La « zone neutre » à Bruxelles

Par Elie Teicher

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IHOES

L’IHOES est une ASBL (asso­cia­tion sans but lucra­tif) indé­pen­dante et plu­ra­liste active à la fois comme centre d’archives pri­vées et ser­vice d’éducation per­ma­nente. Situé à Jemeppe-sur-Meuse, en plein cœur de l’ancien bas­sin indus­triel lié­geois, l’IHOES emploie actuel­le­ment une équipe dyna­mique et poly­va­lente com­po­sée de six personnes.

L’IHOES pré­serve depuis près de qua­rante ans la mémoire des tra­vailleurs et de leurs luttes pour l’émancipation – sous toutes ses facettes et à tra­vers tout type de docu­ments – et se charge éga­le­ment de faire vivre ce patri­moine his­to­rique excep­tion­nel, de le valo­ri­ser via toute une série d’acti­vi­tés (ani­ma­tions citoyennes, expo­si­tions, confé­rences, for­ma­tions, etc.), de l’utiliser pour ali­men­ter l’analyse du temps pré­sent via de nom­breux articles et études

Elie Tei­cher, « La “zone neutre” à Bruxelles : reli­quat d’une concep­tion péri­mée du main­tien de l’ordre ? », ana­lyse de l’IHOES, no210, 30 avril 2020, [En ligne] www.ihoes.be/PDF/IHoES_analyse210.pdf.

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Elie Tei­cher est doc­to­rant en his­toire contem­po­raine à l’Université de Liège. Bour­sier FRESH (FNRS) depuis octobre 2018, il réa- lise une thèse de doc­to­rat sur l’histoire des mou­ve­ments sociaux et des mani­fes­ta­tions de rue en Bel­gique dans les années 1960, 1970 et 1980. Il se penche notam­ment sur la rela­tion entre les pro­tes­ta­taires et les res­pon­sables du main­tien de l’ordre ain­si que sur les vio­lences (mili­tantes ou poli­cières) qui marquent les conflits sociaux.

Un regard rétros­pec­tif, ana­ly­tique et pros­pec­tif sur l’histoire de la “zone neutre” à Bruxelles, espace qui entoure et pro­tège les lieux de pou­voirs dans la capi­tale et où tous les ras­sem­ble­ments et mani­fes­ta­tions poli­tiques sont interdits.

Une zone instituée dans un contexte de conflits sociaux et de crainte des ouvriers

Il n’existe qu’un seul pays dans le monde civilisé où chaque grève est transformée avec enthousiasme et joie en prétexte au massacre officiel de la classe ouvrière. Ce pays à la béatitude unique, c’est la Belgique ! l’État modèle du constitutionnalisme continental, le petit paradis bien abrité et bien protégé du propriétaire, du capitaliste et du prêtre. la terre ne réalise pas plus sûrement sa révolution annuelle que le gouvernement belge son massacre annuel des travailleurs.
Karl Marx, The Belgian Massacres, 1869.

Par ces mots tran­chants, Karl Marx dénon­çait avec fureur la répres­sion vio­lente, féroce et récur­rente des grèves en Bel­gique. Pour la troi­sième année consé­cu­tive, la vio­lence des forces de l’ordre se déchaîne sur la classe ouvrière : 3 morts en février 1867 à la suite d’une grève des métal­lur­gistes de Mar­chiennes ; en 1868, 10 mineurs tués à Châ­te­li­neau par la troupe qui réprime leur grève ; en avril 1869, quatre vic­times sup­plé­men­taires à la suite de la répres­sion de la grève des mineurs et des métal­lur­gistes de Seraing ain­si que celle des mineurs du Bori­nage1. Ce tableau effrayant révèle l’aspect incon­trô­lé et meur­trier du main­tien de l’ordre en Bel­gique à l’époque où la grève ouvrière et le risque d’émeutes téta­nisent la classe politique.

Cette peur des débor­de­ments carac­té­rise en véri­té la Bel­gique depuis sa nais­sance en 1830. Dès les débats du Congrès autour des articles de la future Consti­tu­tion, dont la libé­ra­li­té impres­sion­nante pour l’époque fut régu­liè­re­ment sou­li­gnée, la liber­té de s’assembler en public, qui devait être consa­crée, fut immé­dia­te­ment limi­tée : outre le fait que les légis­la­teurs inclurent les termes « pai­si­ble­ment » et « sans armes », le débat fut âpre afin de limi­ter ce droit qui ris­quait de per­mettre de gros mou­ve­ments de foule. Par exemple, M. Blai­gnies, membre du Congrès ori­gi­naire du Hai­naut, sou­hai­tait que le texte sou­ligne la pos­si­bi­li­té de limi­ter l’autorisation de ces ras­sem­ble­ments par des lois, ciblant direc­te­ment dans son allo­cu­tion le risque de grève ouvrière. Redou­tant la pos­sible mise en grève des 60.000 mineurs du Bori­nage, il esti­mait alors : « Si rien ne peut s’y oppo­ser [à la grève], nous irons droit à la dés­in­té­gra­tion de l’industrie belge »2. Cette pro­po­si­tion, qui ris­quait de per­mettre de limi­ter for­te­ment la liber­té de s’assembler, fit gran­de­ment débat. La solu­tion vien­dra d’un petit ajout au texte : certes, les Belges sont libres de s’assembler pai­si­ble­ment et sans armes, sans auto­ri­sa­tion et en confor­mi­té aux lois exis­tantes, mais ces dis­po­si­tions ne s’appliqueraient pas « aux ras­sem­ble­ments en plein air qui res­tent entiè­re­ment sou­mis aux lois de police »3. En limi­tant de telle manière la liber­té de s’assembler, la Consti­tu­tion don­nait par ailleurs un pou­voir impor­tant aux bourg­mestres, chefs des dif­fé­rentes polices com­mu­nales de la toute jeune Bel­gique : ceux-ci allaient pou­voir prendre des dis­po­si­tions de limi­ta­tion ou d’interdiction des mani­fes­ta­tions de rue sans ris­quer l’inconstitutionnalité.

La peur de la grève demeure une constante durant tout le XIXe siècle, époque où le main­tien de l’ordre est exer­cé par dif­fé­rentes polices dont les capa­ci­tés dif­fèrent. La garde civique, milice créée dès 1830 inter­vient régu­liè­re­ment, sou­vent au grand dam des tra­vailleurs : elle est en fait com­po­sée de bour­geois inex­pé­ri­men­tés dont les réac­tions apeu­rées sont sou­vent dra­ma­tiques. La gen­dar­me­rie fonc­tionne quant à elle sur une base mili­taire et use donc de méthodes par­ti­cu­liè­re­ment dures : quand elle ne suf­fit pas, c’est d’ailleurs l’armée qui la sup­plée. Res­tent les polices com­mu­nales sous l’autorité des bourg­mestres. Dans les grandes villes, elles se pro­fes­sion­na­lisent len­te­ment à la fin du XIXe siècle 4.

Pour bien com­prendre cette crainte, il faut rap­pe­ler que, jusqu’en 1893, le sys­tème du suf­frage cen­si­taire est d’application en Bel­gique : seule une infime mino­ri­té de la popu­la­tion,  mas­cu­line, et qui paie le cens, peut voter5. Pour les caté­go­ries mises de côté par la démo­cra­tie bour­geoise belge, deux des seules manières de faire entendre leurs reven­di­ca­tions et de récla­mer plus de droits et de jus­tice sont donc la grève et la mani­fes­ta­tion. L’inquiétude des « com­mo­tions popu­laires »6 se fait alors d’autant plus intense que le réper­toire d’action des classes popu­laires, aus­si bien pay­sans qu’artisans ou ouvriers, évo­lue au cours de la moi­tié du siècle, avec des actions mar­quées par des émeutes de la faim et des grèves dures s’illustrant par une prise de dis­tance du pater­na­lisme et la for­mu­la­tion de reven­di­ca­tions plus pré­cises7. Dans ce contexte poli­tique où la bour­geoi­sie défend ses inté­rêts à l’aide d’un appa­reil poli­cier extrê­me­ment répres­sif face à des classes sociales jugées émeu­tières, les conflits sociaux sont mar­qués par une vio­lence récurrente.

Roux, 1886, détrempe sur toile du col­lec­tif Forces murales, 1951. Coll. IHOES.

En 1886, la com­mé­mo­ra­tion du quin­zième anni­ver­saire de la Com­mune de Paris tourne à l’émeute et à l’insurrection, notam­ment dans les bas­sins de Liège et du Hai­naut. La répres­sion est une fois de plus ter­rible : 24 ouvriers ne s’en sor­ti­ront pas. Le jour­nal La Réforme, d’obédience libé­rale pour­tant pro­gres­siste, démontre toute la haine de classe que subissent alors les ouvriers : « [La répres­sion] a enfin éta­bli la peine de mort pour les infrac­tions à des règle­ments de police ». Nous l’avons pour­tant vu, la troupe n’avait pas atten­du 1886 pour appli­quer une telle sen­tence. Ce cli­mat d’appréhension des émeutes ouvrières est, par ailleurs, entre­te­nu par la créa­tion, en 1885, du Par­ti ouvrier Belge, qui inves­tit la rue8. La crise éco­no­mique et la bataille en faveur du suf­frage uni­ver­sel attisent la peur du rouge qui est d’au- tant plus vive que les socia­listes empruntent alors aux libé­raux, mais de manière sys­té­ma­tique, leur « poli­tique de grande voi­rie »9. En clair, il s’agit d’organiser à Bruxelles des mani­fes­ta­tions de rue orien­tées vers deux pôles : les bou­le­vards cen­traux et le quar­tier entou­rant les minis­tères, le Palais royal, et le par­le­ment. avec pour reven­di­ca­tion majeure le suf­frage uni­ver­sel et comme menace la grève générale.

La bour­geoi­sie de tous bords s’accorde alors sur la néces­si­té de pro­tec­tion des ins­ti­tu­tions qui lui sont exclu­si­ve­ment acquises : aus­si bien le Roi qui refuse l’égalité poli­tique et abhorre le dra­peau rouge, que le chef de cabi­net10, le catho­lique auguste Beer­naert, qui plaide pour une « police gou­ver­ne­men­tale » dans la capi­tale. Les membres du par­quet éga­le­ment, qui estiment que les armes légales sont insuf­fi­santes pour répri­mer les atteintes aux ministres et au Roi. Charles Buls enfin, bourg­mestre libé­ral de Bruxelles qui, bien que favo­rable à l’extension du droit de suf­frage, entend mettre en pra­tique des méthodes plus mus­clées de main­tien de l’ordre. Lui qui juge les socia­listes irres­pon­sables, qui a pour han­tise l’anarchisme et le désordre, décide, dès 189211, de la créa­tion d’un espace qui entoure et pro­tège les lieux de pou­voirs à Bruxelles, où tous les ras­sem­ble­ments et mani­fes­ta­tions poli­tiques sont inter­dits. Lors des mani­fes­ta­tions bruxel­loises, cet espace doit donc être pro­té­gé par un dis­po­si­tif poli­cier impor­tant et impo­sant. C’est la nais­sance de la « zone neutre ». Pour prendre cette déci­sion, Buls s’appuie sur un décret datant de la révo­lu­tion fran­çaise qui accorde au bourg­mestre le droit de prendre des mesures de police à titre per­son­nel, sans pas­ser par le conseil com­mu­nal12. autant dire que la mesure est pour le moins auto­ri­taire, pour ne pas dire arbi­traire13.

Tra­cé de la zone neutre, en rouge (réa­li­sé par l’auteur). Bruxelles, AVB, 712.231, Police, Marche anti­ato­mique 1967, carte de la ville de Bruxelles.

Un espace critiqué, catalyseur des mécontentements populaires

Dès sa créa­tion, la zone neutre fait l’objet de vives cri­tiques dans l’opinion publique bruxel­loise, même au-delà des seuls milieux socia­listes. L’historien Luc Keu­nings rap­pelle d’ailleurs qu’elle ne fut pas seule­ment contes­tée mais qu’elle fut éga­le­ment une zone « d’attraction » : « pour beau­coup c’était [la zone neutre] la cible à atteindre et le seul moyen de défier le pou­voir ». Mal­gré cela, les gou­ver­ne­ments catho­liques la pensent comme néces­saire, notam­ment du fait qu’elle « avait pro­gres­si­ve­ment éloi­gné et affai­bli la pres­sion exer­cée sur les lieux de pou­voir en dépla­çant les mou­ve­ments popu­laires vers les lieux de contre-pou­voir (la grand-Place, le siège des asso­cia­tions ouvrières) ». Après les troubles impor­tants de l’été 1950 (à pro­pos de la ques­tion Royale), la loi l’entérine donc défi­ni­ti­ve­ment en 195414.

À ce moment cepen­dant, l’institution de la zone neutre, tant décriée par les socia­listes au début du siècle, fait l’objet d’un très large consen­sus au sein de la classe poli­tique belge. En effet, le pro­jet de loi qui l’entérine est alors voté par l’ensemble des par­tis à l’exception des seuls dépu­tés et séna­teurs com­mu­nistes qui s’y opposent15. Le dépu­té com­mu­niste Théo Dejace en pro­fite d’ailleurs pour rap­pe­ler aux socia­listes et même aux libé­raux leurs anciennes positions :

« Cette pro­po­si­tion est net­te­ment réac­tion­naire. et si le P. S. C [Par­ti social- chré­tien], tra­di­tion­nel­le­ment dres­sé contre les liber­tés popu­laires, ne pou­vait se pas­ser de signer cette pro­po­si­tion, il nous sera per­mis de trou­ver inso­lite la signa­ture des socia­listes et même des libé­raux. si leurs ancêtres et leurs membres qui ont sou­vent tenu à dire les quatre véri­tés à la face des par­le­men­taires de droite et sur le lieu de leurs for­faits étaient infor­més de ce sin­gu­lier com­pa­gnon­nage, il y aurait sans doute encore des vio­la­tions de la zone neutre.»16

Dans sa cri­tique, Dejace dénonce la dimen­sion anti-démo­cra­tique d’un tel espace, qui ins­ti­tue de fac­to une sépa­ra­tion phy­sique et spa­tiale entre le peuple et ses diri­geants. Pour le dépu­té com­mu­niste, des par­le­men­taires dignes de ce nom n’ont aucune rai­son de craindre le peuple dont ils sont cen­sés être l’émanation : « Vous n’aimez pas, mes­dames, mes­sieurs, que le pays puisse expri­mer sa répro­ba­tion, que les élec­teurs puissent vous dire que vous ne res­pec­tez pas leur volon­té […] Il y a des par­le­men­taires qui donnent l’impression d’être réfu­giés ici comme dans une casemate ».

Créée pour conte­nir à bonne dis­tance des lieux de pou­voirs les « classes labo­rieuses » jugées dan­ge­reuses, la zone neutre n’a en véri­té tenu qu’un rôle rela­tif d’éloignement. Elle n’a jamais réel­le­ment per­mis d’apaisement ou de dimi­nu­tion des vio­lences de rue et fait davan­tage office de véri­table lieu d’attraction pour les pro­tes­ta­taires qui s’estiment négli­gés par le pou­voir : si les ouvriers et les socia­listes la bra­vèrent plu­sieurs fois à la fin du XIXe siècle, le siècle sui­vant donne lieu à des débor­de­ments menés par des caté­go­ries de la popu­la­tion bien plus larges issues de divers milieux ou de divers par­tis. Dans les années 1960, par exemple, de nom­breuses pro­tes­ta­tions contre la guerre du Viet­nam ten­te­ront de se rendre devant l’ambassade des États-Unis, juste aux abords de la zone neutre, créant régu­liè­re­ment des affron­te­ments avec les forces de l’ordre. À cette époque d’effervescence poli­tique et de diver­si­fi­ca­tion des mou­ve­ments sociaux comme des contes­ta­taires, de nom­breux mili­tants sou­haitent rompre avec l’aspect trop rou­ti­nier et ins­ti­tu­tion­na­li­sé des mani­fes­ta­tions sur les grands boulevards.

Plu­sieurs exemples des der­nières décen­nies illus­trent bien la manière dont la zone neutre peut consti­tuer un objec­tif poli­tique pour ceux qui refusent l’idée d’être tenus à dis­tance des lieux de déci­sion ou de repré­sen­ta­tion, mais qui sont pour­tant loin d’être des par­ti­sans du désordre. En 1956, soit deux ans après la loi qui l’institue, la zone neutre est fran­chie par des gen­darmes qui reven­diquent une aug­men­ta­tion de salaire et qui sont arrê­tés de manière mus­clée par les poli­ciers bruxel­lois17.

Mani­fes­ta­tion contre la loi unique à Bruxelles, rue Royale, 1961. Coll. IHOES, Fonds SETCA.

Plu­sieurs mani­fes­ta­tions de mili­taires ont éga­le­ment eu lieu aux abords de la zone neutre et, le 7 sep­tembre 1979, 400 mili­taires forcent les bar­rages de police et de gen­dar­me­rie afin de mani­fes­ter devant le 16 rue de la Loi (siège du gou­ver­ne­ment)18. L’exemple des débor­de­ments par­ti­cu­liè­re­ment impor­tants de la mani­fes­ta­tion des sidé­rur­gistes du 16 mars 1982 prouve encore com­bien la zone neutre est un objec­tif cru­cial pour ceux qui ne sou­haitent pas sim­ple­ment « se pro­me­ner dans la rue »19.

Enfin, nous pou­vons citer un der­nier exemple qui illustre bien la ten­sion et la vio­lence que peut géné­rer cet espace. En mai 1975, le per­son­nel soi­gnant de l’ensemble du pays fait grève en front com­mun pour la reva­lo­ri­sa­tion des barèmes sala­riaux. À Bruxelles, il est rejoint par le per­son­nel des ser­vices com­mu­naux des 19 com­munes de cette agglo­mé­ra­tion qui réclame éga­le­ment une hausse des salaires. or, ces hausses ont fait l’objet d’un pré-accord avec les syn­di­cats qui tarde à s’appliquer et les sala­riés sont de plus en plus remon­tés. À Bruxelles, une mani­fes­ta­tion est orga­ni­sée et pour se faire enfin entendre, c’est vers la zone neutre que vont ten­ter de s’approcher une par­tie des mani­fes­tants alors que la pré­sence de la gen­dar­me­rie est par­ti­cu­liè­re­ment mas­sive et démons­tra­tive. Ce cli­mat ten­du entre, d’une part, cer­tains des mani­fes­tants échau­dés, et d’autre part, des gen­darmes à l’attitude hos­tile voire pro­vo­ca­trice va trou­ver comme cata­ly­seur et démul­ti­pli­ca­teur la zone neutre : des mani­fes­tants tentent d’y entrer entrai- nant alors une répres­sion vio­lente des forces de l’ordre (avec une ving­taine de bles­sés sérieux par­mi les manifestants).

Mal­gré les pro­tes­ta­tions extrê­me­ment vives des dépu­tés Louis Van Geyt (com­mu­niste), Constant Verhas­selt (FDF) et Michel Moock (socia­liste) à la Chambre, le prin­cipe de la zone neutre semble de plus en plus être accep­té au sein de la classe poli­tique. Les dépu­tés ciblent en effet avant tout l’attitude des gen­darmes dans un cli­mat social par­ti­cu­liè­re­ment dur. De nom­breux autres exemples comme celui-là pour­raient être don­nés mais dans les débats par­le­men­taires, l’existence de la zone neutre n’est plus remise en cause. au fil du XXe siècle, cet espace qui déli­mite et écarte les pro­tes­ta­taires des ins­ti­tu­tions semble de plus en plus être admis par les res­pon­sables poli­tiques qui limitent la cause des vio­lences aux tac­tiques et stra­té­gies du main­tien de l’ordre ou à la colère sociale.

Pour­tant, il semble d’autant plus impor­tant de mener une réflexion sur cet espace que de nom­breux groupes pro­tes­ta­taires qui tentent de défi­ler dans les lieux inter­dits (étu­diants, ouvriers, agri­cul­teurs ou fonc­tion­naires) agissent en toute connais­sance de cause : l’interdiction est annon­cée par écrit aux orga­ni­sa­teurs et la pré­sence des forces de l’ordre la rap­pelle aux mani­fes­tants. L’objectif est donc de trans­gres­ser la règle, de jouer avec celle-ci afin d’obtenir davan­tage ou sim­ple­ment de se rendre plus visible, mais tou­jours en met­tant en avant sa légi­ti­mi­té : der­nier recours, auto­ri­tés publiques trop peu récep­tives, mesures à prendre rapi­de­ment, absence de dia­logue, etc.

Récem­ment encore, force est de consta­ter que cette zone demeure à la fois le cata­ly­seur et le lieu de « der­nier recours » qu’elle est en véri­té depuis le XIXe siècle. En témoigne la mani­fes­ta­tion du 10 février 2012 où les pom­piers bruxel­lois trans­gressent la zone neutre, au grand dam du bourg­mestre de Bruxelles qui dénonce vive­ment leur action. John Pit­seys, cher­cheur et dépu­té Éco­lo, en pro­fite pour poin­ter les entraves au plu­ra­lisme poli­tique que consti­tue cet espace. Selon lui, la zone neutre ne sépare pas seule­ment les pro­tes­ta­taires des ins­ti­tu­tions et ne se contente pas non plus d’isoler le conflit social : elle met en scène un consen­sus « à la belge » en lais­sant croire que « le consen­sus devient l’aune à laquelle s’évalue la ratio­na­li­té et l’équité d’une déci­sion », alors même que « des com­pro­mis stu­pides ou inéqui­tables ne sont pas seule­ment pos­sibles, mais inévi­tables dès lors que le com­pro­mis devient le cri­tère ultime de déci­sion ». Dans ce dis­po­si­tif, la zone neutre appa­rait alors comme le révé­la­teur de « la mise au fri­go de la ques­tion démo­cra­tique »20.

Cette contra­dic­tion appa­raît d’autant plus vive que, pour des nou­veaux pro­tes­ta­taires, elle est par ail- leurs le lieu « tout natu­rel » vers lequel ils vont conver­ger pour cla­mer leurs reven­di­ca­tions. ain­si, lors du mou­ve­ment des gilets jaunes dont un des traits mar­quants est sans conteste d’avoir bous­cu­lé les pra- tiques habi­tuelles d’organisation des mani­fes­ta­tions, les mani­fes­tants ont eu pour ini­tia­tive de vou­loir défi­ler dans la zone neutre. À la suite de l’interdiction du bourg­mestre, de nom­breux par­ti­ci­pants seront arrê­tés, mais cer­tains par­viennent à mani­fes­ter aux abords de la zone neutre entrai­nant par-là la confron­ta­tion avec la police21. Ilse Van de Keere, porte-parole de la police de Bruxelles-Capi­tale Ixelles, rap­pelle pour l’occasion aux jour­na­listes de La Libre Bel­gique : « Il existe un tabou. aucune mani­fes­ta­tion ne sera jamais auto­ri­sée dans la zone neutre »22.

Quelques mois plus tard, plu­sieurs actions des mili­tants éco­lo­gistes d’Extinction Rebel­lion prennent place dans la zone neutre, pro­vo­quant par­fois une réac­tion poli­cière vio­lente et sus­ci­tant tou­jours le même débat : est-ce la faute de la police ou des mani­fes­tants ?23 Une cer­taine tolé­rance peut cepen­dant par­fois s’observer, comme lorsqu’en décembre 2018 les mani­fes­tants de « Claim the Cli­mate » mani­festent place du Trône, en bor­dure de zone neutre, avec l’argumentation : « il n’y a pas de zone neutre cli­ma­tique »24. Cette tolé­rance au cas par cas selon le type de mani­fes­ta­tion et la nature des pro­tes­ta­taires posent, par ailleurs, la ques­tion de la limi­ta­tion du prin­cipe d’é­ga­li­té de tous à pou­voir s’exprimer et se faire entendre.

Ain­si, alors que les théo­ries et pra­tiques de main­tien de l’ordre ont évo­lué depuis la fin du XXe siècle avec le recul pro­gres­sif de la démons­tra­tion de force et de la confron­ta­tion au pro­fit d’une « ges­tion négo­ciée de l’espace public »25(basée avant tout sur le dia­logue, la négo­cia­tion et la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des mani­fes­tants concer­nant l’occupation de la rue), la zone neutre fait sou­vent office d’espace sacré, qui ne peut être remis en ques­tion. Le prin­cipe de la défense de cette zone relève alors d’une concep­tion ancienne et gen­dar­mique du main­tien de l’ordre. Elle dénote par­ti­cu­liè­re­ment avec cette évo­lu­tion récente des concep­tions du main­tien de l’ordre et témoigne, par son exis­tence même et la néces­si­té de sa défense, des concep­tions dif­fé­rentes qui tra­versent les forces de police en Bel­gique dont cer­tains com­por­te­ments lors de mani­fes­ta­tions récentes ont sou­le­vé de vives cri­tiques26.

Un ancien offi­cier de gen­dar­me­rie et ancien conseiller au « comi­té P »27 insis­tait sur le côté com­plexe de la ges­tion de cette zone qui oblige de fac­to les poli­ciers à adop­ter une atti­tude cœr­ci­tive et qui, en plus, demande des effec­tifs impo­sants et du maté­riel consé­quent : « on n’est plus dans une phi­lo­so­phie d’approche […] là on a de par la loi une situa­tion très dif­fi­cile à gérer qui coûte énor­mé­ment de moyens, parce que c’est grand […]. [on est] de par la concep­tion tou­jours défen­due par le pou­voir cen­tral et accep­tée par le bourg­mestre de Bruxelles, je dis bien avec des déro­ga­tions, on est tou­jours dans une optique de “force doit res­ter à la loi” où la loi étant vio­lée la police doit inter­ve­nir »28.

En com­pa­rai­son, l’officier cite par ailleurs Het Plein à La Haye, parc qui se situe en bor­dure du par­le­ment où les mani­fes­ta­tions sont auto­ri­sées et où les poli­ciers peuvent mettre en place un dis­po­si­tif de dia­logue plus effi­cace : « Devant le par­le­ment au Pays-Bas il y a un petit parc qui s’appelle « pro­test zone » et jus­te­ment là ils ont pous­sé la concep­tion jusqu’à dire : regar­dez, nous, par­le­ment, on n’a pas peur, dans cette zone-là vous pou­vez venir mani­fes­ter ». Si aucune étude com­pa­ra­tive n’existe entre les deux espaces, nous pou­vons tout de même rele­ver l’utilité d’un tel lieu, à la fois en matière de sécu­ri­té, mais éga­le­ment en matière de liber­té d’expression et d’exercice des droits démo­cra­tiques. La dimen­sion sur­an­née de la zone neutre appa­rait d’autant plus vive qu’elle est une excep­tion en Europe occi­den­tale : il n’existe pas de dis­po­si­tif sem­blable à Paris, à Ber­lin, à Londres ou à La Haye29.

Conclusion

Si cer­tains anciens offi­ciers de gen­dar­me­rie nous ont pré­ci­sé que divers res­pon­sables de l’ordre public, qu’ils soient issus du monde poli­cier ou du monde poli­tique, avaient déjà réflé­chi au « pro­blème » de la zone neutre, il semble que cette réflexion soit demeu­rée à l’état d’ébauche et n’ait don­né lieu à aucune remise en ques­tion pro­fonde. alors que la pres­sion d’un renou­vel­le­ment démo­cra­tique se fait de plus en plus sen­tir au niveau belge comme euro­péen, que les voix sont de plus en plus nom­breuses pour appe­ler à une meilleure par­ti­ci­pa­tion des citoyens à la vie publique, ain­si qu’en faveur de l’élargissement de la par­ti­ci­pa­tion démo­cra­tique et de la capa­ci­té des citoyens à s’exprimer et à être enten­dus, il semble urgent de mener une réflexion sur une zone créée dans le but d’éloigner le peuple des lieux de pou­voirs, à une époque où celui-ci était craint et répri­mé dans le sang. Bruxelles, « capi­tale euro­péenne » et siège de plu­sieurs ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, consti­tue le lieu de très nom­breuses mani­fes­ta­tions et gagne­rait à évi­ter cette règle peu effi­cace et poli­ti­que­ment sus­pecte. La zone neutre fait office de sym­bole de mise à dis­tance des gou­ver­nants par rap­port aux gou­ver­nés, à un moment de crise de notre modèle démo­cra­tique où le peuple réclame à juste titre de plus en plus d’écoute et de prise en consi­dé­ra­tion. De ce point de vue, l’intervention en 1899 à la Chambre du dépu­té socia­liste Édouard Anseele à la suite d’une mani­fes­ta­tion ouvrière vio­lem­ment répri­mée dans la zone neutre, résonne encore avec force et vérité :

« Cette mani­fes­ta­tion a été pai­sible de la rue de Lae­ken à la zone neutre ; jusque-là on n’a pas fait de mal ; on a chan­té par-ci, par-là, mais aucun dégât n’a été com­mis. Per­sonne n’a été bles­sé ; l’ordre a été res­pec­té. C’est seule­ment à la zone neutre que la bataille a com­men­cé. Que peut-on conclure de cette consta­ta­tion ? C’est que si la fameuse zone neutre n’avait pas exis­té, la mani­fes­ta­tion aurait conti­nué et aurait fini dans le calme et dans la solen­ni­té comme elle avait débu­té. donc le fait même de l’existence de la zone neutre, le fait de vou­loir empê­cher dans une cer­taine par­tie de la capi­tale toute mani­fes­ta­tion, est la prin­ci­pale cause des faits regret­tables et san­glants qui se sont pro­duits hier. Per­sonne ne sau­rait nier cette simple consta­ta­tion des faits. Pour­quoi […] conti­nuer, quand vous vous trou­vez dans l’alternative de res­pec­ter les mani­fes­ta­tions, ou d’être obli­gé de don­ner des ordres san­gui­naires ? Pour­quoi ne pas choi­sir plu­tôt le moyen paci­fique ? lais­sez les mani­fes­ta­tions se pro­duire ; sup­pri­mez pour quelque temps, si pas pour tou­jours, le fameux arrê­té qui a créé la zone neutre. Tout res­te­ra dans l’ordre, parce qu’au fond les mani­fes­tants ne veulent que démon­trer au pays, au par­le­ment et au Roi qu’ils dési­rent main­te­nir et étendre, par les voies légales et paci­fiques, les droits qu’ils ont acquis et, par les mêmes moyens, en acqué­rir d’autres qu’ils ne pos­sèdent pas encore. »30

Plus d’un siècle après cette dénon­cia­tion, il serait peut-être temps que les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques acceptent de s’exposer direc­te­ment à la cri­tique de ceux et celles qu’elles repré­sentent. En effet, conflic­tua­li­té et dis­sen­sus ne sont pas syno­nymes de violence.

 

 

 

  1. J. PUISSANT, « Un lent et dif­fi­cile pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion », in R. HASQUIN, R. LEJEUNE et J. STIENNON (dir.), La Wal­lo­nie, le pays et les hommes : his­toire, éco­no­mies, socié­tés, Bruxelles, La renais­sance du Livre, 1975, p. 171
  2. Les débats sont, de ce point de vue, édi­fiants : par­mi les craintes for­mu­lées par les membres du Congrès, on peut éga­le­ment citer « la masse qui, pour des rai­sons sociales, exci­tée par un habile ora­teur, se mue­rait en assem­blée insur­rec­tion­nelle », les « assem­blées révo­lu­tion­naires qui peuvent être à l’origine de meurtre » ou encore l’exemple de la révolte pari­sienne de 1830 avec « 40.000 anar­chistes qui, durant trois jours, se ren­dirent maîtres de Paris ».
  3. K. E. MORTIER, « Le main­tien de l’ordre public : com­men­taire théo­rique et tac­tique », in L’officier de Police, n°4, avril 1961, p. 10 – 13.
  4. L’article 19 (aujourd’hui article 26) est le sui­vant : « Les Belges ont le droit de s’assembler pai­si­ble­ment et sans armes, en se confor­mant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néan­moins le sou­mettre à une auto­ri­sa­tion préa­lable. Cette dis­po­si­tion ne s’applique point aux ras­sem­ble­ments en plein air, qui res­tent entiè­re­ment sou­mis aux lois de police. »
  5. À par­tir de 1893, chaque homme peut voter et pos­sède au moins une voix, mais cer­tains (déten­teurs d’un diplôme, d’une cer­taine rente ou d’un cer­tain livret d’épargne) peuvent avoir jusque trois voix. En 1919, le suf­frage uni­ver­sel mas­cu­lin est ins­tau­ré. Les femmes, elles, n’obtiendront le droit de voter qu’en 1948.
  6. F. VAN KALKEN, Com­mo­tions popu­laires en Bel­gique (1834 – 1902), Bruxelles, office de Publi­ci­té, 1936. Pour une ana­lyse moins datée (et plus objec­tive) voir P. DELFOSSE, Ordre public et conflits sociaux dans la socié­té belge (1830 – 1914), Lou­vain-La-Neuve, Cre­hides, 1980.
  7. g. DENECKERE, Sire, het volk moort : Sociaal pro­test in Belgïe, 1831 – 1918, Ant­wer­pen, Hade­wi­jch ; gent, amsab, 1997.
  8. M. LIEBMAN, Les socia­listes belges 1885 – 1914 : la révolte et l’organisation, Bruxelles, Vie ouvrière, 1979.
  9. Tout au long du xIxe siècle, l’opposition entre catho­liques et libé­raux est féroce en Bel­gique, notam­ment sur les ques­tions d’enseignement. outre l’opposition par­le­men­taire, les libé­raux mènent aus­si une oppo­si­tion de rue avec l’organisation de grands cor­tèges qui s’orientaient vers le Palais de la Nation. Entre 1884 et 1914, la Bel­gique est gou­ver­née sans dis­con­ti­nuer par des gou­ver­ne­ments catho­liques homo­gènes. après les élec­tions de 1884, les catho­liques veulent faire une démons­tra­tion de force et orga­nisent, le 7 sep­tembre, une mani­fes­ta­tion qui amène 100.000 per­sonnes dans le centre de Bruxelles. 100 000 contre-mani­fes­tants libé­raux leur font face et la bataille de rue s’engage. Le bourg­mestre de Bruxelles, sa police et la garde civique, favo­rables aux libé­raux, lais­se­ront faire. Cet évè­ne­ment est connu sous le nom de « Saint-Bar­thé­le­my des grosses caisses ». F. VAN KALKEN, « Du fac­teur topo­gra­phique en matière de mou­ve­ments popu­laires et de leur répres­sion », in Revue d’histoire moderne, t. 15, n°41 – 42, p. 76 – 79.
  10. Le « chef de cabi­net » est l’équivalent du « Pre­mier ministre ». Ce n’est qu’en 1918 que l’expression « Pre­mier ministre » sera uti­li­sé en Belgique.
  11. Selon le Jour­nal de Bruxelles, l’interdiction date cepen­dant du 27 octobre 1891, mais le bourg­mestre envoie une cir­cu­laire pour affir­mer le prin­cipe le 15 février 1892. La zone neutre est alors déli­mi­tée comme suit : « outre le parc [royal], les rues et places sui­vantes : rue de Lou­vain, rue Ducale, rue Royale, rue de la Loi, place des Palais, Place du Trône, rue Bré­de­rode, place Royale, rue de la Régence jusque la rue Ruys­broeck, rue de Namur et rue de Ruys­broeck jusque la rue des Petits-Carmes, Mon­tagne de la cour jusque la rue Vil­la Her­mo­sa, pas­sage de la Biblio­thèque (non com­pris les esca­liers) et Mon­tagne du Parc jusque place de la chan­cel­le­rie ». Dans sa cir­cu­laire du 15 février, envoyée aux 1ère et 4ème divi­sions de police, Buls indique à nou- veau l’étendue de la zone neutre et confirme l’interdiction qui s’y rap­porte. Il rap­pelle par ailleurs que « la zone neutre ne doit être en aucun temps le théâtre de mani­fes­ta­tion quel­conque ». Jour­nal de Bruxelles, 30 juin 1892, p. 1.
  12. L. KEUNINGS, « ordre public et jus­tice : aux ori­gines de la zone neutre », in Les cahiers de La Fon­de­rie, n°27, décembre 2002, p. 6 – 8. 
  13. La mesure est à ce point anti­so­cia­liste que le Jour­nal de Bruxelles, quo­ti­dien catho­lique, écrit même, à la suite d’une mani­fes­ta­tion ayant débor­dé : « la police explique son inter­ven­tion en invo­quant une cir­cu­laire du bourg­mestre qui inter­dit aux cor­tèges socia­listes sur le ter­ri­toire de Bruxelles une “zone neutre” qui com­prend la rue royale, la rue de la régence et quelques rues adja­centes ». Jour­nal de Bruxelles, 28 juin 1892, p. 2.
    L’idée était par ailleurs déjà en cours au niveau du pou­voir natio­nal et un pro­jet de loi est même dépo­sé en ce sens en 1893. Cepen­dant, Charles Buls qui, en tant que dépu­té, est char­gé de l’examiner en sec­tion cen­trale, réus­si­ra à le blo­quer. Il y voit en effet les pre­miers pas vers une police du gou­ver­ne­ment à Bruxelles et sou­haite, contre cette idée, affir­mer l’autonomie du pou- voir com­mu­nal. L. KEUNINGS, « ordre public… », loc. cit.
  14. Ibidem. 
  15. annales Par­le­men­taires de la Chambre (aPC), 23 février 1954, p. 17 – 18 (vote par articles) ; aPC, 25 février 1954, p. 17 (vote sur l’ensemble du texte) ; annales Par­le­men­taires du Sénat (aPS), 11 février 1954, p. 750.
  16. aPC, « Débat sur la pro­po­si­tion de loi ten­dant à pré­ve­nir et à répri­mer l’exercice des pou­voirs sou­ve­rains pré­vus par la consti­tu­tion », 4 novembre 1953, p. 4 – 5. 
  17. L. KEUNINGS, « ordre public… », loc. cit., p. 8. 
  18. archives de la ville de Bruxelles, Bruxelles, Police, 712.231, Mani­fes­ta­tion de mili­taires, Rap­port du com­mis­saire adjoint, 7 sep-
    tembre 1979.
  19. F. WELTER, « L’occupation et la ges­tion négo­ciée de l’espace public : ou com­ment conci­lier reven­di­ca­tions sociales et main­tien de l’ordre », in Dyna­miques : his­toire sociale en revue (CARHOP), n°2, juin 2017, p. 3 – 4.
    De manière géné­rale, ce numé­ro Dyna­miques inti­tu­lé Les mou­ve­ments sociaux dans l’espace public : occu­pa­tions et ges­tion explore dif­fé­rentes pro­blé­ma­tiques de l’histoire et de l’actualité de l’occupation de la rue et de sa ges­tion par les forces de l’ordre, [en ligne].
  20. J. PIT­SEyS, « La zone neutre ou com­ment craindre le plu­ra­lisme poli­tique en son nom même », La Revue Nou­velle, n°5 – 6, mai-juin 2012, [en ligne]. Notons, par ailleurs, que l’acceptation de la dimen­sion de conflic­tua­li­té irré­duc­tible à toute socié­té a été poin­tée par plu­sieurs cher­cheurs. Par exemple, Chan­tal Mouffe fait de cette accep­ta­tion un des moyens de renou­ve­ler la démo­cra­tie : « il s’agit de lais­ser place aux conflits où les pro­ta­go­nistes se recon­naissent bien comme des adver­saires, mais ne se consi­dèrent pas pour autant comme des enne­mis ». Voir C. MOUFFE, Pour un popu­lisme de gauche, Paris, Albin Michel, 2018.
  21. Le Soir, 30 novembre 2018, [en ligne]
  22. J.-C. MATGEN, « Les “gilets jaunes” marchent sur Bruxelles : le point sur la mani­fes­ta­tion », La Libre Bel­gique, 29 novembre 2018, [en ligne]
  23. « “Déso­béis­sance civile” rue de la Loi : une quin­zaine d’arrestations admi­nis­tra­tives dans la zone neutre », 27 jan­vier 2019, [en ligne] ou encore « Mili­tants d’Extinction Rebel­lion délo­gés par la police : “Des indi­ca­tions que tout ne s’est pas pas­sé confor­mé­ment aux règles” », 13 octobre 2019, [en ligne].
  24. « Un ras­sem­ble­ment pour le cli­mat annon­cé dimanche à Bruxelles », 12 décembre 2018, [en ligne]. Notons tou­te­fois que, depuis 2017, la place du Trône a été reti­rée de la zone neutre. 
  25. Sur l’évolution géné­rale des mani­fes­ta­tions en Bel­gique et du main­tien de l’ordre et pour une pré­sen­ta­tion des prin­cipes de la « ges­tion négo­ciée de l’espace public », voir q. WILLAERT, « La mani­fes­ta­tion comme outil de la contes­ta­tion. His­toire et par­ti­cu­la­ri­tés de son usage en Bel­gique », in J. FANIEL, C. GOBIN et D. PATERNOTTE, Se mobi­li­ser en Bel­gique : rai­sons, cadres et formes de la contes­ta­tion contem­po­raine, Lou­vain-La-Neuve, Aca­de­mia, 2020.
  26. Notons par ailleurs qu’en 2011, c’est sur demande du com­man­de­ment mili­taire du Palais de la Nation, sur l’avis de la police locale, que la zone neutre est éten­due pour cou­vrir notam­ment le par­le­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise et la mai­son des par­le­men­taires fla­mands. La même police locale pro­po­sait par ailleurs de sup­pri­mer la place du Trône de la zone neutre. Ces modi­fi­ca­tions sont désor­mais enté­ri­nées et des zones neutres sont par ailleurs ins­ti­tuées pour pro­té­ger le par­le­ment régio­nal wal­lon à Namur et le par­le­ment de la com­mu­nau­té ger­ma­no­phone à Eupen. Sénat de Bel­gique, docu­ment par­le­men­taire n°5- 1256/1, [en ligne] ; Moni­teur Belge, 6 juillet 2017, p. 81448.
  27. e Comi­té P a été créé en 1991 et a débu­té ses acti­vi­tés en 1993 dans le but de doter le par­le­ment fédé­ral d’un sys­tème de contrôle externe sur la police. Il est donc char­gé du contrôle du fonc­tion­ne­ment glo­bal des ser­vices de police. Il doit éga­le­ment être atten­tif à la manière dont l’efficacité, l’efficience et la coor­di­na­tion poli­cières sont réa­li­sées, mais éga­le­ment veiller au res­pect des droits et liber­tés fon­da­men­taux par les ser­vices de police. Il peut pour cela recueillir les plaintes des citoyens concer­nant des dys­fonc­tion­ne­ments struc­tu­rels ou indi­vi­duels, des négli­gences ou des erreurs graves qui seraient com­mises par les ser­vices de police.
  28. Inter­view réa­li­sée par l’auteur, Liège, 5 mars 2020.
  29. Dans cha­cune de ces villes, le pro­ces­sus habi­tuel de demande et de négo­cia­tion est évi­dem­ment d’application. Pour Paris, le pré­fet peut inter­dire cer­tains espaces, à Ber­lin des condi­tions spé­ci­fiques et plus strictes pré­vues par la loi per­mettent de mani­fes­ter devant le Bun­des­tag. Pour La Haye et pour Londres, le règle­ment spé­ci­fie que la police peut redi­ri­ger le cor­tège afin de lais­ser les entrées des Chambres libres. Règle­ment pour Londres ; Règle­ment pour Ber­lin (fichier PDF) ; Règle­ment pour Paris ; Règle­ment pour La Haye ; Règle­ment pour Bruxelles.
  30. APC, 29 juin 1899, p. 1844.