Source : “Carnet de tournées — Grandpuits & petites vitctoires”
Grâce à Zin Tv, nous voilà donc en Belgique, tournant comme un groupe de rock de Liège à Bruxelles, en passant par Charleroi et La Louvière.
En Belgique, on dit “on ne sait pas” plutôt que “on ne peut pas”… Outre l’explication linguistique qu’on a essayé de m’expliquer plusieurs fois sans succès, je considère qu’il s’agit avant tout d’une marque d’humilité, dont nous devrions parfois nous inspirer, nous les Français.
Mitraillettes
C’est à Liège que nous avons débuté cette tournée belge de projections et de débats autour de Grandpuits & petites victoires, avec Lolo le teigneux, vite rejoint par Tof et Alex, ouvriers et syndicalistes de Total Grandpuits, acteurs du film. Une tournée organisée par l’association (ASBL on dit ici) ZIN TV, que nous avions déjà croisé lors de la venue de Noam Chomsky à Bruxelles. Une magnifique bande de « guérilleros de la diffusion », motivés, pleins d’énergie, d’envie, et d’une rare efficacité : Los compañeros Matthieu, Valentin, Vickye, Sergio, Audrey, Maaika y el sous-comandante Ronnie Ramirez… En tout cas, c’est dans une camionnette rouge empruntée à la FGTB qu’ils nous font traverser la Belgique… au son d’un musique latino belgo révolutionnaire (Une partie est aussi membre du groupe Xamanek à découvrir ici : http://xamanek.com)
C’est déjà une première victoire. Le syndicat belge a non seulement mis à disposition une camionnette mais à contribué à toute la tournée, engageant même quelques sous pour rendre tout ça possible, mettant à disposition des salles de projection… La tournée roule comme sur des roulettes au rythme des mitraillettes frites (sorte de sandwiches indescriptibles).
Autre victoire — et non des moindres — depuis qu’ils accompagnent le film en débat, les syndiqués de Grandpuits mettent dans la poche leurs drapeaux et leurs divisions de boutique. Depuis la reprise, un nouveau syndicat est né à Grandpuits suite à la grande aventure de la grève d’octobre qui, comme dans toutes les grandes aventures humaines, a aussi son lot de conflits personnels et de divisions. Mais le film sur la grève transgresse tout ça. Il porte le souvenir des jours heureux et la preuve qu’en cas de coup dur, les camarades se retrouvent du même côté de la barricade. Rien ni personne ne pourra enlever de la tête des mutins de Grandpuits cette expérience gravée à jamais.
“Cours ou Crève (pour deux Mars et un Snickers)”
A liège, Arcelor-Mittal vient d’annoncer la fermeture du secteur « chaud » de l’aciérie. Tout le monde ici sait que ça annonce la probable fermeture de l’ensemble chaud/froid.
On passe au siège de la FGTB où, non seulement l’annonce de la projection du film est affichée partout jusque dans les ascenseurs de ce gros syndicat, mais on est accueillis à bras ouverts par Yannik, un syndicaliste de la FGTB métallos, qui nous montre le portrait video d’un métallo au verbe facile, un excellent porte parole, un « homme de masse », comme il en faut et comme il y en a parfois :
- Voir « Cours ou crève (pour deux Mars et un Snickers) »
A Charleroi, au moment où on plaisante sur le cliché de l’abondance du trafic de drogue ici, on assiste, dès notre arrivée, à une arrestation musclée lors d’un flag de deal d’héroïne, sur la place principale. On est tout de suite dans l’ambiance. Comme partout en Europe, dans cette crise financière, ce sont les pauvres qui trinquent en premier bien sûr. Alors, les dégâts s’accélèrent de jour en jour, à grande vitesse. La rage monte ici aussi. Aucune perspective politique à gauche (pas de Front de Gauche fort ici par exemple… si vous saviez à quel point la gauche belge nous l’envie ce Front de Gauche !). A cela, on rajoute la complexe question des tensions entre Flandre et Wallonie, sur laquelle surfent les partis d’extrême droite, qu’ils alimentent même. Pour faire vite, cette extrême droite essaye de faire ses affaires électoralistes avec la plus riches Flandres pour se débarrasser des pauvres Wallons… Une sorte de mouvement séparatiste. “Pour les Français, c’est presque aussi simple à comprendre que la physique quantique” m’avoue Jean Bricmont (Physicien activiste belge)
« Austérité, ça sent le pavé ! »[[Slogan des métallos du FGTB]]
Partout, on prépare la journée de “Grève Générale” du 30 janvier. Depuis que le gouvernement s’est recomposé autour du premier ministre socialiste Elio Di Rupo, en coalition avec les chrétien démocrates et les libéraux après 545 jours de crise, les choses s’accélèrent. L’austérité commandée par Bruxelles (la commission, pas le peuple !) fait ici aussi des ravages. Le mois de décembre a été chaud en Belgique. Deux jours après l’accord gouvernemental, le 2 décembre 2011, près de 80 000 personnes manifestaient à Bruxelles contre le plan d’austérité de 11,3 milliards d’euros. Le 22 décembre, le pays était en grève générale. La retraite a été sacrément attaquée, comme en France, entre deux et quatre ans de plus au programme. Les chômeurs aussi visés (20% de a la population active de Bruxelles est au chômage). Et globalement, le pouvoir d’achat en prend un bon coup avec le l’augmentation des diverses taxes. Le pacte budgétaire européen fait des ravages, sauf chez les riches, les banques et les grandes entreprises. Un chiffre parle : Les restrictions en matière de pension rapporteront 674 millions d’€ en 2014. Si les les seuls Mittal et Electrabel (filiale de GDF Suez) payaient l’impot légal sur les sociétés, cela rapporterait 825 millions d’€. (Source l’Huma.)
Chez nous, on se plaint toujours que les directions syndicales n’appellent pas à la Grève Générale, ici on se plaint de cette grève d’occupation sans qu’il n’y ait de grande manifestation… Le problème est surtout que cette “Grève générale” n’est prévue que pour une journée et on sent aussi poindre la résignation, comme chez nous, comme partout. A moins que les plus déterminés s’organisent…
Belgique-France Solidarité ! [[Un collectif Belgique-France Solidarité ! Avait été créé lors de la grève en france. Lire le communiqué et à la télévision de Grand Lille]]
A Feluy, devant le site Total, nous rencontrons Bernard Lefevre, un syndicaliste de la FGTB. C’est ici, sur ces routes d’où partent près de 400 camions de carburant par heure, qu’avec ses camarades, ils ont bloqué le réapprovisionnement destiné à casser la grève des raffineurs français en octobre 2010. Devant la menace de bloquer tous les départs, il n’a fallu qu’une demi journée pour que la direction cède et arrête d’envoyer les camions vers la France. La rencontre avec les grévistes de Grandpuits est un grand moment de cette tournée. Sur place, on comprend très vite que le climat rude et l’incessant mouvement des camions font d’un blocage une aventure. Des visages sont posés sur cette solidarité qui avait tant compté pendant la grève. Mais très vite, transits de froid, on continue la conversation devant une Trappiste Rochefort 8°.
Pendant toute la tournée, Alex, Lolo et Tof n’en reviennent pas. “Vous nous avez relancé le moral au moment où on sentait qu’on pouvait céder et on a tenu une semaine de plus !” s’exclame Tof, avec son enthousiasme communicatif qui emporte la salle au cœur des débats. Les engagements sont pris. Il n’y aura pas de grand mot d’ordre des directions syndicales, mais les syndicalistes de Grandpuits viendront, par leurs propres moyens, soutenir leurs collègues le jour de la grève générale belge. D’autres contacts sont pris avec des syndicalistes qui n’ont plus la patience d’attendre les mots d’ordre qui ne viennent jamais. Erik, par exemple, syndicaliste membre du FGTB rencontré à Bruxelles, mais aussi du Comité Action Europe, qui réuni des bases syndicales, comme ce jour où ils ont bloqué un train de députés venus votés à la Commission Européenne… De nouvelles formes d’actions face au sentiment d’impuissance et de résignation.
Des images encore des images !
Qui n’a pas traversé les friches industrielles abandonnées de Charleroi sous la pluie n’a rien vu de la Belgique. On se retrouve à la Maison des huit heures (prononcé « Ouit heur » ), lieu historique de la culture populaire belge, désormais café coopératif. Angela nous y accueille formidablement. Jeune syndicaliste, elle est tombé dans le militantisme devant les injustices sociales qui s’accumulaient sous ses yeux. Dans son regard, il y a ce truc en plus qui distingue les militants syndicaux investis des pantouflards résignés. C’est parce qu’il y a encore des gens comme elle dans les organisation syndicales que la bureaucratie n’a pas encore tout détruit et qu’il ne faut jamais jeter l’eau du bain avec le bébé, le gant et la baignoire. La rencontre a été préparée impeccablement : Visite de l’exposition sur la fameuse grève de 60 (la plus grande grève générale de la mémoire populaire belge) avec l’archiviste du bourg… Visite de la maison des jeunes et même, en bonus, visite du musée de la photo (le plus grand d’Europe). Explorer toute cette Histoire de la photographie au côté de Lolo le teigneux, le photographe improvisé des mutins de Grandpuits, est encore un bonne récompense à cette aventure en images dont on ne sait pas où elle nous mènera encore…
“On ne sait pas savoir !” me dis-je après avoir gouté quelques dizaines de bières parmi les milliers disponibles par ici… Quelques jours après notre retour en France, Tof et Alex m’apprennent qu’il veulent encore prendre sur leurs jours de congés pour retourner en Belgique soutenir à leur tour leurs collègues en grève générale. Lolo secoue son syndicat pour obtenir un soutien officiel. Une fois de plus, les mutins de Grandpuits n’ont pas attendus les mots d’ordres ou les lettres de délégations perdues dans les bureaux de leurs directions syndicales pour exprimer leur solidarité à leurs camarades belges. C’est comme ça que, parfois, la lutte continue… Malgré tout.
Olivier Azam, d’un train à l’autre entre Bruxelles et Lyon, le 23 janvier 2012.