Gorillas laisse 300 personnes sur le carreau

Le cou­pe­ret tombe pour les livreur·euse·s de Gorillas. La pla­te­forme de livrai­son a annon­cé sa fer­me­ture pour le 30 juin. Avec Gorillas, c’est aus­si Frich­ti, entre­prise rache­tée en mai 2022, qui ferme ses portes comme la « fusion » le lais­sait craindre. Rai­son annon­cée ? La perte de com­pé­ti­ti­vi­té face aux autres plateformes.

Les livreurs ont appris par voie de presse que de la direc­tion quit­tait le ter­ri­toire natio­nal en espé­rant aug­men­ter sa marge de pro­fit sur d’autres mar­chés (le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les États-Unis).

Le pré­texte de mau­vaise san­té finan­cière a de quoi sur­prendre. Il y a quelques mois, l’entreprise bou­clait une levée de fonds de plus d’un mil­liard d’euros, et comp­tait dans ses inves­tis­seurs le géant finan­cier alle­mand Deli­ve­ry Hero. Gorillas s’est fait connaître en France en misant sur de gigan­tesques cam­pagnes publi­ci­taires et un par­te­na­riat avec l’équipe de foot du PSG. Elle s’est aus­si fait connaitre outre Rhin en licen­ciant 350 travailleur·euse·s qui avaient par­ti­ci­pé à une grève.

Les condi­tions de tra­vail chez Gorillas sont pour­tant moins mau­vaises que chez les autres pla­te­formes telles que Deli­ve­roo ou Ube­rEats. Vélos et équi­pe­ments (sécu­ri­té, pluie, …) four­nis par l’entreprise, contrats de tra­vail dignes de ce nom, assu­rances, espace de char­ge­ment de télé­phone, salaire décent payé à l’heure (et pas à la livrai­son), … Bref, des condi­tions de tra­vail digne du 21eme siècle. On est face à une entre­prise qui applique a mini­ma la légis­la­tion sociale, ce qui, dans le sec­teur, est assez rare, voire inexistant.

Suite à un accord avec le syn­di­cat ACV Puls à Anvers, lieu du siège social de l’entreprise, tou·te·s les travailleur·euse·s seront payé·e·s jusqu’à la date offi­cielle de fin de contrat au 30 juin 2022, mais avec une « libé­ra­tion de pres­ta­tion », c’est-à-dire que le livreur a le droit de ne plus tra­vailler à par­tir du 24 juin. 300 per­sonnes vont ain­si être licen­ciées avec des indem­ni­tés, légales et extra-légales, à par­tir de cette semaine. Mais il existe des dif­fé­rences de trai­te­ment entre les caté­go­ries de travailleur·euse·s concerné·e·s.

Les travailleur·euse·s sous contrat étu­diant sont par­ti­cu­liè­re­ment défavorisé·e·s : Iels auront droit à seule­ment 7 jours d’indemnité légale plus 3 semaines d’indemnité extra-légale. En revanche, les tra­vailleurs en CDI ou en CDD auront droit, en plus du légal, à une indem­ni­té extra-légale de 4 semaines ou 8 semaines, sui­vant leur ancien­ne­té, période d’intérim comprise.

Aujourd’hui, les livreur·seuse·s se posent beau­coup de ques­tions. Com­bien gagnent les cadres diri­geants ? Il n’ont aucune infor­ma­tion sur leurs rému­né­ra­tions. A quand la réforme du sta­tut étu­diant pour mettre fin à une forte dif­fé­rence de trai­te­ment et à leur pré­ca­ri­té qui ali­mente, à côté de l’exploitation des autres travailleur·euse·s pré­caires dans le sec­teur comme les inté­ri­maires ou sans papiers, la spi­rale vers le bas des condi­tions de tra­vail pour tou·te·s ? 84% des étudiant·e·s tra­vaillent en effet pour finan­cer leurs études, quand ce tra­vail sera-t-il enfin valo­ri­sé et res­pec­té dans notre société ?

Une autre ques­tion se pose : la rai­son de la fer­me­ture est-elle struc­tu­relle ou conjonc­tu­relle ? Peu de réponses de la part de Gorillas à ce sujet à part des paroles creuses sur la “perte de com­pé­ti­ti­vi­té ” face à la concur­rence des pla­te­formes comme Uber Eats et Deli­ve­roo qui uti­lisent des livreurs sans droit sociaux.

Il est vrai que la concur­rence est bru­tale dans le sec­teur du quick com­merce, où un grand nombre d’entreprises se sont lan­cées entre 2020 et 2021. Après avoir long­temps fait figure de lea­der, grâce à des levées de fonds records, Gorillas semble désor­mais à la traîne. Sif­ted rap­porte qu’en mai 2022, l’app de Getir, l’un de ses prin­ci­paux concur­rents, a été télé­char­gée 1,5 mil­lion de fois. Celle de Gorillas ne l’a été que 320 000 fois. Pour­tant, les taux de ren­de­ments exi­gés par la récente levée de fonds démen­tielle auront sûre­ment eux aus­si par­ti­ci­pé à cette fermeture.

On sait en tout cas que, d’i­ci à ce que le cadre légal évo­lue en faveur des travailleur·euse·s de pla­te­formes, toutes ces entre­prises auront le champ libre pour déve­lop­per leurs acti­vi­tés en pré­ca­ri­sant mas­si­ve­ment les livreur·euse·s. Il est clair que si les entre­prises qui res­pectent un mini­mum les droits des travailleur·euse·s ferment, les travailleur·euse·s du sec­teur res­te­ront aux mains des entre­prises de livrai­son qui fonc­tionnent sur la loi de la jungle (en payant notam­ment « à la tâche », en dehors de tout sta­tut social), en exploi­tant les travailleur·euse·s étudiant.e.s, sans papiers ou allo­ca­taires sociaux contraint.e.s à accep­ter n’importe quel emploi . Si les auto­ri­tés conti­nuent à lais­ser faire, le « moins disant social » l’emportera tou­jours et chas­se­ra les « moins mau­vaises » situations !

Alors que le gou­ver­ne­ment belge dis­cute d’une pro­po­si­tion de loi visant à régle­men­ter le mar­ché du tra­vail du sec­teur des livrai­sons, du E‑commerce et du Q‑commerce et que la Com­mis­sion Euro­péenne est en train d’élaborer une pro­po­si­tion de direc­tive pour cet automne, il est néces­saire de prendre en compte la parole de travailleur·euse·s de ces sec­teurs et leurs propres revendications.

Le point de départ doit se situer sur le constat de la pré­ca­ri­té crois­sante des livreur·euse·s. Iels n’ont plus d’autre choix que d’accepter de moins bonnes condi­tions de tra­vail, sous pres­sion de la concur­rence sau­vage que se livrent les pla­te­formes et face au manque d’une réelle recon­nais­sance de ces problèmes à leur juste mesure par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. Cet été, nous allons conti­nuer à infor­mer les livreur·euse·s des déci­sions que le gou­ver­ne­ment belge et la com­mis­sion euro­péenne sont en train de prendre der­rière leur dos, nous allons continuer à mobi­li­ser et orga­ni­ser les travailleur·euse·s du sec­teur pour qu’enfin tous les tra­vailleur·euse·s de pla­te­formes soit trai­té·e·s avec digni­té.