Tremblement de terre, en 1988, le Vlaams Blok gagne les élections communales à Anvers. Près d’un électeur sur cinq a voté pour un programme ouvertement raciste et anti-immigration, un tournant pour ce parti créé 10 ans plus tôt sur base de nationalisme ethnique. Parmi ses jeunes ténors de l’époque, celui qu’on appelle « le gendre idéal » : Filip Dewinter. Malgré les mobilisations en Flandre contre l’extrême droite, ces résultats sont confirmés en 1991 lors des élections législatives baptisées à l’époque par tous les commentateurs de “dimanche noir” et qui ont vu pour la première fois le Vlaams Blok apparaître comme le grand vainqueur des élections nationales.
Tétanisés par la performance du Vlaams Blok, l’ensemble des formations politiques se mettent d’accord pour empêcher toute collaboration avec l’extrême droite. Le cordon sanitaire est né. Mais malgré le cordon, le parti continue à progresser dans les scrutins suivants jusqu’à devenir le troisième parti flamand en 1999. En 2004, suite à une condamnation pour violations de la loi antiracisme, le Vlaams Blok trouve une idée de génie pour échapper au puissant glaive de la justice, il réussi à faire croire qu’il change (sans presque rien changer), il change de nom et devient… le Vlaams Belang (« Intérêt flamand »). Il va même plus loin, tout en conservant ses initiales, il préserve aussi les mêmes couleurs (le noir et le jaune) et surtout… ses trésors de guerre (la loi dit qu’un parti que la justice qualifie de « raciste » peut se voir privé de sa dotation publique). Nuance, le Vlaams Blok (« Bloc flamand ») était plus porté sur l’économie mixte, le Vlaams Belang (VB) s’oriente désormais vers le néolibéralisme… En 2019, il fait une pirouette électoralement bénéfique en se maquillant de teintes de… gauche. Officiellement, la politique d’immigration du Belang sera plus modérée par rapport à celle de l’ancien Blok… Dans son nouveau programme, le VB appelle à l’expulsion des immigrés qui « rejettent, nient ou combattent la culture flamande ». Malgré ces changements cosmétiques, c’est rebelote en 2019, près d’un électeur sur cinq en Flandre a voté pour le Vlaams Belang qui termine deuxième avec 18,46 % derrière la N‑VA qui rassemble 25,46% des électeurs flamands. Les commentateurs catastrophés de l’actualité parlent de “séisme”, d’un “nouveau dimanche noir”, d’autres plus en phase avec l’air du temps et les jeux de mots parlent de “marée noire”.
Tous, à commencer par les commentateurs ont l’air surpris ou pire, amnésiques : cinq ans d’austérité et de politiques impopulaires de droite… sont à peine évoqués. La Nieuw-Vlaamse Alliantie, la N‑VA, un parti conservateur néolibéral que l’on tente de rendre fréquentable, qu’on hésite à le qualifier ouvertement d’extrême droite (ceux qui ont de l’humour le qualifient de centre-droit) . Dès ses premières heures au gouvernement, il se place stratégiquement et infiltre la défense, l’intérieur, l’asile et l’immigration, la finance, etc. Lorsque le parti libéral francophone MR, et son allié fédéral la N‑VA se débauchent, la monnaie avec laquelle ils se font payer s’appelle banalisation des pratiques fascisantes.
Les troubles de la mémoire peuvent survenir même en dehors du contexte de syndrome amnésique, sans complexe, les dirigeants de la N‑VA montrent l’exemple de cette banalisation. Faisons un exercice de mémoire courte… En juin 2013, Theo Francken, secrétaire d’État à l’asile et la migration, participe à un dîner avec notamment Dries Van Langenhove, le principal dirigeant de Schild & vrienden et Bo De Geyndt, fondateur de Génération Identitaire Vlaanderen. Décembre 2016, Karlijn Deene, conseillère communale à Gand et collaboratrice directe de Geert Bourgeois, le ministre-président N‑VA de la Région flamande, participe à une fête de Noël organisé par le Vriendenkring Sneyssens, une amicale d’anciens nazis flamands du Front de l’Est où l’un des principaux orateurs de la soirée fut Oswald Van Ooteghem, un ancien officier de la SS. Se souvient-on de la participation de Théo Francken à l’anniversaire de Bob Maes, un ancien collaborateur de l’occupant nazi durant la Deuxième Guerre mondiale et fondateur de la milice d’extrême droite VMO ? Se souvient-t-on qu’un autre dirigeant de la N‑VA, Ben Weyts, ministre flamand de la Mobilité et des Transports publics, était présent à la même fête et y a tenu un discours en son honneur ? Se souvient-on des déclarations de Jan Jambon minimisant la collaboration avec l’occupant allemand en la qualifiant d’“erreur” et qu’il faudrait prendre les choses avec recul. « C’est plus facile à dire après. Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons ».
La N‑VA, sous couvert du gouvernement Michel, a réussi à banaliser des pratiques racistes et permis de nombreuses violations des droits humains, notamment au nom d’une politique migratoire qu’elle a qualifié de “ferme mais humaine” : faut-il rappeler les rafles qui ont été organisées de manière systématique contre les migrants ; la collaboration entre Théo Francken et les autorités soudanaises ; Bart De Wever qui s’arrangeait avec Theo Francken pour organiser des « razzias » à Anvers ; l’emprisonnement d’enfants dans des centres fermés ; des visas non accordés à des familles syriennes qui remplissaient pourtant tous les critères pour être accueillies en Belgique et ce malgré les injonctions de juges belges ; les cas de personnes accusées de trafic d’êtres humains et emprisonnées parce qu’elles ont été [solidaires avec des migrants
->https://zintv.org/Le-proces-de-la-solidarite]…
La N‑VA a clairement créé — volontairement ou pas et selon la mauvaise foi de chacun — le terrain propice à la montée du Vlaams Belang aux dernières élections en alimentant et en polarisant les débats sur la politique migratoire. En outre, les médias privés et publics flamands, souffrant d’une névrose obsessionnelle envers les migrants, ont servi de caisse de résonance aux discours d’extrême droite : à cinq jours des élections, la chaîne publique VRT proposait sur son antenne radio un débat sur la politique migratoire entre Théo Francken et… celui qu’en Flandre on appelle l’« Enfant soldat », « Baby Dewinter », « Grand Vainqueur » : Tom Van Grieken, leader du Vlaams belang depuis 2014. Comme si cette émission pouvait être qualifié de “débat” et les journalistes d’ ”innocents”…
Au-delà des multiples vases communicants incestueux, les deux partis s’attirent comme des aimants, unis par la haine envers le même “ennemi” : les migrants. Mais ce qui les distingue d’un centimètre (momentanément), c’est leurs programmes socio-économiques pré-électoraux : et ici, rien de neuf car rien de tel que d’enfiler des habits de gauche pour paraître plus séduisant, oui… Car cet exercice demande un certain talent d’acrobatie médiatique pour un VB provisoirement “gauchisé” tout en agitant en même temps l’épouvantail de la migration, captant ainsi la sympathie d’un public angoissé par la menace de déclassement sur le plan économique et social. Allant même jusqu’à copier certains points du programme du PTB/PVDA ! Tom Van Grieken, ancien publicitaire, promet de ramener l’âge de la pension à 65 ans, d’augmenter les pensions à 1.500 euros minimum et de fixer la carrière complète à 40 ans (au lieu de 45 ans actuellement). Les allocations sociales doivent être relevées au niveau du seuil de pauvreté et la TVA sur l’électricité ramenée de 21 à 6%. Une attention particulière est accordée aux personnes handicapées (non-migrantes).
Mais si le VB laisse entrevoir un certain miroitement “social” électoralement opportun, dans une période post-postmoderne où certains se sentent appartenir au camp des ni-ni-ni (ni gauche, ni droite, ni extrême), et si l’on s’en tient aux faits… le discours sécuritaire est resté intact, depuis que le Vlaams Blok est devenu Vlaams Belang. Renforcement de la présence policière dans les rues, abolition du principe de libération conditionnelle, prison à vie pour les terroristes, castration chimique pour les auteurs de crimes sexuels…
Autre élément explicatif de la “percée” du VB, sa campagne offensive sur les réseaux sociaux. Le parti a investi plus de 400.000 euros pour mettre en avant ses posts sur facebook. Réseau sur lequel, on peut voir Filip Dewinter monter sur une échelle pour effacer (sans que personne n’entre en résistance) une calligraphie arabe qui orne un café à Borgerhout et du haut de ses trois mètres s’adresser à une meute de caméras ravie et fascinée (positionnée en contre-piqué afin d’obtenir l’effet d’agrandissement, de glorification… — ficelles inventées par Leni Riefenstahl -) ou ce dernier appelle à empêcher Anvers de devenir une enclave islamiste… Stop ou encore ? Twitter, Facebook, Instagram sont inondés de clips vidéo pour tout public : conquérir le cœur des amis des animaux, les sportifs, etc… Des réseaux sociaux, on glisse vite dans les médias. Pour montrer patte blanche après les élections, le quotidien flamand De Morgen titrait le 28 mai 2019 et dans Le Soir, le 27 mai (le même titre !) : Comment le Vlaams Belang a gagné les élections via Facebook, le Moustique, le 27 mai : Le Vlaams Belang, vainqueur des urnes et des réseaux sociaux, etc.
Est-ce la patte reconnaissable de Steve Bannon ? Cet étasunien, conseiller de campagne ultra-réactionnaire de Donald Trump et artisan de sa victoire, champion des fake news en masse, fan des suprémacistes du Ku klux klan, dont l’équipe s’est installée au Brésil pour porter Bolsonaro au pouvoir, puis est venu s’installer en Europe pour filer un coup de main aux fascistes italiens vivant dans la nostalgie du “Duce” et au Rassemblement National de Marine Le Pen… Des réunions forcément tenues secrètes, si elles ont eu lieu, avec des hauts fonctionnaires français (ou flamands) pouvant être qualifiées de liaison avec une puissance étrangère ? …
Mais la réponse à cette montée des fascismes (démocratiques) ne s’est pas fait attendre du côté des mouvements sociaux et de la société civile. Le 28 mai 2019, à peine deux jours après les élections fédérales, entre 4000 et 7000 personnes se sont rassemblées à Bruxelles suite à l’appel de la nouvelle plateforme Stand Up pour manifester contre la montée de l’extrême droite en Belgique et dans d’autres pays européens. Cette fois-ci, un nouveau cycle de résistance s’ouvre. Il nous faudra être créatifs, plus cohérents, courageux…
Le collectif ZIN TV