L’oppression n’a pas changé.
Carlos Latuff : Ces dernières années, le seul soulèvement provoqué par le racisme aux USA restait celui des années 90 à Los Angeles. Mais aujourd’hui, en un an, il y a eu Ferguson et Baltimore. Qu’est-ce qui a changé ?
Detric Fox-Quinlan : Internet, c’est ce qui a changé les choses ! La technologie nous permet d’assister aux exactions en temps réel. Cette même technologie nous permet de nous connecter aux gens qui sont fiers d’être noirs ! Quand nous nous aimons nous-mêmes, nous nous battons contre ceux qui ne nous aiment pas ! Ce qui s’est passé en 92 avec Rodney King partait de la même brutalité policière résultant du suprémacisme blanc à laquelle nous faisons face aujourd’hui… les hommes et les femmes noirs étaient en colère parce que les officiers qui avaient brutalement battu Rodney King n’avaient pas été poursuivis, de la même manière qu’ils sont aujourd’hui en colère contre le fait que Darren Wilson n’a pas été inculpé pour le meurtre de Michael Brown. Nous voyons le gouvernement/l’Etat comme l’ennemi, et nous voulons riposter ! Il y a d’innombrables cas d’usage excessif de la force, de faute grave, et de meurtres d’hommes, de femmes et d’enfants noirs à l’actif des forces de police US sur les 23 années depuis Rodney King, mais la jeunesse de Ferguson a ravivé ce « COMBAT » parce que nous les avons vus SE DRESSER ET RIPOSTER en temps réel ! Baltimore est un cas de figure un petit peu différent de Ferguson, dans la mesure où ils sont un peu plus politisés.
Si on prend la couverture du magazine Time de cette semaine, qui compare les émeutes actuelles de Baltimore avec les soulèvements raciaux passés, aux USA, qu’est-ce qui a changé, et qu’est-ce qui n’a pas changé ?
L’oppression n’a pas changé. Ce qui a changé c’est la quantité innombrable de personnes noires qui sont prêtes à devenir les oppresseurs de leurs semblables, au lieu de travailler avec eux au renversement du système. Nous sommes toujours des esclaves dans un monde qui se prétend libre. Les couvertures comme celle du Time nous rappellent à quel point nous n’AVONS PAS PROGRESSE.
Comment les médias dominants ont-ils couvert les récentes protestations ?
Comme d’habitude. De la propagande infestée de faussetés. Ces organes de presse passent en boucle les mêmes 5 secondes de vidéo pour instiller la peur chez les gens, traitant d’animaux ces jeunes gens parce qu’ils osent riposter contre un système oppressif. Aucune famille noire de Baltimore ne possédait de CVS*. De la même façon aucune famille noire ne possédait de QuikTrip** à Ferguson. Ces États et entreprises pillent les vies des Noirs américains depuis des années. Quand ces bâtiments brûlent les gens parlent immédiatement du fait qu’ils détruisent leur propre communauté. IL N’Y AVAIT RIEN DE BIEN DANS LEURS COMMUNAUTES AVANT L’ÉMEUTE ! C’était juste la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Tuer Freddie Gray et ne tenir personne pour responsable c’était juste une raison de plus pour la riposte de la communauté noire. PAS LA SEULE RAISON – UNE AUTRE RAISON !
Malcolm X, les Black Panthers… la résistance noire, c’est une vieille histoire. Pensez-vous qu’avec Ferguson et Baltimore, une nouvelle génération de résistance est née ?
Oui, et je pense que de plus en plus de gens vont rejoindre le combat. C’est une ère nouvelle, mais c’est malheureusement le même vieux combat. Nous ne sommes toujours pas libres ! La guerre contre les hommes et femmes noir(e)s dure depuis plus longtemps que ma propre vie. Je suis sûre qu’un changement absolu va advenir, mais ça ne sera sûrement pas de mon vivant. Cependant, je suis prête à soutenir, à conseiller, et à combattre aux côtés de la jeunesse dans notre combat, parce que cette lutte, c’est à nous de la remporter.
Des juifs éthiopiens protestent contre la brutalité policière en Israël, la communauté noire des favelas du Brésil affronte aussi la brutalité policière. Pensez-vous que vous noirs des USA puissiez tisser maintenant des alliances avec les luttes des communautés noires des autres parties du monde ?
Absolument et j’espère que cela va être le cas. J’espère qu’on utilisera la technologie pour communiquer et pour nous éduquer les uns les autres sur ce qui marche et ce qui ne marche pas dans notre lutte. Ce que j’ai appris, c’est que le combat est le même où qu’on se trouve dans le monde. Le combat des hommes et des femmes noirs pour nous débarrasser de la botte qui nous écrase la nuque, du nœud coulant autour de notre cou est le même partout où vous allez. De l’Éthiopie au Brésil jusqu’aux USA, être noir est un combat que nous allons devoir continuer à mener avec acharnement, et il nous faudra résister pour gagner. Je rappelle toujours aux gens que je n’ai aucun intérêt à devenir l’égale de mon oppresseur. Je ne veux pas ce que l’homme blanc possède… je veux simplement pouvoir bouger librement dans un monde qui soit autant le mien que celui de n’importe qui, sans restriction, sans interruption ou sans harcèlement de la part de quiconque. Je veux que mon peuple soit LIBRE DE VIVRE.