“Matapaco” es un chien mythique et célèbre pour avoir participé à toutes les manifestations du mouvement étudiant à Santiago du Chili.
L’existence du chien Matapaco s’est répandue dans Santiago, la capitale du Chili, comme un véritable mythe urbain. Depuis 2011, ce chien errant s’est fait connaître pour sa présence dans les manifestations d’étudiants et son visible agressivité envers les carabiniers, d’où son surnom : Matapaco : tueur de flic ! Comme souvent avec la mythologie urbaine, le réel surpasse parfois la fiction, car le chien Matapaco existe bel et bien, même qu’un documentaire retrace sa vie… ZIN TV a contacté le collectif de réalisateurs et leur a demandé l’autorisation de le traduire, sous-titrer et diffuser. Le voici donc désormais disponible sur notre plateforme internet après une avant-première ayant eu lieu le 25 janvier lors d’une soirée de solidarité avec le Chili en lutte.
Le mouvement étudiant chilien revendique la gratuité en tant que droit social universel garanti par l’État et consacré par la Constitution. La mobilisation des étudiants est donc liée à la revendication pour le changement de Constitution. Le Chien Noir Matapaco a commencé à attirer l’attention en raison de sa présence constante dans la première ligne de la lutte frontale, à la frontière des manifestants et les matraques des carabiniers… Comme si une certaine idéologie rebelle le motivait.
Il s’est fait connaître sur les réseaux sociaux où les étudiants ouvraient des comptes à son nom, publiaient ses photographies, atteignant des milliers d’adeptes sur Facebook ou sur Twitter. Sous les photographies partagées, plusieurs utilisateurs anonymes lui ont écrit des salutations, des conseils et même des prières, alimentant ainsi le mythe autour du chien : Matapaco, l’autre jour je t’ai vu dans la rue… Matapaco, fait attention à toi !…
Facilement reconnaissable avec son éternel foulard autour du cou — que les étudiants lui changeaient de temps à autre, passant souvent du rouge au bleu — ce chien combatif s’est solidarisé avec la lutte pour une meilleure éducation pour le pays. Aujourd’hui, on lui rend un véritable culte.
Le rejet de l’autorité
Francisco Millán est l’un des réalisateurs du film Matapaco, le documentaire de 20 minutes qui décrit ses aventures et dévoile quelques mystères de la vie du chien noir rebelle. Selon Millán, étudiant en communication audiovisuelle, l’idée a émergé au départ comme un projet universitaire puis est devenu un projet avec un regard personnel qui a participé à rendre célèbre l’animal.
“Nous avons créé une page Facebook et avons commencé à faire des recherches. On demandait des informations, des vidéos, des photos et on en a reçu en masse. Nous avons d’abord découvert que le chien avait une maison, qu’il y avait une autre personne qui l’élevait, que des gens l’avaient vu à différents endroits, nous avons commencé à faire une carte pour savoir d’où il venait”, affirme Millán.
Avec les difficultés des premières recherches, Millán et ses compagnons apprirent que Matapaco avait une chambre et un lit rien que pour lui dans la maison de son propriétaire à l’avenue República, en plein centre-ville. “Une dame le nourrissait, prenait soin de lui et avant qu’il ne sorte dans la rue, elle lui donnait la bénédiction”, a‑t-il dit.
En suivant sa trace dans diverses manifestations, les étudiants ont cartographié les quartiers communs du chien, ces déplacements sont généralement situé entre l’Université Centrale, l’Université de Santiago du Chili et l’Université Technologique Métropolitaine. Toujours présent dans les milieux universitaires.
En Belgique, il serait le cousin éloigné du Zinneke…
Selon M. Millán, le chien était très courageux : “Il était très doux avec les jeunes et les étudiants. Il était très affectueux avec nous, mais, par exemple, quand un gardien de l’université arrivait, le chien l’attaquait. Avec les flics, quelque chose lui attirait son attention et devenait soudainement agressif, on pense que ce sont les bottes ou la rigidité, l’attitude des gardiens ou des personnes qui possèdent l’autorité”.
Qualifié d’activiste, anarchiste, meilleur ami de l’homme et des femmes, défenseur des étudiants chiliens : le chien noir Matapaco est devenu une star révolutionnaire sur les réseaux sociaux et l’un des personnages les plus emblématiques du Chili contemporain.
En Grèce, il pourrait être comparé au chien Lukanikos (qui signifie “saucisse” en grec), qui a joué un rôle de premier plan dans presque toutes les manifestations à Athènes contre les mesures d’austérité économique prises par le gouvernement pour faire face à la crise profonde du pays. Plus connu sous le nom de Luk, il affrontait les groupes de choc avec une telle férocité et une telle détermination qu’il semblait mener lui-même le mouvement de contestation sociale. En Belgique, il serait le cousin éloigné du Zinneke…
Comme le chien grec, Matapaco participe aux manifestations d’étudiants à Santiago sans montrer aucune crainte envers les gaz lacrymogènes ou des canons à eau. Une légende circule dans les réseaux sociaux et raconte qu’un jour, des agents de sécurité l’ont séparé de sa compagne, ce serait la raison de sa haine envers les carabiniers… Une autre légende raconte que Matapaco serait la réincarnation d’un étudiant assassiné… Ailleurs on raconte qu’il serait un révolutionnaire inné, père de 32 enfants (reconnus) et mari de six chiennes, ami du peuple et le pire cauchemar de la police.
Víctor Ramírez avait 23 ans lorsqu’étudiant en communication audiovisuelle, avec ses camarades de classe, il a créé une société de production appelée Enmarcha Films et a lancé en 2013 l’un des documentaires les plus regardés sur le mouvement étudiant chilien : Matapaco.
Dans un entretien il raconte la genèse du film, voici son récit :
Le film est né à l’université. Je participais à un atelier de réalisation de films documentaires. Nous avons d’abord dû présenter une idée aux professeurs. Et la vérité, c’est que le pitching était personnel et j’étais très inquiet parce que je ne savais pas quoi faire [rires]… comme toujours quand il faut inventer une idée, ça devient très compliqué. Je me suis souvenu qu’en première année de carrière, un professeur avait dit que les meilleures idées venaient toujours de l’intérieur. Et je me suis dit : j’aime vraiment les chiens ! Je me soucie beaucoup des chiens errants, quand je peux leur donner de l’eau, des choses comme ça. Je ne me considère pas comme un animaliste, mais je me plutôt comme une personne compatissante avec les chiens errants, j’aime les caresser, je suis leur ami. Puis j’ai commencé à chercher sur internet. J’avais participé aux manifestations, mais je n’allais jamais à l’avant. Un portrait sur la propriétaire du chien, Mme Maria, avait été publié sur internet et c’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser au chien. En fait, l’idée que j’avais au début était que nous avons une vie comme ces chiens errants, nous sommes traités comme des chiens. Mais pas les étudiants en particulier, mais la société dans son ensemble. Je me sentais comme un chien abandonné. Puis le professeur m’a orienté et j’ai commencé à réaliser qu’il y avait beaucoup d’angles d’approche possible.
Si les choses ne changent jamais, nous continuerons à être des chiens errants.
Je me suis appuyé sur les gens que je connaissais, une amie (Nayaret Nain) qui était directrice photo et elle m’a mise en relation avec un autre garçon. La productrice (Carolina Garcia) m’a approché, en fait, elle est beaucoup plus animaliste que moi, elle est végétalienne et elle est cool. El Checho (Sergio Medel) était le monteur et puis est venu le Pancho (Francisco Millán) pour la caméra, je l’ai choisi parce que je suis encore très téméraire pour aller aux manifestations, j’ai un peu peur mais pas lui. L’équipe étant en place, notre première mission a été de trouver le chien, de le filmer dans une manif et voir à quoi nous étions confrontés. Nous arrivions tôt le matin lorsque les étudiants étaient rassemblés sur la Plaza Italia ou à l’USACH [l’Université de Santiago du Chili]. C’est là que nous l’avons trouvé, car c’est son territoire, près du quartier de l’avenue República. Nous arrivions, nous filmions un peu les étudiants, nous faisions des interviews, et ensuite, si le chien se présentait on l’attrapait. Mais le chien avait la bougeotte. Souvent excité, il courait partout, suivait les étudiants. Il partait, il revenait, il ne s’est jamais arrêté. Il était un peu fou, il bougeait trop pour nous. Il a été impossible de le suivre et de le filmer dans une durée convenable.
Le tournage a été marqué par de nombreuses difficultés. Par exemple, nous avions deux appareils photo et la plupart du temps nous étions à court de mémoire, parce que nous filmions beaucoup et que nos batteries se vidaient rapidement. Il était difficile d’aller aux manifs avec une perche, on se faisait remarquer. L’autre chose était le vrai danger que l’on court pendant les manifs. Pancho s’est trouvé mêlé à une scène où les flics ont tabassé les étudiants, et qu’une pierre a frappé un jeune qui se trouvait juste à côté de lui, on le voit dans le documentaire. Avec les étudiants, nous n’avons pas eu de drames, c’était beau car tout le monde connaît le chien, donc tout le monde voulait en parler. Tout le monde a une histoire avec lui. Tout le monde l’aime.
Le chien avait deux propriétaires, Mme Marcela, celle du centre d’appel, était plus accessible, nous pouvions facilement la contacter. Elle est peut-être animaliste, elle s’occupe de beaucoup de chiens en plus du Matapacos. Elle s’occupe de Lulu et de Chupetín qui est aussi un chien qui va aux manifs et que les élèves connaissent bien. Chupetín est également dotée d’un foulard. En fait, quand on ne trouvait pas Matapacos, on trouvait Lollipop, l’allié de Matapacos, car il avait de nombreux alliés.
Au départ, Mme Maria ne voulait pas qu’on filme parce qu’elle est superstitieuse, elle craignait un drame avec le chien qui va aux manifs et qui parfois ne revient pas. Une fois, elle nous a dit que le Matapacos représente beaucoup pour les enfants. Ses amies lui ont dit que le chien pouvait être possédé par le diable, mais elle penchait — plutôt – pour la thèse de la réincarnation. Elle pense qu’il était un étudiant réincarné et qu’il a des vrais sentiments pour le mouvement étudiant et ses idées. Ces idées sont belles et font partie du mythe. La dame lui donne sa bénédiction chaque fois que le chien sort pour manifester.
On dit beaucoup de choses sur le Matapacos… après avoir réalisé le documentaire, j’ai rencontré une fille qui étudiait à l’UTEM [Universidad Técnica Metropolitana] et je lui ai parlé de ce docu et elle m’a dit : “Oh, je connaissais ce chien bien avant. Elle m’a dit qu’à l’UTEM, au siège de Los Héroes, ils voulaient expulser le chien, ils voulaient le tuer pour qu’il n’entre plus à l’université. Le chien énervait l’administration et les membres de la Fédération des étudiants l’ont sauvé, ils ont parlé au rectorat, je suppose, pour qu’ils ne le tuent pas. Ils racontent également comment le chien se faufilait dans l’Institut national (un symbole de l’éducation publique avec une longue histoire de présidents dans leurs salles de classe), et un jour pendant un cours il y a fait ses besoins. Quand elle m’a raconté cela, j’ai ri à gorge déployée.
Un dimanche, nous sommes allés le voir, il n’y avait pas de manif. Mme Maria avait dit qu’il était malade, alors elle a laissé la porte ouverte, le chien est sorti sans rien dire et a fait quelques promenades. Nous l’avons suivi. Il est allé à Alameda et devant un passage piéton, il attendait pour traverser… [rires], parce que le chien ne se promène pas n’importe comment. Il est allé à l’église de la rue Cumming, où se trouve la piscine. Mme Marcela m’a dit que parfois il y prenait un bain.
Une fois le documentaire diffusé sur Youtube, nous recevions des critiques positives, presque tout le monde aime le film. Ceux qui sont négatifs, n’aiment pas l’idée d’un chien qui semble penser comme les humains. Le chien n’aurait rien à voir avec les étudiants. C’est une critique basée sur des choses politiques. Ils pensent que le chien n’apporte pas grand-chose au mouvement. Mais c’est le contraire, parce que les jeunes le voient comme un symbole, en fait, c’est comme un soutien au mouvement. Avec la question des réseaux sociaux, pour les jeunes, c’est comme une Gladys Marín, une icône de la lutte, quelque chose comme ça [rires]… c’est un rempart contemporain. D’ailleurs, c’est une métaphore actuelle des choses dont on se plaint. Si les choses ne changent jamais, nous continuerons à être des chiens errants. Nous nous sentirons toujours abandonnés. C’est une métaphore qui sert à dénoncer des situations telles que celles vécues par les personnes qui se battent et qui sont abandonnées par l’État. C’est peut-être lourd, mais le chien Matapacos est en quelque sorte une compagnie, parce qu’il dit aux manifestants qu’ils ne sont pas seuls. Je pense que le chien agit principalement par instinct. C’est peut être une très belle histoire que le chien soit une réincarnation, en fait il fait partie du symbole que les jeunes aiment. Mais je pense que dans les manifestations, il agit par instinct. Le reste a été créé lorsque le chien est devenu une légende. Aux manifs, ils ont commencé à lui mettre des foulards, ils ont commencé à le voir comme un leader canin [rires].
Je me souviens d’un chien du nord qui mordait les pneus des voitures qui passaient dans sa rue. J’ai l’impression que ce chien se sentait envahi par les voitures qui passaient tous les jours. Et ici, comme les chiens errants vivent toujours dans les engrenages de la ville, ils s’adaptent à ce qu’ils voient. D’une certaine manière, ils sont envahis par les flics et en face les masses populaires. Maintenant, je suis persuadé que ces meutes de chiens sont en faveur des étudiants, parce que les jeunes les aiment beaucoup plus que les flics. Les flics leur donnent même des coups de pied pour qu’ils ne s’approchent pas.
Je me souviens que le professeur disait que c’était un sujet très lourd, un film très politique, et que si nous l’envoyions à un festival, nous pourrions gagner. Nous avons étudié à St. Thomas, une institution super catholique et notre professeur était communiste, un ancien exilé… et donc il était très enthousiaste pour ce projet. Ensuite, nous avons participé à un festival dans la même université et ils nous ont dit qu’il était difficile de gagner par ce que le documentaire était trop révolutionnaire pour l’institution, mais au final nous avons quand même gagné.
Comme le dit Mme Marcela dans le documentaire, le chien est toujours dans la rue, il est toujours présent. Et s’il meurt, il mourra dans la rue, dans sa loi. C’est grossier de le dire, mais d’après ce qu’il fait, je ne vois pas d’autre mort possible. Au début, j’ai aimé la liberté que le chien avait de se promener. Mais ensuite, je me suis dit : Pour l’amour du ciel ! Les chiens errants ne sont pas libres ni heureux, ils sont libres mais ils souffrent parce qu’ils n’ont pas de nourriture, pas d’eau, il fait trop chaud. Comme le dit Mme Marcela, j’espère que le film servira à sensibiliser les gens, à faire passer une loi en faveur des chiens errants, pour qu’il n’y en ait plus. Comme une politique publique pour que les gens soient également responsables de leurs animaux. Donc, au final, c’est l’histoire d’un chien, mais aussi d’un animaliste, de deux propriétaires du chien, des jeunes qui l’aiment et se battent dans la rue…
Après 2013, le chien Matapaco est devenu célèbre, il l’était déjà à Santiago, et il a continué sa vie normale, mais il a commencé à tomber malade, on n’a jamais su quel âge il avait, mais il était vieux, ses dernières années ont été marqué par une maladie grave, il était en traitement et a fini par mourir le 26 août 2017, il est mort en paix, accompagné et entouré, une fin digne pour quelqu’un qui a tant donné.
Aujourd’hui, en ces temps de révolution, il serait en première ligne, à côté des jeunes cagoulés et en les défendant comme il l’a toujours fait, je pense qu’il serait très heureux de voir tant de gens révoltés. C’est très important que le souvenir du chien Matapaco soit maintenu, tant dans ma vie que dans ce qui se passe au niveau social, le Matapaco est devenu une légende et un symbole de lutte, dans une société sans dirigeants, le noir signifie la persévérance, la solidarité, la colère contre l’ennemi, l’amour et la noblesse, maintenant c’est un drapeau de persévérance et j’espère qu’il est éternel, le chien nous rappelle que nous devons continuer à nous battre et ne pas abandonner la lutte pour rien au monde.