités d’information orga­ni­sées par le col­lec­tif dans les mois pré­cé­dents les élec­tions. Et on peut même consi­dé­rer que le but du col­lec­tif était assez modeste ; il n’était ni ques­tion de chan­ger la pla­nète, ni même la France. Il n’y avait aucune pro­messe a prio­ri. Juste la pos­si­bi­li­té, si notre pro­jet l’emportait dans les urnes, de pour­suivre l’expérimentation par­ti­ci­pa­tive à l’échelle de la Mairie.

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Et com­ment est-ce que vous êtes pas­sé de cette étape de « cam­pagne ouverte » à celle de pré­sen­ter une liste ?

FK : Bon, à ce stade-là, ce qui était clair pour tout le monde, c’était qu’on vou­lait une orga­ni­sa­tion hori­zon­tale. Mais juri­di­que­ment, il fal­lait tout de même une liste avec des can­di­dats à élire. Alors on a fait un petit son­dage par­mi nous, pour savoir qui était prêt à endos­ser le rôle d’élu et qui dési­rait s’impliquer autre­ment. Vingt-une per­sonnes – pour quinze postes d’élus – se sont por­tées volon­taires et ont tra­vaillé ensemble sur le fonc­tion­ne­ment de la future mai­rie. Au cours d’une de ces réunions, s’est posée la ques­tion concrète de qui, en cas de vic­toire, endos­se­rait la fonc­tion de maire – fonc­tion que, mal­gré notre volon­té, nous ne pou­vions pas sup­pri­mer d’un point de vue juri­dique. Le col­lec­tif a fina­le­ment déci­dé de nom­mer Vincent (Vincent Beillard, Ndlr) – qui était à l’époque veilleur de nuit. En binôme avec Annie (Annie Morin, Ndlr) – retrai­tée et l’une des doyennes du col­lec­tif, ils forment ce que nous nous nom­mons « le binôme de tête » (l’équivalent dans le sys­tème clas­sique du maire et de son pre­mier adjoint). Nous les avons choi­sis tous les deux pour leur sens de l’écoute et de la recherche de consen­sus, pas for­cé­ment pour leur cha­risme ou leurs idées. Et pour tout vous dire, le jour où nous les avons choi­si, Vincent n’était même pas pré­sent en réunion, il tra­vaillait (rire).

Ça veut dire que, offi­ciel­le­ment, ils sont les seuls à pou­voir signer cer­tains papiers, ou à repré­sen­ter la com­mune dans cer­taines ins­tances ? Quelle est la dif­fé­rence avec le sys­tème clas­sique, alors ?

FK : Oui bien sûr. Mais c’était le prix à payer pour pou­voir concrè­te­ment reprendre en main la com­mune. Mais la dif­fé­rence avec ailleurs, c’est qu’on a veillé à nive­ler au maxi­mum les pou­voirs du maire. Tout d’abord, en pro­dui­sant des méca­nismes de col­lé­gia­li­té par­mi les quinze élus. Tous les élus sont sur le même plan et Vincent a ici la même voix que n’importe lequel d’entre nous. De ce point de vue, son pou­voir est clai­re­ment nive­lé poli­ti­que­ment. Ensuite, nous avons vou­lu redon­ner de la valeur à tous les conseillers muni­ci­paux, pour qu’il n’y ait ni acca­pa­ra­tion de pou­voir par un seul, ni de « lar­bins » qui délèguent sans cesse leurs res­pon­sa­bi­li­tés. En ana­ly­sant scru­pu­leu­se­ment les textes juri­diques, on a com­pris que chaque élu pou­vait avoir une délé­ga­tion de com­pé­tence. Dans un pro­ces­sus déli­bé­ra­tif, nous avons défi­ni huit com­pé­tences au bon fonc­tion­ne­ment de la com­mune – san­té sociale ; éco­no­mie-pro­duc­tion locale ; trans­pa­rence-infor­ma­tion ; finance ; jeu­nesse ; envi­ron­ne­ment ; tra­vaux ; vie asso­cia­tive – et nom­mé pour cha­cune d’entre elles un binôme – ici aus­si – « d’élus-référents ». Le fait d’instaurer des binômes, c’était une manière de ne pas concen­trer trop dans les mains d’un seul, de dif­fu­ser la res­pon­sa­bi­li­té et de pro­duire un sen­ti­ment d’équipe et de complémentarité.

Voi­là qui est pour ce qui concerne la col­lé­gia­li­té entre élus, mais qu’en est-il de la par­ti­ci­pa­tion citoyenne ?

FK : N’allez pas trop vite. Vous devez d’abord bien com­prendre que les « élus réfé­rents » n’ont pas de pou­voir d’action auto­nome. Tout au plus ont-ils pour fonc­tion d’exécuter les déci­sions du quo­ti­dien pour les­quelles une « ago­ra » n’est pas néces­saire : l’installation d’une nou­velle échoppe dans le mar­ché du dimanche, débou­cher un égout muni­ci­pal, etc. Nous vou­lons être réa­listes. On ne va pas faire des ago­ras pour ça (rires). Du reste, nous ne fonc­tion­nons pas comme ce que l’on nomme d’ordinaire dans les mai­ries « le Conseil d’Adjoints » : un organe trop confi­den­tiel sur lequel per­sonne n’a de prise. Non ! « Réfé­rent » ne veut pas dire de l’élu qu’il est for­cé­ment plus « expé­ri­men­té » qu’un autre dans cette matière, cela veut dire qu’il est en charge « d’animer » cette com­pé­tence dans les com­mis­sions par­ti­ci­pa­tives. Pour tout ce qui relève des déci­sions « impor­tantes », c’est le Comi­té de pilo­tage qui est compétent.

C’est l’organe prin­ci­pal que l’on a ins­tau­ré dans notre muni­ci­pa­li­té. Y siègent, bien évi­dem­ment, tous les élus, qui donnent leur opi­nion de façon égale, mais aus­si les habi­tants de la com­mune. Tout le monde a droit de venir et d’intervenir. Cette ins­tance est notre colonne ver­té­brale en quelque sorte : c’est le lieu des débats, des dis­cus­sions, par­fois des désac­cords, mais aus­si de la recherche du consen­sus. C’est vrai­ment l’endroit où nous éla­bo­rons ensemble, sur un pied d’égalité, l’avenir de notre vil­lage. Lorsque qu’une dis­cus­sion se clô­ture par un vote de l’assemblée – ce qui est rare, la majeure par­tie des déci­sions ten­tant de se faire à l’unanimité – tous ceux qui sont pré­sents peuvent s’exprimer. Et ce, que nous soyons 15 ou 30 ! Bien évi­dem­ment, ces méca­nismes ne se sont pas mis en place du jour au len­de­main. Il a fal­lu remettre « la poli­tique au milieu des gens ». Et afin de faire venir un maxi­mum de monde au Comi­té de pilo­tage, l’équipe muni­ci­pale met en place de nom­breux outils d’information : plu­sieurs pan­neaux d’affichage dans la com­mune, des lettres d’info régu­lières, la publi­ca­tion des comptes ren­dus des réunions sur le site inter­net, etc. Sans tous ces outils, c’est impos­sible ! C’est pri­mor­dial que tout soit public, que cha­cun sache de quoi il en retourne. C’est ça la trans­pa­rence ! Et ce n’est qu’à par­tir de là que les gens ont envie de don­ner leur avis.

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A côté du Comi­té cen­tral de pilo­tage – ouvert à tous – il existe des com­mis­sions par­ti­ci­pa­tives pour cha­cune des com­pé­tences que j’ai men­tion­nées, ani­mées par le binôme d’élus-référents. Chaque année, ces com­mis­sions font le point sur les tra­vaux écou­lés et avancent de nou­veaux pro­jets au Comi­té de pilo­tage. Il y a alors la pos­si­bi­li­té de mon­ter un Groupe Action Pro­jet (GAP) pour mettre en place un pro­jet sol­li­ci­té par l’une de ces com­mis­sions. Le GAP, qui regroupe des habi­tants volon­taires et un ou plu­sieurs élus, étu­die concrè­te­ment sa réa­li­sa­tion, ins­truit le dos­sier en quelque sorte, avant de le sou­mettre au Comi­té de pilo­tage. S’il abou­tit, et moyen­nant les bud­gets, la muni­ci­pa­li­té gére­ra alors l’exécution de ce pro­jet. En trois ans, une tren­taine de GAP ont été mis sur pied, concer­nant autant la cir­cu­la­tion et la mobi­li­té, l’extinction noc­turne de l’éclairage public, le jar­din public, le site inter­net, la salle des fêtes, le fleu­ris­se­ment, etc. On dis­cute bien enten­du de la prio­ri­té des GAP pour le bien col­lec­tif. Faute de bud­get, et en dépit du tra­vail du GAP, tous les pro­jets ne peuvent abou­tir. Mais au moins, tout le monde est au cou­rant, tout le monde sait pour­quoi tel ou tel pro­jet n’aboutit pas, et tout le monde a pu don­ner son avis et par­ti­ci­per à la décision.
Le fonc­tion­ne­ment des GAP nous per­met aus­si de trai­ter un très grand nombre de dos­siers, qu’on n’aurait pas pu trai­ter seule­ment entre élus. C’est aus­si une manière de ne pas consi­dé­rer qu’il y a des gros et des petits dos­siers. Toutes les idées méritent d’être exploi­tées dès lors que quelques habi­tants estiment que c’est le cas. On ne peut pas réduire notre action com­mu­nale à la construc­tion, par exemple, d’un grand bâti­ment qui sym­bo­li­se­rait notre légis­la­ture. Certes c’est aus­si impor­tant de construire et de pré­pa­rer l’avenir, mais il n’y a pas que ça. Il y a aus­si toutes les actions qui font que les gens se sentent bien dans leur envi­ron­ne­ment de vie. Cela n’est jamais comp­ta­bi­li­sé : le bien être de par­ti­ci­per au bien com­mun. Moi, je crois en cette force-là !

Qu’est ce qui garan­tit, selon vous, cette bonne arti­cu­la­tion entre GAP, Comi­té de pilo­tage, élus-réfé­rents et tous les habi­tants ? Qu’est ce qui empêche le pro­jet de se refer­mer sur lui-même ?

FK : Je n’ai pas encore évo­qué le rôle de l’Observatoire de la Par­ti­ci­pa­tion, char­gé de réfé­rer au Comi­té de pilo­tage les remarques et les cri­tiques quant aux pra­tiques par­ti­ci­pa­tives. A l’origine, ce comi­té était com­po­sé des six per­sonnes qui s’étaient décla­rées comme dési­rant être can­di­dates, mais qui s’étaient rétrac­tées faute de place sur la liste. Ce « conseil des sages » a rapi­de­ment évo­lué pour inté­grer six autres habi­tants. L’observatoire rem­plit trois fonc­tions : for­mer les habi­tants au rôle d’animateur dans les com­mis­sions par­ti­ci­pa­tives, éta­blir des éva­lua­tions sur le bon fonc­tion­ne­ment par­ti­ci­pa­tif de la com­mune et émettre de nou­velles pro­po­si­tions pour amé­lio­rer la par­ti­ci­pa­tion à l’échelle de la com­mune. C’est dans ce cadre que, récem­ment, en 2017, ils ont pro­po­sé d’introduire une dose de tirage au sort afin d’impliquer tou­jours plus de monde dans les pro­ces­sus de par­ti­ci­pa­tion. Y com­pris des gens qui ne viennent pas aux réunions, qui n’osent pas, mais qui n’en pensent bien sûr pas moins. Il s’agissait d’approfondir encore notre pra­tique de la démo­cra­tie, de ne jamais res­ter en l’état, d’inclure plus de per­sonnes encore.
La tech­nique du tirage au sort a été expé­ri­men­tée der­niè­re­ment pour la créa­tion de notre Plan Local d’Urbanisme (PLU) – qui fait par­tie des objec­tifs fixés pour la ren­trée. Nous avons d’abord tiré au sort 140 per­sonnes (par­mi les 1080 élec­teurs de Saillans) en fai­sant atten­tion à la pari­té des genres, et à la repré­sen­ta­tion des quar­tiers de la com­mune (Saillans est divi­sé en quatre « quar­tiers », Ndlr). Les per­sonnes tirées ont reçu un cour­rier leur indi­quant qu’ils pou­vaient par­ti­ci­per à ce groupe de pilo­tage citoyen pour le PLU. Cin­quante d’entre eux se sont ren­dus à la réunion explicative.

Avoir s’être vus signi­fier ce qu’une telle pro­cé­dure allait induire en terme de par­ti­ci­pa­tion et d’engagement – au moins une réunion par mois – vingt-cinq per­sonnes ont accep­té de par­ti­ci­per au second tirage au sort, qui déter­mi­na les 12 par­ti­ci­pants qui com­posent aujourd’hui ce groupe de pilo­tage citoyen (GPC) de la révi­sion du PLU. Nous avons aus­si délé­gué à un cabi­net d’urbanisme l’organisation d’ateliers par­ti­ci­pa­tifs avec les membres du GPC, accom­pa­gnés des quatre élus-réfé­rents et de deux agents (seize per­sonnes au total). Et ça marche ! Dans ce groupe de pilo­tage, presque 75% n’étaient pra­ti­que­ment jamais venus à une réunion à la mai­rie avant le tirage au sort. Et ils ont mal­gré tout accep­té de par­ti­ci­per après le tirage au sort. Et c’est ce groupe de citoyen qui va déci­der au final du PLU. Cela veut dire que ces per­sonnes se forment – notam­ment en droit, en urba­nisme – comme les élus. Ils apprennent de ce pro­ces­sus. C’est aus­si très gra­ti­fiant ! Il en résulte un sen­ti­ment d’être sou­dés les uns avec les autres. Et puis, on le voit, ça donne du plai­sir aux gens. Ce n’est pas un tra­vail. On le fait pour se réap­pro­prier notre quotidien.

Est-ce que vous vous appuyez sur des bases théo­riques, ou des idéo­lo­gies phi­lo­so­phiques, pour mettre en place ces méca­nismes participatifs ?

FK : Pas vrai­ment, je dois dire, et c’est peut-être aus­si cela qui sort de l’ordinaire. Nous n’avons pas réflé­chi à par­tir d’une théo­rie exis­tante à mettre en pra­tique. Nous avons réflé­chi à par­tir de nos expé­riences et de notre res­sen­ti en tant qu’habitants de Saillans. Dans le fond, l’idéal qu’on défend, c’est un idéal de démo­cra­tie radi­cale. Pas de la démo­cra­tie où tous les 5 ans, on nous demande d’émettre un vote et puis plus rien. Comme ce que le maire pré­cé­dent nous rétor­quait à l’époque du col­lec­tif : « C’est moi qui ai été élu, c’est moi qui suis légi­time !». Non ! Nous avons co-construit sur la base de ce res­sen­ti par­ta­gé. En se deman­dant sans cesse ce qui serait encore plus démo­cra­tique. Et il y a tou­jours une réflexion sur com­ment les habi­tants – un plus grand nombre pos­sible – s’impliquent jusque dans les pro­ces­sus déci­sion­nels. Et puis c’est tout le monde qui vient appor­ter sa pierre à l’édifice. Par après, on s’est for­més aux méthodes d’animation et d’éducation popu­laire. Nous n’avions bien sûr aucune connais­sance de ces tech­niques à la base. Cela nous a aidés à créer ces ins­ti­tu­tions et struc­tures de par­ti­ci­pa­tion, sans quoi notre pro­jet n’aurait pas tenu un an. Ici, on peut dire qu’on est sor­ti de l’utopie, qu’on a éla­bo­ré quelque chose de cohé­rent et qui per­met de gérer la com­mune, tout en impli­quant les gens, de l’élaboration jusqu’à la décision.

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Quelles sont les limites ins­ti­tu­tion­nelles de votre mode de fonc­tion­ne­ment ? Et est-ce qu’on vous a mis des bâtons dans les roues au moment de la mise en place de la nou­velle équipe municipale ?

FK : Sin­cè­re­ment, oui ! A l’intercommunalité par exemple. Ils nous ont clai­re­ment mis de côté avec mépris. Ils y ont même fait élire l’ancien maire qu’on avait bat­tu aux élec­tions en tant que vice-pré­sident de l’interco’. C’est com­plé­te­ment aber­rant. Depuis, et on le voit bien dans nos rap­ports avec eux, ces gens ne donnent de cré­dit qu’à la fonc­tion de maire. Ils dénient le fait que nous avons cha­cun des com­pé­tences entre nous et n’envoient les infor­ma­tions liées à nos com­pé­tences qu’au seul maire. C’est pareil pour la pré­fec­ture. Et cette rou­tine est assez dif­fi­cile à cas­ser, même après trois ans d’exercice. En fait, toutes les ins­ti­tu­tions offi­cielles avec les­quelles l’équipe muni­ci­pale est en rap­port refusent d’intégrer un autre sché­ma que le sché­ma clas­sique. On sent bien que les ins­tances offi­cielles n’existent que pour voir exis­ter et agir des « chefs » et qu’enrailler quelque peu ce mode de faire est très com­pli­qué… Pour autant, je dois avouer que cette his­toire avec l’interco’ nous a aus­si bien sou­dé entre nous. Et plus on s’est sen­ti mar­gi­na­li­sés par les ins­ti­tu­tions exté­rieures, plus grand a été notre envie de résis­ter et de reprendre pos­ses­sion de notre quo­ti­dien dans la commune.

D’un autre côté, et je ne sais pas vrai­ment à quoi cela est dû, mais nous n’avons pas eu de réel oppo­si­tion orga­ni­sée. Même l’équipe de l’ancien maire, qui raillait notre élec­tion, n’est pas deve­nue une force d’opposition orga­ni­sée. Jamais ils ne se sont struc­tu­rés pour s’opposer à tel ou tel pro­ces­sus, ou à telle ou telle déci­sion. Comme si le pro­jet avait recueilli une telle adhé­sion, qu’ils n’avaient plus vou­lu s’y oppo­ser. Lorsque le pro­jet est entiè­re­ment trans­pa­rent, et ouvert à la par­ti­ci­pa­tion, ça attise plu­tôt l’envie de le co-construire, de le trans­for­mer de l’intérieur que de s’y oppo­ser fron­ta­le­ment. Evi­dem­ment, nous sommes bien conscients de l’utilité d’une oppo­si­tion, de la néces­si­té de lais­ser s’exprimer les anta­go­nismes. Il faut de la matière. Et c’est éga­le­ment le rôle de toutes les ins­tances par­ti­ci­pa­tives que de faire remon­ter les cri­tiques qui s’élèvent. Et ces cri­tiques sont légi­times. Je consi­dère que c’est une chance, pour nous élus, d’avoir des gens qui par­tagent la même concep­tion que nous sur l’essence du pro­jet et qui savent être très cri­tiques lorsqu’ils estiment que nous dévions de notre inten­tion de départ (et croyez-moi ils savent être francs quand il le faut) (rires).

A l’inverse, vous avez des alliés par­mi d’autres com­munes de France ou ailleurs ?

FK : Pas tant que ça quand même (sou­rire). Nous avons bien eu quelques contacts avec la mai­rie de Gre­noble (Eric Piolle (EELV), Ndlr). Nous avons éga­le­ment eu des contacts avec Jo Spie­gel (maire de la petite com­mune alsa­cienne de Kin­ger­sheim, Ndlr) qui s’est fait connaître en intro­dui­sant des doses de par­ti­ci­pa­tion à l’échelle de sa com­mune. Néan­moins, le mode de fonc­tion­ne­ment semble res­ter ver­ti­cal. Dans le cas de Saillans, nous avons reven­di­qué haut et fort le pro­jet par­ti­ci­pa­tif. Radi­ca­le­ment reven­di­qué même. C’est le fon­de­ment de l’action de notre équipe.

Les pro­chaines élec­tions muni­ci­pales devraient avoir lieu au prin­temps 2020. Ce qui veut dire qu’on approche bien­tôt de la fin de votre man­da­ture. Quelles sont vos inten­tions pour la suite ?

FK : avons jus­te­ment pré­vu une réunion pro­chai­ne­ment dans laquelle cha­cun des élus est invi­té à pré­sen­ter son bilan et sur­tout ses inten­tions de conti­nuer, ou non, à être impli­qué en tant que réfé­rent. Je peux déjà vous dire que tous les membres de l’équipe ne vont pas res­ter impli­qués de la même manière. Si la réflexion sur la pro­chaine man­da­ture n’en est qu’à ses débuts, l’idée est de repar­tir comme en 2014, c’est-à-dire en repar­tant dans une « cam­pagne ouverte », sans équipe pré­for­mée d’élus, ouverte aux habi­tants de Saillans. Il est évi­dem­ment hors de ques­tion que l’équipe muni­ci­pale sor­tante télé­guide tout le pro­ces­sus. Nous ne vou­lons pas repro­duire. Nous vou­lons refaire un pro­jet qui donne envie en remet­tant la méthode au même niveau que le fond. Même si, au niveau des résul­tats, j’ai l’impression que nous avons bien tra­vaillé, que beau­coup de pro­jets ont pu être réa­li­sés durant cette man­da­ture. Si l’ancien maire pré­sente une liste, l’argument de l’inefficacité ne pour­ra pas nous frei­ner. Donc même si dans l’équipe actuelle, nous ne sommes pas nom­breux à conti­nuer, peu importe, l’idée c’est d’initier quelque chose de nou­veau, par exemple avec des évo­lu­tions et les conseils de l’observatoire de la par­ti­ci­pa­tion. C’est le pro­jet qui doit per­du­rer, pas les personnes.

Pro­pos recueillis sur place par Angèle Min­guet (poli­to­logue, Univ. La Sapien­za – Rome) et You­ri Lou Ver­ton­gen (poli­to­logue, USL‑B).
Source : Revue Poli­tique

Lire l’ar­ticle de Siné heb­do : Saillans, une expé­rience de démo­cra­tie directe