Goebbels insiste bien sur l’idée que la liberté en art n’est autre que celle d’obéir aux principes politiques.
Dans l’ouvrage “Le Nazisme et la culture”, Lionel Richard examine les conceptions culturelles des nazis et leurs conséquences, dans tous les domaines : littérature, peinture, architecture, musique, cinéma. Il montre aussi leurs incidences à l’étranger, en France notamment, ou leurs analogies avec les autres mouvements fascistes, principalement le fascisme italien. Fondé sur des recherches originales et, pour l’essentiel, sur une documentation de première main, Le Nazisme et la Culture est un livre à la fois d’érudition et d’actualité. Il est indispensable à qui veut comprendre l’histoire culturelle du monde d’aujourd’hui.
• P. 18 : « Que devient l’art ? Il est, lui aussi, absorbé dans les structures de l’État. Aucune sphère de l’existence publique et privée n’échappant à la domination des idées fascistes, tous les moyens esthétiques sont mis à contribution pour les imposer à l’ensemble du corps social, de la photographie au concert de musique, de la sculpture monumentale au film, du théâtre de masse au livre d’images. »
• Idem : « Leur entreprise, indissociable d’une vision globale du monde, n’obéissait qu’à une perversion systématique du beau et de l’émotion esthétique à des fins strictement idéologiques. »
• P. 19 : « Le beau n’est plus qu’un instrument de fascination, de suggestion, de soumission de l’individu. »
• Idem : « Évidemment, bien avant que ne soit constituée une doctrine fasciste, des gouvernements très divers ont soutenu et préconisé un art officiel. Mais, en Occident, jamais l’ensemble des arts n’avaient été appelés avec autant d’ardeur à illustrer une politique, et jamais la propagande n’avait autant servi à glorifier certaines formes artistiques particulières. Il n’existe pas de meilleur exemple d’une “culture” qui ait été à la fois […] l’instrument et l’expression du pouvoir politique. »
• P. 68 : « Pour les nazis, la forme artistique n’est qu’un succédané. Le problème pour eux est d’utiliser ce qui existe au cœur des masses afin de mieux les dominer. »
• P. 68 : « Mais l’idéal du beau ne reposant pas essentiellement sur la forme, à quelles valeurs les nazis le ramènent-ils ? Leurs théoriciens le disent et le répètent : à des valeurs biologiques. Alfred Rosenberg nous donne la clé de leur pensée fondamentale quand il écrit que la vision du monde national-socialiste repose sur la conviction que le sang et le sol forment l’essentiel de la communauté allemande, et que c’est à partir de ces deux éléments que doit se développer toute une politique esthétique et culturelle. »
• P. 71 : « Dans la société imaginée par les nazis, le rôle de l’artiste est donc primordial. Étouffant en lui tout ce qui ne correspond qu’à des données individuelles, il sert par son travail la communauté nationale. Il doit se plier doublement à la tâche que lui assigne l’État : en tant que citoyen et en tant que créateur. C’est ici la communauté nationale qui est seule juge du travail accompli. Le fait d’être un artiste ne lui confère aucun droit particulier, puisque l’artiste est aussi un citoyen comme un autre. Goebbels insiste bien sur l’idée que la liberté en art n’est autre que celle d’obéir aux principes politiques. Ce qui signifie, en clair, que l’artiste doit se soumettre à l’État, qui est l’émanation de la communauté nationale. L’art devient alors un instrument de propagande qui tombe sous l’arbitraire du pouvoir politique. »
• P. 72 : « Les valeurs morales exaltées par les nazis doivent ainsi se dégager clairement de toutes les réalisations culturelles : patriotisme, héroïsme, obéissance ; amour des masses, du travail, du chef et de la guerre. Il faut que la vie de la nation en soit marquée dans ses activités les plus quotidiennes. »
• P. 72 – 73 : « En cette affaire d’art et d’esthétique, celui qui est présenté comme le juge suprême est le Führer, reflet parfait de la “communauté nationale”. »
• P. 77 : « Négateur de toutes les libertés dans ses principes, le nazisme ne pouvait évidemment accepter la liberté artistique. Afin d’imposer ses conceptions esthétiques, il n’a pas seulement encouragé un art de propagande, il a par des mesures politiques entravé le libre développement de l’art. […] D’interdictions en interdictions, d’arrêtés en arrêtés, de manifestations en manifestations, les nazis finirent par obtenir un art à peu près soumis à leur politique. »
• P. 98 (à propos de l’autodafé du 10 mai 1933) : « Dans un double mouvement de négation et de réaffirmation régénératrice, le passé démocratique de la République de Weimar était rejeté au nom d’une renaissance qui était tout simplement un retour aux valeurs impériales. Les appels étaient fondés sur des oppositions artificielles et tranchées où les mots-clés rappelaient ceux des discours de Guillaume II : nationalisme contre marxisme, obscurantisme contre science, idéalisme contre matérialisme, militarisme contre pacifisme. A travers cette régression se lisait le refus de toute évolution sociale et se profilait le modèle d’un monde figé, sécurisant : la famille, l’État, la langue, tels qu’ils avaient été codifiés avant les bouleversements provoqués par l’industrialisation et la Première Guerre mondiale. »
• P. 105 : « Il ne suffisait pas aux nazis d’interdire des livres, d’encourager une littérature de propagande et d’empêcher artistes ou écrivains qu’ils jugeaient, pour reprendre leur vocabulaire, libéraux, bolcheviques et non-allemands, de se livrer à toute activité professionnelle. Antidémocratique dans ses principes, l’État devait assujettir l’ensemble de la culture à ses instances. Beaux-Arts et littérature ne pouvaient être considérés, selon les conceptions nazies, comme des éléments autonomes : il leur fallait s’intégrer à l’appareil étatique. L’image du Troisième Reich devait être celle d’une totalité, d’une construction parfaitement fonctionnelle et homogène. »
• P. 107 : « Les motifs sur lesquels s’appuya Goebbels pour justifier la création d’une Chambre de culture furent les suivants : la nécessité de combattre les éléments nuisibles à l’État, le souci d’impulser chez les artistes une volonté commune. »