Mehdi a été mortellement percuté par une voiture de police, alors qu’il était avec des amis dans les alentours du Mont des arts, à Bruxelles. La famille désire connaître la vérité.
Justice pour Mehdi est un mouvement créé suite au décès de Mehdi Bouda, 17 ans, le 20 août 2019. Mehdi a été mortellement percuté par une voiture de police, alors qu’il était avec des amis dans les alentours du Mont des arts, à Bruxelles.
La famille désire connaître la vérité, les circonstances exactes dans lequel Mehdi a perdu la vie, de façon à pouvoir commencer le processus de deuil.
Dans le journal flamand De Morgen, une carte blanche de la réalisatrice Lidewij Nuitten
Cher Mehdi, qu’aurions-nous vu dans les médias si tu étais blond et blanc ?
Cher Mehdi,
On ne se connaît pas. Nos chemins ne se sont jamais croisés et ne se croiseront jamais. Parce que le 20 août, tu a été renversé par une voiture de police et tu est mort sur le coup. Néanmoins, j’aimerais te dire quelques mots. Ce sont des choses dont j’ai tellement honte que je pourrais aussi bien les garder pour moi. Mais la vérité transcende la honte, alors je vais être honnête avec toi.
J’ai lu ton nom pour la première fois fin août dans la presse. Tu est mort à l’âge de dix-sept ans, après qu’une voiture de police t’a percuté à Bruxelles. Les circonstances de l’accident étaient — et sont toujours — peu claires. Je n’ai parcouru les articles qu’à mi-chemin. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai parcouru les journaux, ils insinuent que tu avais peut-être de la drogue dans tes poches et que t’aurais même vendu de la drogue et fui la police. Je n’ai pas lu les autres articles, mais inconsciemment j’ai rangé les titres quelque part dans mon cerveau. Puis j’ai lu en septembre que ton grand frère Ayoub préparait une marche blanche pour toi, ça ne m’a pas touché. Je me souviens encore de la première pensée qui m’est venue spontanément à l’esprit : ils veulent probablement blanchir l’image de ce petit voyou.
Ce n’est que dimanche dernier que cette pensée m’a été réfutée , lorsqu’une amie s’est trouvée face à cette marche. Elle venait de lire une interview de ton frère Ayoub. J’avais déjà vu une photo de lui sur Facebook plus tôt dans la journée, mais ce n’est que maintenant que j’ai ouvert l’article. Et il s’est avéré qu’à chaque paragraphe que j’ai lu, je lui donnais plus de crédibilité. Les raisons sont embarrassantes.
L’introduction de l’article expliquait qu’il s’agissait d’un double entretien avec ton frère Ayoub et sa petite amie blanche, Maude. Il étudie à l’ULB, elle étudie à la VUB. Rien de tout cela ne devrait avoir de l’importance, mais pour moi, cela s’est soudain avéré être une raison pour prendre Ayoub plus au sérieux. Et ça s’est empiré. L’idée que la presse m’avait soufflée inconsciemment — que tu étais un arabe vaurien typique des rues Bruxelloises — s’est éclatée presque immédiatement quand j’ai lu avec qui tu étais assis au Mont des Arts ce soir-là. Accompagné de huit amis blancs de l’école d’art. Comment est-il possible qu’en lisant cette phrase, ma tête t’associe soudainement aux “gentils” ? Quand j’ai lu que, comme moi, tu étais un créatif, que tes professeurs te soutenaient et que la STIB t’a même félicité pour une de tes idées, j’ai soudain trouvé si triste que tu ne sois plus là. Pourquoi cette tristesse ne m’a‑t-elle pas frappé avant ?
À ma grande surprise, je n’ai jamais remis en question les articles qui circulaient après ta mort. Même si tu avais de l’herbe dans tes poches, ce soupçon est tout sauf pertinent dans cette histoire. Si tu étais blanc et blond et qu’on tu ne t’appelais pas Mehdi, le titre des articles auraient été sans doute terriblement inappropriés. On se serait demandé pourquoi une jeune victime est présentée comme un agresseur. Après tout, un jeune de 17 ans est mort pour rien.
Et cela m’amène à l’essentiel de mon histoire. L’interview avec Ayoub et Maude m’a donné plus d’informations sur la discrimination que tous les articles d’opinion que j’ai jamais lus à ce sujet. L’interview m’a fait comprendre plus que jamais que la discrimination n’est pas une accumulation d’une série d’incidents individuels. C’est un mal si structurellement enraciné que nous ne remarquons plus nos préjugés. Peu importe le niveau d’éducation ou d’ouverture d’esprit que nous avons. Pour endoctriner une société, vous n’avez pas besoin d’un livre rouge ou de censure. J’en suis la preuve vivante.
Et je ne suis pas seule. Facebook est plein de réactions négatives par rapport au fait que ta famille demande la vérité sur l’accident : “Si maintenant il faut même organiser une marche blanche pour ça”. Moi-même, je ne publierais jamais rien de tel, je n’oserais même pas partager une telle pensée avec mes meilleurs amis. Cependant, mon amie s’était surprise à penser à toi et à ta famille de la même manière. C’est étrange quand on sait qu’en tant qu’orthophoniste à Schaerbeek, elle accompagne quotidiennement avec amour des adolescents de toutes les cultures. Et que j’ai rencontré plus de deux cents voisins marocains, polonais, congolais et autres sans aucune expérience négative. Si nous sommes déjà piégés, comment pouvons-nous nous attendre à ce d’autres ailleurs prennent conscience de ta mort ?
C’est bien que j’ai réalisé que tu étais un petit garçon innocent de dix-sept ans, qui était très aimé. Mais le fait qu’il m’ait fallu deux mois et une interview en profondeur de quatre pages est affligeant et je trouve difficile de me pardonner. Désolé pour ça, Mehdi.
Je suis vraiment désolée.
Lidewij Nuitten
Réalisatrice.
Publié dans DM / Traduit par ZIN TV