Nous reproduisons ici avec l’aimable autorisation des MWB, régulièrement, un témoignage des luttes syndicales en Belgique.
Source : http://www.metallos.be/paroles/28/01/2011/suspendus-a-un-fil
Suspendus à un fil
« Pour eux, nous sommes des pions. De simples pions sur un échiquier, qu’on manipule en fonction des circonstances. Cela fait plus de deux ans qu’on est en chômage économique. Suspendus à un fil. Si Carsid ferme demain, on est à la rue. »
28/01/2011
Fabrice Holmstok, délégué MWB-FGTB au sein de l’entreprise Gagneraud-Ferrari, à Charleroi : « En novembre 2008, quand la crise nous a frappés de plein fouet, on s’est battus, on a pu éviter les licenciements et garantir aux ouvriers le chômage économique. Au début, ça allait, on tenait le choc. On nous disait qu’on arrêtait pour 3 mois. Et puis le temps est passé, d’espoirs de relance en désillusions. Aujourd’hui, près de deux ans et demi plus tard, on ne voit toujours pas le bout du tunnel. Les travailleurs me disent : ‘Fabrice, il faut que ça s’arrête, on ne peut pas continuer comme ça…’
Le côté positif des choses, c’est qu’on est toujours là. Si on n’avait pas le chômage économique, on ne serait pas ici en train de se parler. Mais attendre sans rien savoir, avec un revenu de misère, ce n’est pas une vie. Imaginez : plus ou moins 1000 euros par mois pour vivre, pour payer la maison, les études des enfants, les crédits… sans la moindre garantie pour l’avenir. Vous ne savez pas si votre entreprise va reprendre son activité demain, dans trois mois… ou jamais. Vous ne savez pas si vous allez garder votre boulot. Vous ne pouvez rien prévoir, rien planifier, rien vous permettre. J’ai des collègues qui voudraient acheter une maison, ou simplement partir en vacances. Pas possible. C’est peut-être cela le plus dur, en fin de compte : être condamné à vivre dans le stress et l’incertitude perpétuelle. Ca vous met le moral dans les chaussettes. Un collègue a du revendre sa maison. On a même connu une tentative de suicide. Souvent, quand ça va mal au boulot, ça va mal aussi chez soi…»
Ferrari SA, propriété du groupe français Gagneraud (1400 postes de travail dans le monde), est un sous-traitant de Carsid (Duferco), et d’Industeel, à Charleroi. Activités principales : la récupération et le retraitement de métaux.
« On récupère, on trie, on nettoie différents types d’aciers et des mitrailles, notamment pour les refondre. On travaille les résidus de la fabrication métallique, de la production d’acier de Carsid et son haut-fourneau. Nous sommes 52 à travailler pour Gagneraud-Ferrari, à connaître les difficultés de la sous-traitance : on dépend à la fois de notre employeur et d’une autre entreprise, Carsid, à l’arrêt depuis 2008.
Ce que dit notre direction ? Que si Carsid lui donne des garanties quant à son redémarrage, elle veut bien attendre et garantir nos emplois. Mais si Carsid ne s’engage pas rapidement sur une date précise de relance, elle mettra en place un plan de licenciement collectif. Nous, ce qu’on en pense, c’est que c’est un peu trop facile de remettre la faute sur Carsid et la crise. La crise, elle a bon dos. Les patrons n’ont plus que ce mot-là à la bouche. Tout juste s’ils ne demandent pas qu’on les plaigne, ces pauvres malheureux. En attendant, les grosses boîtes et les actionnaires recommencent à faire des profits gigantesques, et nous on continue à crever la gueule ouverte. En survivant grâce au chômage économique, qui coûte à la collectivité. Pour eux, c’est bingo : ils s’engraissent à la fois sur notre dos et sur le dos du contribuable.
Gagneraud, le patron du groupe, c’est l’une des plus grosses fortunes de France. Son compte en banque est bien garni, et son yacht à Monaco certainement très confortable. On a vu comment il a lâché nos collègues et camarades d’Herstal, qui ont récemment perdu leur entreprise et leur boulot. On ne l’a pas vu se remuer pour tenter de trouver d’autres débouchés pour nous, ici…
Cela dit, on ne perd pas espoir. Pas question de baisser les bras. Si on est toujours là, c’est qu’une reprise est encore possible. Une réunion est prévue en février, avec la direction et celle de Carsid. On devrait être fixés à ce moment-là. L’important, c’est que les métallos continuent à se serrer les coudes. Nous, petite délégation d’un sous-traitant, nous avons toujours pu compter sur l’aide précieuse, les conseils et l’expérience de la délégation MWB de Carsid pour nous soutenir, et pas seulement depuis la crise. De vrais camarades, pour qui la solidarité n’est pas un vain mot. Idem à Industeel : quand on a un problème à résoudre, ou si un coup de main est nécessaire, ils sont là, toujours disponibles. On fera front ensemble !
Quand tout va bien, être délégué, cela peut paraître facile. Les machines tournent, les gens ont du boulot, tout roule. Mais quand ça va mal, c’est autre chose. Les patrons et les actionnaires jonglent avec les milliards et avec la vie des gens. Et nous, sur le terrain, on doit se battre pour tout. On doit menacer d’arrêter les machines pour obtenir une simple pièce de rechange, pour qu’un siège d’engin défoncé soit réparé, pour récupérer trois francs six sous de frais de déplacement que les ouvriers paient de leur poche, etc. Des miettes. Une misère. Venez voir nos bureaux, et notre réfectoire : des containers, empilés l’un sur l’autre. Vous ne trouvez pas qu’il serait temps de remettre le monde à l’endroit ? On n’est plus au 19ème siècle !»
Fabrice Holmstok, pour la délégation MWB-FGTB.