Attali et BHL s’en vont en guerre

Personne ne peut prétendre que la Syrie est perdue au milieu de nulle part, pas même Bernard-Henri Levy qui rêve d’initier cette année à propos de ce pays une opération similaire à celle qu’il estime avoir réussi pour la Libye l’an dernier.

556289_414734541899690_274540796_n.jpgmar­di 5 juin 2012, par Phi­lippe Leymarie

Le petit club des pen­seurs-stra­tèges et des intel­lec­tuels se pre­nant pour des chefs d’état-major s’élargit à mesure que s’aggrave la crise syrienne : à l’instar de Ber­nard-Hen­ri Levy, auto-auréo­lé de son épo­pée libyenne, qui a enjoint ces jours-ci le nou­veau pou­voir fran­çais de « dépas­ser le véto sino-russe au Conseil de sécu­ri­té » en envi­sa­geant une opé­ra­tion armée sans l’aval de l’ONU contre le régime de Bachar El Assad, voi­ci qu’une autre grande conscience, un autre « séma­phore de la pen­sée », Jacques Atta­li[[cques Atta­li est un des fon­da­teurs du site Slate.fr, dont il pré­side le conseil de sur­veillance. Eco­no­miste, écri­vain, édi­to­ria­liste à l’Express, il est actuel­le­ment pré­sident de Pla­Net Finance.]], pré­co­nise tran­quille­ment une inter­ven­tion de l’OTAN… au Sahel, « avant que l’équivalent du 11 sep­tembre 2001 ne vienne l’imposer ».

Sur son blog de l’Express, Atta­li rap­pelle que le Mali est aujourd’hui un pays cou­pé en deux : « au Sud, un gou­ver­ne­ment pro­vi­soire ter­ro­ri­sé par des mili­taires qui par­courent les rues, enva­hissent les palais natio­naux et menacent les pas­sa­gers aux aéro­ports. Au Nord, un ter­ri­toire très vaste et magni­fique, dis­pu­té par les ter­ro­ristes de l’AQMI et des indé­pen­dan­tistes laïcs tar­guis, qui viennent de s’unir à des isla­mistes maliens, pro­cla­mant l’indépendance d’un “Etat Isla­mique de l’Azawad” ».

Ce pays, « qui pour­rait paraître sans impor­tance, per­du au milieu de nulle part, sans res­sources natu­relles ni popu­la­tion », consti­tue en réa­li­té « un pro­blème qui pour­rait deve­nir beau­coup plus impor­tant pour notre sécu­ri­té que ne l’est l’Afghanistan », estime notre ana­lyste, qui craint que le Mali ne devienne « le point de ren­contre de forces malé­fiques venues du monde entier ». Comme en Colom­bie, explique-t-il, « on assiste à une col­lu­sion entre nar­co­tra­fi­quants et mili­tants poli­tiques extré­mistes. Avec, cette fois, en plus, un fon­da­men­ta­lisme religieux ».

Ter­ro­ristes et kamikazes

Autre don­née du « pro­blème » : cette séces­sion malienne peut désta­bi­li­ser tous les autres pays de la région, laquelle risque de deve­nir une base arrière de for­ma­tion de « ter­ro­ristes et de kami­kazes qui vien­dront s’attaquer aux inté­rêts occi­den­taux un peu par­tout dans la région, et même, par de mul­tiples moyens de pas­sage, en Europe ».

« Ils ne sont encore que quelques cen­taines ; si rien n’est fait, ils seront bien­tôt plu­sieurs mil­liers, venus du Pakis­tan, d’Indonésie et d’Amérique Latine. Et les gise­ments d’uranium du Niger, essen­tiels à la France, ne sont pas loin », pour­suit le géné­ral Attali.

Solu­tions pré­co­ni­sées : sou­te­nir le gou­ver­ne­ment au sud du Mali, et lan­cer au nord « une action mili­taire sur le ter­rain, avec un appui logis­tique à dis­tance, des moyens d’observation, des drones et une capa­ci­té d’encadrement stra­té­gique ». Et le stra­tège de conclure : « il sera bien­tôt néces­saire de réflé­chir à mettre en place une coa­li­tion du type de celle qui a fonc­tion­né en Afghanistan ».

Ton com­mi­na­toire

Per­sonne ne peut pré­tendre que la Syrie est per­due au milieu de nulle part, pas même Ber­nard-Hen­ri Levy qui rêve d’initier cette année à pro­pos de ce pays une opé­ra­tion simi­laire à celle qu’il estime avoir réus­si pour la Libye l’an der­nier. « La France fera-t-elle, pour Hou­la et Homs, ce qu’elle a fait pour Ben­gha­zi et Mis­ra­ta ? », demande-t-il dans une lettre ouverte parue le 30 mai der­nier dans plu­sieurs grands medias[[Le Point, Il Cor­riere del­la Sera, El Pais, Die Welt, Espres­sen, The Huf­fing­ton Post.]], quelques jours après qu’une cen­taine de per­sonnes, dont près de la moi­tié d’enfants, ont été mas­sa­crés à Hou­la, dans centre de la Syrie.

Sur le ton assez com­mi­na­toire qui est sa marque de fabrique, BHL inter­roge le pré­sident Fran­çois Hol­lande : « Mais qu’est-ce qui était le plus urgent : aller en Afgha­nis­tan pré­pa­rer le retrait anti­ci­pé de nos troupes ou prendre l’initiative en Syrie ? Qu’est-ce qui était le plus impor­tant : annon­cer la réduc­tion du salaire de vos ministres et le gel du prix des car­bu­rants, ou intro­duire au Conseil de sécu­ri­té une réso­lu­tion auto­ri­sant le bom­bar­de­ment des tanks posi­tion­nés à l’extérieur des villes, en posi­tion de tir ? »

Le plan B de BHL

Invo­quant l’urgence, le 30 mai sur Europe 1, l’écrivain va-t-en-guerre a cepen­dant salué le « vrai pas » du pré­sident Hol­lande qui n’avait pas exclu (sur France 2, la veille) une inter­ven­tion mili­taire, à condi­tion qu’elle soit auto­ri­sée par l’ONU. « Un bon début. Je suis content » même si « ce n’est pas assez… », com­men­tait notre bel intel­lec­tuel, sou­te­nant qu’il faut agir même sans l’aval de l’ONU, et ne pas accep­ter que « deux Etats nous prennent en otages » (La Chine et la Russie).

L’habituel chantre de la manière forte a défen­du son « plan B » : l’Union euro­péenne et la ligue arabe appel­le­raient à « une inter­ven­tion huma­ni­taire mus­clée », l’OTAN prê­tant ses centres de com­man­de­ment (comme au Koso­vo ou en Libye). Il a balayé les objec­tions à pro­pos de réac­tions en chaîne, en Israël ou au Liban : ce qui est « hasar­deux, c’est de lais­ser Assad en place », « chaque jour qui passe, on aug­mente le dan­ger isla­miste (…) de guerre civile, de déchi­re­ment, de tribalisation… ».

En Syrie, « ce n’est pas plus dif­fi­cile qu’en Libye », pour celui que cer­tains sur­nomment « Cha­ria express ». Sur la croi­sette, à Cannes, BHL s’est d’ailleurs affi­ché en com­pa­gnie de deux ano­nymes pré­sen­tés comme des résis­tants syriens sor­tis clan­des­ti­ne­ment du pays, le visage mas­qué par le dra­peau des « révolutionnaires »…

Le cours de l’histoire

Dans son film Le ser­ment de Tobrouk, lan­cé à grand bat­tage média­tique, qui sort en salle le 6 juin et relate son action aux côtés des insur­gés libyens en guerre contre Mouam­mar Kadha­fi, « la fic­tion l’emporte lar­ge­ment sur la réa­li­té », estime Pas­cal Boni­face, le direc­teur de l’IRIS, dans une contri­bu­tion au « Plus » du Nou­vel Obser­va­teur. « Même les thu­ri­fé­raires de BHL admettent qu’il en fait un peu trop pour se mettre en avant dans ce docu­men­taire. C’est dire ! Mais le mes­sage qu’ils veulent faire pas­ser est de recon­naître sa contri­bu­tion essen­tielle et posi­tive au chan­ge­ment du cours de l’histoire dans l’affaire libyenne », ajoute-t-il.

Boni­face rap­pelle que Ber­nard-Hen­ri Lévy avait for­te­ment plai­dé pour que l’intervention en Libye ait lieu sans le feu vert du Conseil de sécu­ri­té qu’il jugeait impos­sible à obte­nir : « Heu­reu­se­ment qu’Alain Jup­pé et les diplo­mates, que BHL méprise, ont obte­nu le vote de la réso­lu­tion 1973 au Conseil de sécu­ri­té (…) A suivre la voie pro­po­sée par Ber­nard-Hen­ri Lévy, nous nous serions retrou­vés dans la même situa­tion qu’en 1956 lorsque Paris et Londres sont inter­ve­nus conjoin­te­ment à Suez. On se rap­pelle que ce fut un énorme désastre diplo­ma­tique, et à une époque où la supré­ma­tie occi­den­tale était indis­cu­table, ce qui n’est plus le cas ».

Infor­ma­tion manipulée

Autre rap­pel, qui explique les actuelles réti­cences russes à pro­pos d’une éven­tuelle inter­ven­tion en Syrie : le sens de la réso­lu­tion 1973 avait été modi­fié en cours de route, « pas­sant de la res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger à celle du chan­ge­ment de régime, bref, une ingé­rence clas­sique ». Si tout le monde peut se féli­ci­ter de voir Kadha­fi ren­ver­sé, estime Boni­face, les condi­tions de ce ren­ver­se­ment ont eu des consé­quences stra­té­giques impor­tantes et négatives.

« Désor­mais, il est tout sim­ple­ment deve­nu qua­si­ment impos­sible d’évoquer de nou­veau cette res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger. C’était pour­tant un concept nova­teur qui per­met­tait d’échapper à l’alternative ingé­rence-impuis­sance. Les Russes et les Chi­nois, qui ont été dupés après avoir lais­sé adop­ter la réso­lu­tion 1973, s’opposent désor­mais à ce qu’elle soit évo­quée de nou­veau. La popu­la­tion syrienne en paye un prix lourd pour le moment », conclut Pas­cal Boni­face qui, après avoir lis­té les consé­quences en chaîne de l’intervention en Libye, exé­cute le géné­ral Levy :

« L’enjeu du débat sur le Ser­ment de Tobrouk ne porte pas seule­ment sur l’égo pué­ril et ridi­cule de BHL. Il porte sur une infor­ma­tion res­pec­tueuse du public sur des sujets stra­té­giques essen­tiels. Le pro­blème de BHL n’est pas qu’il ait l’âge men­tal d’un enfant de huit ans doté de moyens finan­ciers colos­saux lui per­met­tant de réa­li­ser ses caprices. C’est la mani­pu­la­tion de l’information à laquelle il se livre ».

Source de l’ar­ticle : blog du diplo