Affaire DSK : des médias orphelins

Par Mathias Reymond

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ACRIMED

l’autoportrait d’une presse en plein désar­roi face à la dis­pa­ri­tion de son can­di­dat préféré

Por­té au pinacle par une grande par­tie des médias depuis plus d’un an, Domi­nique Strauss-Kahn voit son ave­nir de can­di­dat à la pré­si­den­tielle lar­ge­ment remis en cause, et ce, quelle que soit l’issue de l’enquête (et du pro­bable pro­cès) pour « acte sexuel cri­mi­nel, ten­ta­tive de viol et séques­tra­tion » sur une femme de chambre d’un grand hôtel new-yor­kais. Face au défer­le­ment d’images et de com­men­taires pas­sion­nés — et par­fois même déli­rants, il est dif­fi­cile de décryp­ter glo­ba­le­ment le com­por­te­ment des médias en un seul article. C’est pour­quoi nous enta­mons une série sur ce que les médias pré­sentent désor­mais comme « l’affaire DSK ».

Depuis l’élection de Nico­las Sar­ko­zy en 2007, les com­men­ta­teurs poli­tiques les plus média­tiques jouent — jusqu’à l’excès – aux petits che­vaux de la pré­si­den­tielle et repro­duisent les éga­re­ments du pas­sé. Rap­pe­lons-nous qu’Edouard Bal­la­dur était en tête des son­dages jusqu’en février 1995, et qu’il ne fut même pas pré­sent au second tour en mai 1995. Sou­ve­nons-nous que Lio­nel Jos­pin était don­né gagnant en 2002, puis qu’il ne fut même pas pré­sent au second tour. Enfin, si le duel Royal-Sar­ko­zy était dans les bouches de tous les édi­to­ria­listes plus d’un an avant le second tour de l’élection de 2007, pré­ci­sons que la can­di­date socia­liste ne l’a été que parce que des son­dages l’annonçaient comme la mieux pla­cée pour l’emporter face au can­di­dat de l’UMP. Le choix ne s’étant pas fait sur le fond, mais sim­ple­ment sur des anti­ci­pa­tions, Ségo­lène Royal, et les son­do­logues, ont perdu.

Iden­tique scé­na­rio allait se repro­duire pour l’élection pré­si­den­tielle de 2012 : Domi­nique Strauss-Kahn était – selon des son­dages qui n’ont aucun fon­de­ment scien­ti­fique [1], à son tour, le mieux à même de faire (enfin !) gagner le Par­ti socia­liste. Appa­rem­ment, il n’en sera rien, au grand dam des éditorialistes.


Héros du Parti socialiste

Les médias ont donc per­du leur can­di­dat. Glo­sant depuis des mois sur son éven­tuelle can­di­da­ture, les voi­là orphe­lins. En 2006, ces mêmes médias pro­nos­ti­quaient (espé­raient ?) le retour de Lio­nel Jos­pin, et plus de trois cents articles avaient été rédi­gés sur ce thème en l’espace de quelques mois. Trois cents articles pour rien [2].

Aujourd’hui, pour Nico­las Demo­rand dans Libé­ra­tion (16 mai 2011 [3]), « les socia­listes perdent le seul can­di­dat qui avait, dans toutes les confi­gu­ra­tions pos­sibles, la faveur des son­dages. » Des son­dages com­man­dés et com­men­tés par les médias eux-mêmes. Por­té aux nues par Libé­ra­tion et Demo­rand lui-même (du temps où il offi­ciait sur France Inter et Europe 1), Domi­nique Strauss-Kahn « était, selon Alain Duha­mel de RTL, une chance his­to­rique pour les socia­listes. Parce que son pro­fil cor­res­pon­dait excep­tion­nel­le­ment aux cir­cons­tances. » Alain Duha­mel qui, sou­ve­nons-nous en, avait « oublié » de faire un cha­pitre sur Ségo­lène Royal dans son livre sur ceux qui allaient être les futurs can­di­dats à la pré­si­den­tielle de 2007.

Pour Claude Asko­lo­vitch, sur Europe 1, « Domi­nique Strauss-Kahn était le lea­der qui était atten­du par une moi­tié de la France à gauche et qui pou­vait deve­nir Pré­sident de la répu­blique, donc quelqu’un qui était atten­du par beau­coup de gens. » Il était, en tout cas très atten­du par Asko­lo­vitch lui-même qui pré­pa­rait un livre sur le direc­teur du FMI. Pro­jet suspendu.

Dans son édi­to­rial, Demo­rand insiste : DSK était « le plus à même de battre Nico­las Sar­ko­zy. » Il était, pour Jean-Michel Apha­tie de RTL, « celui qui pou­vait incar­ner [le lea­der­ship] » du PS. Pour Le Figa­ro, « le direc­teur géné­ral du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal était le favo­ri pour la pré­si­den­tielle de 2012 » et « favo­ri de la pri­maire socia­liste en vue de la pré­si­den­tielle fran­çaise de 2012 » selon Le Monde (17 mai). Mais favo­ri pour qui, au fait ? Pour les com­man­di­taires des son­dages et ceux qui y croient… Le jour­nal Les Echos, plus lucide, pré­fère le pré­sen­ter sim­ple­ment comme « le chou­chou des sondages ».

Héraut de la régulation financière

« Éco­no­miste recon­nu, cha­ris­ma­tique, fin poli­tique », selon La Tri­bune, « brillant, appré­cié par la droite et les milieux d’affaires, esti­mé au-delà des fron­tières », pour le quo­ti­dien Libé­ra­tion, les jour­na­listes éco­no­miques ne tarissent pas d’éloges Domi­nique Strauss-Kahn, et résument par­fai­te­ment le regard que les édi­to­ria­listes portent sur lui. Pour Les Echos, « Domi­nique Strauss-Kahn est une pièce maî­tresse dans la ges­tion de la crise de la dette. » Dans La Tri­bune, on pré­cise que « Domi­nique Strauss-Kahn a lais­sé jusqu’ici un bilan plu­tôt posi­tif au sein du FMI ». « La foi de Domi­nique Strauss-Kahn dans le mul­ti­la­té­ra­lisme et ses talents de négo­cia­teur en ont fait l’accoucheur de consen­sus mon­dial », clai­ronne Le Monde (17 mai). Pour Alain Duha­mel, « son métier était de répli­quer aux crises ». Rien de moins.

Les jour­na­listes sont una­nimes : DSK était (est ?) le grand héraut de la régu­la­tion finan­cière, le héros de la crise finan­cière. « Domi­nique Strauss-Kahn a joué jusqu’à pré­sent un rôle cru­cial depuis l’éclatement de la crise de la dette sou­ve­raine de la zone euro, insiste Les Echos, (…) Par son action éner­gique en faveur des pays euro­péens en crise, Domi­nique Strauss-Kahn est par­ve­nu à atté­nuer la méfiance, voire la franche hos­ti­li­té, à l’égard de l’institution de Washing­ton de sec­teurs non négli­geables de la popu­la­tion du Vieux Conti­nent. » Et les contes­ta­tions qui ont fleu­ri dans plu­sieurs pays sont écar­tées d’un revers de manche : « Quoique encore stig­ma­ti­sé dans les mani­fes­ta­tions contre l’austérité en Grèce, en Irlande et au Por­tu­gal, le FMI appa­raît aujourd’hui moins qu’auparavant comme la bête noire des gauches et des syn­di­cats euro­péens. » (Les Echos) Quels sont les fon­de­ments de cette hypo­thèse sau­gre­nue ? Aucune enquête inter­na­tio­nale n’a été menée pour mesu­rer l’indice de popu­la­ri­té du FMI…

Ten­tons une contre-hypo­thèse. Si Strauss-Kahn n’était pas fran­çais, et sur­tout, si Strauss-Kahn n’incarnait pas la « gauche moderne », la « deuxième gauche », celle de Michel Rocard et Jacques Delors, celle qui a rom­pu depuis long­temps avec le mar­xisme, celle qui a sou­te­nu le tour­nant de la rigueur en 1983 et qui veut aujourd’hui pac­ti­ser avec le centre, si Strauss-Kahn n’était pas de cette gauche-là, aurait-il été adou­bé par les médias ? Serait-il « irrem­pla­çable » comme l’affirmait encore Jean-Michel Apha­tie sur RTL ?

« Irrem­pla­çable », il l’est incon­tes­ta­ble­ment pour Le Monde (17 mai) qui assure que « per­sonne ne pour­ra le rem­pla­cer le 27 mai au G8 de Deau­ville. Per­sonne d’autre ne pour­ra faire en juin la navette entre l’Asie, l’Amérique et l’Europe pour rap­pro­cher les points de vue sur le pilo­tage de l’économie des­ti­né à assu­rer à la pla­nète une crois­sance “forte, équi­li­brée et durable”. »

« Irrem­pla­çable », il l’est cer­tai­ne­ment pour Ber­nard Guet­ta de France Inter qui tire un bilan assez enthou­siaste – et en pre­nant quelques lar­gesses avec la véri­té – du direc­teur du FMI : « [Domi­nique Strauss-Kahn] était deve­nu l’un des prin­ci­paux arti­sans de ce sau­ve­tage en prô­nant un réen­ga­ge­ment des Etats dans l’économie et un sou­tien bud­gé­taire à la consom­ma­tion, afin que la crois­sance puisse repar­tir aus­si vite que pos­sible. » (France Inter) Sans ren­trer dans les détails, sou­li­gnons que le FMI – donc DSK – a plu­tôt plai­dé, encore récem­ment, pour un « rééqui­li­brage des finances publiques » [4]. Les poli­tiques d’austérités (baisse du nombre de fonc­tion­naires, réduc­tion des dépenses des Etats concer­nés, etc.) menées vont d’ailleurs dans ce sens et non pas vers un « réen­ga­ge­ment des Etats dans l’économie ».

Pré­ju­geant de ce que serait le monde sans DSK, Ber­nard Guet­ta ne cache pas sa décep­tion : « Sans lui , les idées de régu­la­tion auraient eu bien plus de mal à s’imposer dans les forums inter­na­tio­naux » Se sont-elles sim­ple­ment impo­sées ? Et si oui, est-ce grâce à DSK, ou plu­tôt « grâce à » la crise finan­cière elle-même ? « Sans lui, ajoute Guet­ta, l’aide à la Grèce aurait été beau­coup dif­fi­cile encore à déblo­quer et ne l’aurait été qu’au prix de sacri­fices autre­ment plus grands encore que ceux qui ont été deman­dés à ce pays en faillite. » Que peut-il en savoir ?

Le quo­ti­dien du soir conti­nue l’éloge de Domi­nique Strauss-Kahn : « Le 30 avril, il a clos un bud­get en béné­fice de 1,261 mil­liard de dol­lars et cer­taines ONG [les­quelles ?] de Washing­ton recon­naissent avoir du mal à cri­ti­quer contre un direc­teur sou­vent plus à gauche qu’elles dans sa dénon­cia­tion des inéga­li­tés et des tur­pi­tudes des banques. Le FMI ne se vit plus en “père Fouet­tard”, mais en méde­cin des pays en ban­que­route. » Les Grecs apprécieront.

Héros des Français

Cela ne fait pas de doute, pour une grande par­tie des médias, cette affaire va ter­nir l’image de la France. « C’est une vio­lence faite à l’image et au pres­tige de la France » estime Tho­mas Legrand sur France Inter. Sur la même radio, Domi­nique Seux confirme : « C’est l’angle de poli­tique inté­rieure qui est le plus évo­qué depuis hier (…). Mais il y a d’autres volets. Le pre­mier, c’est idiot de le rap­pe­ler, concerne l’image de la France. » Sur TF1, Fran­çois Bachy, solen­nel, lâche : « C’est l’image de la France qui est quelque part touchée. »

Il ne vient pas à l’idée des com­men­ta­teurs que Domi­nique Strauss-Kahn n’est pas autant connu à l’étranger qu’en France… Com­bien de Fran­çais – et de jour­na­listes – connaissent le nom de l’ancien direc­teur du FMI (Rodri­go Rato) ? Du direc­teur actuel de la Banque Mon­diale ? Voir même, com­bien de Fran­çais seraient capables de recon­naître l’actuel Secré­taire géné­ral de l’ONU ?

Et pour Nico­las Demo­rand, porte-parole des Fran­çais, DSK était « peut-être l’un des mieux pla­cés pour répondre aux inquié­tudes des Fran­çais. » (Libé­ra­tion) Claude Asko­lo­vitch, appa­rem­ment ému, pré­vient sur Europe 1 : « S’il est jugé cou­pable, ça va être un choc pour énor­mé­ment de Fran­çais. » Même sen­ti­ment pour Alain Duha­mel pour qui DSK était assu­ré­ment « le plus popu­laire des can­di­dats »… alors qu’il n’était pas encore candidat.

Pour conclure – pro­vi­soi­re­ment –, il ne faut pas s’étonner devant « l’onde de choc » que cette affaire pro­voque dans des médias qui avaient tant aimé et tant atten­du DSK. Com­bien de cen­taines d’articles ont été consa­crées à son éven­tuelle can­di­da­ture ? Com­bien d’éditorialistes ont com­men­té ses longs mois de silence ? Com­bien de repor­tages ont mis en lumière le tra­vail « excep­tion­nel » du for­cé­ment futur can­di­dat – et for­cé­ment futur vain­queur – de l’élection présidentielle ?

Et si, comme le montrent les « Unes » de la presse, le « choc » n’était pas plu­tôt subi par ces médias qui ont por­té Domi­nique Strauss-Kahn aux nues ?
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Comme l’écrivait André Gun­thert lun­di sur le site Culture Visuelle, « ce n’est pas l’image de Domi­nique Strauss-Kahn qu’affichent aujourd’hui les Unes. C’est l’autoportrait d’une presse en plein désar­roi face à la dis­pa­ri­tion de son can­di­dat préféré ».

Mathias Rey­mond

Notes

[1] Nous revien­drons plus lon­gue­ment dans un pro­chain article sur la façon dont les médias et les son­dages ont por­té Strauss-Kahn aux nues.

[2] Voir l’article que nous avions consa­cré à l’époque sur cette ques­tion « Le retour de Jos­pin : 300 articles pour rien ? » (http://www.acrimed.org/article2451.html)et, pour mémoire, l’article sur le pla­giat des Inro­ckup­tibles : « Les Inro­ckup­tibles copient Acri­med » (http://www.acrimed.org/article2476.html).

[3] Sauf indi­ca­tion contraire, toutes les cita­tions datent du 16 mai 2011.

[4] Voir le com­mu­ni­qué du FMI daté du 12 mai 2011. Com­mu­ni­qué dans lequel on peut lire que « les pou­voirs publics devraient cher­cher à réta­blir une crois­sance saine du cré­dit et à ren­for­cer les défenses des banques . »



Affaire DSK (2) : compassions sélectives

Vic­time ? Humi­lia­tion ? Mais de qui et de quoi parle-t-on ?

Vic­times

Cela ne fait aucun doute : s’il est inno­cent des crimes dont on l’accuse, le direc­teur du FMI vit une épreuve ter­rible. Les médias, à grand ren­fort d’images et de com­men­taires, n’ont pas man­qué de le souligner.

Mais cela ne fait aucun doute non plus : si elle a effec­ti­ve­ment été vic­time du viol ou de la ten­ta­tive de viol dont elle accuse DSK, la femme de ménage de l’hôtel Sofi­tel vit une épreuve non moins ter­rible. Bien au contraire.

Il a fal­lu long­temps, trop long­temps pour que les jour­na­listes en charge des infor­ma­tions et des enquêtes, foca­li­sés sur la per­sonne de Domi­nique Strauss-Kahn et sur le récit et les images de son incul­pa­tion, s’en avisent.

… Et prennent la mesure de ce constat : non seule­ment la plu­part des res­pon­sables poli­tiques n’ont guère témoi­gné de la moindre com­pas­sion, même condi­tion­nelle, pour l’employée de l’hôtel, mais il fal­lu attendre plu­sieurs jours pour que quelques voix d’élèvent du côté des res­pon­sables du Par­ti socia­liste, pres­sés de s’acquitter de leur devoir d’amitié pour le direc­teur du FMI, pour que la pré­somp­tion d’innocence n’efface pas com­plè­te­ment ne serait-ce que l’éventualité qu’existe une autre vic­time. Par­mi les pre­mière à rompre le silence, on peut rele­ver notam­ment les noms de Cécile Duflot, Clé­men­tine Autain, Myriam Mar­tin. Des femmes… Pour contri­buer au réveil des journalistes…

… Mais le réveil des res­pon­sables des rédac­tions et des pré­sen­ta­teurs, aler­tés peut-être par quelques excep­tions, par­mi les­quelles on peut rele­ver les noms de Jean Qua­tre­mer [1], Jean-Michel Apha­tie [2] ou du Figa­ro [3] (que nous n’avons pas pour habi­tude de ména­ger…), fut bien tardif.

D’autres com­men­ta­teurs se sont pro­non­cés – par exemple sur RTL dans l’émission « On refait le monde » (16 mai) ou sur I‑télé dans l’émission « C’dans l’air » sur France 5 (17 mai) sou­vent pour prendre à par­tie les socia­listes (en oubliant les jour­na­listes) et/ou fort peu, voire pas du tout, par fémi­nisme (bien que les asso­cia­tions fémi­nistes aient fini par se faire entendre)

Pour­quoi a‑t-il fal­lu attendre si long­temps pour que les JT et la presse écrite changent de ton ? Parce que le sort d’une femme de ménage n’a guère d’effet sur le Cac40 ? Plus pro­ba­ble­ment parce que l’ethnocentrisme de classe et le machisme ordi­naire se mêlent à la défé­rence pour les élites. Quoi qu’il en soit, DSK fut la seule vic­time, sous condi­tion de véri­fi­ca­tion, que la plu­part des médias ont évo­quée pen­dant plu­sieurs jours : DSK humi­lié, DSK menot­té, DSK emprisonné.

Certes le comble a été atteint par BHL qui, déci­dé­ment n’en rate pas une. Sans un mot sur la jeune femme, vic­time s’il en est, pour peu que sa ver­sion soit véri­dique, l’habitué des palaces a enquê­té : : « Je ne sais pas – mais cela, en revanche, il serait bon que l’on puisse le savoir sans tar­der – com­ment une femme de chambre aurait pu s’introduire seule, contrai­re­ment aux usages qui, dans la plu­part des grands hôtels new-yor­kais, pré­voient des “bri­gades de ménage” com­po­sées de deux per­sonnes, dans la chambre d’un des per­son­nages les plus sur­veillés de la pla­nète » [4].

Mais oublions BHL… On ne peut être que conster­né quand on constate que des jour­na­listes ont pu conti­nuer à inter­pel­ler, sou­vent à juste titre, des res­pon­sables poli­tiques pour mettre en ques­tion leur absence de com­pas­sion pour la vic­time, fût-elle pré­su­mée, d’un viol ou d’une ten­ta­tive de viol, mais sans s’interroger sur le rôle des jour­na­listes eux-mêmes (JT de France 2, 13 h, le 17 mai). On vou­drait pou­voir hur­ler de colère !

Humiliations

Une dupli­ci­té en appelle en une autre. Alors que la loi fran­çaise et le simple res­pect de la digni­té humaine inter­disent de pré­sen­ter des incul­pés pré­su­més inno­cents, avec des menottes ou dans une pos­ture humi­liante, la loi et les mœurs états-uniennes ne l’interdisent pas. De quoi indi­gner par­tout sur l’humiliation subie par DSK…

… en dif­fu­sant les images de DSK menot­té. Dans un sou­ci d’information ? Qui peut le croire quand ces images sont dif­fu­sées en boucle, notam­ment sur les chaînes en conti­nu (LCI, I‑télé ou BFM-TV) ?

Même le CSA s’en est ému, à sa façon, qui, laco­nique et allu­sive, n’a pas déro­gé à la com­ponc­tion habi­tuelle des pré­lats de l’audiovisuel. Et de l’audiovisuel seulement…

Le CSA, sans jamais men­tion­ner pré­ci­sé­ment ce dont il parle, appelle « à la plus grande rete­nue dans la dif­fu­sion d’images rela­tives à des per­sonnes mises en cause dans une pro­cé­dure pénale ».

La loi fran­çaise, quoi qu’on en pense, est beau­coup plus pré­cise : « I. — Lorsqu’elle est réa­li­sée sans l’accord de l’intéressé, la dif­fu­sion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le sup­port, de l’image d’une per­sonne iden­ti­fiée ou iden­ti­fiable mise en cause à l’occasion d’une pro­cé­dure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un juge­ment de condam­na­tion et fai­sant appa­raître, soit que cette per­sonne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est pla­cée en déten­tion pro­vi­soire, est punie de 15 000 euros d’amende » (Article 35-ter de la loi du 29 juillet 1881 — Ver­sion conso­li­dée au 24 juillet 2010).

Du coup, s’ouvre un « débat » : fal­lait-il dif­fu­ser ces images ? Nou­velle occa­sion de les dif­fu­ser une fois de plus ! Ou de se deman­der benoî­te­ment (enten­du sur France Info) : « Que faire puisqu’on les voit par­tout sur Inter­net ? » Mau­dite concur­rence qui nous oblige à faire de même et à faire ce que l’on dénonce ! Saluons donc France 2 qui s’interroge sur l’humiliation subie par DSK… en dif­fu­sant les images humiliantes :
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Mais puisque l’humiliation de DSK émeut, mais sans émou­voir sur la res­pon­sa­bi­li­té des médias fran­çais dans sa mise en images, force est de consta­ter que nos mora­listes de la veille deve­nus déon­to­logues du len­de­main, ne s’étaient guère émus… de la dif­fu­sion d’images simi­laires, hors-la-loi et hors tout res­pect de la digni­té de pré­su­més inno­cents, lors, par exemple, de l’avant-procès d’Outreau.

Ain­si de cette pho­to d’un accu­sé, inno­cen­té depuis (dont nous avons mas­qué le nom et le visage pour ne pas pra­ti­quer ce que nous dénonçons).

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Selon que vous serez puis­sant ou misé­rable, les juge­ments de la cour média­tique vous ren­dront blanc ou noir… de pré­fé­rence sans savoir de quoi il retourne vraiment.

Hen­ri Maler et Julien Salingue (avec Gilou pour le pro­cès d’Outreau), le 18 mai 2011

Notes

[1] « J’ai enten­du quelques réac­tions aujourd’hui qui n’honorent pas leurs auteurs : dans une socié­té qui porte de plus en plus atten­tion aux vic­times, à juste titre, on semble oublier qu’il y a une vic­time dans cette affaire, une femme qui affirme avoir été agres­sée, et pas seule­ment un poli­tique en détresse. J’ai cru me retrou­ver dans les années 70 où on affir­mait que les femmes vio­lées affa­bu­laient la plu­part du temps et qu’elles avaient dû le cher­cher. » (blog, 14 mai)

[2] « La vic­time, pré­su­mée à l’heure où les lignes sont écrites, est une jeune femme de 32 ans, femme de ménage exer­çant dans un hôtel new-yor­kais. » (blog, 16 mai)

[3] « Éton­nant contraste entre le trai­te­ment de cette infor­ma­tion aux États-Unis, où l’on ne badine pas avec les his­toires de moeurs et tout ce qui touche aux crimes et délits sexuels, et une espèce de défiance ins­tinc­tive en France. Éton­nant contraste, aus­si, entre le trai­te­ment accor­dé au pré­su­mé cou­pable et à sa vic­time pré­su­mée. Cette femme de chambre qui aurait pous­sé la porte de la chambre 2806, same­di, à 13 heures ». Cyrille Pluyette, Le Figa­ro du lun­di 16 mai 2011)

[4] Sur Ité­lé le 17 mai, le pro­cé­dé est plus sub­til, mais le résul­tat est le même : pour lan­cer un sujet concer­nant la femme de chambre du Sofi­tel, Florent Peif­fer, pré­sen­ta­teur de l’édition per­ma­nente, informe que celle-ci « n’avait jamais posé aucun pro­blème, d’après ses col­lègues et ses voi­sins ». Elle n’avait jamais « posé de pro­blème ». Une for­mule que l’on entend sou­vent lorsque les jour­na­listes évoquent une per­sonne qui s’est ren­due cou­pable d’un crime. Saluons donc l’innovation d’Itélé qui se sent obli­gée de men­tion­ner, à pro­pos d’une pré­su­mée vic­time, qu’elle n’a jamais posé de pro­blème. Saluons aus­si TF1 qui a cru bon de nous pré­ci­ser, lors du 20 heures du 16 mai, que la jeune femme était « incon­nue des ser­vices de police ». Serait-ce donc la pre­mière fois qu’elle « pose problème » ?